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Moussem et festivals au Maroc : entre dépossession et récupération culturelle d’un espace du commun

Abdeslam Ziou Ziou
mai 2016

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.753

Résumés   

Résumé

Cet article traite du processus de réification d’une fête populaire au Maroc, le moussem. Il montre comment la monarchie marocaine récupère le processus de création du commun à l’œuvre dans le moussem par la marchandisation et la festivalisation de ces fêtes. Elle consolide ainsi son statut dominant dans la lutte pour le maintien de son pouvoir.

Abstract

This article presents the reification process of a popular festivity in Morocco: the moussem. The author shows how the Moroccan monarchy recovers the process of creating a common that is done in the moussem,to merchandise and commercialize the festivity. So, consolidating its dominant status in the struggle for the maintenance of power.

Extracto

El presente artículo aborda el proceso de reificación de una fiesta popular en Marruecos: el moussem.  El autor muestra cómo la monarquía marroquí recupera el proceso de creación de un común que se lleva a cabo en el moussem para mercantilizar los festivales y sus fiestas. Así, consolida su estatus dominante en la lucha por el mantenimiento del poder.

Index   

Texte intégral   

1 « De nos jours, la fête de la jeunesse - Aïd Chabab - commence dès le mois de mai et finit en Octobre, c’est la saison des Mahrajanates-festivals ». Cette phrase, captée récemment dans une ruelle de medina, résume un phénomène significatif de l’évolution du Maroc ces dernières années : l’explosion du nombre de festivals organisés ou octroyés par le pouvoir en place.
Dans la représentation collective marocaine, Aïd Chabab est lié à l’anniversaire du monarque. Sous le règne de Hassan II, ce moment était marqué par un ensemble de festivités et de décorum, mettant en scène, dans l’espace de la fête, l’allégeance de la population et son adhésion au régime monarchique. Que cette fête soit désormais perçue comme une saison de festivals, n’indique pas pour autant un changement de paradigme ou l’abandon de pratiques ou de dispositifs de mobilisation, mais bien leur extension et leur durabilité. Il ne fait de doute aujourd’hui pour personne que les festivals et les nombreuses célébrations sont fortement ancrés dans l’imagerie marocaine actuelle. Sous ces nouveaux habits, ils signalent la transformation générale induite par le régime marocain et constituent un élément capital dans la lutte symbolique entre les différents clans structurant le pouvoir makhzénien1.
A ce phénomène, qui contraint la dynamique culturelle du pays à n’être plus qu’une série de scènes montées et d’invitations artistiques internationales, s’ajoute l’attaque en règle contre de nombreux moussem et fêtes populaires. Le principe consiste toujours à encourager une forme contrôlée de pratiques festives et à en étouffer d’autres.
Il n’y a dans les statistiques officielles aucune indication du nombre exact de festivals qui se déroulent dans le pays durant l’année. Le ministère du Tourisme et celui de la Culture en dénombrent conjointement presque 1502, mais il est très difficile de distinguer les lieux de festivals des lieux de moussem. La distinction entre ces deux conceptions de la fête est très subtile, mais il serait néanmoins erroné de présenter les moussem comme des festivals.

Distinguer le festival du moussem

2Un festival est une manifestation festive qui n’a fait son apparition dans le langage commun que depuis quelques années. Il implique une organisation spécifique, l’installation d’une scène et revendique la modernisation des fêtes. Un festival ne fait pas participer les gens, mais les convoque. Il ne signale pas la richesse d’un moment collectif, puisqu’il émane toujours du haut. Les artistes présentent une performance scénique qui nous place d’emblée dans le registre du spectacle :  

« L'espace de la fête se trouve alors reconstruit selon un axe vertical : la scène et, en contrebas, le public. L'espace horizontal de la fête paysanne disparaît. Pourquoi ? Parce que c'est la relation verticale qui définit le spectacle de la politique et quand les élus décident de faire place à la musique populaire traditionnelle, ils sont évidemment incapables de comprendre qu'elle se déploie selon un tout autre ordre spatial ».3

3Le moussem4 est un regroupement défini dans l’espace et dans le temps autour de la célébration d’un siyyed5. C’est un instant de vie, un espace où se jouent des drames, où s’affrontent des visions et où éclot l’instant de la transe. Cette fête se déroule généralement au mausolée-tombeau du siyyed que l’on célèbre. Autour de cet espace se développe une activité foisonnante : des tentes sont dressées pour accueillir les différents adeptes des confréries, d’autres pour servir la nourriture, d’autres encore accueillent différentes confréries musicales. Les festivités peuvent durer de un à sept jours. Le déroulement des moussem varie selon l’endroit et la durée. Généralement, le pèlerinage au mausolée du saint s’effectue dans la journée ; un nombre important de personnes viennent s’y recueillir en apportant quelques offrandes. Différents rituels sont observés selon le saint vénéré. La nuit, les tentes se remplissent de personnes à la recherche d’endroit pour danser, entrer en transe ou simplement regarder les rondes de musiciens.

4L’espace est horizontal dans la mesure où les musiciens jouent en ronde, avec une absence totale de sonorisation. La ronde dont parle Allessi dell’Umbria est ici bien respectée et chaque personne est actrice des moments festifs : « Dans une ronde de tarentelle, les gens adhèrent complètement aux sons, ils sont comme envoûtés -même s’ils ne font rien d’autre qu’assister à la danse, au bord de la ronde »6 Au Moussem de Sidi Ali Ben Hamdouch, un village situé à une trentaine de kilomètres de Meknès, la tente qui accueille les musiciens de la confrérie des Jilala7 est ouverte sur tout son espace. Au milieu se tiennent les musiciens, derrière eux sont assis un nombre important d’adeptes qui attendent le moment où surgit la transe pour s’avancer. Tout autour, le moment est suspendu, les personnes qui s’approchent observent en silence le déroulement des danses. Les femmes ôtent leur foulard et entrent dans la danse, accompagnées généralement d’une ou deux personnes. Les phases musicales durent un peu plus d’une demi-heure, l’envoûtement est général. Quelques hommes tentent aussi d’entrer en transe ; ils commencent toujours par le faire de côté avant de pénétrer, une fois qu’ils sont possédés par le rythme, dans l’espace de la danse.

5Les différents espaces du moussem sont des lieux de rencontre et de discussion. Les tentes qui accueillent les adeptes sont ouvertes à tous ceux qui demandent l’hospitalité. En début de soirée, des repas sont préparés et partagés par l’ensemble des convives habitant une tente. Il n’y a généralement pas de programme à la fête, qui se déroule selon l’implication et l’envie des musiciens, des adeptes et des personnes présentes. La fête se construit par elle-même.
Les moussem sont, à travers l’organisation de l’espace et son occupation, des lieux du commun. Ce sont des instants créatifs, qui permettent à toute personne présente de faire partie intégrante de la fête. C’est un lieu où s’expérimentent les liens sociaux, où se consolide un tissu social, où se crée une communauté éphémère de la durée de la période festive. C’est un processus vivant. C’est au cœur de ces fêtes que se développent les notions de partage, de don, de contre don et d’affirmation d’un être-au-monde collectif. Le moussem est d’abord un lieu de rencontre où se forge une identité commune à travers la pratique festive et les danses de transe. Les moussem font partie de ces espaces qui donnent corps à un moment collectif, comme peut l’être le processus de gestion de la terre communale ou le travail communautaire.
Il faut fortement distinguer le moussem du festival, non par souci de langage mais parce que cette distinction est lourde de sens. La confusion sémantique est une tactique qui, en « festivalisant » les moussem et les fêtes populaires, tend à recadrer les espaces de la fête. En passant du moussem au festival, on transforme radicalement l’expérience des festivités populaires. On passe ainsi à des fêtes modernes, étrangères aux pratiques dites païennes, mais qui mettent en scène le pouvoir sous son versant symbolique le plus puissant. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : récupérer les lieux de construction de l’imaginaire collectif pour légitimer le pouvoir étatique.

6Parlant de Bou Hmara8 et de sa réappropriation de la fête de l’Achoura dans sa lutte contre le monarque de l’époque, A. Hammoudi écrit :

 «  Une telle convergence entre un pouvoir légitime mais contesté et un pouvoir concurrent à la recherche de légitimité indique une institutionnalisation de la fête comme signe et prérogative de souveraineté. C’est peut-être à ce titre qu’elle montre ce caractère de revue de l’ensemble de la société se déroulant ainsi sous les yeux du prince »9.

7Signes et prérogatives de souveraineté, c’est en cela que la fête devient un dispositif de pouvoir : dans sa capacité à monopoliser, faire parler les signes et manifester des  « prérogatives », c'est-à-dire à imposer sa légitimité.

La Lutte pour la légitimité à travers les fêtes : une démarche historique

8L’institutionnalisation des fêtes n’est pas une pratique récente, elle a toujours existé dans l’histoire des rapports de forces politiques au Maroc, soit comme moyen d’étrangler financièrement un concurrent, soit comme moyen de favoriser des alliés en puissance ou encore dans une volonté de  démonstration.
La Fête du Trône – A’id l’Aarch-, au Maroc sous Hassan II, était assez caractéristique d’une volonté délibérée d’organiser l’allégeance au Roi. Il est clair aussi que, dans l’histoire politique du Maroc, le jeu de forces entre les différents pouvoirs en présence a fait des moussem et des fêtes des lieux d’âpres combats. Fennek Reysoo, anthropologue hollandaise ayant étudié les moussem, date la plus ancienne pratique de manipulation des moussem connue (c'est-à-dire écrite) à 1815. Le moussem de la Zaouïa10de Ouezzane avait en effet été interdit par le sultan Moulay Slimane11 : « Les offrandes faites par les pèlerins pendant le moussem constituaient une partie des revenus matériels du cheikh idrisside. En lui coupant les vivres, Moulay Slimane espérait éliminer un rival politique. »12 Il faut aussi placer cette interdiction dans le contexte des luttes politiques de l’époque. Il a existé au Maroc, un rapport de forces politiques important entre le Saint (chef d’une zaouïa) et le Sultan (commandeur des croyants, à la tête du Makhzen). La relation entre ces deux entités était extrêmement ambivalente, oscillant entre une alliance de circonstance et un affrontement belliqueux. Il se jouait donc autour de ces moussem un bras de fer politique considérable.
Néanmoins, c’est pendant la période coloniale que cette pratique répressive devint systématique. Si dans la période précoloniale, l’intervention dans les moussem s’intégrait dans la lutte pour le pouvoir légitime, le protectorat institua une distinction claire entre bon et mauvais moussem : le bon moussem favorisait la puissance des potentats locaux acquis à la puissance coloniale, le mauvais moussem étant considéré comme une « bombe à retardement », « un rassemblement dangereux de propagation d’idées nationalistes. »13.Le Makhzen n’a pu réellement intervenir et interdire tel type de manifestations qu’en ayant à sa disposition la structure étatique mise en place par le colonialisme.

9La « nouveauté » des pratiques actuelles tient à ce que l’on appellera la festivalisation de la culture et des fêtes. Pouvoir faire sa genèse et situer son entrée en scène devrait faire l’objet de travaux approfondis. On peut  néanmoins esquisser ici des interrogations et risquer quelques hypothèses. Pourquoi subitement, vers la fin des années 90, un ensemble d’acteurs de ce que l’on nomme la société civile a-t-il commencé à organiser des festivals ? Pourquoi surgit à ce moment-là la nécessité de sauvegarder le patrimoine, de célébrer les pratiques traditionnelles ? Pourquoi allier la modernité à l’authenticité ? Et, plus important encore, comment est-on passé d’une pratique circonscrite à un milieu spécifique à la pratique élargie et systématique du festival ?

La systématisation du festival

101994 : naissance du Festival des musiques sacrées de Fès ; 1998 : naissance du Festival d’Essaouira ; 2001 : naissance du Festival des musiques du monde de Rabat ; 2003 : naissance de Alegria à Chefchaouen ;  2004 : naissance de Timitar à Agadir…
En une dizaine d’années, le paysage culturel marocain a vu s’imposer un ensemble de festivals animant les principales villes du royaume. Une nouvelle tendance émerge : des fêtes organisées par la société civile et dont le but essentiel est la « sauvegarde », la « mise en valeur », la « dynamisation » du patrimoine culturel marocain. Un groupement de personnes hétéroclites, généralement issues de la haute classe moyenne urbaine : anthropologues, communicants (Neïla Tazi), grands propriétaires, grands commis de l’Etat, figures tutélaires des villes (Azoulay pour Essaouira, Akhenouch pour Agadir, Faouzi Skalli pour Fés) se réunissent pour créer un festival, gage « du rayonnement » de leur ville.
Ce mouvement se situe dans un contexte général d’explosion du nombre d’associations et du développement de ladite « société civile14 » marocaine. De nombreuses raisons sont invoquées pour expliquer ce phénomène : la décentralisation et le désengagement de l’Etat au profit d’une politique de régionalisation, la libération de l’espace d’expression lors de la transition politique entre l’ancien et le nouveau régime monarchique, abandon par l’Etat de plusieurs prérogatives et finalement un « sursaut civique » de la part de ceux qui veulent s’engager dans le développement de leur pays.

11Le cas concret des organisations de festivals confirme ces analyses, mais nous y voyons aussi autre chose. Le développement des festivals a créé une nouvelle élite culturelle indépendante de la structure d’état classique, ouvrant un espace politique important. Il se crée un nouvel acteur politique très hétérogène se distinguant par son fait associatif et qui, par la grâce de l’INDH (Initiative Nationale du Développement Humain), devient un instrument politique élargissant et consolidant la base sociale du Makhzen15.L’Etat marocain s’appuie sur « l’apolitisme » de la société civile, pour diffuser insidieusement une vision profondément politique car il y trouve des relais efficaces aux discours et aux pratiques du Makhzen. «  Dans une société marocaine de plus en plus dépolitisée, l’événement politique est relégué au second plan sans pour autant disparaître. Désinvesti de sa sphère traditionnelle (les partis politiques), il s’abrite dans d’autres chapelles comme la « société civile ou les festivals d’art »16.
Cette frénésie associative s’empare de la formule du festival, créant une concurrence féroce entre les différentes villes pour affirmer sa présence dans le champ politique: chaque ville doit avoir son festival. Après Fès, Essaouira, puis Rabat, puis Agadir.…

Dire le festival

12La dynamique du festival suscite un discours, un savoir, pour justifier sa présence :l s’agit de « réhabiliter le patrimoine », de « sauvegarder la tradition », de « célébrer l’ouverture et la tolérance du Maroc », et de permettre « le rayonnement de la ville ».17 On relève dans cette pratique discursive deux éléments importants : la volonté de sauver quelque chose qui disparaît et celle de construire une image d’ouverture rayonnante du royaume. Se développent alors des festivals qui se proposent, à Essaouira par exemple, de tirer de l’oubli la confrérie des gnawas, à Fès de célébrer l’esprit soufi et les musiques sacrées, à Agadir de faire rencontrer les artistes amazigh et les musiques du monde, à Rabat-Mawazine de célébrer la production artistique marocaine et internationale.
L’objet culturel investi fait figure ici d’élément neutre dont on entend  « moderniser » la représentation. Ainsi, la confrérie des gnawas, les musiques sacrées, la musique amazigh se trouvent extraites de leur milieu, du cadre de leurs rituels, pour devenir un produit, un spectacle.
Il arrive, et c’est très souvent le cas, que ces manifestations s’accompagnent de conférences et de colloques  qui produisent un discours historique et sociologique sur ce fait culturel neutralisé, utilisant le discours savant comme justification. Généralement, ces espaces de production savante sont réservés aux initiés, peu accessibles au quidam, et permettent de se retrouver entre soi, comme pour mieux mesurer ses forces. La majorité des festivaliers, restent éloignés de ces lieux de culture en raison du manque d’information ou d’une simple dissuasion physique vu la cohorte d’agents de sécurité et de forces de l’ordre déployées. Les principaux acteurs que l’on y célèbre, c'est-à-dire les musiciens, les adeptes des confréries, les différents maîtres mystiques, n’y sont que rarement conviés18.

13Alèssi dell’Umbria, dans son livre « Echos du Mexique indien et rebelle », présente une analyse intéressante d’une fête populaire transformée en représentation du pouvoir : « De ce point de vue, l’intervention des anthropologues parachève l’opération entamée par Chico Lopez [ex gouverneur de l’Etat de Oaxaca, créateur du festival Guelaguetza, « célébrant » les cultures indigènes. Nda] : figer la tradition pour lui couper tout devenir. En la désarticulant du présent, on l’isole comme exotisme. On célèbre les mondes indigènes, comme en dehors du temps historique réel ou seul le monde de l’argent occupe l’espace »19.Cette forme de réification de la tradition définit ce qui est bon ou mauvais en elle et la modernise en la mettant en écho avec des artistes d’envergure internationale. Sauver les gnawas revient à les faire jouer avec Pat Metheney ou Mokhtar Samba. La partie profane, celle du jeu, est célébrée, laissant de côté les pratiques rituelles, les moments de la transe, les gnawas comme phénomène social et pratique populaire. C’est ce que l’on serait tenté d’appeler la folklorisation de la tradition.
Il est vrai que ces festivals acquièrent un succès phénoménal auprès de la population qui participe en nombre important aux différentes manifestations. On peut noter cependant des tactiques et des positionnements de pouvoir. En prendre conscience permet de tordre le cou à la neutralité apparente de ces événements qui fait la force principale du discours dominant.
Ainsi à Fès et Agadir, ainsi qu’à Rabat. Ce qui, à l’origine, était lié à une élite urbaine bien spécifique, s’élargit et devient, à la fin de la première décennie de ce siècle, comme une pratique systématique, un dispositif général de légitimation et de production de symboles  glorifiés par le festival Mawazine. Se met alors en place la distribution du label « Sous le haut patronage de Sa Majesté ». Le pouvoir makhzénien récupère ici une pratique-le festival qui émane de ses composantes et qui manifeste une forte attractivité populaire à la louange du souverain.

Mawazine, Aid  Al’Âarch du nouveau monarque

14Il n’est pas étonnant de voir que l’un des sujets qui a capitalisé le plus de mécontentement  lors du Mouvement du 20 Février 201120 fut le festival Mawazine. Ce festival, géré par le secrétaire particulier du souverain, Mounir Majidi, apparaissait aux yeux des manifestants comme source d’énormes pertes d’argent. Décrié, conspué, critiqué, ce festival continue néanmoins d’attirer des milliers de spectateurs et révèle la nature du pouvoir en place dont il est l’une des plus pures manifestations symboliques.

15Par sa capacité à drainer vers lui des artistes, groupes de musiciens, nationaux et internationaux, identifiés comme des produits culturels du réseau mondial des festivals, il permet d’octroyer au pouvoir une double reconnaissance.

16La première est nationale. En offrant, à un large public, des concerts et représentations artistiques d’envergure internationale, il renforce l’image et la position de l’institution royale. Par la diversité des artistes et des publics, le festival permet de satisfaire tous les goûts, et ainsi créer ce qui est l’une des clés fondamentales de la symbolique du pouvoir : la mise en spectacle d’une certaine proximité avec les différentes couches de la société. Dans cette offrande du pouvoir, la démonstration symbolique est extrêmement bien établie : sur les grandes scènes, la distinction est nette entre ceux qui payent et pénètrent dans l’espace réservé, et ceux qui bénéficient à l’arrière, bien au loin, du spectacle gratuitement proposé. Sans entrer dans des jugements de valeurs, on voit concrètement ici une expression de la violence symbolique du pouvoir : la cristallisation dans l’espace, l’inscription dans le paysage des hiérarchies sociales et de ce fait, leur acceptation. Le festival trouve une des sources de financement dans cette hiérarchisation de l’espace, qui crée des cercles concentriques autour de la figure centrale du pouvoir. L’espace privatisé est une manière de se rapprocher du pouvoir, d’être présent au plus près possible de la figure centrale du pouvoir. On peut aussi dire que ce festival existe pour cela : pour reproduire annuellement l’opérateur du pouvoir qu’est la démonstration de la proximité. Abdellah Hammoudi écrit à ce propos : « Mais avant la révolte, ou l’autonomie arrachée, le succès passe par la proximité au chef, l’ascendant que confère la fréquentation de ses cercles les plus intimes ainsi que l’échange de dons et services »21. Selon lui, l’autoritarisme marocain se fonde sur trois opérateurs de domination : la proximité, le service et le don. Le festival permet aux groupes gravitant autour de la maison royale de rendre service et de renouveler le rituel du don par l’intermédiaire du sponsoring ou du soutien financier. Ainsi, la classe financière et entrepreneuriale marocaine est sollicitée pour le financement de cet événement avec un budget global de 70 millions de dhirams (équivalant à près de 7 millions d’euros, comme l’indique l’association Maroc Culture organisatrice du festival)22. Cet effort financier est considéré comme un service rendu à la maison royale, il permet ainsi aux différentes entreprises qui collaborent soit par le sponsoring, soit par la location d’espaces publicitaires, de participer au rayonnement du royaume.

17La deuxième reconnaissance est internationale. Elle place le pays, au centre même d’un réseau international de circulation de produits culturels, standardisés et mondialisés, au sein d’un ensemble de festivals internationaux exploitant la même programmation. Les artistes invités deviennent les ambassadeurs d’un Royaume tolérant, ouvert sur d’autres cultures et qui représente un îlot de tranquillité au milieu des turbulences politiques que connait la région. L’inscription du Royaume dans la mouvance des festivals lui donne l’image d’un pays sûr et ouvert.
Est donc effectué un véritable travail sur l’image interne et externe du pays, marginalisant la dynamique culturelle propre. On pourrait rétorquer que Mawazine constitue un tremplin pour la jeune scène musicale marocaine. Pourtant, très peu de groupes de la scène urbaine marocaine arrivent à vivre pleinement de leur musique. Ce développement du festival ne s’est accompagné d’aucune mesure tangible pour accorder un réel statut aux artistes et musiciens. De plus, le festival Mawazine, fait place aux développements de pratiques culturelles et artistiques « propres », formes d’expressions accompagnées et soutenues par le pouvoir en place. La notion de « propre » renvoie ici au soutien à une offre artistique aseptisée et consensuelle, c'est-à-dire apolitique et célébrant les insignes et symboles de la nation. Les rappeurs un tant soit peu engagés sont systématiquement éloignés de ces réseaux de diffusion artistique, soit par la marginalisation médiatique, soit par l’interdiction concrète d’exercer23.
Mawazine est au monarque actuel ce que la Fête du Trône était pour son père : un lieu de démonstration du pouvoir, un instrument pour enraciner les codes et les vertus de la nation. Il suffit de suivre la polémique née après le soi-disant refus d’Amazigh Kateb de soulever le drapeau national24. Il s’ensuivit une campagne de diffamation dans les organes de presse affiliés à l’Etat, où l’on prêta à l’intéressé maints discours offensants, ce qu’il démentit avec force. Sur les scènes principales chaque artiste est invité à brandir le drapeau marocain en fin de concert. Cette pratique n’est pas anodine ; elle porte au sommet de la scène le drapeau, signe d’appartenance ultime. Dans la symbolique du pouvoir, cet objet revêt une importance capitale : plus besoin de ces fêtes où les insignes nationaux envahissent les rues. Un seul drapeau bien placé suffit.

Du moussem au festival, domestiquer la fête

18La multiplication des festivals joue sur le registre du symbolique. Appuyons-nous sur le magistral « Maitres et disciples. Genèse et fondements des pouvoirs autoritaires dans les sociétés arabes. Essai d’anthropologie politique » de Abdellah Hammoudi. L’ordre symbolique du pouvoir est tout aussi important que l’ordre factuel et sa pratique coercitive. Pour cela, le Makhzen s’appuie sur un outillage et un ensemble de dispositifs décrits par Hammoudi : la relation de maître à disciples propre aux structures politiques que sont les Makhzen.

« L’hypothèse de base de ce livre est que la forme maître-disciples, avec l’ambivalence et l’inversion qui la caractérisent, constitue encore de nos jours le schème dominant à l’œuvre dans la multiplicité des actions et des discours d’accès au magistère. Les littératures hagiographiques et les rites les plus divers le sanctifient et le révèlent dans son omnipotence autant que dans ses fêlures »25.

19Ce qui suppose que l’autoritarisme marocain est imprégné du schéma culturel dominant qui institue la prééminence d’un centre distributeur. Il semblerait que les festivals et les moussem participent de ces rites de sanctification. L’Etat, et avec lui la maison royale, deviennent les uniques pourvoyeurs de fêtes.
Mehdi Nabti dans son étude du moussem de Meknès écrit :

20« Aujourd’hui, l’Etat domine les confréries grâce à deux stratégies particulièrement efficaces qui ont pour but de neutraliser toute forme de revendication politique émanant des soufis : d’une part, en nommant et en fonctionnarisant certains des chefs de confréries […], et, d’autre part, l’Etat folklorise les aspects artistiques des rituels dans le cadre d’événements culturels et touristiques » 26.

21La festivalisation des moussem devient donc un moyen de contrôler politiquement des entités concurrentes, en dénaturant leurs pratiques rituelles. Privés de celles-ci, transformées en spectacles, la confrérie, et bientôt l’ensemble de la zaouia, n’ont plus la reconnaissance sociale qui permet à leurs complexes magico-rituels de se déployer.
Cette dynamique-là rejoint une autre dynamique qui veut que tout ce qui est populaire, ou finalement non urbain (7adari), désigne des pratiques à bannir ou à moderniser. Le discours de la modernité trouve son corollaire dans le discours sur l’hérétisme. Si, dans l’arène politique se joue un spectacle opposant les traditionalistes-conservateurs et les modernistes-progressistes, il y a bien au fond de tout cela un sujet contre lequel toutes les bouches bien-pensantes vocifèrent : la condamnation des festivités populaires. Ce que les élites urbaines (religieuses, politiques, économiques et culturelles) voient comme « une atteinte aux mœurs » ou comme des pratiques « d’un autre âge », sont les facettes d’un même mouvement qui vise à domestiquer les expressions populaires. Celles-ci, loin d’être des exutoires ou des pratiques païennes, comme le prétend une large littérature, sont des moments de  vie, un temps et un espace enracinés dans l’existence même, arrachés par des luttes séculaires, donnant aux formes de vie un relief un tant soit peu collectif.
Nous avons pu observer au moussem de Hadi Ben Aissa à Meknès27 des phénomènes qui agressent frontalement ces espaces populaires : l’occupation de l’espace par les forces répressives, la sélection minutieuse des ayant-droit à l’entrée au siyyed, le bannissement de toutes formes de danse et de transe non autorisées, la domestication de quelques taïfa28 qui ne défilent plus que sous la bannière du Roi… La diffusion d’un discours dénonçant des pratiques « sauvages », « hystériques », fait partie d’un dispositif général visant à normaliser l’espace de la fête populaire. A Meknès, dans la dénomination officielle, ce n’est même plus un moussem, mais le «  Festival de Sidi El Hadi Ben Aissa ». Un festival où une partie des Aissaoua est convoquée pour défiler dans un espace protégé, désormais séparé de la population pourtant très présente.

22Il faut noter une contradiction significative entre le discours porté par les organisateurs de festivals censés réhabiliter les traditions et les réalités concrètes d’éradication de l’espace leur donnant vie. Pendant que, d’un côté, on développe et favorise des moussem29 qui semblent diffuser l’image d’un Maroc  féerique et romantique, surtout auprès de sa population la plus cultivée, de l’autre, on éteint tout un ensemble d’espaces et de pratiques jugés incompatibles avec la nouvelle norme de la modernité marocaine.

Les moussem et les femmes

23Les esprits les plus progressistes clament la nécessité d’améliorer le sort de la femme marocaine et parallèlement, on détruit concrètement les espaces gagnés de haute lutte où l’on peut venir, en tant que femme, retrouver d’autres femmes, prendre le temps de la transe, de la respiration et du partage.
Les moussem sont en effet des lieux où la femme occupe l’espace public à part entière. Dans une société patriarcale où les hommes s’accaparent cet espace et définissent les modalités de son occupation, les moussem représentent une « sphère d’égalité » où la femme ouvre une brèche et peut contester les hiérarchisations rigides imposées par de la société. Hammoudi écrit à ce propos :

« Il est bien évident qu’il existe dans les sociétés arabo-musulmanes une hiérarchisation forte entre hommes et femmes qui donne à ces dernières un statut de subordination dont certains aspects sont inscrits dans la loi, alors que d’autres le sont dans la pratique sociale. Il est bien évident que ce statut ne va pas sans contestation et que des changements profonds affectent les relations de genre dans ces sociétés […], il n’est pas niable que la réaffirmation constante de la différence sous la modalité de la subordination n’est pas séparable des tactiques de pouvoir mettant quotidiennement aux prises les hommes et les femmes. Enfin, la subordination n’a jamais été uniformément mise en pratique, et des espaces de parité ont toujours existé dans la loi et la pratique »30.

24Le moussem semble être un de ces espaces de parité qui met en tension ce que l’on croit immuable, c'est-à-dire la relation de subordination hommes-femmes. La structure patriarcale d’une société n’est pourtant pas une constante à laquelle la femme doit être perpétuellement soumise. Le changement fondamental qui s’opère malheureusement avec la transformation des moussem est la disparition de ces lieux de parité : « il y a des sphères d’égalité qu’enveloppent des hiérarchisations rigides (celle qui régit la relation homme/femme est la plus notoire) et, ce qui est décisif, c’est que plus un centre se renforce, plus ces sphères de compétition et d’égalité sont menacées et pénétrées. L’Etat colonial et post-colonial, c'est-à-dire cette nouveauté politique assez radicale que fut l’imposition d’une chefferie technocratisée, poursuit depuis un bon siècle la réduction de ces espaces de compétition et d’égalité. »31 L’effort de la monarchie marocaine, cette « chefferie technocratisée », est de renforcer sa position centrale comme unique centre distributeur des festivités, ce qui menace ces précieux espaces « de compétition et d’égalité ».
Un des aspects les plus frappants lorsque l’on se rend à un moussem est la place centrale des femmes dans les différents rituels. A Meknès, dans les tentes qui hébergent les pèlerins et adeptes des confréries, les deux sexes partagent le même espace et entrent ensemble en transe. Sous d’autres tentes, les danses sont exclusivement réservées aux femmes qui entrent en transe tête-nue, devant les hommes qui se tiennent à l’écart, silencieux.
Nous avons aussi pu voir au Moussem de Sidi Ali Ben Hamdouch, un nombre important de femmes contestant l’occupation de l’espace par la gent masculine. Un matin, alors que nous prenions notre petit-déjeuner, un groupe de femmes vint s’installer à nos côtés. Un groupe de musiciens vint chanter à leur table. Plusieurs femmes commencèrent à danser, avec une joie et une bonne humeur communicative. Un attroupement d’hommes se créa autour d’elles. Une des femmes prit alors la parole pour les chasser en leur faisant clairement savoir que ce moment leur appartenait et que s’il voulait voir un spectacle de danse, « il valait mieux qu’ils aillent s’attrouper devant « Rotana » (chaîne de télévision diffusant des clips de musiques orientales). Cette situation n’est pas exceptionnelle et nous avons vu à plusieurs reprises voir des femmes contester vivement l’occupation de l’espace par les hommes ou par les forces de l’ordre (composées exclusivement d’hommes).

25Dans sa description du moussem de Meknès, le Dr Abdellah Ziou Ziou écrit :

 « Par ailleurs ces manifestations permettent à la femme d'avoir une activité religieuse publique, chose que les pratiques de la religion officielle lui interdit formellement et de façon catégorique. C'est peut être une des raisons qui incitent les savants théologiens de l'Islam orthodoxe à condamner violemment ces pratiques »

26Entre le moussem et le festival se jouent deux conceptions radicalement différentes de l’expérience festive. A travers elle, se lisent les transformations qu’a pu connaitre la société marocaine au crépuscule de ce XXIe siècle. Dire que le commun s’expérimente et se consolide lors de la pratique festive devient presque une évidence. Si les festivals urbains regroupent un nombre important de personnes qui restent engoncées dans leurs rôles sociaux, les moussem quant à eux créent le commun, proposent la participation de tous et, par l’expérience de la transe, permettent justement de s’éloigner du moi social. Laissons parler Jean Duvignaud, sociologue de la fête :

« La vie sociale nous fige dans des rôles. Nous jouons ces rôles tant bien que mal. Nous n’y échappons guère : nous sommes le chômeur, l’ouvrier, l’employé, la mère de famille. La « mise en scène de la vie quotidienne » repose là-dessus. Et les hommes sont engoncés dans les obligations qui ont été construites en eux par l’éducation, puis la nécessité qu’impose la division du travail. Tout se passe ici comme si « le père des saints » et la ronde qui l’accompagne détruisaient, par le rythme et l’hystérie, le code établi par la société dominante. Comme si les modèles imposés par la réglementation du système social cassaient l’armature de ces rôles ou de ces fonctions. Comme si la gestuelle de la danse et de la musique dissolvait les modèles imposés par la réglementation sociale et l’armature des fonctions qu’elle implique. […] Or justement, l’expérience de la transe parait offrir, pour quelques heures brèves et dans un cadre limité, une possibilité délirante- celle de ne plus avoir de soi »32.

27La crainte de perdre tout ce qui a trait à une forme de vie commune fait partie d’un ensemble d’interrogations et de questionnements qu’il serait bon d’approfondir.

« La perte de la civilité paysanne se joue aussi là : le monde paysan avec ses usages, son autosuffisance alimentaire, ses entraides, ses fortes solidarités, ses expressions, et ses jours de fête »33.

28Le mouvement des communs semble porter un intérêt particulier à ces problématiques. Faut-il pour autant réifier le moussem en « Bien commun » ? Faut-il, pour le protéger, l’encadrer d’une « gouvernance », d’une « gestion », capables de le soustraire à la privatisation qui le guette ? Le transformer en « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » comme le suggèrent certains acteurs culturels marocains34 ? Ou bien ne devrions-nous pas plutôt suivre nos amis du « Comité invisible » :

Notes   

1  Le Makhzen représente dans le langage commun la structure d’état marocaine. Il désigne l’ensemble des forces, clans, institutions régaliennes qui gravitent autour de la maison royale. Etymologiquement, Makhzen désigne un entrepôt fortifié utilisé jadis pour le stockage des aliments, à l’origine du terme français magasin. La population marocaine utilise le terme Makhzen chaque fois qu’elle se trouve confrontée à l’administration ou aux forces de l’ordre.

2  http://www.academia.edu/1803569/Festivalizing_Dissent_in_Morocco, http://www.maroc.ma/ar/system/files/festivalsfr.pdf

3  Entretien avec Alèssi dell’Umbria, 03 Mai 2015  

4  Terme dérivé de mawssim qui signifie littéralement : « saison »

5  Dans l’islam populaire marocain, le terme siyyed désigne le mausolée d’un « saint ». «  Bien que les termes de saint et de sainteté soient des notions qui appartiennent plutôt à la tradition chrétienne, ils ont été étendus à d’autres religions, notamment l’islam, et sont devenus des outils d’analyse. Les véritables équivalents arabes des termes français « saint » ou « sainteté » sont dérivés de la racine verbale wâla. Cette racine renvoie aussi bien à l’idée de proximité et d’alliance qu’à celle de protection et de gouvernement. En plus du mot arabe walî, d’autres termes désignent le saint maghrébin: siyyed (« maître »), salih (« vertueux »), fqir (« pauvre »: dans le sens de pauvreté mystique). Ces différents termes sont employés partout au Maroc avec des variantes d’une région à l’autre», Rhani Zakaria, « Le chérif et la possédée », L'Homme 2/2009 (n° 190), p. 27-50 

6  Allessi delll’Umbria, Jeff Klakk, numéro 1 : Marabout, Automne-Hiver 2014. P.163

7  Les Jilalas sont une confrérie de musique de transe qui utilise des tambours et une ou plusieurs flûtes en bambou. C’est une musique modale c'est-à-dire que « les interprètes jouent chaque note en relation avec une fondamentale fixe, répétée ou maintenu en boucle » [. Allessi delll’umbria, idem, p163] L’effet de répétition « crée un effet hypnotique, nécessaire à la transe » [Idem]   Voici une petite vidéo présentant un peu la musique des Jilala https://www.youtube.com/watch?v=oZHTdTu9dkc

8  Bou Hmara, littéralement « le père de l’ânesse », était rebelle aux sultans marocains Abdelaziz et Hafid Alaoui, auxquels il contesta le pouvoir au début du XXe siècle. La fête de l’Achoura, est une cérémonie rituelle marquant le 10e jour du mois de Muharam (premier mois du calendrier musulman)qui se célèbre dans tout le Maroc.

9  Hammoudi Abdellah, La victime et ses masques, Editions Seuil, p.39

10  La Zaouïa est « le lieu où se réunissent les partisans d’une voie mystique (tariqa) pour la méditation, la prière et la perpétuation de la tradition institué par le fondateur ».Hammoudi Abdallah,« Sainteté, pouvoir et société : Tamgrout aux XVIIe et XVIIIe siècles, in: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 35e année, N. 3-4, 1980. P. 615.

11  Il faudrait ajouter à cela que Moulay Slimane était un monarque ayant une référence idéologique très ancrée dans le salafisme dogmatique et qu’il a mené une lutte acharnée contre l’islam des zawaya notamment la derkaouia. Le mysticisme soufi pouvait être un contrepoids politique important par le nombre et l’aura que pouvait avoir le chef de la confrérie sur ses adeptes. Il ne faut cependant pas tomber dans une dichotomie simpliste désignant le soufisme comme exact opposé du salafisme. Ce sont deux voies d’interprétation de l’islam qui peuvent être l’une et l’autre aussi ouvertes que rétrogrades.

12  Reysoo Fenneck,  Des moussem du Maroc, Approche anthropologique de fêtes patronales, p. 187-188

13  Idem p. 171

14  La société civile représente ici l’ensemble des acteurs du monde associatif, phénomène qui a connu ces dernières années un développement très important au Maroc, passant de 4000 associations au début des années 90 à plus de 117000 de nos jours http://www.aujourdhui.ma/maroc/societe/maroc-explosion-associative-115474#.VYf8Xvl_Oko

15  L’INDH est un programme de valorisation et de financement de projets associatifs mis en place par l’Etat Marocain. A distinguer de l’IDH qui est l’indice de développement humain mis en place par le PNUD pour l’étude des niveaux de développement des pays. Pour une étude critique plus approfondis, de ce dispositif de gouvernement nous vous laisserons à la lecture de cet article qui égraine sans concessions les multiples facettes de ce programme.  http://www.cjb.ma/289-les-collections-du-cjb/10-etudes-et-essais/les-effets-de-la-participation-citoyenne-dans-les-projets-urbains-au-maroc-le-cas-de-l-indh-en-milieu-urbain-2402.html

16  Abdelilah Bouasria « La Tariqa Bouchichi au Maroc : la genèse d’un soufisme de marché ? »http://www.demainonline.com/2012/02/25/la-tariqa-qadiria-boutchichi-au-maroc-la-genese-dun-soufisme-de-marche/ Les associations qui font critique radicale du Makhzen sont les cibles d’attaques systématiques. La situation actuelle de l’association marocaine des droits de l’homme en est un exemple frappant http://www.demainonline.com/2015/05/05/mohamed-hassad-a-interdit-75-activites-de-lamdh-et-perdu-deux-proces/

17  http://www.fesfestival.com/2013/fr/fes.php?id_rub=13,http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2786p038.xml0/musique-fes-festival-mawazine-maroc-au-maroc-c-est-la-festival-fever.html,  http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20140614154504/,

18  Nous renvoyons à ces propos tenus par Abdelillah Bouasria, chercheur au sein de l’American Universityà Washington : « Plusieurs “experts” vont se demander si cette analyse est objective prétextant des phrases-clichés qu’ils ne cessent de brouter dans leurs ateliers de méthodes qualitatives comme la fiabilité d’une recherche neutre sur son obédience au moment où ces chercheurs ne cessent de quémander devant les portes des dictatures et se font payer voyages et massages. Qui mieux qu’un disciple qui a puisé dans le réservoir de sa jeunesse en toute sincérité donnant âme et corps à un groupe ésotérique fermé pour comprendre les soubassements d’un jeu infra-politique ? Mais ces dits experts veulent, eux, faire la une, et publier dans leurs revues des informations qu’ils vous soutirent dans des salons informels pour que vous, l’indigène en mal d’objectivité, preniez leurs citations publiées comme une référence dans votre recherche, et là ils vous reprocheront votre «distance objective» !

19  Alèssi dell’Umbria, Echos du Mexique indien et rebelle, Editions Rue des cascades, p.33

20  Né en Février 2011, ce mouvement est la transcription de la vague de protestations qu’a connue le pourtour méditerranéen (on l’appelle souvent le printemps arabe). Initié par des regroupements informels et profitant d’un réseau efficace de mobilisation hérité des mouvements sociaux précédents, cette force politique a fortement influencé le jeu politique marocain. Ce mouvement a eu un retentissement important, mobilisant une bonne partie de la population marocaine.

21  Hammoudi Abdellah, Maitres et disciples. Genèse et fondements des pouvoirs autoritaires dans les sociétés arabes. Essai d’anthropologie politique, 2001, Editions Maisonneuve Larose, p. 23

22  « Le modèle économique du festival repose sur deux sources de financement : les revenus variables (billetterie, pass, espaces publicitaires, etc.) représentent 68 % du budget total, quant aux 32 % restants, ils sont générés par les sponsors privés. »http://www.concert-maroc.com/2012/05/communique-bilan-financier-du-festival-mawazine-2012/#.VYghpvl_Oko

23  De nombreux groupes de la scène hip hop marocaine tel L’Basseline, Mouad l7aqed et d’autres sont interdits de scène.  

24  http://www.yabiladi.com/articles/details/17798/mawazine-affaire-drapeau-amazigh-kateb-tacle.html Cette affaire, répond peut-être à cette vidéo ou le chanteur fait clamer au public marocain des vers joyeusement subversifs d’un militant poète nommé Ouazzani : https://www.youtube.com/watch?v=K1rMVesoGCc

25  Hammoudi, op. cit., p. 24

26  Abdelilah Bouasria « La Tariqa Bouchichi au Maroc : la genèse d’un soufisme de marché ? », in op cit

27  Le Moussem de Sidi Al Hadi Ben Aissa se déroule tous les ans au moment de Aid el Mouloud Al nabawi (la naissance du prophète) ; il est (était ?) l’occasion de rencontres de plusieurs Tayfa (groupes) de Aïssaoua de tout le Maroc qui, accompagnés de leurs adeptes, effectuent toute une série de rituels autour et dans le mausolée du Siyyed. Pour informations lire cet article  du Dr Adellah ZiouZiouqui décrit l’une des danses ayant lieu pendant le moussem. http://www.centrodedocumentacionmusicaldeandalucia.es/export/sites/default/publicaciones/pdfs/danse-lions.pdf

28  Les taïfa sont les groupes d’adeptes de la confrérie qui proviennent de différentes villes et localités du Maroc

29  http://www.visitmorocco.com/index.php/fre/J-aime-faire/Festivals-et-moussem/Les-moussem

30  Hammoudi Abdellah, op cit , p. 275

31  Hammoudi Abdellah, op cit, p.271

32  Jean Duvignaud, Le Don du rien, Essai d'anthropologie de la fête, Paris, Plon, 1977, p. 47-48

33  Allèssi dell’Umbria, Jeff Klak, op cit p. 163

34  http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00011&RL=00168

35  Comité Invisible, A nos Amis, Editions la fabrique.

Citation   

Abdeslam Ziou Ziou, «Moussem et festivals au Maroc : entre dépossession et récupération culturelle d’un espace du commun», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Edifier le commun, II, Partager ou mettre en commun ?, mis à  jour le : 18/05/2016, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=753.

Auteur   

Abdeslam Ziou Ziou