Se professionnaliser dans l’exil par la musique. Le cas d’un musicien de l’orchestre Orpheus XXI (Jordi Savall)

DOI : 10.56698/chcp.1041

Résumés

Orpheus XXI est un orchestre créé par le chef d’orchestre et gambiste catalan Jordi Savall en 2016 grâce à une subvention du programme Europe Créative de l’Union européenne. Cet orchestre s’adresse à des musiciens et musiciennes en situation de migration. Il leur permet de continuer à exercer leur métier d’interprète dans l’exil, et de l’enrichir par une activité de transmission auprès de jeunes et d’enfants rencontrés à l’occasion d’ateliers pédagogiques. Ces ateliers fonctionnent comme des instances de transmission des répertoires musicaux dont ces artistes sont les maîtres. Le projet s’est implanté en France, en Espagne (Catalogne) et en Norvège, de 2016 à 2018. Depuis 2018, des ateliers pédagogiques se développent en Allemagne (Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, NRW) sous le nom d’Orpheus XXI NRW.
Cet article étudie le parcours, la biographie et la carrière d’un musicien réfugié de l’orchestre Orpheus XXI NRW, Azad Helez. Ces trois notions sont des outils pour tenter de mettre à jour la manière dont les institutions qu’il rencontre en Allemagne traitent la question de l’altérité. Le parcours s’intéresse aux chemins qu’une personne emprunte dans les espaces privés ou publics qui font la trame de son existence et aux environnements (professionnel, personnel, familial, institutionnel) qu’elle traverse. Cette notion permet de prendre en compte la capacité d’agir du musicien. La carrière ne vise que le monde du travail et analyse le trajet d’une personne dans ce monde. La biographie est la construction d’un récit, l’instauration d’une continuité après coup par la réflexivité de l’acteur à destination d’un public. Il s’agit d’observer, d’une part, comment Azad s’ajuste aux dispositifs de sa société d’accueil et, d’autre part, comment les dispositifs structuraux appréhendent la musique : comme un outil culturel pour la société ? Comme un outil d’inclusion pour les personnes en situation de migration ? Une approche biographique permet de prendre en compte cette articulation entre l’échelle individuelle et les échelles institutionnelles.
À partir d’un terrain ethnographique mené auprès de ce musicien, cet article aborde la question du rôle joué par la musique dans la manière dont une personne en situation de migration peut élaborer une carrière professionnelle dans son pays d’accueil. Azad se professionnalise par la musique tout au long de son parcours depuis le Kurdistan syrien et dans son pays d’accueil, l’Allemagne. Comment la musique peut-elle être un vecteur d’inclusion pour des personnes en situation de migration forcée ? En construisant sa biographie – son enfance, l’apprentissage de la musique, les étapes de son exil – et en analysant la façon dont il conduit son existence en Allemagne, nous pouvons faire apparaître les processus qui amènent Azad à développer aujourd’hui ses activités musiciennes, et à faire de la musique un outil d’inclusion professionnelle, dans une tension constante entre intérêts professionnels et préoccupations personnelles pour sa famille proche.
Car tout au long de son parcours d’exil, Azad devient musicien. Il enseigne la musique, compose, réalise des projets, participe aux ateliers pédagogiques d’Orpheus XXI NRW, et à ses concerts, joue par ailleurs dans plusieurs groupes. Il reçoit différentes preuves de la reconnaissance de ses pairs, qui lui permettent d’accéder au statut de musicien. Il s’engage dans une pratique musicienne qu’il veut de qualité, et considère aussi ses compétences comme une source de revenus. Il entre en contact avec des dispositifs musicaux sur lesquels il peut s’appuyer, comme l’ensemble Orpheus XXI NRW et la Landesmusikakademie de Cologne où il est en situation d’apprentissage, ainsi que la Musikschule de Bochum et le magasin Salar Music où il enseigne à son tour. Dans le cas d’Azad, la professionnalisation par la musique est un vecteur d’inclusion sociale autant que professionnelle en Allemagne, dans le Land de NRW. D’un autre côté, Azad se heurte à l’instabilité du métier de musicien qui l’amène à réfléchir à d’autres possibilités professionnelles et à renouer avec ses intérêts passés.

Professionalization in Exile through Music. The Case of a Musician in the Orchestra Orpheus XXI (Jordi Savall)”

Orpheus XXI is an orchestra founded by Catalan conductor and gambist Jordi Savall in 2016 upon receiving a grant from the European Union’s
Creative Europe programme. The orchestra targets migrant musicians. It allows them to continue to practice their profession as performers in exile and they are also mobilized in the framework of workshops where they teach to children and teenagers. These workshops are places of transmission of musical repertoires of which these artists are the masters. The project was implemented in France, Spain (Catalonia) and Norway from 2016 to 2018. Since 2018, pedagogical workshops have spread into Germany under the name Orpheus XXI NRW.
This article examines the life course (
parcours), biography and career of a refugee musician playing with the Orpheus XXI NRW orchestra, Azad Helez. The three notions evoked above are tools meant to uncover how the German institutions he evolves in deal with the question of alterity. The life course (parcours) pertains to the paths that the person takes in the private or public spaces that make up his or her existence, as well as the environments (professional, personal, familial, institutional) that he or she encounters. The musician’s agency is thus highlighted. The career focuses solely on the work environment and analyses a person’s path within this world. The biography is the construction of a narrative, the establishment of continuity a posteriori by the actor’s reflexivity, for an audience. The issues are thus to observe, on the one hand, how Azad adjusts to the structures of his host society, and on the other hand, how the structures apprehend music: as a cultural device at the service of society? as a device for the inclusion of people who find themselves in a situation of migration? A biographical approach allows us to take into account this articulation between the individual and institutional scales.
Based on an ethnographic fieldwork conducted with this musician, this article addresses the role of music in the way a migrant person can build a professional career in his host country. Azad engages in professionalization through music in the different stages of his journey from Syrian Kurdistan to his host country Germany. How can music be a vector of inclusion for people in a situation of forced migration? By constructing his biography – his childhood, the learning of music, the different stages of his exile – and by analysing the way he leads his life in Germany, we can uncover the processes accounting for Azad’s conducting his musical activities today, and for making music a tool for professional inclusion, in a constant tension between professional interests and personal concerns for his family.
Indeed, throughout his exile, Azad arises as a musician. He teaches music, composes, carries out projects, participates in the workshops of Orpheus XXI NRW with whom he gives concerts, plays in several ensembles. His peers offer him recognition, which allows him to achieve the status of musician. He is committed to practising highly quality music, and views his skills as a source of income. He engages with musical structures on which he can rely, such as the Orpheus XXI NRW ensemble and the
Landesmusikakademie in Cologne, where he has the status of a learner; the Musikschule in Bochum and the Salar Music shop, where he is a teacher. In the case of Azad, professionalization through music is a vector for social and professional inclusion in Germany, in the land of NRW. On the other hand, Azad is confronted with the instability of the profession of musician, which prompts him to ponder over following alternative careers and to rekindle past interests.

Index

Mots-clés

musique, migration, parcours, biographie, carrière

Keywords

music, migration, life course, biography, career

Plan

Texte

Introduction

Orpheus XXI

Les institutions européennes s’impliquent dans des programmes d’action culturelle à destination de personnes en situation de migration forcée1. C’est le cas du programme Europe Créative de l’Union européenne. Sur proposition de la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le 11 décembre 2013 le règlement qui a établi Europe Créative pour une durée de sept ans, du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020. Le programme doit promouvoir la diversité culturelle européenne et la coopération transnationale dans les secteurs culturels et créatifs en finançant des projets culturels européens. Pour cela, il est doté de 1 462 724 000 € pour cette période2.

Dans ce cadre, l’Union européenne lance en 2016 un appel à projets « culturels et audiovisuels transnationaux pour le soutien à l’intégration des réfugiés3 ». Chaque projet proposé doit être porté par « au moins trois partenaires d’au moins deux pays » européens, appartenant « aux secteurs culturels et créatifs ». Ils peuvent aussi relever du secteur social, public, éducatif ou de la santé. Il doit s’agir d’initiatives procurant une aide aux réfugiés et permettant de faire découvrir leurs cultures à des publics européens4.

Le chef d’orchestre et gambiste Jordi Savall et l’établissement culturel de la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs) présentent la candidature du projet d’orchestre « Orpheus XXI – Musique pour la vie et la dignité » à l’appel à projets d’Europe Créative, dans le cadre de la résidence de Jordi Savall à la Saline. La Saline royale, chef de file du projet, en monte le dossier. Les autres partenaires sont la Fondation CIMA (Centre Internacional de Música Antigua) de Jordi Savall en Catalogne, l’association Coop’Agir à Dole, dans le Jura, et l’organisation norvégienne ICORN (International Cities Of Refuge Network). Le projet fait partie des douze initiatives retenues par Europe Créative sur 274 candidatures5. Il reçoit un financement européen de deux ans, de novembre 2016 à octobre 2018. Il est également soutenu financièrement par les fondations Orange et Edmond de Rothschild de 2017 à 2019.

Orpheus XXI s’inscrit dans une attention récurrente de la part de Jordi Savall qui consiste à lier engagement humaniste et pratique artistique. Cette attention est une forme de diplomatie culturelle6. En effet, le but de ce projet est double. Il doit permettre aux musiciens et musiciennes de continuer à exercer leur métier d’interprète dans l’exil, et de l’enrichir par une activité auprès de jeunes et d’enfants rencontrés à l’occasion d’ateliers pédagogiques qui fonctionnent comme des instances de transmission des répertoires musicaux dont ces artistes sont les maîtres. Ainsi, l’orchestre doit « contribuer à améliorer le sort des migrants par la musique » (Bensignor, 2018).

À sa création en 2016, il est composé d’une vingtaine de musiciennes et musiciens professionnels « immigrés ou réfugiés7 », venus pour la moitié d’entre eux de Syrie. Les autres viennent de Turquie, d’Iran, du Bangladesh, d’Afghanistan, d’Israël, d’Arménie, de Biélorussie, de Grèce, du Maroc et du Soudan. Depuis 2016, beaucoup de musiciens et musiciennes ont quitté l’orchestre ou l’ont rejoint, si bien qu’il est difficile de délimiter ce groupe.

Après la subvention européenne (2016-2018), Orpheus XXI continue d’exister. L’association Coop’Agir se retire du projet, ayant rempli ses engagements. C’est aussi le cas de la Saline royale, qui passe le relais à l’association Orpheus XXI, créée à Paris en mars 2019 par plusieurs membres de l’équipe du projet. L’organisation norvégienne ICORN s’en éloigne aussi, en raison de la distance géographique qui la sépare des autres partenaires : faire venir les musiciens dans les autres pays participant au projet a un coût financier trop élevé. Des ateliers pédagogiques ont toujours lieu à Barcelone, où est basée la Fondation CIMA de Jordi Savall.

Depuis 2018, des ateliers pédagogiques et de professionnalisation se développent également en Allemagne, notamment à Dortmund où le chanteur Rebal Alkhodari prend leur direction. Il développe une branche allemande du projet sous le nom d’Orpheus XXI NRW – NRW est le sigle désignant le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Nordrhein-Westfalen), dans l’ouest de l’Allemagne. L’ethnomusicologue Eckehard Pistrick assure la coordination d’Orpheus XXI NRW. Le projet bénéficie de l’appui du festival Klangvokal et du Vokalmusikzentrum de Dortmund. Les musiciens et musiciennes d’Orpheus XXI NRW sont les élèves des ateliers. Ils ne sont pas rémunérés pour cette activité, dont ils bénéficient. Cela explique qu’ils aient d’autres activités en dehors de l’ensemble, musiciennes ou non.

Positionnement épistémologique et méthodes d’enquête

Dans le sillage de la sociologie des parcours biographiques, notamment des travaux de la sociologue Bénédicte Zimmermann (2013), cet article considère le parcours, la biographie, la carrière d’un musicien réfugié de l’orchestre Orpheus XXI NRW, Azad Helez. Ces trois notions sont des outils pour mettre à jour ce que font les institutions, notamment culturelles, que le musicien Azad rencontre en Allemagne confrontées à la question de l’altérité.

Le parcours s’intéresse aux chemins que l’on emprunte dans les espaces privés ou publics qui font la trame de l’existence. Il permet de « comprendre et saisir les situations vécues par les personnes […] entre logiques institutionnelles, déterminations sociales et réflexivité individuelle » (Négroni et Bessin, 2022, p. 26). Il s’intéresse aux chemins que chaque personne emprunte et aux interactions avec ses différents environnements (professionnel, personnel, familial, institutionnel), qui façonnent ses possibilités et ses ressources, mais sur lesquels elle peut avoir prise (Chateauraynaud, 1999). En effet, dans la notion de parcours, les acteurs ont une prise sur leur devenir. En cela, cette notion diffère de celle de trajectoire qui désigne un chemin tout tracé. La notion de parcours me permet de rendre compte de la capacité d’agir (De Munck et Zimmermann, 2008) du musicien Azad. La carrière, quant à elle, ne vise que le monde du travail et analyse le trajet d’une personne dans ce monde. Enfin, la biographie est la construction d’un récit, l’instauration d’une continuité après coup par la réflexivité de l’acteur ou de l’actrice, à destination d’un public. La notion de biographie permet d’analyser la part auctoriale de celui qui met en récit (Fabre, Jamin et Massenzio, 2010). Selon le sociologue Marc Bessin, qui distingue deux approches, une approche biographique et une sociologie du parcours de vie (2009), « [l]es recherches biographiques traitent davantage la subjectivité » (ibid., p. 14) tandis que la sociologie du parcours de vie met plutôt l’accent sur « l’identification des normes et contraintes, culturelles et matérielles » (ibid., p. 16).

Je m’inscris dans le cadre d’une anthropologie de la musique (Merriam, 1964) qui me permet de considérer la musique comme une forme relationnelle dont le processus de fabrication « dit » quelque chose de la société qui la produit. Cette posture me conduit à proposer une approche située et contextualisée (Laborde, 1999 ; Becker, 1988 [1982]).

J’utilise le cadre épistémologique d’une pensée par cas (Passeron et Revel, 2005). C’est-à-dire que je n’illustre pas une théorie a priori par des exemples, mais que j’analyse des cas, ici celui du musicien Azad, afin de mettre à jour les dispositifs – culturels, juridiques, sociaux, policiers, administratifs, familiaux – qui font la vie de musiciens et de musiciennes en situation de migration et la manière dont ces dispositifs agissent.

Je me penche donc ici sur le cas d’un musicien d’Orpheus XXI NRW. Ce musicien, Azad, prend part aux ateliers d’Orpheus XXI NRW à Dortmund de 2019 à 2022. Cette analyse d’un cas me permet d’observer, d’une part, comment un musicien peut s’ajuster aux dispositifs de sa nouvelle société, la société allemande, et plus largement aux dispositifs européens ; quels sont ceux auxquels il se heurte et ceux qui lui fournissent des ressources sur lesquelles s’appuyer. D’autre part, j’observe comment les dispositifs structuraux qu’il rencontre appréhendent la musique : comme un outil culturel pour la société ? Comme un outil d’inclusion pour les personnes qui se trouvent en situation de migration ? Comment les institutions et structures européennes et nationales, les associations, les organisateurs de concerts, les opérateurs culturels traitent-ils la question de l’altérité ? En effet, les personnes migrantes sont rattachées à la figure de l’étranger au sein des dispositifs du pays d’accueil (Agier, 2002, 2013). Les outils du parcours, de la biographie et de la carrière permettent de prendre en compte l’articulation entre l’échelle individuelle et des échelles institutionnelles, dans le cadre d’une anthropologie du politique (Ciavolella et Wittersheim, 2016).

Avec l’anthropologue et sociologue Alessandro Monsutti (2021), je propose de considérer les personnes migrantes comme actrices dans la construction de leur parcours. Comment le musicien Azad construit-il son parcours, entre capacité d’agir et contraintes imposées ou ressources offertes par divers dispositifs ? Quels sont ces dispositifs et que font-ils ? Comment différentes échelles, personnelle, familiale, institutionnelle, interagissent-elles alors ?

Je mène un terrain ethnographique pour répondre à ces questions. Mon ethnographie est multisituée ; j’utilise la technique « follow the people » développée par George Marcus (1995). Il s’agit de suivre Azad dans ses mouvements (ibid., p. 106), qui peuvent être géographiques ou se rapporter aux différents espaces (musiciens, personnels, administratifs) qu’il traverse dans la vie de tous les jours. Mes matériaux sont mes notes de terrain, issues de discussions informelles et biographiques (Fischer-Rosenthal et Rosenthal, 1997) et d’observations participantes ou go-along (Kusenbach, 2003) avec Azad, qui ont lieu depuis septembre 2021. Je consulte aussi les sites Web des institutions, conduis des entretiens et des observations participantes auprès d’elles.

En décembre 2020, Azad et moi avons participé à la même répétition en ligne du projet Alte Musik neu gedacht8 porté par Rebal Alkhodari, le chanteur et joueur de oud9 syrien qui dirige Orpheus XXI NRW. Cette répétition a eu lieu pendant la pandémie de Covid-19. Je rencontre Azad pour la première fois « physiquement » en septembre 2021 en NRW, à Cologne, pendant la semaine du projet européen Migrants Music Manifesto (MMM). Comme Orpheus XXI, MMM est financé par Europe Créative à hauteur de 200 000 €, de 2019 à 2022. Il a pour but de « défaire les préjugés et d’informer la population de la contribution positive des migrants et réfugiés en Europe10 », et cela par la musique. Les partenaires du projet sont implantés en France, en Belgique, en Allemagne, en Italie et en Grèce. La semaine du projet MMM à Cologne en septembre 2021 est organisée par alba KULTUR – partenaire allemand du projet – et sa directrice, Birgit Ellinghaus (voir Bensignor, 2021). Lors de cette semaine de conférences, d’ateliers et de concerts, B. Ellinghaus fait se rencontrer quatre ensembles qui répètent pendant trois jours et donnent un concert le dernier soir, samedi 18 septembre 2021, dans le « lieu d’échange, de confrontation politique et d’activité culturelle11 » qu’est l’Alte Feuerwache de Cologne. L’un de ces ensembles est Orpheus XXI NRW12. Je suis les répétitions de ce concert et j’ai un premier contact avec les musiciens, dont Azad. Après cette semaine à Cologne, je le retrouve trois fois, dans des contextes différents : fin octobre 2021, pendant les répétitions pour un concert avec Orpheus XXI NRW à Dortmund ; en mai 2022, lors de la préparation d’un atelier pédagogique de groupe qu’il co-organise dans le cadre de son cursus à la Landesmusikakademie de Cologne, qui lui octroie après un an de formation un certificat lui permettant d’enseigner la musique dans le secteur public ; fin mai 2022, à l’occasion des Kurdische Kunst- und Kulturtage13 au centre culturel du Mozaik Zentrum à Berlin, où il fait un passage sur scène. Au cours de ces rencontres, nous échangeons de manière informelle. Dans ces « récits de soi en migration » (Amar, Aprile, Kunth et Lacoue-Labarthe, 2021), nous abordons son enfance et l’apprentissage de la musique, son exil en Allemagne et les différentes étapes de son trajet, les débuts et le développement d’une carrière de musicien en Allemagne, dans le Land de NRW.

Parti adolescent du Kurdistan syrien, Azad pratiquait alors la musique comme un loisir. Il se professionnalise par la musique aux différentes étapes de son parcours, notamment dans son pays d’accueil, l’Allemagne, où il participe aux ateliers pédagogiques d’Orpheus XXI NRW en tant qu’apprenant. Comment la musique peut-elle être un vecteur d’inclusion pour des personnes en situation de migration forcée, en l’occurrence par la professionnalisation ? Afin de comprendre les processus qui amènent Azad à développer aujourd’hui ses activités musiciennes, et à faire de la musique un outil d’inclusion professionnelle, je propose dans un premier temps de dresser sa biographie, en la construisant de manière chronologique et à partir de nos échanges : son enfance, l’apprentissage de la musique, les différentes étapes de l’exil. Puis je m’intéresserai à la manière dont il conduit son existence en Allemagne : à l’importance de sa famille proche dans ses prises de décision et à la construction de sa carrière.

Construction d’une biographie

Enfance, éducation et apprentissage de la musique

Aujourd’hui, Azad est joueur de saz14 et chanteur – il joue d’autres instruments à cordes, comme le oud et la guitare – en Allemagne, dans le Land de NRW, où il réside. Il est né en 1996 dans le Kurdistan syrien, dans le nord de la Syrie. Il est le plus jeune d’une fratrie de quatre : il a deux frères, qui ont onze et cinq ans de plus que lui, et une sœur, de neuf ans son aînée.

Le kurde est sa langue maternelle. Comme il est interdit de l’apprendre en Syrie, la famille fait appel à un professeur privé pour enseigner aux enfants à l’écrire. Azad apprend aussi la danse populaire kurde15. Alors qu’il consacre une grande partie de son temps à cet apprentissage, ses parents offrent un saz à leur fils aîné. Azad commence le saz à 14 ans, en s’essayant en secret à jouer des chansons kurdes sur l’instrument de son frère. Dans sa famille, Azad vient aussi à la musique par son père, qui aime chantonner à la maison. Lorsqu’Azad joue de l’instrument, son père lui répète qu’il doit chanter. S’il ne commencera le chant que plus tard, à 21 ans, c’est bien par sa famille qu’il rencontre la musique.

Pendant son adolescence, la musique n’est pas le plus important pour lui. Il se dit très bon élève, assidu, relisant chaque livre plusieurs fois pour apprendre ses cours. À l’examen qui a lieu à la fin de la classe correspondant à la troisième, il obtient un résultat de 240 sur 280 points. Au lycée, il choisit une spécialité en sciences dures. Il est passionné par la chimie – et la biologie – et voudrait en faire son métier. Quand la guerre éclate en 2011 en Syrie, il est encore au lycée. Malgré la guerre, il passe son diplôme et est reçu avec 71 % des points : « Zum Glück habe ich das Abitur geschafft in dieser Kriegssituation16 », dit-il.

Les routes de l’exil : du Kurdistan syrien à l’Allemagne

En 2011, la famille, c’est-à-dire les parents et leurs quatre enfants, quitte la Syrie. Ils se rendent dans le Kurdistan irakien, dans le nord de l’Irak – dans la ville d’Erbil. Azad y reste deux ans pendant lesquels il donne des cours de saz et de chant à des enfants. Ces activités lui permettent de gagner 5 000 dollars.

En 2013, il quitte sa famille et part, seul, pour la Turquie. Il y reste un an, vivant grâce à l’argent qu’il a gagné en Irak. Mais la vie devient vite trop chère pour lui : son inscription à l’université pour prendre des cours de turc lui coûte 1 500 dollars ; puis il doit payer son loyer – il vit en colocation avec des amis ; et faire face aux dépenses de la vie quotidienne. En 2015, pendant l’« été de l’accueil » (Karakayali et Steinhilper, 2019) en Allemagne, alors que le pays ouvre ses frontières aux demandeurs d’asile17, Azad part à pied pour rejoindre ce nouveau pays. Cette conjoncture politique est décisive dans son parcours.

Le trajet d’Azad par la « route des Balkans » dure vingt-cinq jours. « [P]rès de 650 000 personnes l’ont empruntée, avec l’Allemagne pour principale destination », d’août 2015 à mars 2016 (Krulic, 2020). Il part de Turquie par la mer et arrive au port de Mytilène, sur l’île de Lesbos, où il prend un nouveau bateau pour le port d’Athènes. Depuis Athènes, il remonte à travers la Grèce jusqu’à la Macédoine où la frontière est fermée. Il est alors avec un groupe de cinquante-cinq personnes. Ils décident de se cacher dans la forêt pour essayer de passer la frontière. Azad est l’une des quinze ou vingt personnes qui y parviennent, alors que les autres sont arrêtés. Il continue sa route en passant par la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie. À Budapest, il monte dans un camion qui l’emmène directement en Allemagne et le dépose à Dresde, dans le Land de Saxe (Sachsen). Là-bas, il achète rapidement une carte SIM et appelle ses cousins et cousines qui sont déjà dans le pays – ils sont une vingtaine, surtout dans le Land de NRW, arrivés comme lui en 2015.

Avec une cousine qui vient alors de rejoindre la ville de Duisbourg, située dans ce Land, il fait sa demande d’asile (Asylantrag). Puis il est envoyé à Rostock dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (Mecklenburg-Vorpommern), au nord-est du pays. Il y vit dans une sorte de foyer (Heim) où il partage un appartement avec trois autres hommes. Ils sont deux par chambre.

Il quitte Rostock pour Duisbourg. Pendant ses six premiers mois en Allemagne, il n’a pas d’instrument : « Es war furchtbar, ich hatte nichts zu tun, ich konnte auch keine Musik spielen18 ». Il essaie ensuite de déménager de Duisbourg à Düsseldorf : il s’enregistre à la ville19 mais ne trouve pas de logement. Il décide de partir pour Wuppertal, où il passe trois ans et prend des cours d’allemand.

À Wuppertal, il suit aussi quelques cours de chimie pendant trois mois. Là-bas, il y a un site de Bayer, multinationale qui fabrique des médicaments et des produits agrochimiques, où il envisage d’entrer en apprentissage (Ausbildung). Mais il a deux heures de trajet pour se rendre aux cours en bus : il doit se lever vers 5 heures du matin pour être sur place à 8 heures, et il rentre tard le soir. Il n’a pas le temps de pratiquer son instrument, alors qu’il en joue normalement au moins une ou deux heures par jour. Il arrête donc de suivre ses cours de chimie.

Nous sommes en 2023, et cela fait quatre ans qu’il vit à Bochum, toujours en NRW.

Après m’avoir raconté son trajet de la Turquie à l’Allemagne, et devant mon silence, il ajoute que c’était un chemin horrible, mais qu’il ne pouvait pas rester là-bas, et que venir en Allemagne de cette façon était la seule possibilité. Malgré les conditions politiques et économiques (voir notamment Apitzsch, Inowlocki et Kontos, 2008) d’extrême contrainte dans lesquelles il a quitté la Syrie, puis l’Irak, la capacité d’agir d’Azad est prégnante dans la construction de son parcours d’exil et de vie.

La vie en Allemagne : enjeux et priorités

L’importance de la famille dans la prise de décision

Un aspect de sa vie influence profondément les choix d’Azad : sa famille. Sa sœur se marie au Kurdistan irakien en décembre 2020, avec un Allemand. Elle obtient un visa pour venir en Allemagne et s’installe fin 2021 à Francfort-sur-le-Main (Land de Hesse) avec son mari. Azad est très content de cette nouvelle proximité, même s’il trouve que Francfort est trop loin de chez lui. L’aîné de ses frères reste en Irak, auprès de la famille.

En mai 2022, à Cologne, Azad m’apprend que son père et son deuxième frère ont quitté l’Irak au début de l’année. Le trajet vers l’Allemagne est encore plus difficile pour sa famille en 2022 que pour lui sept ans plus tôt, car les violences des autorités, notamment grecques, à la frontière entre la Turquie et la Grèce, augmentent envers les exilés20. Mais le père et le frère d’Azad parviennent à passer cette frontière et à continuer leur route jusqu’en Autriche, où ils sont arrêtés par la police et forcés de faire relever leurs empreintes digitales. Pourtant, la police autrichienne les laisse partir. Ils arrivent en Allemagne, dans un foyer à côté d’Essen (NRW), où ils restent deux mois. Ils font leur demande d’asile (Asylantrag) pour rester en Allemagne, en précisant que le père a un fils et une fille dans ce pays et qu’il connaît cent personnes dans la région ; ils en donnent une liste. L’autorisation (Bewilligung) du gouvernement du Land nécessaire pour rester en Allemagne leur est refusée dans un courrier qu’Azad reçoit en mai 2022. En effet, « le système de Dublin [...] établit quel État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile en se basant principalement sur le premier point d’entrée irrégulière21 ». Ainsi, le règlement de Dublin relatif au droit d’asile européen contraint les personnes à demeurer dans le premier pays où elles ont dû déposer leurs empreintes.

Azad fait appel de cette décision, pour que son père et son frère puissent rester en Allemagne et ne doivent pas retourner en Autriche – leurs empreintes ont été relevées par la police autrichienne. Il se met en quête d’un « bon » avocat spécialiste du droit d’asile. De juin à août, il cherche de l’aide auprès de l’association œcuménique (ökumenische Bundesarbeitsgemeinschaft) Asyl in der Kirche22. Il trouve toutes les églises très occupées, car elles traitent les demandes des réfugiés venus d’Ukraine, dans le contexte de la guerre. En août, il se rend dans une ville près d’Aix-la-Chapelle (NRW), où il a trouvé une église prête à l’aider.

Même si son père et son frère peuvent rester en Allemagne, ils devront peut-être partir pour un autre endroit. Au terme de cette démarche, s’ils sont tout de même renvoyés en Autriche, Azad dit qu’il partira avec eux, car son père est âgé, il a besoin de ses enfants pour s’occuper de lui. Azad est écœuré que l’autorisation ait été refusée à son père et à son frère : cela fait deux ans qu’il travaille, sans jamais prendre de vacances, pour pouvoir leur fournir les 7 000 € nécessaires à leur trajet. Il a l’impression d’avoir fait tous ces efforts en vain. Azad travaille six jours par semaine pour subvenir aux besoins de sa famille. Ils sont toujours dans l’attente de l’asile.

Pour Azad, le bien-être de ses proches passe avant le sien. Sa préoccupation pour eux le pousse à travailler toujours plus. Pour prendre soin de son père et pour que celui-ci retrouve sa famille, il est prêt à quitter l’environnement qui lui est maintenant familier à Bochum, ses connaissances, ses activités professionnelles en cours. Ce sont ces activités musiciennes et professionnelles que je vais maintenant décrire.

Devenir musicien en Allemagne

La scène artistique et musicale du Land de NRW, où habite Azad, est très dynamique, comme le montre Rose Campion dans son travail de thèse en cours à l’Université d’Oxford23. Azad lui-même me le dit : « Alle Musiker sind in NRW24. »

En 2019, il rejoint les ateliers pédagogiques d’Orpheus XXI NRW à Dortmund, déjà dirigés par Rebal Alkhodari, trois mois après leur lancement. Les ateliers d’Orpheus sont des instances de transmission et de mise en commun de répertoires, qui permettent aussi aux participants et participantes de devenir musiciens et musiciennes, de se professionnaliser par et dans la musique. Le groupe se réunit environ une fois par mois à Dortmund, au Vokalmusikzentrum. Cette institution et le lieu qui l’accueille visent à créer des connexions entre les organismes liés à la pratique vocale dans le Land de NRW et à la développer25. C’est ce dispositif qui rémunère le directeur des répétitions, Rebal, tandis que c’est le Klangvokal Musikfestival qui organise les concerts d’Orpheus XXI NRW à Dortmund, comme celui d’octobre 2021.

Azad est l’un des plus anciens participants aux ateliers d’Orpheus XXI NRW. Avec ce groupe, il prend part à des concerts et, petit à petit, commence à se sentir à l’aise sur scène : « Jetzt macht es wirklich Spaß26 », confie-t-il à un autre musicien d’Orpheus lors des répétitions à Dortmund en octobre 2021. Il prend également part à des événements comme le Migrants Music Manifesto évoqué plus haut ou encore à l’émission de radio du Bayerischer Rundfunk Klassik (BR Klassik), diffusée le 30 avril 2022 à Nuremberg (Bavière)27. Azad est l’un des sept musiciens choisis par Rebal Alkhodari pour jouer à l’occasion de cette émission. En lui proposant de participer à ce concert, Rebal reconnaît le travail d’Azad et lui attribue une qualité musicienne. Dans le cas d’Azad, les ateliers d’Orpheus sont un chemin vers la professionnalisation. Il quitte l’orchestre en août 2022, fonde le groupe Nazband, qui joue de la musique kurde, et rejoint le projet Damaskino, auquel prennent part à la fois de jeunes adultes et des enfants et dont le but est de favoriser « l’inclusion, la participation culturelle et la justice sociale28 ». Une ancienne chanteuse d’Orpheus XXI NRW est aussi membre de ce groupe. Par son inscription dans les réseaux musiciens de NRW, Azad tisse des liens amicaux et professionnels.

Il compose également des chansons dans un style qu’il appelle avec un peu d’hésitation « kurdische Popmusik29 », souhaitant ainsi donner un cadre aux chansons populaires kurdes. Fin mai 2022, il me fait écouter la maquette d’une de celles qu’il a écrites. Il me dit qu’il va bientôt l’enregistrer en studio et veut la mettre sur le Web le plus vite possible.

En Allemagne et après l’expérience acquise en Irak, Azad continue lui-même à enseigner la musique – son instrument, le saz. Il donne des cours particuliers et en groupe, à des adultes comme à des enfants. Il travaille dans un magasin d’instruments de musique, Salar Music, à Bochum, où il donne aussi des cours. Il gagne 50 € par cours de groupe, 100 € par cours particulier. Un tiers de ces montants revient à la boutique. Il dit qu’il ne reste pas grand-chose pour soi. C’est pourquoi il préfère enseigner dans le secteur public, comme c’est le cas à l’école de musique (Musikschule) de Bochum avec laquelle il a un contrat long, qui lui procure des revenus réguliers. Il y donne deux heures de cours par semaine qui lui rapportent en tout un peu plus de 300 € par mois.

En 2020, avec Orpheus XXI NRW, Azad participe au projet Mosaik où des artistes confirmés enseignent leur instrument à des enfants. Ce projet est soutenu par le Landesmusikrat NRW, qui réunit toutes les associations de musique dans le Land de NRW30. Il s’agit d’un projet de pédagogie musicale (musikpädagogisches Projekt) dont le but est d’enseigner des instruments « orientaux » à des personnes de différentes origines (syrienne, iranienne, turque, irakienne, kurde) vivant en Allemagne31. Si le projet se poursuit, Azad n’y participe qu’une fois, lors de la première édition, pendant deux ou trois mois. Il quitte le projet Mosaik parce qu’il a beaucoup d’autres choses à faire, comme prendre soin de sa famille.

Pendant l’année 2021-2022, Azad prend des cours à la Landesmusikakademie NRW à Cologne. Cette association à but non lucratif organise des cours, des concerts et des projets musicaux dans le Land de NRW. C’est aussi un lieu de répétition32. Elle propose une formation d’un an – de septembre à juin – à des personnes d’origine étrangère, notamment lorsqu’elles ont déjà obtenu des diplômes dans leur pays d’origine, mais pas leur équivalent en Allemagne. Cette formation octroie aux participants un certificat qui leur permet d’enseigner dans le secteur public allemand : dans les écoles de musique (Musikschulen) publiques, mais aussi à l’école primaire, par exemple. Azad est le plus jeune de sa promotion, dont fait aussi partie une autre chanteuse d’Orpheus XXI NRW. Un musicien de l’orchestre avait suivi ces cours l’année précédente, un autre en bénéficiera l’année suivante.

En mai 2022, les participants à cette formation de la Landesmusikakademie NRW organisent une journée d’ateliers pédagogiques ouverts au public pour clôturer l’année. Je suis la dernière séance de préparation, qui dure elle aussi une journée complète, et je participe à l’événement public le lendemain. Les organisatrices et organisateurs sont divisés en trois sous-groupes qui proposent chacun un atelier. Au début de cette première journée, qui a lieu dans le bâtiment de la Landesmusikakademie à Cologne, le professeur explique à l’ensemble du groupe : « Es geht nicht nur darum, Musik zu machen, sondern sie auch beizubringen33. » Lors de l’événement public du cursus, qui a lieu cette fois à la Musikschule de Bochum, chaque sous-groupe enseigne à une partie du public participant (Ethis, Fabiani et Malinas, 2008) des morceaux des pays d’origine des musiciens. L’apprentissage passe par le chant, par les instruments de musique que certaines personnes, dans le public, ont amenés avec elles ou qui appartiennent à la Musikschule. Les morceaux choisis correspondent à un thème, différent pour chaque sous-groupe. Celui avec lequel travaille Azad s’intéresse aux rituels de mariage. Ainsi, nous apprenons le rythme d’une chanson turque ; une chanson arabe et une chanson kurde – les chanteuses nous en distribuent les paroles, ou leur transcription ; et une danse kurde pendant laquelle Azad nous accompagne au saz. Dans cette situation (Fornel et Quéré, 1999) d’apprentissage, de transmission et de fête, les musiciens passent du rôle d’élèves à celui de professeurs.

Dans le Kurdistan syrien, la musique était un loisir pour Azad. Il l’a ensuite enseignée dans le Kurdistan irakien, où il en a fait une source de revenus qui lui a permis de continuer sa route en Turquie. En Allemagne, la musique reste sa source de revenus. Il tient à la qualité de ce qu’il joue et des personnes avec qui il joue : à propos de l’émission à la radio BR Klassik, il me faisait part de l’enthousiasme que lui inspiraient ses camarades musiciens et l’acoustique de la salle. Il utilise aussi ses compétences musiciennes pour gagner de l’argent de manière pragmatique. Ainsi, il candidate en 2022 à l’appel, lancé par une chaîne YouTube, à réaliser deux ou trois clips avec des chorales. Il recevrait 6 000 € pour réaliser ces clips. S’il n’utilise pas tout l’argent, il pourra garder le reste, car les organisateurs de cet appel estiment que les participants méritent par leur travail de conserver un éventuel surplus. Azad planifie donc de ne pas dépenser l’intégralité des 6 000 € afin que l’argent épargné lui permette ensuite de payer un avocat pour la demande d’asile de sa famille en Allemagne.

Cependant, il se rend compte qu’être musicien n’est pas une profession stable : « Hier mit Musik gibt es keine Hoffnung34 », dit-il. Il me raconte que certaines de ses connaissances qui ont étudié au Conservatoire, obtenu un Master ou étudié la médecine en Syrie travaillent aujourd’hui comme serveurs (Kellner), ce qui représente une forme de déclassement après l’exil. La musique est pour lui un métier trop irrégulier. Les 300 € par mois sur lesquels il peut compter en donnant des cours à la Musikschule ne lui assurent aucune sécurité financière. Il a par ailleurs de petits contrats pour jouer dans des concerts, mais ils sont irréguliers. Pour pouvoir vivre de la musique, il mêle à son activité de musicien celle de professeur et son travail dans la boutique de musique. Comme de nombreux artistes, il est « pluriactif » (Bureau, Perrenoud et Shapiro, 2009). Les propos d’Azad rejoignent l’analyse du sociologue Pierre-Michel Menger, qui parle de l’« incertitude de la vie d’artiste » (Menger, 2009). Pour un musicien en exil, cette incertitude est d’autant plus forte qu’il entre, de fait, dans un nouveau « monde » (Becker, 1988 [1982]) de la musique.

Pendant la pandémie de Covid-19, Azad reprend des études d’ingénieur à l’université de Bochum, qu’il interrompt parce que les conditions d’enseignement à distance ne lui conviennent pas. Il envisage aujourd’hui de suivre un apprentissage (Ausbildung) dans le domaine de la chimie à Bochum. Il dit qu’il était un bon élève, mais que ce n’est plus le cas depuis la guerre : il a beaucoup travaillé, dès les deux années passées en Irak, et il trouve difficile de recommencer à étudier. Le parcours d’Azad est jusqu’à aujourd’hui étroitement imbriqué avec les circonstances politiques en Syrie, que sa famille et lui ont fuies.

Conclusion

Son parcours, sa biographie et sa carrière nous ont montré comment, dans l’exil, Azad devient musicien. Il a abandonné son rêve d’être chimiste faute d’avoir pu poursuivre des études dans ce domaine dans les contextes de guerre et d’exil qu’il a traversés. Il enseigne la musique, compose, réalise des projets, participe aux ateliers pédagogiques d’Orpheus XXI NRW, et à ses concerts, joue dans plusieurs groupes. Il s’engage dans une pratique musicienne qu’il veut de qualité et considère ses compétences comme une source de revenus. Il entre en contact avec des dispositifs musicaux sur lesquels il peut s’appuyer – l’ensemble Orpheus XXI NRW, mais aussi la Landesmusikakademie de Cologne, où il est en situation d’apprentissage, la Musikschule de Bochum et le magasin Salar Music, où il enseigne à son tour. Entre ces deux postures d’élève et d’enseignant, il se situe au cœur des instances de transmission.

En menant toutes ces activités et dans un « processus de réorganisation permanente » (Grossetti, 1999), il se professionnalise par la musique dans l’exil. Le travail, le métier de musicien, ou plutôt son apprentissage est ici un vecteur d’inclusion. Le 20 août 2022, il est invité à jouer à Copenhague avec un groupe qu’il lui revient de constituer. C’est une marque de reconnaissance de la part des musiciens qui l’invitent. Comme le dit Merriam (1964, p. 125) :

« Tous les musiciens […] sont des spécialistes, et certains musiciens sont des professionnels, bien que les degrés de professionnalisme varient. Il y a cependant un autre critère d’importance majeure, qui concerne l’acceptation de l’individu comme un spécialiste ou un professionnel. En d’autres termes, le “véritable” spécialiste est un spécialiste social ; il doit être reconnu comme un musicien par les membres de la société dont il fait partie. Ce type de reconnaissance est le critère ultime ; sans lui, le professionnalisme serait impossible. Bien que l’individu puisse se considérer lui-même comme professionnel, il ne l’est pas véritablement à moins que d’autres membres de la société reconnaissent sa revendication et lui accordent le rôle et le statut qu’il cherche pour lui-même35. »

C’est cette forme de validation et d’attribution statutaire de la part de ses pairs dans le monde de la musique auquel il appartient qui permet à Azad d’accéder à la professionnalité. Dans son cas, la professionnalisation par la musique est un vecteur d’inclusion sociale autant que professionnelle en Allemagne, dans le Land de NRW.

D’un autre côté, Azad se heurte à l’instabilité du métier de musicien qui l’amène à réfléchir à d’autres possibilités professionnelles et à renouer avec sa passion pour la chimie. Les services juridiques sont un autre obstacle dans son parcours dans la mesure où ils refusent d’accorder un titre de séjour à son père et son frère, venus le rejoindre en Allemagne. Dans ce domaine, il trouve du soutien auprès de l’association œcuménique Asyl in der Kirche.

Sa famille au sens large présente en Allemagne constitue pour lui un réseau de solidarité. En retour, il prend soin de sa famille proche dont le bien-être est un enjeu décisif dans ses prises de décision. Cet enjeu pourrait le conduire à renoncer à son ancrage local et artistique dans le Land de NRW pour suivre ses proches dans le cas où ils seraient expulsés d’Allemagne.

Pour saisir le dispositif Orpheus XXI, et plus particulièrement, ici, Orpheus XXI NRW, il faut considérer celles et ceux qui le font exister, notamment les musiciennes et musiciens. Cette perspective permet de « traiter de l’action publique lorsqu’elle est en prise avec des populations en mobilité dans le contexte des politiques migratoires contemporaines européennes » (Laborde, 2019, p. 11). Nous avons vu qu’Azad se professionnalise par la musique notamment en s’impliquant dans l’orchestre Orpheus XXI NRW. Cet orchestre ne joue pas ce rôle pour chaque musicien. En Allemagne, les ateliers peuvent aussi être un moyen pour les musiciens de continuer à jouer ou de retrouver leur ancien métier de professeur de musique. En France, certains musiciens qui avaient une carrière bien installée dans leur pays d’origine mettent la musique de côté pour prendre un travail alimentaire qui leur permette de vivre, et de subvenir aux besoins de leur famille le cas échéant, quand d’autres parviennent à vivre de la musique en s’engageant dans divers projets et en créant les leurs, accédant parfois au statut d’intermittent du spectacle, ou privilégient une autre activité liée à la musique, comme celle de luthier.

1 Je tiens à remercier le musicien Azad Helez pour sa confiance et sa relecture de ce texte.

2 Cf. Official Journal of the European Union, « Regulation (EU) No 1295/2013 of the European Parliament and the Council of 11 December 2013

3 Europe Créative, appel à propositions EACEA/12/2016 : https://eacea.ec.europa.eu/sites/eacea-site/files/ce_ref_call_fr.pdf [lien rompu], consulté le

4 Europe Créative, appel à propositions EACEA/12/2016, cf https://ec.europa.eu/migrant-integration/library-document/

5 Cf. « Creative Europe – Cross-sectoral strand, Quality note on selection, Call for proposals EACEA 12/2016 “Support for refugee integration projects

6 Au sujet des trois formes de diplomatie culturelle que distingue le chercheur en science politique Frédéric Ramel, voir LabordeetRamel, 2020.

7 Descriptif d’Orpheus XXI sur le site Web du projet : https://orpheus21.eu/fr/descriptif-du-projet/, consulté le 20 mars 2022.

8 Ce que je propose de traduire par « La musique ancienne repensée ». Les traductions sont de moi.

9 La brochure « La musique dans tous ses éclats » de l’Institut du Monde arabe, réalisée par Radhia Dziri et Christian Poché, décrit le oud comme un «

10 Voir la description du projet Migrants Music Manifesto sur le site Web de l’ENCC (European Network of Cultural Centres) : https://encc.eu/

11 Présentation de l’Alte Feuerwache Köln sur son site Web : https://altefeuerwachekoeln.de/uber-uns-2/, consulté le 16 novembre 2021.

12 Les trois autres orchestres sont l’ensemble Nouruz dirigé par le musicien Bassem Hawar, également directeur artistique du MMM Projektorchester

13 Les « Journées kurdes de l’art et de la culture ».

14 Le saz est un luth à manche long que l’on trouve notamment en Asie de l’Ouest.

15 Il utilise le mot « Volkstanz » en allemand.

16 « Heureusement, j’ai réussi mon bac dans cette situation de guerre. »

17 Voir notamment la « Fiche Pays Allemagne » de Migreurop : http://migreurop.org/IMG/pdf/fiche_pays_allemagne_2018_ok.pdf, consulté le 27 janvier

18 « C’était terrible, je n’avais rien à faire, je ne pouvais pas non plus jouer de la musique. »

19 En Allemagne, il faut obligatoirement s’enregistrer à la ville où l’on réside trois mois au plus tard après y être arrivé. Cette démarche

20 Voir notamment le communiqué du 18 février 2022 de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), « L’OIM s’inquiète de l’augmentation

21 Cf. « Country responsible for asylum application (Dublin Regulation) », disponible en ligne sur le site Web de la Commission européenne, URL :

22 « L’asile dans l’Église ». Voir cette page du site Web de l’association : https://www.kirchenasyl.de/herzlich-willkommen/welcome/, consultée le 30

23 Voir la page de présentation des recherches de Rose Campion sur le site Web de l’université d’Oxford : https://www.anthro.ox.ac.uk/people/

24 « Tous les musiciens sont en NRW. »

25 Site Web du Vokalmusikzentrum : https://www.vokalmusikzentrum.de/, consulté le 3 janvier 2023.

26 « Maintenant je m’amuse vraiment. »

27 Disponible en ligne sur le site Web de BR Klassik : https://www.br-klassik.de/video/

28 Présentation de Damaskino sur le site Musikwelten NRW: http://musikwelten-nrw.de/blogbeitrag/damaskino-ein-community-music-projekt-aus-essen/

29 « Musique pop kurde. »

30 Site du Landesmusikrat NRW : https://www.lmr-nrw.de/der-landesmusikrat/ueber-uns/1, consulté le 4 janvier 2023.

31 Vidéo présentant le projet, diffusée sur la chaîne YouTube de Rebal Alkhodari : https://www.youtube.com/watch?v=oCLq45gm8R8, consultée le 4 janvier

32 Landesmusikakademie NRW: https://www.instagram.com/landesmusikakademienrw/, consulté le 4 janvier 2023.

33 « Il ne s’agit pas seulement de faire de la musique, mais aussi de l’enseigner. »

34 « Ici, il n’y a pas d’espoir avec la musique. »

35 Je traduis depuis l’anglais.

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Notes

1 Je tiens à remercier le musicien Azad Helez pour sa confiance et sa relecture de ce texte.

2 Cf. Official Journal of the European Union, « Regulation (EU) No 1295/2013 of the European Parliament and the Council of 11 December 2013 establishing the Creative Europe Programme (2014 to 2020) and repealing Decisions No 1718/2006/EC and No 1041/2009/EC » [En ligne], URL : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:347:0221:0237:EN:PDF, p. 233, article 24, consulté le 4 mars 2022.

3 Europe Créative, appel à propositions EACEA/12/2016 : https://eacea.ec.europa.eu/sites/eacea-site/files/ce_ref_call_fr.pdf [lien rompu], consulté le 19 mai 2020.

4 Europe Créative, appel à propositions EACEA/12/2016, cf https://ec.europa.eu/migrant-integration/library-document/creative-europes-call-proposals-support-refugee-integration_en, consulté le 17 mai 2023.

5 Cf. « Creative Europe – Cross-sectoral strand, Quality note on selection, Call for proposals EACEA 12/2016 “Support for refugee integration projects” ».

6 Au sujet des trois formes de diplomatie culturelle que distingue le chercheur en science politique Frédéric Ramel, voir Laborde et Ramel, 2020.

7 Descriptif d’Orpheus XXI sur le site Web du projet : https://orpheus21.eu/fr/descriptif-du-projet/, consulté le 20 mars 2022.

8 Ce que je propose de traduire par « La musique ancienne repensée ». Les traductions sont de moi.

9 La brochure « La musique dans tous ses éclats » de l’Institut du Monde arabe, réalisée par Radhia Dziri et Christian Poché, décrit le oud comme un « luth à manche court et sans frettes monté d’une série de cordes doubles […] à la sonorité sensiblement grave [qui] apparaît au viie siècle dans la civilisation arabe » (p. 8).

10 Voir la description du projet Migrants Music Manifesto sur le site Web de l’ENCC (European Network of Cultural Centres) : https://encc.eu/activities/projects/migrants-music-manifesto, consulté le 28 juillet 2022.

11 Présentation de l’Alte Feuerwache Köln sur son site Web : https://altefeuerwachekoeln.de/uber-uns-2/, consulté le 16 novembre 2021.

12 Les trois autres orchestres sont l’ensemble Nouruz dirigé par le musicien Bassem Hawar, également directeur artistique du MMM Projektorchester, basé à Cologne (NRW) ; l’ensemble Migrantis Aves dirigé par Hindol Deb et également basé à Cologne (NRW) ; l’ensemble Refa, anciennement Refugees for Refugees, venu de la Belgique voisine (Bensignor, 2021).

13 Les « Journées kurdes de l’art et de la culture ».

14 Le saz est un luth à manche long que l’on trouve notamment en Asie de l’Ouest.

15 Il utilise le mot « Volkstanz » en allemand.

16 « Heureusement, j’ai réussi mon bac dans cette situation de guerre. »

17 Voir notamment la « Fiche Pays Allemagne » de Migreurop : http://migreurop.org/IMG/pdf/fiche_pays_allemagne_2018_ok.pdf, consulté le 27 janvier 2023.

18 « C’était terrible, je n’avais rien à faire, je ne pouvais pas non plus jouer de la musique. »

19 En Allemagne, il faut obligatoirement s’enregistrer à la ville où l’on réside trois mois au plus tard après y être arrivé. Cette démarche administrative est appelée « Anmeldung ».

20 Voir notamment le communiqué du 18 février 2022 de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), « L’OIM s’inquiète de l’augmentation des décès à la frontière entre la Grèce et la Turquie » [En ligne], URL : https://www.iom.int/fr/news/loim-sinquiete-de-laugmentation-des-deces-la-frontiere-entre-la-grece-et-la-turquie ; sur le site Infomigrants, « Le HCR s’inquiète de la “normalisation” des violences et des refoulements aux frontières de l’UE », publié le 21 février 2022, actualisé le 29 juillet 2022, URL : https://www.infomigrants.net/fr/post/38686/le-hcr-sinquiete-de-la-normalisation-des-violences-et-des-refoulements-aux-frontieres-de-lue, ou encore l’article de Charlotte Boitiaux, « Près de 40 000 migrants empêchés d’entrer en Grèce depuis la frontière terrestre turque en 2022 », publié le 30 mai 2022, actualisé le 29 juillet 2022 : https://www.infomigrants.net/fr/post/40837/pres-de-40-000-migrants-empeches-dentrer-en-grece-depuis-la-frontiere-terrestre-turque-en-2022 ; « Greece blocked 40,000 migrants at Evros this year », sur le site Web du journal The Guardian, 28 mai 2022, URL : https://guardian.ng/news/greece-blocked-40000-migrants-at-evros-this-year/ ; Jenniger Rankin, « Migrants face “unprecedented rise in violence” in EU borders, report finds », The Guardian [En ligne], 8 décembre 2022, URL : https://www.theguardian.com/law/2022/dec/08/migrants-face-unprecedented-rise-in-violence-in-eu-borders-report-finds.

21 Cf. « Country responsible for asylum application (Dublin Regulation) », disponible en ligne sur le site Web de la Commission européenne, URL : https://home-affairs.ec.europa.eu/policies/migration-and-asylum/common-european-asylum-system/country-responsible-asylum-application-dublin-regulation_en, consulté le 16 janvier 2023: « the Dublin System […] establishes the Member State responsible for examining an asylum application based primarily on the first point of irregular entry. »

22 « L’asile dans l’Église ». Voir cette page du site Web de l’association : https://www.kirchenasyl.de/herzlich-willkommen/welcome/, consultée le 30 décembre 2022.

23 Voir la page de présentation des recherches de Rose Campion sur le site Web de l’université d’Oxford : https://www.anthro.ox.ac.uk/people/rose-campion, consulté le 23 décembre 2022 ; je m’appuie également sur nos discussions.

24 « Tous les musiciens sont en NRW. »

25 Site Web du Vokalmusikzentrum : https://www.vokalmusikzentrum.de/, consulté le 3 janvier 2023.

26 « Maintenant je m’amuse vraiment. »

27 Disponible en ligne sur le site Web de BR Klassik : https://www.br-klassik.de/video/20220430-lange-nacht-der-alten-musik-one-world-konzert-video-couleur-orientale-100.html, consulté le 23 mai 2022.

28 Présentation de Damaskino sur le site Musikwelten NRW: http://musikwelten-nrw.de/blogbeitrag/damaskino-ein-community-music-projekt-aus-essen/, consultée le 31 janvier 2023.

29 « Musique pop kurde. »

30 Site du Landesmusikrat NRW : https://www.lmr-nrw.de/der-landesmusikrat/ueber-uns/1, consulté le 4 janvier 2023.

31 Vidéo présentant le projet, diffusée sur la chaîne YouTube de Rebal Alkhodari : https://www.youtube.com/watch?v=oCLq45gm8R8, consultée le 4 janvier 2023.

32 Landesmusikakademie NRW: https://www.instagram.com/landesmusikakademienrw/, consulté le 4 janvier 2023.

33 « Il ne s’agit pas seulement de faire de la musique, mais aussi de l’enseigner. »

34 « Ici, il n’y a pas d’espoir avec la musique. »

35 Je traduis depuis l’anglais.

Citer cet article

Référence électronique

Alicia Vogt, « Se professionnaliser dans l’exil par la musique. Le cas d’un musicien de l’orchestre Orpheus XXI (Jordi Savall) », Condition humaine / Conditions politiques [En ligne], 5 | 2023, mis en ligne le 20 avril 2023, consulté le 27 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=1041

Auteur

Alicia Vogt

Alicia Vogt est doctorante en anthropologie en cotutelle à l’EHESS de Paris (Centre Georg Simmel) et à l’Université Goethe de Francfort-sur-le-Main (Institut für Ethnologie). Dans le cadre de son doctorat, elle est aussi affiliée à l’Institut ARI du CNRS à Bayonne, fellow de l’Institut Convergences Migrations à Aubervilliers et associée au Centre Marc Bloch à Berlin. Elle travaille sur la musique et les migrations. Elle conduit sa thèse, qui porte sur les « Parcours, biographies, carrières des musiciens migrants de l’ensemble Orpheus XXI (Jordi Savall) », sous la direction de Denis Laborde (EHESS-CNRS) et Hans Peter Hahn (Goethe Universität).

Alicia Vogt is a doctoral student in anthropology at EHESS in Paris (Centre Georg Simmel) and at the Goethe University in Frankfurt am Main (Institut für Ethnologie). She is a doctoral student at the ARI-CNRS institute in Bayonne; she is also a fellow of the Institut Convergences Migrations in Aubervilliers and an associate doctoral student at the Centre Marc Bloch in Berlin. Her work focuses on music and migrations. She is currently conducting her doctoral research about the “Life paths (parcours), biographies and careers of the migrant musicians of the ensemble Orpheus XXI (Jordi Savall)” under the direction of Denis Laborde (EHESS-CNRS) and Hans Peter Hahn (Goethe Universität).