Révolution française : un scénario inactuel pour les gilets jaunes

DOI : 10.56698/chcp.124

Abstracts

Saisir la Révolution française comme scénario inactuel pour les gilets jaunes dans le contexte des événements politiques de 2018-2019, consiste à décrire l’actualité d’un imaginaire social en historienne de la Révolution française, puis à montrer comment cet imaginaire dicte une dramaturgie qui produit un étayage et des limites en termes d’action et de stratégie pour les acteurs. Si cette référence historique n’est pas exclusive, elle est dominante. Le site Plein le dos (https://pleinledos.tumblr.com/) offre un corpus très riche d’énoncés pris en photos par ces acteurs eux-mêmes.
Après avoir décrit ces signifiants feuilletés présents dès le 17 novembre 2018, l’article montre l’ambivalence des référents.
Drapeaux tricolores, Marseillaise entonnée et bonnets phrygiens sont des outils bien rodés et politiquement ambivalents. Pour certains gilets jaunes, qui se réclament du côté gauche, ces symboles sont répulsifs, mais ils ne donnent pas le ton. Depuis une petite dizaine d’années, cette signalétique est de fait présente dans les manifestations politiques françaises dans un usage qui semble interchangeable, du fait d’une signification dite « républicaine » qui prétend réunir le tout d’une communauté nationale pourtant divisée. Le football aura également été le lieu d’apprentissage de ces symboles nationaux de foules contemporaines.
Que disent les gilets jaunes en voulant faire une révolution dont la Révolution française serait le monument, offrant une feuille de route dramaturgique, des cahiers de doléances à la prise de la Bastille, en passant par le Serment du jeu de paume, la marche des femmes pour s’acheminer vers le procès du roi et sa décapitation en effigie ? Il faut noter que tous ceux qui font référence à la Révolution française ne la regardent pas de la même manière. 1789 n’est pas 1793, une date isolée n’a pas le même enjeu qu’un référent comme le Serment du jeu de Paume ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Au titre de cette Déclaration, la Révolution française, aussi française soit-elle, peut fournir des arguments de légitimation de l’émeute et de l’insurrection, qui sont des formes d’action aussi bien pour un bord politique que pour l’autre, mais ne peut pas construire seulement un imaginaire d’extrême droite ou de droite. La Déclaration des droits connote le mouvement comme universaliste et démocratique. Le scénario révolutionnaire n’a donc pas conduit à clore le débat politique, mais bien à l’ouvrir, en obligeant à prendre en compte in fine que l’analogie a ses limites. Le roi Louis XVI a été jugé en 1792 et exécuté en 1793 dans un rapport de force construit sur la durée. Notre régime politique de la Ve République n’est pas mort, l’oppression non plus, mais plus personne ne peut prétendre être dupe. Ce n’est plus la démocratie issue de la Révolution française, même dans sa version la plus modérée, qui organise notre vie politique. Les gilets jaunes l’ont écrit en toutes lettres : « J’ai mal à ma démocratie. » Ils étaient, pour la plupart, dans l’illusion de la souveraineté, ils pensaient être victorieux et ont découvert la douleur d’une situation qu’ils n’avaient pas imaginée. C’est alors qu’ils ont pu s’intéresser à ce qui n’allait pas et en faire l’inventaire sur les sites du « vrai débat », mais aussi en amont, sur les ronds-points et dans de petites assemblées. Le scénario révolutionnaire historique devenait alors de fait, trop petit, trop inactuel.
Les révolutionnaires français avaient fait leur révolution en habits de Romains et ainsi ramené dans l’à-présent de l’histoire la puissance monumentale et héroïque des grands ancêtres, sans pour autant se contenter de les mimer. Ils puisaient dans leur exemplarité le courage de tenter à nouveau des gestes d’émancipation radicale, voire utopique. Les gilets jaunes font beaucoup la leur, de fait, en habits de révolutionnaires français, dans ce même esprit d’à-présent, en vue de reconquérir une République perdue, forts d’une formation discursive qui avait réinvesti l’objet Révolution française. La Révolution avait couvé, sinon comme texte caché, du moins comme texte redécouvert, après avoir été celée dans les années du bicentenaire. Désormais, ce texte est donc, pour partie, à nouveau disponible, aussi bien du côté des initiatives démocratiques critiques que du côté de l’extrême droite. La Révolution française a servi à dire que les Français, découvrant qu’ils ne sont plus un peuple souverain, aspirent à le redevenir en se souvenant de leurs ancêtres et en voulant se hisser à leur hauteur. Mais, comme le disait déjà Saint-Just, « on a beaucoup parlé de la hauteur de la révolution, il fut des peuples libres qui tombèrent de plus haut ».

Apprehending the French Revolution as an eventually ineffective framework for the yellow vests movement in the context of the political events unfolding in 2018-2019 consists in describing the topicality of a social imaginary as a historian of the French Revolution, and then evidencing how this imaginary dictates a dramaturgy that produces both leverages for and limitations to the actors’ actions and strategy. If this historical reference is non-exclusive, it is prevalent. The site “Plein le dos” (i.e., ‘sick to the back teeth’) – https://pleinledos.tumblr.com/ – offers a very rich corpus of statements in the shape of photographs taken by the actors themselves.
After describing the multilayered signifiers that could be found as early as November 17 2018, the article highlights the ambivalence of the referents.
French three-coloured flags, the
Marseillaise and Phrygian hats are at the same time well established and politically ambivalent tools. For some yellow vests who claim to be on the left, such symbols are loathing, but they do not set the tone for all the yellow vests. For the past decade approximately, these signs have in fact been present in French political demonstrations with seemingly interchangeable dimensions for the sake of the so-called “republican” meaning that pretends to unite the national community, which is yet very divided. Soccer has also been the locus where contemporary crowds have appropriated these national symbols.
What do the yellow vests mean by staging a revolution of which the French Revolution would embody the monument, which provides a theatrical blueprint, from the registers of grievances to the assault to the Bastille, and the oath sworn at the Jeu de Paume, the march of women, up to the trial of the king and his decapitation in effigy? Let us bear in mind that all those referring the French Revolution do not perceive it in the same manner. 1789 is not 1793, an isolated date does not have the same significance as a referent such as the oath of the Jeu de Paume or the Declaration of the Rights of Man and of the Citizen.
In the name of this Declaration, the French Revolution, as French as it may be, can provide arguments for legitimizing riots and insurrection, which are forms of action for one political side and its opposite alike, but it cannot construct only a right-wing or far-right-leaning imaginary. The Declaration of the Rights of Man and of the Citizen endows the movement with universalism and democracy. The blueprint of the Revolution did not therefore lead to putting an end the political debate, but rather to opening it by obliging to take into account,
in fine, that the analogy has its limitations. King Louis XVI was tried in 1792 and executed in 1793 in a power struggle that had built up over time. Our political regime of the Fifth Republic is not dead, neither is oppression, but no one can no longer pretend not to know. It is no longer the democracy resulting from the French Revolution, even in its most moderate version, that organizes our political life. The yellow vests clearly spelled it out: “My democracy is hurting.” The yellow vests for the most part were under the illusion of embodying sovereignty, they believed they had prevailed, and eventually took the brunt of a situation they had not imagined. That is when they could finally take an interest in what goes awry and make an inventory of the various dysfunctions on the websites where the debate actually took place, but also on the roundabouts and in small assemblies. The historical revolutionary blueprint then became de facto too small, eventually too ineffective.
The French revolutionaries carried out their revolution in Roman clothes and thus brought back into their present the monumental and heroic power of their grand ancestors, but did not indulge in merely mimicking them. They tapped into from their exemplarity the courage to endeavour to perform radical, even utopian emancipation. The yellow vests, in fact, act wearing the clothes of French revolutionaries, in the same spirit of actualization of history, in order to re-conquer a lost republic, with the strength of a discursive education that had reinvested the object ‘French Revolution’. It brewed, if not as a
concealed subtext, at least as a text rediscovered after being sealed in the Bicentenary years. This subtext is therefore now partly available, for critical democratic initiatives and for the far right alike. The French Revolution was instrumental in stating that the French, because they were discovering that they are no longer a sovereign people, aspire to recover the sovereignty by remembering their ancestors and by endeavouring to equal them. But as Saint-Just said: “much has been said about the elevations of the revolution, but there have been free peoples who tumbled from more elevated places”.

Index

Mots-clés

gilets jaunes, Révolution française, dramaturgie, vie survie, universel, identité

Keywords

yellow vests, French Revolution, dramaturgy, life survival, universal, identity

Outline

Text

Saisir la Révolution française comme scénario inactuel pour les gilets jaunes dans le contexte des événements politiques de 2018-2019, suppose en premier lieu de décrire l’actualité d’un imaginaire social en historienne de la Révolution française. Puis il s’agit de montrer comment cet imaginaire dicte une dramaturgie que j’appelle ici « scénario », dramaturgie qui produit des limites en termes d’action et de stratégie, limites que les gilets jaunes débordent ou non. Les signifiants qui renvoient à cette Révolution française, aussi bien dans les manifestations que sur les ronds-points, ou dans des brochures et autres moyens de médiatisation, sont très nombreux et prennent des formes variées. Tous les lieux sont concernés par cette référence récurrente, avec une emphase particulière dans les énoncés écrits au dos des gilets. Le site Plein le dos1 offre un corpus très riche d’énoncés2 photographiés par les acteurs eux-mêmes. Les images y sont classées par lieu et par date. Mais notre corpus est ouvert3 (Guilhaumou, 2002) sur l’ensemble d’une formation discursive bigarrée (Robin, 1973) où, sans être exclusive, cette référence historique domine.

Il faut d’abord décrire ces signifiants feuilletés qui sont immédiatement présents, dès le 17 novembre 2018, puis se demander d’où viennent ces références, ce rapport à la Révolution française construit en amont. Enfin, il convient de démultiplier le questionnaire, car non seulement les approches sont multiples, mais tous ceux qui font référence à la Révolution française ne la regardent pas de la même manière. 1789 n’est pas 1793, une date isolée n’a pas le même enjeu qu’un référent comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou le Serment du Jeu de Paume. Enfin, il s’agit de comprendre ce que signifie cette présence : que disent les gilets jaunes en disant qu’ils veulent faire une révolution et en utilisant la Révolution française comme monument pour la faire ?

Je crois qu’il faut tenter de déplier chaque signifiant dans son épaisseur de présent proche et de passé lointain pour en saisir le feuilletage présent, et comprendre quelles histoires et quels mythes ont travaillé les gilets jaunes qui les brandissent.

Enfin, j’aimerais poser des hypothèses quant à l’actualité de cette inactualité de la référence, pour pouvoir inventer le présent.

Je vais répondre à ce cahier des charges en tentant de classer les signifiants en trois grandes catégories : ceux de l’ambivalence Révolution/république/identité ; ceux d’une dramaturgie monumentale qui permet d’organiser un scénario à proprement parler ou des scénarios spécifiques – la lutte contre le roi Macron, n’est pas exactement la lutte pour les Droits de l’homme et du citoyen, la résistance à l’oppression et l’universelle humanité ; enfin, j’essayerai de mesurer quelle critique paradoxale déploie ce qui pourrait relever d’un dévoilement de texte caché (Scott, 1990).

I. Des symboles réinvestis, des signifiants feuilletés : Révolution, république, identité nationale

D’emblée, il y a dans les manifestations une signalétique qui peut tout aussi bien renvoyer à la Révolution française qu’à la république et à sa capacité, depuis la IIIe du nom, à produire d’un même mouvement de l’identité nationale (Noiriel, 2001).

Image 1 – Acte 1, Paris.

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« Ici République et Nation / C'est que des stations de Métro ! / “Quand le peuple se met debout, / L'impérialisme tremble.” T. Sankara »

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Nous sommes ainsi en présence d’une stratification complexe de signifiants.

Drapeaux tricolores, Marseillaise entonnée et bonnets phrygiens sont des outils bien rodés et politiquement ambivalents, ce qui est pratique pour un mouvement qui, lorsqu’il débute, déclare n’être « ni de droite ni de gauche », refusant toute affiliation politique. Depuis une petite dizaine d’années, cette signalétique est de fait présente dans les manifestations politiques françaises dans un usage qui semble interchangeable, du fait d’une signification dite « républicaine » qui prétend réunir le tout d’une communauté nationale pourtant divisée. Depuis 2012 au moins, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise, a remis en scène le bonnet phrygien et les drapeaux tricolores, refusant d’abandonner ces symboles au Front national ou au côté droit de l’échiquier politique. Dans un second retournement énonciatif, les manifestations de La Manif pour tous, clairement de droite, usent des mêmes signes dans un tout autre sens. Chez les gilets jaunes, les deux orientations cohabitent sans s’annuler, mais en estompant de fait l’interprétation politique de l’usage du signe. Ces symboles sont disponibles car ambivalents, et permettent tous les retournements et détournements imaginables. Par leur dimension nationale et identitaire, ils inquiètent les acteurs des luttes politiques du côté gauche, qui ne s’y reconnaissent pas.

I.1 Drapeaux et hymnes nationaux

Cependant si drapeaux et Marseillaise tiennent une place si importante dans les mobilisations des mois de novembre et décembre 2018, ce n’est pas seulement pour des raisons politiques, c’est aussi grâce ou à cause du football, particulièrement après la victoire de l’été. La France est devenue championne du monde en 2019, et Emmanuel Macron, en organisant un hold-up de la fête, a généré une grande frustration. Il a en effet écourté le défilé des joueurs pour les recevoir plus rapidement à l’Elysée. « Taxer », dans la langue populaire, signifie aussi voler : Macron a « taxé » la fête et, dans un éclat de mots d’esprit, la France est championne du monde des taxes.

Image 2 – Acte 4, Paris.

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« Champion du monde / des taxes »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Quel rôle joue La Marseillaise dans les stades ? Elle permet aux supporters français d’être ensemble, de chanter à l’unisson, d’être dans la joie du chœur. C’est une manière de produire des effets de foule, au sens traditionnel du terme (Freud, 1921, traduction 1981). C’est un objet sonore qui fait le lien entre les uns et les autres et permet à tous de se sentir plus forts. Le chant permet de donner de l’ardeur au combat et c’est ainsi que le « Aux armes citoyens » devient « Aux actes citoyens », inscrit sur le gilet jaune.

Image 3 – Acte 9, Paris.

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« Aux actes citoyens !!! / Formez vos bataillons »

▪ Crédits : Photo de Thierry Gracia, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

S’il n’y avait pas le foot, mais seulement l’école, les protagonistes des actes gilets jaunes ne sauraient pas la Marseillaise par cœur et n’en feraient pas un tel usage dans les manifestations. Des gens s’enveloppent d’ailleurs dans les drapeaux comme le font les joueurs ou les supporters.


Ce sont alors aussi bien des femmes que des hommes qui s’enveloppent dans les drapeaux. L’étoffe tricolore est symboliquement protectrice et identitaire. Être français et françaises, être du peuple français et le signifier ainsi le sourire aux lèvres, est très présent dans les premiers actes : un usage du drapeau propre au stade, devenu intergenre.

Mais ce drapeau et ce chant parviennent-ils à réunir toutes les sensibilités gilets jaunes ?

Leur usage est de fait dialectisé dans un rapport passé/présent.

En effet, La Marseillaise n’est pas seulement un lieu de mémoire républicain, mais bien un lieu de mémoire révolutionnaire. Car il se trouve qu’en France, l’hymne national, est aussi un chant révolutionnaire (Vovelle, 1984). Il est également dialectisé par une histoire beaucoup plus récente, celle des polémiques occasionnées par les sifflets de certains supporters de l’équipe d’Algérie en 2001, puis de l’équipe du Maroc en 2007, et de Tunisie en 2008. La sacralité de l’hymne ne serait plus seulement celle de la mémoire révolutionnaire puis résistante, mais celle d’un État qui, par la parole présidentielle, considère que ces sifflets font outrage à la République. Enfin par incompréhension du couplet sur le « sang impur », l’hymne connaît très clairement une défaveur du côté gauche, loin des usages que faisaient du chant patriotique les résistants de la Seconde Guerre mondiale. Si la dimension de chant de résistance de La Marseillaise est à nouveau présente chez les gilets jaunes, lorsque Le Chant des partisans réapparaît, parfois dans une version actualisée, une lutte des usages oppose alors un chant à l’autre et brise le pont entre usage droitier de l’hymne national et usage résistant. On peut ainsi lire en commentaire du Chant des partisans enregistré par les gilets jaunes de Commercy : « Oui au chant des Partisans !!! Bravo les gilets jaunes ! Et pour l’amour du Ciel, laissez tomber la Marseillaise de ces pseudo-révolutionnaires criminels de 1789 qui n’ont renversé la monarchie que pour y mettre à la place une république bourgeoise du fric et du satanisme vendue à la Finance4 ! » Le malaise du côté gauche de l’opinion publique témoigne des traces durables laissées par l’usage controversé d’un chant qui ne réussit plus à réunir et donc à jouer son rôle d’hymne national. Si des usages passés de La Marseillaise sont réactivés pour réunir des segments sociaux et politiques qui sinon resteraient séparés, force est de constater que chanter La Marseillaise, c’est souvent clairement ne pas chanter L’Internationale et le répertoire en général du mouvement ouvrier. Chanter cependant cette ritournelle familière encourage, donne de l’ardeur et permet de retrouver des émotions de foule connues grâce au stade.

Les gilets jaunes l’entonnent souvent en situation difficile, et c’est aussi une manière de dire qu’ils sont dans un véritable combat, risqué et valeureux. Le chant est indéniablement viril. L’héroïsme est une composante vécue des gilets jaunes qui ne récusent pas cette part du patriotisme révolutionnaire (Abensour, 2004).

I.2 Marianne et bonnets phrygiens

Un deuxième ensemble de symboles est constitué par les figures de Marianne et les bonnets rouges.

Le port du bonnet phrygien concerne davantage les femmes jouant le rôle de Marianne au combat (Agulhon, 1979) que les hommes jouant celui de sans-culotte. Marianne, comme symbole républicain, sera dessinée tout au long du mouvement sur fond jaune, versant des larmes, voire des larmes de sang au plus fort de la répression.

Mais qu’est-ce alors que le bonnet phrygien ? Et qui est Marianne ?

Pour le côté gauche, le bonnet de Liberté est le bonnet rouge des révolutionnaires. Dans l’imaginaire social des révolutionnaires français d’alors, il est le bonnet des affranchis romains permettant d’affirmer que s’honorer du titre de citoyen, c’est avoir quitté le statut d’esclave, pour celui de membre du peuple souverain. Avant de revenir en France, il avait été porté au cours de la guerre de l’Indépendance américaine et il s’agissait bien de signifier qu’on se défaisait des chaînes de l’esclavage politique. Il réapparaît à la fête de la Fédération de Lyon, en mai 1790, où il est porté par une déesse Liberté, à la pointe d’une lance. Cette notion d’esclavage est d’ailleurs extrêmement présente sur les inscriptions au feutre des gilets jaunes : « l’État est notre serviteur et nous n’avons pas à en être les esclaves ». 

Mais pour le côté droit, c’est uniquement le bonnet de « Marianne » : un symbole raisonnable incarnant une liberté raisonnable, celle du ralliement à la République de ses adversaires catholiques, le 20 février 1892. C’est alors que la notion de démocratie chrétienne est théorisée et qu’une droite conservatrice, catholique mais soi-disant républicaine, prend son essor. Marianne combattante républicaine devient un symbole unificateur de fait. Elle incarnait la Liberté vaillante, elle semble désormais devoir se contenter de la Concorde.

Si, dans les manifestations de La France insoumise, les jeunes femmes semblaient jouer aux anciennes déesses de la Raison et de la Liberté, La Manif pour tous mettait en scène des femmes de blanc vêtues arborant un code civil, sorte de vestales de l’ordre juridique et familial. Chacun des segments politiques revendique, avec le bonnet rouge, l’incarnation féminine d’un surplomb républicain. Avec les gilets jaunes, on assiste à une réappropriation qui pourrait être la dernière étape en date du retournement d’une symbolique républicaine, très assagie aux côtés du pouvoir, qui redeviendrait une symbolique de combat. Marianne, depuis longtemps, n’incarnait finalement que l’unité supposée de ladite République. Dans le sillage de la conflictualité politique attisée par l’appropriation conflictuelle de ce symbole de 2012 à 2018, les gilets jaunes font de Marianne une figure de lutte. Car les femmes qui le portent ne jouent plus cette virginité d’une Marianne vertueuse mais des Marianne-guerrières amazones. Ainsi cinq femmes vêtues de sweats rouges figurant et formant bonnets phrygiens avec une cocarde sur la capuche, veste ouverte sur des seins nus, font face aux gendarmes, sur les Champs-Élysées, lors de l’acte 5 des gilets jaunes.

Image 4 – Acte 8, Tarbes.

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« Liberté / Égalité / Fraternité », une silhouette de bonnet phrygien à l'arrière-plan.

▪ Crédits : Photo d’Alegría Nohay, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Elles sont très remarquées et chacun pense d’abord que ce sont des Femen. Le groupe, qui arbore la pluralité des couleurs de peau et de cheveux dans un travail de happening artistique, a été imaginé par l’artiste luxembourgeoise Deborah De Robertis. Ces Marianne qui font face aux gendarmes et CRS démultiplient alors la figure de La Liberté guidant le peuple.

Puis le photographe Valéry Hache immortalise « deux Marianne » par une photographie sur laquelle deux femmes étonnamment ressemblantes se font face5. L’une est une policière et porte un calot. La seconde est une des cinq femmes aux seins nus, coiffée de ce fameux « bonnet phrygien ». De fait, parce qu’ils ont suscité maintes polémiques pour savoir laquelle des deux incarnait le mieux la République – la femme gendarme ayant même été récompensée pour avoir soutenu le regard de la Marianne aux seins nus6 –, ces clichés font date dans l’histoire de ce mouvement social.


Le bonnet rouge en usage dans les manifestations gilets jaunes n’est cependant pas seulement le bonnet phrygien, c’est aussi le bonnet breton, déjà porté en 2013 lors du « mouvement des bonnets rouges ».

Image 5 – Acte 3, Toulouse.

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« Hier, bonnets rouges… / Aujourd'hui → gilets jaunes / Demain ?? → à poil ?? [] »

▪ Crédits : Photo de Cathy Viatour, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Le symbole avait alors été choisi en référence à une révolte antifiscale de 1675. Quant à sa devise, « Vivre, décider, travailler en Bretagne », elle remettait sur le devant de la scène un slogan né dans les années 1970, du côté gauche. De fait, ses acteurs brouillaient déjà la ligne de partage droite/gauche, eux aussi. Ils étaient de droite avec Jeune Bretagne, mouvement identitaire breton d’extrême droite, la FNSEA Bretagne proche du Medef, et de gauche avec des élus divers gauche, des syndicalistes CGT et FO et des membres du NPA. Ils demandaient la gratuité des routes bretonnes, la suppression définitive de l’écotaxe, l’arrêt des distorsions de concurrence et de dumping social, la relocalisation des décisions en Bretagne, tout en précisant qu’ils récusaient « la haine et le rejet de l’autre », afin d’écarter les récupérations par l’extrême droite. Selon Christian Troadec, l’un des porte-parole du mouvement, « le Front national est un poison pour la Bretagne » et être bonnet rouge c’est un « antidote » au FN7. Ils avaient mis en place des comités locaux et rédigé des cahiers de doléances. Ils étaient régionalistes et en faveur d’une réduction des inégalités économiques. Ce mouvement avait détruit des portiques de l’écotaxe, et certains manifestants avaient déjà eu des mains arrachées par des grenades lancées par la gendarmerie. Un an plus tard, en 2014, ces bonnets rouges forment le gros du bataillon lors de la manifestation intitulée « Jour de colère ». Ils défilent dans Paris aux côtés de Civitas, du GUD et des soutiens de Dieudonné, visiteurs assidus du site Égalité & Réconciliation d’Alain Soral, tous alors explicitement situés à l’extrême droite de l’échiquier politique.

Nous sommes là en présence d’un répertoire de symboles et d’actions réinvestis, déplacés, mais qui n’ont rien de neuf. Ils permettent de relier des segments gilets jaunes séparés politiquement, mais peuvent tout aussi bien conduire à les diviser de nouveau ou à empêcher le ralliement de ceux du côté gauche qui considèrent cette quincaillerie républicaine comme urticante, voire symptomatiquement dangereuse.

II. Une dramaturgie monumentale

II.1 L’affirmation d’une coupure : rejouer 1789

Les gilets jaunes comparent leur acte 1 au 14 juillet 1789, et inscrivent parfois simplement cette date sur leur gilet. Or le 14 juillet est à la fois une fête nationale et l’événement fondateur de la fin de l’Ancien Régime. La prise de la Bastille affirme l’avènement de la souveraineté populaire. S’y référer c’est toujours se référer à un grand début et cela marque une volonté de rupture profonde. Il faut qu’il y ait un avant et un après, et à ce titre, ceux qui portent cette date sur leur gilet affirment avoir le sentiment de faire une révolution, du moins de la désirer et de la vouloir. Ce n’est pas une révolte qui surgit, mais bien une révolution.

Image 6.0 – Acte 3, Paris.

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« Les Fainéants, les Cyniques, / les Illettrés, les Gaulois réfractaires, / les gens qui sont rien / Sont dans la rue ! / 1789-2018 »

▪ Crédits : Photo de Magali Bragard, source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 6.1 – Acte 11.

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« Aujourd'hui / nous / sommes le / 14 juillet 1789 »

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 6.2 – Acte 3, Paris.

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« 1789 : à bas le roi ! / 2018 : à bas l'argent-roi ! / Révolution citoyenne »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Un imaginaire d’Ancien Régime et de résistance antimonarchique s’est déployé sur les ronds-points, une situation où « le peuple a faim », « les Français sont esclaves », refusent une limitation de vitesse « rentière » pour un État qui abuse, « saigne » en « seigneur » les pauvres.

Image 7.1 – Acte 2.

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« M[ac]ron / seigneur saigneur / de la France »

▪ Crédits : Photo d’Alegría Nohay, source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 7.2 – Acte 2, Paris.

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« Souviens / toi / 1789 / 80 km/h / Sécurité rentière »

▪ Crédits : Photo de Vincent Blanqui, source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 7.3 – Acte 2, Château-Gaillard.

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«  Sire, ils ont pris la Bastille. / C'est une révolte ? / Non Sire, / C'EST LA / RÉVOLUTION !!! / 1789-201[8] »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Des Français modestes sont dans une représentation d’eux-mêmes qui fait penser à la lutte des classes selon Machiavel (Machiavel, 1531) : en voulant toujours accumuler davantage, les gros allument la sédition dans le cœur des petits. « On ne veut pas être milliardaires, juste vivre de notre salaire », lit-on encore.

Image 8 – Acte 10, Paris.

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« On ne veut pas / être milliardaire / juste vivre de / notre salaire »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Fin novembre 2018, les premières tentatives de conciliation entre gilets jaunes et pouvoir échouent, donnant aux premiers le sentiment qu’ils ne sont toujours pas entendus. C’est la fin de l’innocence. De nouvelles revendications ont fait leur apparition, le mouvement est désormais loin de la seule question fiscale et écologique. La demande est celle d’une véritable reconquête de souveraineté populaire et démocratique, celle d’un droit à la vie et non à la survie, celle d’un droit au bonheur. L’appel de Commercy lancé le 30 novembre fait alors naître beaucoup d’espoirs chez certains, quand d’autres craignent de rompre l’unité. Car déjà deux sensibilités se dessinent. Il y a des gilets jaunes qui réclament plus de justice sociale, dénoncent l’exploitation et la misère, parlent de bien commun, de défense des services publics, d’environnement, et ceux qui revendiquent plus de liberté individuelle et moins de pression fiscale.

Sur les ronds-points on rédige des cahiers de doléances, prépare des états généraux et des ateliers constituants.

Ce ne sont pas alors de simples énoncés mais bien des pratiques qui sont convoquées, elles aussi bien rodées, pour certaines, dans des sensibilités qui peuvent demeurées disjointes, mais dans des expériences vécues comme fraternelles.

Image 9 – Acte 4, Paris.

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« Merci Macron Les / Français ont retrouvé / la Fraternité / On vient chercher / la Liberté et l'Égalité »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

On observe alors comment le vécu est traduit dans les énoncés portés sur le corps, et comment l’acte – la manifestation – est l’espace de la traduction des échanges réalisés sur les ronds-points, qui sont quant à eux l’espace non pas d’un mot d’ordre révolutionnaire, mais d’une expérience inédite qui donne des réserves empiriquement vécues au mot historique.

« Une société c’est d’abord le lieu qui la contient » (Sartre, 2008). Sur le rond-point les individus parties prenantes s’émancipent en échappant à l’emprise des routines et des formes de vie néolibérales qui faisaient d’eux les membres d’une série discontinue, dépendants d’une situation non choisie à laquelle ils n’avaient pas d’autre choix que de se soumettre. Le passage de cette série au groupe est un changement produit par la nécessité d’agir ensemble, dans un objectif ressenti justement comme nécessité. Il entraîne un changement d’état, comme le passage d’une matière solide à une matière liquide ou gazeuse. « Dès ce moment, quelque chose est donné qui n’est ni le groupe ni la série, mais ce que Malraux a appelé, dans L’Espoir, l’Apocalypse, c’est-à-dire la dissolution de la série dans le groupe en fusion » (Sartre, 1960). À ce titre, le rond-point, plus encore que le gilet jaune, est fondateur de ce soulèvement, car il est venu rompre la solitude néolibérale, a permis de réinventer l’entraide, le don, la gratuité et le sentiment de solidarité, la fraternité. Cette fraternité permet d’agir ensemble malgré les écarts de sensibilité dans les manifestations.

Les individus étaient faibles, impuissants, esclaves, les gilets jaunes sont désormais forts, puissants et libres. Ils prennent les Champs-Élysées comme leurs ancêtres avaient pris la Bastille, bientôt l’Arc de Triomphe. Des châteaux étatiques brûlent, ainsi la préfecture du Puy-en-Velay le 1er décembre, rejouant cette fois la Grande Peur de 1789. On veut marcher vers l’Élysée pour aller chercher le président chez lui, le prenant au mot et faisant allusion à son interpellation au moment de l’affaire Benalla. Ladite Grande Peur des privilégiés comme de l’appareil d’État se diffuse. Cependant comme au moment de la Grande Peur, l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay peut aussi paraître symptomatique d’un désir de brûler les châteaux sans vouloir nécessairement tuer les châtelains – nul ne sait qui avait d’ailleurs appelé à ce geste. Ici, il semble qu’on s’en prenne aux symboles d’un pouvoir républicain qui fabrique de mauvaises lois, et aux symboles du capital que sont les banques, ou tout autre lieu symbolisant l’argent, que ce pouvoir protège et honore.

Mais l’idée d’un putsch, ou d’une prise des Tuileries, c’est-à-dire de l’Élysée, est-elle celle des gilets jaunes ? De fait, c’est bien ce que semblent craindre les élites. Quand on a voulu marcher sur Versailles symboliquement, la ville était verrouillée. Le 13 décembre 2018, deux porte-parole ont alors fait une conférence de presse intitulée « serment du Jeu de paume ».


Au moment du serment immortalisé par David, les députés du tiers état s’étaient sacrés eux-mêmes, au nom du peuple qu’ils représentaient (Sartre, 2008). Le serment orchestré par Maxime Nicolle, alias Fly Rider, et Priscillia Ludosky8 rejoue le geste permettant au peuple de se sacrer lui-même sans rien attendre de ses représentants élus. Les porte-parole affirment ainsi que ce surgissement ne sera pas un feu de paille, car un serment consolide le groupe en fusion qui s’est constitué dans l’événement même (Wahnich, 2017).

C’est alors l’occasion de faire la liste des revendications dans un classement qui montre le déplacement des enjeux proprement fiscaux aux enjeux de refondation politique. Est annoncée la demande d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui redonnerait sa souveraineté au peuple. Maxime Nicolle affirme ainsi : « notre colère ne repose pas que sur le porte-monnaie. Elle vient de ce que nous, Français, n’avons plus aucun contrôle sur la marche de notre pays. Nous n’oublions pas le traité de Lisbonne, nous n’oublions pas les belles promesses jamais accomplies […]. Vous avez dit, M. le président, sentir le malaise démocratique dans le pays. Mais que proposez-vous pour le résoudre ? Rien9. »

Le serment est le suivant : « ne pas se séparer avant d’avoir obtenu la présentation au peuple français par référendum, du référendum d’initiative citoyenne, du recul des privilèges de l’État et de la baisse des prélèvements obligatoires ». On pourra lire, tant sur les blogs créés par des gilets jaunes que sur des sites d’extrême droite, les revendications suivantes :

« Revendications sociales :

– baisses sérieuses de toutes les taxes et impôts sur les produits de première nécessité (énergie, logement, transport, produits alimentaires, vêtements) ;

– baisse significative de toutes les rentes, salaires, privilèges et retraites courantes et futures des élus et hauts fonctionnaires.

Revendications politiques :

– donner au peuple le droit de déclencher un référendum en vue de modifier la Constitution et interdire toute modification de la Constitution sans passer par un référendum ;

– donner au peuple le droit de rédiger ou d’abroger une loi sur le sujet qu’il choisit ;

– donner au peuple le droit de demander un référendum sur toutes les lois votées par le Parlement ;

– obliger le président de la République à présenter tous les traités, accords et pactes internationaux au référendum avant ratification. »

Étienne Chouard10 comme Dieudonné diffusent en effet ces lignes sur leurs blogs respectifs.

Puis des femmes gilets jaunes prennent la Bastille le 6 janvier 2019.

Le 14 janvier 2019, les antifascistes du site La Horde dénoncent les promoteurs du RIC11 et une bataille s’enclenche entre ceux qui veulent concentrer la demande de souveraineté sur ce projet et ceux qui défendent plutôt la logique communale et d’assemblée lancée par les gilets jaunes de Commercy.

Les figures du couple insurgé du film Un peuple et son roi de Pierre Schoeller sont grimées en gilets jaunes dans la scène où elles vont prendre les Tuileries, et cela annonce le partage d’un désir insurrectionnel, cristallisé dans une autre date : 1793.

II.2 1793, désir d’insurrection, de droit universel, de révolution tout court

La référence à 1793 radicalise le désir de révolution et est plus offensive à l’égard de l’establishment, plus exigeante sur l’égalité et les droits en général, plus critique sur la manière dont le gouvernement se comporte dans la crise même. Cette date est plus présente en décembre et janvier, qu’en novembre. Elle est associée à la Déclaration des droits de 1793, qui affirme le droit de résistance à l’oppression et le devoir d’insurrection. Le fameux article 35 de la Déclaration des droits de 1793 est recopié en toutes lettres sur les gilets jaunes.

Image 10 – Acte 8, Bordeaux.

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« Quand le gouvernement / viole les droits du peuple / l'insurrection / est pour le peuple et pour / chaque portion du peuple / le plus sacré des dro[its] / et le plus indispens[able…] »

▪ Crédits : Photo de Jean-Michel Becognee, source: Plein le dos. Tous droits réservés.

À Lyon, un groupe de gilets jaunes où la théorie nourrit l’action adopte ce nom. Des lectures de textes révolutionnaires sont organisées pour analyser la situation.

Deux figures historiques sont bien présentes dans les manifestations, Robespierre avec sur de petites pancartes l’énoncé suivant : « la première loi sociale est celle qui garantit à tous le droit d’exister, signé Robespierre et Saint-Just qui, lui, est sollicité pour rappeler qu’« un peuple n’a qu’un seul ennemi dangereux, son gouvernement ».


1793 est donc associée à un désir insurrectionnel et égalitaire, et l’on voit bien que, dès janvier 2019, on s’éloigne de la modestie des revendications économiques pour revendiquer un « droit à l’existence » visant une refondation sociale et politique bien plus qu’une simple refondation fiscale.


Enfin, 1793 est aussi mis en relation avec Mai 68 pour refuser cette seconde occurrence (« MAI 68 on s’en fout on veut 1793 »). Le partage entre 1789 et 1793 ne peut donc être interprété comme un partage droite/gauche car, si tel était le cas, Mai 68 ne serait pas mis en concurrence avec 1793.


Il faut donc tenter d’expliquer ces choix, qui ont effrayé l’un de mes collègues grecs, spécialiste de Castoriadis : il avait le sentiment que les gilets jaunes réclamaient ainsi un pouvoir fort, celui de la Terreur. Ici aussi, la polysémie des référents peut brouiller les interprétations.


Les références à Mai 68, ou même à la Commune de Paris souvent citées dans les mobilisations sur la « loi travail » en 2016, sont de fait nettement moins présentes que celles à la Révolution française dans le mouvement des gilets jaunes. La Commune demeure une référence du mouvement ouvrier et une référence intellectuelle. Elle intéresse seulement certains groupes mais pas l’ensemble des gilets jaunes. Et puis elle n’est pas si joyeuse que cela, parce que la Commune demeure une défaite, tandis que la Révolution française est, au moins partiellement, une vraie victoire. Même si celle-ci n’a pas été totale, la Restauration n’a pas permis de retour à l’Ancien Régime pur et simple, et il est souvent plus agréable de se référer à une victoire qu’à une défaite.

En outre, les gilets jaunes de novembre n’appartiennent pas au mouvement ouvrier, même s’ils peuvent être ouvriers. Certains n’ont jamais manifesté auparavant, ce qui était aussi le cas, par exemple, dans les mobilisations contre Ben Ali en Tunisie. Enfin, contrairement à ce qui s’est passé en 1968, l’enjeu n’est pas libertaire et sociétal, il est familial, et nombreux sont les gilets jaunes qui défendent des formes de vie conventionnelles. Ainsi, la chanteuse « Marguerite » qui a proposé une réécriture de la chanson de Michel Fugain Les gentils, les méchants12 devenue virale13, se révèle être Marguerite Chauvin, proche  du groupe « pro-vie » de la Fondation Jérôme-Lejeune, satellite de La Manif pour tous.

En 1968, il s’agissait d’inventer une vie fondée sur d’autres normes. Ici, il s’agit davantage d’une forme de réappropriation de la lutte entre les « gros » et les « petits ». «  Que les gros payent gros et que les petits payent petit », et si lutte des classes il y a, elle se joue davantage dans le rapport à l’État que dans le rapport aux usines ou, plus généralement, aux lieux de travail. Mai 68 demeure de ce fait une référence moins disponible que la Révolution française.

L’iconographie de 1848 est également présente, mais rare. Or ce qui me paraît intéressant, c’est que la Révolution française ne me semble pas représenter une simple iconographie, ou une signalétique comme celle des bonnets rouges, ou des habits de sans-culotte. C’est autre chose. La Révolution française offre un monument, une scénographie et in fine un levier, car il s’agit aussi de retourner la position adoptée par Macron lui-même, qui a intitulé son livre Révolution sans se soucier de la charge émancipatrice que ce terme peut encore avoir dans l’imaginaire populaire.

Face à ce que d’aucuns appelleraient une contre-révolution, il s’agit de refaire la véritable Révolution. Et dans ce retournement énonciatif, les gilets jaunes arrivent avec des cohortes d’ancêtres combatifs.

On trouve alors, dans la suite logique, un Emmanuel Macron en figure de roi tyrannique, ridicule ou inquiétant.

Image 11.1 – Acte 2, Paris.

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[Au dos d'un gilet jaune, un dessin représente Astérix et Obélix s'adressant à Emmanuel Macron, qui les regarde du haut des fortifications d'un camp romain portant un panneau sur lequel est écrit “ELYSEE”:] « Hé Manu tu descends ? / [E. Macron :] Heu… pour quoi faire ?  »

▪ Crédits : Photo de F. Guisset, source : Plein le dos. Licence : CC BY-NC-SA.


Image 11.2 – Acte 2, Paris.

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« Avec / Macron / le / despote / le peuple / crève »

▪ Crédits : Photo Julien Gate, source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 11.3 – Acte 11, Châtellerault.

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« 1789 → 2018 / Non au rois [sic] Macron »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

La dramaturgie continue : il faut arrêter ce roi, le juger et peut-être même l’exécuter. Des guillotines ou des gibets réalisent le fantasme en effigie. Des figurines le représentant sont brûlées ou pendues à Nantes14, Narbonne, Angoulême et sans doute ailleurs.


Emmanuel Macron y est sans doute pour beaucoup, qui a voulu se donner ces allures de roi en refusant les corps intermédiaires et en assumant seul l’affaire Benalla, affirmant que ceux qui n’étaient pas contents pouvaient venir le chercher lui, le président15. Désormais qui donc peut empêcher le peuple d’aller parler au roi ? Certes, Macron, quand il voulait assumer une position verticale qui, disait-il, était attendue des Français qui n’avaient pas voulu la mort du roi16, ne pensait pas occuper dix-huit mois plus tard, dans l’imaginaire, cette position de Louis XVI et voir son épouse Brigitte désormais comparée à Marie-Antoinette.

Au printemps, après une féroce répression, un désir de procès véridique au Tribunal pénal international voit le jour. On rejoue cette fois le procès du roi. Francis Lalanne, chanteur et gilet jaune, se rend le 11 juin à la Cour pénale internationale (CPI) afin d’y déposer une plainte pour « crime contre l’humanité ». Il s’agit de dénoncer et d’inculper le président français et son ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, comme donneurs d’ordre dans la répression des manifestations, qui a fait un nombre impressionnant de blessés. Trois mois plus tôt, le requérant avait lancé une pétition sur le site Change.org afin de soutenir cette procédure contre le Président et son ministre de l’Intérieur. En juin, cette pétition avait recueilli environ 100 000 signatures. Lors de son déplacement à La Haye, Francis Lalanne était accompagné par deux avocats, Sophia Albert-Salmeron et Ghislain Mabanga, qui ont expliqué que les forces de l’ordre avaient été autorisées à recourir à des armes « répertoriées comme armes de guerre » lors des manifestations des gilets jaunes. Étaient notamment cités les lanceurs de balles de défense (LBD) et les grenades de désencerclement. Un président, dans pareil cas, ne peut pas invoquer l’immunité devant la CPI. Et de fait, le Conseil de l’Europe, dès le 26 février 2019, avait appelé la France à « suspendre l’usage des LBD dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre » afin de « mieux respecter les droits de l’homme », confortant l’idée de ce dépôt de plainte. Pendant l’été 2019, des procès parodiques sont organisés à Paris. Il s’agit bien de mettre en scène une délégitimation radicale du pouvoir présidentiel qui ressemble à celle vécue par Louis XVI entre son arrestation à Varenne en juin 1791 et son procès en décembre 1792. Mais à la figure d’un peuple puissant fait place celle d’un peuple meurtri. Le scénario n’est que métaphorique, parodique, il devient de moins en moins crédible aussi bien pour les spectateurs que pour les acteurs eux-mêmes, car le rapport de force n’a malgré tout pas été inversé, contrairement à ce qui s’était passé pendant la Révolution française.

Ainsi, en filigrane parfois, ou d’une manière très explicite, une culture historique transmise prend place dans l’imaginaire qui se déploie et offre une feuille de route aux gilets jaunes. L’histoire est revenue sur le devant de la scène, plutôt que la théorie critique. On pourrait même dire que l’histoire a servi de théorie critique. Elle semble en effet jouer le rôle d’un texte qui aurait circulé, non pas en secret, mais dans des groupes restreints et sans que les adversaires en aient conscience, et qui aurait été in fine disponible le moment venu. Ce n’est pas exactement le texte caché au sens que James Scott donne à cette notion, mais cela présente malgré tout quelque analogie. Chez cet anthropologue américain, le texte caché est en effet celui que les dominés se disent entre eux pour se signifier les uns aux autres qu’ils ne sont ni dupes ni idiots, mais qu’ils n’ont pas le rapport de force favorable pour pouvoir affronter les dominants. Texte caché quand les blagues fusent sur « Macron le roi », et que les associations mentales font proliférer un buisson de mots d’esprit jusque-là réservés aux intimes. Souvent cette notion de texte caché est attachée à l’idée d’un infra-politique. Ici, ce n’est pas cet aspect de la notion qui nous semble pertinent mais le fait que ce texte pourtant archiconnu, véritable mythe national (Lévi-Strauss, 1962), n’ait été visible et audible dans sa portée stratégique que par les intéressés et non par leurs adversaires. Ces groupes restreints l’ont réinvesti au moment où il paraissait bien désuet à une grande partie du côté gauche. De fait, seuls les communistes et les insoumis s’y réfèrent régulièrement. Il est explicitement disqualifié par la Macronie et refoulé par Les Républicains qui, en se nommant ainsi, proposent de fait une forclusion de la Première République, celle de l’an II (1793-1794), et de la Deuxième (1848). C’est dans un tel contexte que le discours historico-politique sur la Révolution française à valeur de mythe national peut jouer un rôle de contre-culture politique, remplir une fonction antisystème, tout en offrant des ressources complexes à une offensive qui ne veut être assimilée ni au côté droit, ni au côté gauche.

Il faut donc examiner ce qui a rendu cette contre-culture politique disponible, en quoi elle répond aux besoins du moment, mais aussi en quoi elle permet ou non de dépasser les contradictions du mouvement, le dernier acte du procès du roi ayant de fait échoué.

III. Contre la politique de la survie, la Révolution française comme contre-culture politique

III.1 Du caractère disponible de la Révolution française

Dans les programmes de l’Éducation nationale, l’enseignement de l’histoire devait servir à former le citoyen. Mais aujourd’hui, le temps consacré aux révolutions est réduit, dans ces programmes, à la portion congrue. Parfois seul l’héritage en est valorisé, comme c’est le cas pour 1789, parfois elles ne sont pas enseignées, telles 1830, 1848 et la Commune de Paris. De fait, des savoirs sur ces événements héroïques et monumentaux (Nietzsche, 1874) se sont malgré tout frayé un chemin souterrain. Des lieux multiples, aussi bien réels que virtuels –lieux d’éducation populaire ou sites qui agglutinent, lieux qui se pensent de gauche ou qui se présentent comme antisystème et sont foncièrement à l’extrême droite, comme celui de Soral, Égalité & Réconciliation – racontent l’histoire de la Révolution française. Chacun offre une place à ces événements dérobés à la conscience historique officielle et légitime. Plus la Révolution française a été barrée de la mémoire glorieuse du pays aussi bien par le côté gauche de l’échiquier politique, où on l’accuse d’être libérale, nationale et faussement universaliste, que par le côté droit libéral, où on la trouve par trop égalitariste, plus elle est devenue un lieu imaginaire sulfureux, interdit. Ce mythe servait dans les années soixante à assurer à chaque citoyen de gauche un script rassurant. « L’homme dit de gauche se cramponne encore à une période de l’histoire contemporaine qui lui dispensait le privilège d’une congruence entre les impératifs pratiques et les schèmes d’interprétation », déclarait Lévi-Strauss à propos de la Révolution française17. Mais la gauche était encore relativement hégémonique et le texte du grand anthropologue oscillait entre l’homme de gauche et l’homme contemporain : « Pour que l’homme contemporain puisse pleinement jouer le rôle d’agent historique, il doit croire au mythe de la Révolution française18. » Venait alors l’homme de science qui devait réévaluer la valeur de vérité attribuée à cette croyance : « Cette vérité (du mythe) est de situation, et si nous prenons nos distances envers cette situation comme c’est le rôle de l’homme de science de le faire, ce qui apparaissait comme vérité vécue commencera d’abord par se brouiller et finira par disparaître19. » 

Le mythe comme tel se serait donc retiré, restaient le savoir et l’événement commémoré en 1989, où le mythe se scinda en deux. D’un côté le mythe des origines du système parlementaire et du libéralisme dont il convenait de faire l’éloge, de l’autre le mythe de la souveraineté populaire associé à la terreur et à la cruauté. Aujourd’hui, les croyants du second peuvent désigner les acteurs du premier comme les partisans d’une « démocrature » ou les membres d’une « oligarchie ». Ce qui est perdu, ce sont les contradictions de l’histoire dialectique. Aussi l’héritage qui avait été désactivé par le bicentenaire peut non seulement redevenir actif, mais disponible aussi bien pour la nébuleuse d’extrême droite que pour ceux qui, du côté gauche, aspirent à une reconquête de souveraineté dans une visée démocratique, mais sont peu enclins à reconnaître une quelconque valeur à l’idée de représentation parlementaire.

Les gilets jaunes semblent dire que l’héritage est d’autant plus actif qu’ils savent intimement que la promesse d’égalité fiscale et politique de 1789 n’a pas été tenue. Enfin l’idée de peuple souverain paraît dérisoire quand ils savent pertinemment qu’ils n’ont pas voix au chapitre, que ce soit localement ou nationalement, du fait des contraintes d’un régime représentatif et européen. Le sentiment enfin de n’être pas respectés dans leur identité, nationale pour les uns, culturelle pour les autres, humaine enfin pour certains, fait de la Révolution française un lieu de choix pour toutes sortes de processus d’identification subjective profondément dissemblables. Certains ne verront dans la Révolution française que le lieu de l’identité nationale, d’autres celui de l’universel singulier cosmopolitique, d’autres celui de l’abolition de l’esclavage. Sous le même vocable chacun peut faire son marché identitaire.

Si la Révolution française a irrigué la symbolique et la dramaturgie des gilets jaunes dans une ambiguïté qui n’était pas immédiatement facile à saisir, c’est que sur ces questions cruciales toutes les sensibilités gilets jaunes pouvaient se retrouver, et qu’elle offrait la possibilité de masquer les lignes de fracture sous des notions qui demeurent polysémiques et fabriquent des traits d’union.

Reprenons pour savoir si, paradoxalement, l’inactualité de la Révolution française n’en fait pas un lieu pertinent pour élaborer les contradictions actuelles, celles qui répètent les enjeux de la Révolution française, mais aussi celles qui sont autres, entièrement neuves, et qui, loin du répétitif, organisent, du fait même de cette polysémie, des bifurcations.

III.2 L’équité, l’égalité, la fraternité

La question de l’équité amorce le mouvement. Or cette notion d’équité rencontre immédiatement la question écologique, élargissant la revendication d’une égalité à l’échelle globale, face au danger d’un climat déréglé, d’une nature qui se rebiffe. Les énoncés révolutionnaires peuvent alors côtoyer des énoncés écologistes, ils peuvent se croiser pour revendiquer ensemble un droit à vivre dignement et en paix.


L’énoncé majeur est alors « vivre » et non pas « survivre ». Penser la vie et non pas la survie, retourner, récuser donc le régime de la politique globale comme politique de la survie (Abélès, 2006).

Image 12.1 – Acte 6, Paris.

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« Pour ma PLANETE / Pour mon AVENIR / POUR MA VIE / Macron DEMIS[…] »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 12.2 – Acte 7, La Rochelle.

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« Travailler / pour / vivre / non pour / survivre / Macron rends / not[re] pognon »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.


Image 12.3 – Acte 10, Belfort.

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« Vivre et / non survivre / Tous ensemble / on ne lâche rien ! »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Le mot « fraternité » de la devise républicaine devient un mot de l’espèce humaine.

Image 13 – Acte 10, Bordeaux.

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[Sur une pancarte, portée par un gilet jaune]« Appelle / les frères ! / La fraternité / est la loi / de notre / espèce / Acte X » – [au dos de son gilet] « Quel idéal ? Le bonheur […] »

▪ Crédits : Photo de drenghel@Lilo, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Cette question de l’espèce humaine fraternelle est alors théorisée par des gilets jaunes du groupe Article 35-Insurection, où coexistent de jeunes gilets jaunes très proactifs, fascinés par le devoir d’insurrection de la déclaration des droits de 1793, et des gilets jaunes plus âgés, professeurs à la retraite, rompus à l’exercice de la théorie et de la réflexivité politiques. Certains d’entre eux publient une revue de réflexion politique intitulée Temps critiques et ont depuis rassemblé leurs réflexions sur les gilets jaunes dans un ouvrage intitulé, L’évènement gilet jaunes20. Jacques Wajnsztejn, l’un d’entre eux, prit contact avec moi au cœur de l’évènement, et m’envoya un article intitulé « L’envie de Révolution française des gilets jaunes », où ses amis de Temps critiques et lui observent à la fois du dedans et du dehors le surgissement de cet objet inattendu pour des militants qui ont ouvert le bal en 1968. Voici ce qu’ils disent de la situation : « si l’on considère les trois premiers mois d’existence du mouvement des gilets jaunes, le moment où la dimension d’universalité de la communauté humaine s’est manifestée avec le plus d’intensité fut celui de l’occupation des ronds-points. […] Que l’initiative de la lutte sur les ronds-points ait été concertée dans les réseaux sociaux ne prive en rien le mouvement des gilets jaunes de cette solidarité humaine qui fait sa force. Dans l’espace limité mais stratégique des ronds-points, dans cette communauté vécue dans les rudimentaires « cabanes » construites là, ont puissamment surgi libération de la parole de citoyens toujours ignorés, souvent méprisés et action déterminée pour la faire entendre. Leurs gilets endossés, des femmes et des hommes, […] ont partagé les conditions de leurs vies précarisées, injustement taxées, invisibles pour le pouvoir d’État et ses réseaux. Dans ces échanges sur le dur vécu quotidien mais aussi sur les possibles d’une autre société et d’une autre vie ; dans ces repas partagés ; dans l’accueil des passants solidaires ou la défense à l’égard d’automobilistes hostiles, s’est concrètement affirmée une aspiration universelle à la communauté humaine21. »

Ils poursuivent le mouvement en discutant de la Révolution française. De cet événement, ils retiennent la dimension d’universalité et la relient à ce désir de redevenir humains et fraternels qui s’est manifesté sur les ronds-points, à « une aspiration à une “République du genre humain” proclamée par Anacharsis Cloots, athée prussien se disant “orateur du genre humain”, fait citoyen d’honneur par les révolutionnaires girondins en 1792, puis envoyé à la guillotine en 1794 par le jacobin théiste Robespierre, non sans l’avoir fait auparavant exclure de la Convention car “étranger à la nation”22 ». Ces acteurs situent l’émergence du nationalisme révolutionnaire en 1793 et font de Robespierre une figure détestable. Pourtant, il est sans doute celui qui a le plus théorisé l’universelle humanité comme nécessité révolutionnaire cosmopolitique, tout en ayant affirmé la nécessité de savoir de quel peuple on répondait afin de pouvoir prendre ses responsabilités de souverain. Chacun réinvente sa Révolution en soulignant les contradictions de l’événement qui dérangent le plus et en choisissant parfois hâtivement le camp qui semble correspondre à ses positions du moment.

III.3 La souveraineté, l’identité

Cette responsabilité des membres du peuple souverain est revendiquée à travers des outils nouveaux, comme le RIC, et de nouvelles pratiques, comme celle de l’assemblée ou le communalisme. Dans les deux cas le processus aboutissant aux mandats représentatifs et à la production de verticalité politique est récusé, car les décisions déterminantes pour la vie à venir peuvent alors être prises sans les citoyens et contre leurs vœux. Reconquérir une position souveraine démocratique, c’est aussi reconquérir la possibilité d’être responsable de son avenir.

Pour les gilets jaunes, il faut redonner le pouvoir démocratique aux « citoyens », aux « habitants », aux « Français ». Certes, il y a eu des porte-parole stratégiques très écoutés, mais un refus obstiné de se donner des chefs. En cela, cette revendication de souveraineté n’est pas du tout un souverainisme mais bien une revendication démocratique qui s’éloigne des logiques d’extrême droite où la structure verticale est fondamentale et désirée. L’espace public des ronds-points, puis des cabanes, a été très souvent délibératif23, car même en dehors des assemblées qui s’y organisent, on y discute du bien-fondé du mouvement, des décisions, des médias, des manifestations à venir, de celles dont on revient. Il s’agit parfois moins de discuter que de décider, de préparer les slogans, de peindre les gilets. Un espace politique qui vit l’articulation entre la centralité des villes où l’on manifeste – avec la capitale en ligne de mire, lieu de la « lacrymocratie » – et un désir de vie bonne à réaliser au quotidien. Les plates-formes de réponse au Grand Débat national sous le vocable de « vrai débat » formalisent l’idée que la question centrale n’est pas de discutailler mais d’enregistrer des opinions. L’idée des «  Ada » (assemblées des assemblées), née de l’expérience de l’assemblée de Commercy, ressemble d’ailleurs beaucoup à celle des assemblées primaires populaires de la période révolutionnaire (Wahnich, 2019), car même à Commercy, l’expressivité déploie une prise de parole assez répétitive, mais dont la fonction est d’éprouver le commun, l’opinion commune. Pendant la Révolution française de telles assemblées ont un rôle fondateur en termes de pouvoir électoral, puis de contrôle démocratique dans la constitution de 1793. Cependant, ce ne sont pas ces assemblées qui sont sollicitées pour organiser un renouveau du contrôle souverain par le peuple, mais le fameux RIC. Or, là encore, c’est la Révolution française qui donne ses lettres de noblesse à l’outil proposé pour résoudre tous les problèmes passés et à venir. Dans ce contexte, les rappels historiques récusent Robespierre au profit d’acteurs qui n’ont pas sa terrible réputation de tyran. On lui préfère Condorcet, pour invoquer un « ancêtre à l’idée du RIC »24, avec son « droit de censure citoyenne ». Le site Objectif RIC, mais aussi France Culture et Alternatives économiques fabriquent un « mythe Condorcet » en contournant de fait le texte de la Constitution de 1793. Pourtant la censure citoyenne est réellement présente dans cette constitution, grâce à un usage précis desdites assemblées primaires. Aussi, la contre-culture politique est finalement plus proche à cet égard qu’elle n’a l’air de le croire des positions mainstream de l’oligarchie qu’elle fustige. Le discours qui valorise, contre le tyran Robespierre, Condorcet, l’atypique proche des girondins, pourtant beaucoup plus radical que ces derniers, est classique. Mais ce girondinisme est aussi celui d’un Michel Onfray, dans ses cours sur la Révolution française relayés par France Culture. Paradoxalement, cette origine « Condorcet » donne une apparence de mesure à la proposition gilet jaune la plus radicale.

Ce désir de souveraineté populaire retrouvé récuse clairement l’Europe, désignée comme lieu de l’oppression effective. Priscillia Ludosky résume ainsi la situation :

« En tout cas, cela a levé une question : celle du “Frexit” qui revient beaucoup dans les débats qui sont organisés par les gilets jaunes dans les départements. Les gens se demandent si on doit continuer à faire partie de l’Europe. La possibilité de remise en cause de certains traités, c’est une question qui dépasse les frontières. Il y a augmentation de la conscience politique à toute vitesse en ce moment. On est resté en veille pendant des années et là les gens se posent des questions de toutes sortes, y compris celle de la sortie de l’Union européenne. Cette méfiance vis-à-vis de l’Europe a augmenté depuis le référendum de 2005 qui a été bafoué et qu’ils ont quand même fait passer en traité, par le traité de Lisbonne en 2007. Les opinions nationales sont ignorées et cela remet en cause notre place dans la communauté, ainsi que notre légitimité à prendre certaines décisions et donner notre avis global. L’ouverture des consciences sur l’enjeu souverain est en pleine dynamique. Nous avions pourtant donné sa chance à l’Union européenne. Les points positifs n’empêchent pas le problème global. L’idée de départ c’était une communauté qui devait agir collectivement dans l’intérêt des citoyens européens. La réalité c’est le musellement des citoyens. L’Union européenne doit donc être interrogée dans ses fondamentaux25. »

Soit l’Europe est cosmopolitique, c’est-à-dire, à suivre le groupe Article 35 et Temps critiques, fraternelle, et elle n’entre pas en contradiction avec chacune des souverainetés qui la composent, soit elle n’a plus de sens.

L’identité politique pourrait alors être à la fois nationale et cosmopolitique, ce qui était effectivement le projet cosmopolitique robespierriste. Ce dernier vise à faire respecter à la fois la question nationale et les identités multiples qui composent le genre humain. Ce sont alors toutes les identités discriminées qui peuvent se retrouver dans ce projet, qui reconnaît l’égalité entre les Blancs et les Noirs et réclame l’abolition de l’esclavage. Le comité Adama, qui lutte pour faire reconnaître la responsabilité de la police dans la mort du jeune Adama Traoré, est ainsi présent très tôt. Mais ce sont aussi les femmes qui refusent un statut d’inférieures. Le scénario révolutionnaire, aussi polysémique soit-il dans ses appropriations et ses usages, n’aura donc pas débouché sur un désir de chefferie et de clôture, mais bien sur un désir de débat et de redéfinition du commun en vue de la vie bonne.

Image 14 – Acte 10, Bordeaux.

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« Nous / recherchons / tous la / même chose / être heureux »

▪ Crédits : Photo de drenghel@Lilo, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

À ce titre, et pour conclure, la Révolution française, aussi française soit-elle, ne peut pas construire un imaginaire d’extrême droite. Elle peut certes fournir des arguments de légitimation de l’émeute et de l’insurrection qui sont des formes d’action aussi bien pour un bord politique que pour l’autre, mais son projet demeure universaliste et démocratique. Le scénario révolutionnaire n’a donc pas conduit à clore le débat mais bien à l’ouvrir, en obligeant à prendre en compte in fine que l’analogie a ses limites. Le roi Louis XVI a été jugé en 1792 et exécuté en 1793 dans un rapport de force construit sur la durée. Notre régime politique de la Ve République n’est pas mort, l’oppression non plus, mais plus personne ne peut prétendre être dupe : ce n’est plus la démocratie issue de la Révolution française, même dans sa version la plus modérée, qui organise notre vie politique. Les gilets jaunes l’ont écrit en toutes lettres. Comme le philosophe Unamuno pouvait s’exclamer, « me duele España26 », ici des gilets jaunes ont écrit sur leur dos « j’ai mal à ma démocratie ». 

Image 15 – Acte 10, Paris.

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« J'ai mal à ma démocratie », un portrait d'Emmanuel Macron au bas duquel est écrit le mot « Diktatur » est accroché sous l' inscription.

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Ce « j’ai mal à l’Espagne » relève d’une nouvelle lucidité lorsque s’écroule, pour la génération de 1898, l’empire espagnol et sa légende de grandeur. Alors, les écrivains devenus lucides se mirent à décrire depuis la perte de la légende la réalité crue de l’Espagne assoupie. « Telle une troupe d’ethnologues lâchés dans un continent inexploré, ils peignent avec une féroce morosité, l’ennui des villages endormis dans la poussière », nous dit Michel Del Castillo (1977) dans Le sortilège espagnol. Les gilets jaunes, pour la plupart, étaient dans l’illusion de la souveraineté. Ils pensaient être victorieux et ont découvert la douleur d’une situation qu’ils n’avaient pas imaginée. C’est alors qu’ils ont pu s’intéresser à ce qui n’allait pas et en faire l’inventaire sur les sites du « vrai débat » mais aussi en amont, sur les ronds-points et dans de petites assemblées. De fait, le scénario révolutionnaire historique devenait alors trop petit.

Les révolutionnaires français avaient fait leur révolution en habits de Romains et ainsi ramené dans l’à-présent de l’histoire (Benjamin, 1940) la puissance monumentale et héroïque des grands ancêtres sans pour autant se contenter de les mimer. Ils puisaient dans leur exemplarité le courage de tenter à nouveau des gestes d’émancipation radicale, voire utopique (Abensour, 2013).

Image 16 – Acte 11, Paris.

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« Utopiste / debout ! / On veut / la révolution / Ne nous forcez / pas à la faire »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

De fait, les gilets jaunes font souvent la leur en habits de révolutionnaires français, dans ce même esprit d’à-présent, en vue de reconquérir une république perdue. Littéralement, ils se présentent avec force bonnets phrygiens et drapeaux tricolores, Marseillaise entonnée, mais surtout forts d’un imaginaire qui offre un scénario pour une dramaturgie monumentale. La feuille de route qu’ils se sont donnée mime la Révolution – comme les acteurs ré-agencent ses symboles – et, chemin faisant, redonne consistance à une formation sociale qui s’accroche à cette formation discursive (Robin, 1973).

Car cette formation discursive qui réinvestit l’objet Révolution française avait couvé sinon comme texte caché (Scott, 1990), du moins comme texte redécouvert après avoir été celé dans les années du bicentenaire. Il est donc désormais pour partie décelé aussi bien du côté des initiatives démocratiques critiques que du côté de l’extrême droite. La Révolution française a servi à dire que les Français, découvrant qu’ils ne sont plus un peuple souverain, aspirent à le redevenir en se souvenant de leurs ancêtres et en voulant se hisser à leur hauteur.

Cette revendication de souveraineté, comme le soulèvement gilet jaune, pouvait n’être ni de droite ni de gauche. Mais elle ne peut être apolitique à la manière du ralliement catholique du xixe siècle. Ce genre d’apolitisme ne peut côtoyer l’émeute et la revendication radicale, il est fait pour obtenir la concorde produite par un pouvoir qui dit jouer son rôle en masquant les contradictions. Or, ici, la Marianne de pouvoir a dû laisser la place à une Marianne de combat et, dans ce combat, ce n’est pas seulement la souveraineté qui a été revendiquée mais la fraternité révolutionnaire et l’égalité sociale et politique. Se sont entrelacées des revendications révolutionnaires issues de la Révolution française et des revendications résolument actuelles sur les normes globales, la vie à soutenir plutôt que la survie promise comme seul présent et seul futur. En faisant usage de ce savoir historique plutôt que d’un savoir théorique pour se donner des points d’appui et des repères, les gilets jaunes ont fait naître un débat, une sorte de critique interne sur la notion même de révolution, car de quelles révolutions parlait-on ? Qui dans la Révolution ? Comment ? Il est possible d’être attentif à cette manière de faire avec ce lointain passé pour réinventer la possibilité d’entrer en conflit critique à la fois sur le passé et sur le projet. Ainsi, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, les gilets jaunes ont choisi leur espace mental pour dialectiser le temps.

Un temps monumental fait de héros, de résistance à l’oppression, d’insurrection et d’universel. Ils sont nombreux à se réclamer de toutes ces catégories et à ce titre, ils fabriquent en situation un débat historiographique en actes. Ils sont de fait critiques de tout ce qui n’apparaîtrait pas conforme à la vision de la démocratie qu’ils espèrent. Et même si tous n’espèrent pas la même démocratie, ils ne semblent pas espérer un nouveau chef. C’est bien le collectif peuple sans représentant ventriloque qui doit redevenir souverain dans cette démocratie reconquise. Enfin, ils semblent capables pour nombre d’entre eux de déjouer l’hypothèse d’une Révolution française réduite à son qualificatif national, dévoyée par des soutiens explicitement antisémites et racistes. En revendiquant la période révolutionnaire, en se présentant comme peuple qui lutte pour la démocratie, les gilets jaunes veulent dénoncer et mettre à bas une politique de la survie au profit de la vie bonne, du bonheur. Un bonheur qui ne serait plus réservé à quelques-uns – « pour les uns des couilles en or pour les autres des nouilles encore... ». Aussi peut-on entendre que certains puissent croire que ce qui se dessine fabrique l’horizon d’une commune humanité à venir. Là résiderait la coupure engagée par ce mouvement de politisation qui ne sait pas encore comment réaliser cet horizon d’attente, mais qui a réussi chaotiquement à se réapproprier un peu d’espace délibératif et qui cherche à accoucher de propositions et de stratégies efficientes.

L’imaginaire révolutionnaire ne peut pas tout, mais il aura pu au moins cela, donner le courage de faire face à de vraies questions sans certitudes mais avec ardeur, et mis fin à une longue patience du peuple.

1 https://pleinledos.tumblr.com/. La galerie a déménagé à l’adresse suivante : www.pleinledos.org.

2 Tous les énoncés portés sur les gilets jaunes cités sont issus de ce corpus. Les images incluses dans l’article également et nous remercions le site

3 Selon Jacques Guilhaumou, « “le tournant interprétatif” de l’analyse de discours révoque le corpus clos, remet en cause la confrontation entre le

4 Commentaire de Michaël T Sharpan sur le « chant des partisans version gilets jaunes de Commercy » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com

5 L’image est disponible en ligne sur le site Web de France Info, à l’adresse suivante : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/

6 Lucas Latil, « “Gilets jaunes” : la gendarmerie nationale distingue sa “Marianne” », Madame Figaro [En ligne], 22 décembre 2018, URL : https://

7 « Les bonnets rouges, “antidote au FN”, selon leur porte-parole», Le Point [En ligne], 16 novembre 2013, URL : https://www.lepoint.fr/societe/

8 « Pourquoi les gilets jaunes de “La France en colère” réclament un referendum » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=7GMkWDN__

9 Aline Leclerc, « Des « gilets jaunes » demandent à Macron des réponses à la crise démocratique », Le Monde [En ligne], publié le 13 décembre 2018

10 « Communiqué de presse “Serment du Jeu de Paume”, de Gilets Jaunes aux journalistes et au président de la République », Blog du Plan C [En ligne]

11 « Un point de vue antifasciste sur les gilets jaunes », La Horde [En ligne], 19 décembre 2018, URL : http://lahorde.samizdat.net/2018/12/19/

12 « Marguerite - Les Gentils, les Méchants - Gilets jaunes » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=cBiHJxGxz1g.

13 Son enregistrement vidéo a été visionné plus d’un million de fois sur Facebook et près de 400 000 fois sur YouTube.

14 Cf. LExpress.fr avec AFP, « Effigie de Macron pendue à Nantes : deux condamnations à des stages de citoyenneté », L’Express [En ligne], URL : https

15 Cf. la vidéo « Emmanuel Macron fait son mea culpa » [En ligne], disponible sur le site Web de la RTBF, URL : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_

16 Voir l’article paru dans Le 1, le 8 juillet 2015, devenu indisponible sur le net, et dans Le Point [En ligne], « Emmanuel Macron, plus royaliste

17 Claude Lévi-Strauss, Œuvres. La Pensée sauvage, Paris, Gallimard, 1962, 2008, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », chapitre conclusif, « Histoire

18 Ibid.

19 Ibid.

20 Collectif Temps critiques, L’événement Gilets jaunes, Éditions À plus d’un titre, 2019.

21 Brochure de Temps critiques, supplément #5 au numéro 19, « L’envie de Révolution française des Gilets jaunes » [En ligne], 11 février 2019, URL :

22 Brochure de Temps critiques, « Gilets jaunes : “une République du genre humain” », 21 mars 2019, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article398.

23 Nous entendons par « pratiques délibératives » l’ensemble des échanges verbalisés auxquels nous pouvons associer les verbes synonymes : débattre

24 « Histo-RIC », Objectif RIC [En ligne], URL : https://objectif-ric.org/historic/.

25 « Priscillia Ludosky : “La remise en cause du système institutionnel est au coeur du mouvement” », Reconstruire [En ligne], 7 mars 2019, URL :

26 Littéralement « j’ai mal à l’Espagne » dans Del sentimiento trágico de la vida (1913), publié en français sous le titre, Le sentiment tragique de

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Notes

1 https://pleinledos.tumblr.com/. La galerie a déménagé à l’adresse suivante : www.pleinledos.org.

2 Tous les énoncés portés sur les gilets jaunes cités sont issus de ce corpus. Les images incluses dans l’article également et nous remercions le site de nous avoir autorisée à le faire.

3 Selon Jacques Guilhaumou, « “le tournant interprétatif” de l’analyse de discours révoque le corpus clos, remet en cause la confrontation entre le corpus et le hors-corpus, refuse enfin la présentation référentielle des conditions de production, au profit d’une description de la réflexivité du discours à partir d’un travail configurationnel sur les énoncés d’archive, situé à la croisée des travaux de Michel Foucault et de ceux des ethnométhodologues ».

4 Commentaire de Michaël T Sharpan sur le « chant des partisans version gilets jaunes de Commercy » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=Q2uV4UrjsS4 et https://www.youtube.com/watch?v=-mctYYL9VNE.

5 L’image est disponible en ligne sur le site Web de France Info, à l’adresse suivante : https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/photographie/gilets-jaunes-rencontre-avec-valery-hache-le-photographe-des-quot-deux-mariannequot_3303457.html.

6 Lucas Latil, « “Gilets jaunes” : la gendarmerie nationale distingue sa “Marianne” », Madame Figaro [En ligne], 22 décembre 2018, URL : https://madame.lefigaro.fr/societe/gilets-jaunes-la-gendarmerie-nationale-distingue-sa-marianne-221218-162745.

7 « Les bonnets rouges, “antidote au FN”, selon leur porte-parole», Le Point [En ligne], 16 novembre 2013, URL : https://www.lepoint.fr/societe/les-bonnets-rouges-antidote-au-fn-selon-leur-porte-parole-16-11-2013-1757810_23.php.

8 « Pourquoi les gilets jaunes de “La France en colère” réclament un referendum » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=7GMkWDN__B8.

9 Aline Leclerc, « Des « gilets jaunes » demandent à Macron des réponses à la crise démocratique », Le Monde [En ligne], publié le 13 décembre 2018, mis à jour le 14 décembre 2018, URL : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/13/des-gilets-jaunes-demandent-a-macron-des-reponses-a-la-crise-democratique_5397045_823448.html.

10 « Communiqué de presse “Serment du Jeu de Paume”, de Gilets Jaunes aux journalistes et au président de la République », Blog du Plan C [En ligne], publié le 13 décembre 2018, URL : https://chouard.org/blog/2018/12/13/communique-de-presse-serment-du-jeu-de-paume-de-gilets-jaunes-aux-journalistes-et-au-president-de-la-republique/.

11 « Un point de vue antifasciste sur les gilets jaunes », La Horde [En ligne], 19 décembre 2018, URL : http://lahorde.samizdat.net/2018/12/19/un-point-de-vue-antifasciste-sur-les-gilets-jaunes/.

12 « Marguerite - Les Gentils, les Méchants - Gilets jaunes » [En ligne], YouTube, URL : https://www.youtube.com/watch?v=cBiHJxGxz1g.

13 Son enregistrement vidéo a été visionné plus d’un million de fois sur Facebook et près de 400 000 fois sur YouTube.

14 Cf. LExpress.fr avec AFP, « Effigie de Macron pendue à Nantes : deux condamnations à des stages de citoyenneté », L’Express [En ligne], URL : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/effigie-de-macron-pendue-a-nantes-deux-condamnations-a-des-stages-de-citoyennete_2085093.html.

15 Cf. la vidéo « Emmanuel Macron fait son mea culpa » [En ligne], disponible sur le site Web de la RTBF, URL : https://www.rtbf.be/info/monde/detail_affaire-benalla-le-responsable-c-est-moi-qu-ils-viennent-me-chercher-strategiquement-bien-joue-de-macron?id=9981164.

16 Voir l’article paru dans Le 1, le 8 juillet 2015, devenu indisponible sur le net, et dans Le Point [En ligne], « Emmanuel Macron, plus royaliste que socialiste », publié le 7 juillet 2015, modifié le 20 août 2016, URL : https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-plus-royaliste-que-socialiste-07-07-2015-1943115_20.php#.

17 Claude Lévi-Strauss, Œuvres. La Pensée sauvage, Paris, Gallimard, 1962, 2008, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », chapitre conclusif, « Histoire et dialectique », p. 831.

18 Ibid.

19 Ibid.

20 Collectif Temps critiques, L’événement Gilets jaunes, Éditions À plus d’un titre, 2019.

21 Brochure de Temps critiques, supplément #5 au numéro 19, « L’envie de Révolution française des Gilets jaunes » [En ligne], 11 février 2019, URL : http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article395.

22 Brochure de Temps critiques, « Gilets jaunes : “une République du genre humain” », 21 mars 2019, http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article398.

23 Nous entendons par « pratiques délibératives » l’ensemble des échanges verbalisés auxquels nous pouvons associer les verbes synonymes : débattre, discuter, se concerter, se consulter. J’y suis sensible car le moment révolutionnaire 1789-1794 a été qualifié par les thermidoriens et par les contre-révolutionnaires de « constamment délibérant », qualification considérée alors comme dépréciative. Louis de Bonald dans ses Pensées sur divers sujets parues en 1817 alors qu’il était académicien déclarait : « On ne devrait assembler les hommes qu’à l’église ou sous les armes ; parce que là, ils ne délibèrent point, ils écoutent et obéissent. »

24 « Histo-RIC », Objectif RIC [En ligne], URL : https://objectif-ric.org/historic/.

25 « Priscillia Ludosky : “La remise en cause du système institutionnel est au coeur du mouvement” », Reconstruire [En ligne], 7 mars 2019, URL : https://www.reconstruire.org/priscilla-ludosky-la-remise-en-cause-du-systeme-institutionnel-est-au-coeur-du-mouvement/.

26 Littéralement « j’ai mal à l’Espagne » dans Del sentimiento trágico de la vida (1913), publié en français sous le titre, Le sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples, traduit par Marcel Faure, Paris, Éditions de la Nouvelle revue française, 1917 ; réédition, Paris, Gallimard, 1937.

Illustrations

Image 1 – Acte 1, Paris.

Image 1 – Acte 1, Paris.

« Ici République et Nation / C'est que des stations de Métro ! / “Quand le peuple se met debout, / L'impérialisme tremble.” T. Sankara »

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 2 – Acte 4, Paris.

Image 2 – Acte 4, Paris.

« Champion du monde / des taxes »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 3 – Acte 9, Paris.

Image 3 – Acte 9, Paris.

« Aux actes citoyens !!! / Formez vos bataillons »

▪ Crédits : Photo de Thierry Gracia, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 4 – Acte 8, Tarbes.

Image 4 – Acte 8, Tarbes.

« Liberté / Égalité / Fraternité », une silhouette de bonnet phrygien à l'arrière-plan.

▪ Crédits : Photo d’Alegría Nohay, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 5 – Acte 3, Toulouse.

Image 5 – Acte 3, Toulouse.

« Hier, bonnets rouges… / Aujourd'hui → gilets jaunes / Demain ?? → à poil ?? [] »

▪ Crédits : Photo de Cathy Viatour, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 6.0 – Acte 3, Paris.

Image 6.0 – Acte 3, Paris.

« Les Fainéants, les Cyniques, / les Illettrés, les Gaulois réfractaires, / les gens qui sont rien / Sont dans la rue ! / 1789-2018 »

▪ Crédits : Photo de Magali Bragard, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 6.1 – Acte 11.

Image 6.1 – Acte 11.

« Aujourd'hui / nous / sommes le / 14 juillet 1789 »

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 6.2 – Acte 3, Paris.

Image 6.2 – Acte 3, Paris.

« 1789 : à bas le roi ! / 2018 : à bas l'argent-roi ! / Révolution citoyenne »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 7.1 – Acte 2.

Image 7.1 – Acte 2.

« M[ac]ron / seigneur saigneur / de la France »

▪ Crédits : Photo d’Alegría Nohay, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 7.2 – Acte 2, Paris.

Image 7.2 – Acte 2, Paris.

« Souviens / toi / 1789 / 80 km/h / Sécurité rentière »

▪ Crédits : Photo de Vincent Blanqui, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 7.3 – Acte 2, Château-Gaillard.

Image 7.3 – Acte 2, Château-Gaillard.

«  Sire, ils ont pris la Bastille. / C'est une révolte ? / Non Sire, / C'EST LA / RÉVOLUTION !!! / 1789-201[8] »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 8 – Acte 10, Paris.

Image 8 – Acte 10, Paris.

« On ne veut pas / être milliardaire / juste vivre de / notre salaire »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 9 – Acte 4, Paris.

Image 9 – Acte 4, Paris.

« Merci Macron Les / Français ont retrouvé / la Fraternité / On vient chercher / la Liberté et l'Égalité »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 10 – Acte 8, Bordeaux.

Image 10 – Acte 8, Bordeaux.

« Quand le gouvernement / viole les droits du peuple / l'insurrection / est pour le peuple et pour / chaque portion du peuple / le plus sacré des dro[its] / et le plus indispens[able…] »

▪ Crédits : Photo de Jean-Michel Becognee, source: Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 11.1 – Acte 2, Paris.

Image 11.1 – Acte 2, Paris.

[Au dos d'un gilet jaune, un dessin représente Astérix et Obélix s'adressant à Emmanuel Macron, qui les regarde du haut des fortifications d'un camp romain portant un panneau sur lequel est écrit “ELYSEE”:] « Hé Manu tu descends ? / [E. Macron :] Heu… pour quoi faire ?  »

▪ Crédits : Photo de F. Guisset, source : Plein le dos. Licence : CC BY-NC-SA.

Image 11.2 – Acte 2, Paris.

Image 11.2 – Acte 2, Paris.

« Avec / Macron / le / despote / le peuple / crève »

▪ Crédits : Photo Julien Gate, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 11.3 – Acte 11, Châtellerault.

Image 11.3 – Acte 11, Châtellerault.

« 1789 → 2018 / Non au rois [sic] Macron »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 12.1 – Acte 6, Paris.

Image 12.1 – Acte 6, Paris.

« Pour ma PLANETE / Pour mon AVENIR / POUR MA VIE / Macron DEMIS[…] »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 12.2 – Acte 7, La Rochelle.

Image 12.2 – Acte 7, La Rochelle.

« Travailler / pour / vivre / non pour / survivre / Macron rends / not[re] pognon »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 12.3 – Acte 10, Belfort.

Image 12.3 – Acte 10, Belfort.

« Vivre et / non survivre / Tous ensemble / on ne lâche rien ! »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 13 – Acte 10, Bordeaux.

Image 13 – Acte 10, Bordeaux.

[Sur une pancarte, portée par un gilet jaune]« Appelle / les frères ! / La fraternité / est la loi / de notre / espèce / Acte X » – [au dos de son gilet] « Quel idéal ? Le bonheur […] »

▪ Crédits : Photo de drenghel@Lilo, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 14 – Acte 10, Bordeaux.

Image 14 – Acte 10, Bordeaux.

« Nous / recherchons / tous la / même chose / être heureux »

▪ Crédits : Photo de drenghel@Lilo, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 15 – Acte 10, Paris.

Image 15 – Acte 10, Paris.

« J'ai mal à ma démocratie », un portrait d'Emmanuel Macron au bas duquel est écrit le mot « Diktatur » est accroché sous l' inscription.

▪ Crédits : Photo de Serge D’Ignazio, source : Plein le dos. Tous droits réservés.

Image 16 – Acte 11, Paris.

Image 16 – Acte 11, Paris.

« Utopiste / debout ! / On veut / la révolution / Ne nous forcez / pas à la faire »

▪ Crédits : Source : Plein le dos. Tous droits réservés.

References

Electronic reference

Sophie Wahnich, « Révolution française : un scénario inactuel pour les gilets jaunes », Condition humaine / Conditions politiques [Online], 1 | 2020, Online since 25 novembre 2020, connection on 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=124

Author

Sophie Wahnich

Sophie Wahnich est directrice de recherche au CNRS (IIAC/EHESS), elle travaille entre histoire, anthropologie et études politiques sur la Révolution française. Elle interroge notre présent en écoutant les conseils, avis et perplexités vécues de nos ancêtres révolutionnaires. Pour faire passage entre ces figures  fantomatiques et nous, elle fait confiance aux émotions qui se déploient quand l’injustice, la trahison, l’oppression fabriquent la résistance des acteurs qui tentent de frayer un chemin révolutionnaire. Elle a plus particulièrement travaillé sur les émotions comme faculté de juger pendant le moment révolutionnaire dans les ouvrages suivants : L’impossible citoyen : l’étranger dans le discours de la Révolution française (Paris, Albin Michel, 1997), La liberté ou la mort, essai sur la Terreur et le terrorisme (Paris, La Fabrique, 2003), La longue patience du peuple : 1792, naissance de la République (Paris, Payot 2008), Les émotions, la Révolution française et le présent (Paris, CNRS Éditions, 2009), La Révolution française n’est pas un mythe (Paris, Klincksieck, 2017).

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