Faire silence

Approches interdisciplinaires d’une action qui ne dit pas son nom

  • Silence Making. Interdisciplinary approaches of an unnamed action
  • Silenciar. Aproximaciones interdisciplinares a acciones que no dicen su nombre

DOI : 10.56698/silences.117

L’introduction de ce numéro décrit la genèse du projet de recherche collectif sur le silence mené à l’École des hautes études en sciences sociales depuis 2020 dans le cadre de l’équipe international triennale « Arts et Intelligences du Silence ». Elle pose également les grandes lignes théoriques des recherches sur le silence dans le domaine des sciences humaines et sociales en signalant les contributions majeures qui en ont posé les bases. L’introduction propose enfin un bref survol des articles rassemblés dans le dossier, pointe les résultats les plus significatifs des études proposées par les auteurs et les autrices, et signale les directions dans lesquelles poursuivre les recherches.

The introduction to this issue describes the genesis of the collective research project on silence conducted at the École des hautes études en sciences sociales since 2020 as part of the three-year international team “Arts et Intelligences du Silence”. It also outlines the theoretical foundations of research on silence in the humanities and social sciences, highlighting the major contributions that have laid the groundwork. Finally, the introduction provides a brief overview of the articles in the dossier, highlights the most significant results of the studies proposed by the authors, and points the way for further research.

La introducción de este número describe la génesis del proyecto colectivo de investigación sobre el silencio llevado a cabo en la École des hautes études en sciences sociales desde 2020 en el marco del equipo internacional de tres años «Arts et Intelligences du Silence». También expone las principales líneas teóricas de la investigación sobre el silencio en las humanidades y las ciencias sociales, destacando las principales contribuciones que han sentado las bases. Por último, la introducción ofrece una breve panorámica de los artículos que componen el dossier, destaca los resultados más significativos de los estudios propuestos por los autores y señala el camino para futuras investigaciones.

Text

Est-ce que le silence existe1 ? Cette question paraît absurde tant ce mot envahit notre quotidien, retentissant dans les médias, brandi par les multiples voix qui veulent se faire entendre2, emprunté pour décrire des expériences d’une violence inouïe, qui n’a pas pu se dire au moment et là où elle s’est produite, mais qui a pourtant laissé des traces dans les vies et les corps qu’elle a affectés3… Le mot, oui, on l’entend partout, mais qu’en est-il de la « chose » ? Sait-on exactement et précisément à quel type d’expériences ou de pratiques on renvoie lorsqu’on parle de silence ? Tel est le premier objectif de ce dossier thématique : saisir ce substantif à partir du verbe, de l’action – du silence au faire silence – plutôt qu’utiliser un mot vide de sens, tant les significations qu’on lui attribue sont vagues, nombreuses et disparates. Au lieu que se référer à une « chose » dont l’existence est incertaine même pour ceux qui se sont employés à en faire l’objet d’une expérience de laboratoire4, les contributeurs de ce dossier se sont donnés pour consigne de ne pas essentialiser le silence comme quelque chose qui existerait en soi, en dehors des pratiques qui lui donnent corps et chair et le rendent expérimentable dans nos vies, ouvrant ainsi cet objet à l’enquête ethnographique et à ses exigences empiriques. Face à l’omniprésence de ce mot dans toutes ses déclinaisons et néologismes (« silencier », « silenciation », etc.) au sein du débat politique, scientifique et médiatique actuels, c’est donc l’absence relative d’une réflexion conduite à partir de cas minutieusement décrits qui a été le moteur de nos efforts d’observation, de description et d’analyse du silence comme pratique, faire ou savoir-faire.

Lorsque l’on essaye de dresser l’état de l’art d’un objet de recherche comme le silence, on est saisi par son caractère multiforme, en même temps que par la monotonie de ses approches. Certaines analyses pointent l’incertitude sur ce qu’il est lorsqu’elles tentent de le définir par rapport à ce qu’il n’est pas : le bruit, le son, la parole. D’autres tendent à l’associer à des domaines de recherche qui reviennent régulièrement : le silence du monde rural ; le silence comme forme de résistance passive à la communication avec l’État (omerta) ; le silence imposé comme forme de domination ; le silence comme vécu psychique individuel d’isolement et de repli sur soi ; le silence comme renoncement à la technologie… À tel point que le mot « silence » subsume tellement d’expériences, et si différentes entre elles, qu’il devient difficile de le définir précisément. Le philosophe italien Pier Aldo Rovatti théorise ce point, identifiant dans l’exercice du silence un moyen de disjoindre les mots des choses. Ainsi défini, le silence devient le berceau de l’oscillation permanente des signifiés5. Cette analyse philosophique justifie en elle-même l’amplitude du champ sémantique du silence. Il y aurait donc un isomorphisme (ou plutôt une confusion) entre l’objet de recherche et ses approches : puisque le silence disjoint les mots des choses, tous les liens de sens y sont possibles, expérimentables et expérimentés.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, lorsque l’historien des sensibilités Alain Corbin se donne comme objet d’étude le silence, il le situe dans « le lieu intérieur dont la parole émerge », en fait le siège de l’art, comme la peinture « parole de silence », le spatialise dans l’âme, le réfracte dans la nature, l’enferme dans la maison « tissée de silence », l’associe à l’amour en même temps qu’à la haine…6 Tout cela a quelque chose de vertigineux, d’autant que l’étendue temporelle est immense (« de la Renaissance jusqu’à nos jours »), les matériaux brassés, pour la plupart empruntés à la littérature, foisonnants, et les niveaux de discours disparates. L’ambition de ce dossier est bien plus modeste. Elle a dû se rétrécir en cours de route pour sacrifier la diversité des approches possibles à la rigueur d’un certain nombre de choix assumés comme tels, n’entendant donc pas épuiser toutes les possibilités théoriques ou thématiques pour saisir cet objet insaisissable.

Le premier est celui de considérer le silence comme une condition de notre présent, une donnée de notre quotidien, sans le regarder nostalgiquement comme quelque chose que nous avons perdu. C’est là une différence par rapport à d’autres projets d’» anthropologie du silence », eux-aussi fondés essentiellement sur des matériaux littéraires, où le silence apparaît comme une dimension de l’être à préserver d’une « modernité » qui le menace, à « retrouver » pour être plus ou être mieux7. Ce dossier est nourri d’enquêtes où le silence n’est pas traité comme le résidu archaïque d’un temps révolu, mais considéré comme un espace fréquenté tout aussi bien par les « modernes » que par les hommes et les femmes du Moyen Âge ou de l’époque byzantine. Il y a beaucoup de silence dans nos sociétés et notre modernité bruyantes, si l’on ne considère pas ce dernier comme l’envers du bruit mais comme « une certaine modalité du son », couplée avec « une certaine modalité du sens »8 déjà actives à d’autres époques de l’histoire. Nul « retour sur soi », nul « repli » dans une intimité où la personne s’élaborerait dans la rencontre avec la nature, l’espace domestique, l’être aimé ou Dieu9. Le silence est ici une pratique sociale à explorer dans le monde contemporain, avec des incursions dans le monde antique ou dans l’univers médiéval pour y vérifier les régimes de présence et d’action. C’est ainsi que nous avons entrepris d’explorer le silence, le « faire silence » ou le silence comme faire « d’une discipline à l’autre », de l’histoire à l’anthropologie en passant par la sociologie, la psychanalyse ou la philosophie de l’art, dans le prolongement et l’accomplissement de l’entreprise interdisciplinaire menée au sein de l’équipe internationale triennale « Arts et intelligences du silence »10.

Lorsque les études sur le silence ont abordé ce dernier comme pratique partagée plutôt que comme technique du soi, elles se sont penchées sur certaines catégories d’individus « silencieux » par antonomase, règle ou choix de vie, comme les moines. C’est pourquoi il nous a semblé essentiel d’introduire dans ce premier numéro de la revue interdisciplinaire Silence(s) un texte de Scott G. Bruce, l’un des plus grands spécialistes de cette question fondatrice pour l’étude du silence. On voit déjà dans son texte sur le rire et d’autres manifestations corporelles au Moyen Âge que le silence, même lorsqu’il est imposé par une règle, n’est jamais une essence que l’on pourrait définir au singulier, mais que des multiples silences modulent la vie au monastère selon les temps ou les lieux qu’ils investissent. Technique du corps que l’on retient, modalité de la parole que l’on contient, son usage sert aussi à éviter les vices et les écueils des mots dits, comme la médisance, pourvoyeuse de discorde. Dès le Moyen Âge, on reconnaît donc des vertus sociales au faire silence, que l’on retrouvera dans d’autres contextes plus modernes et moins attendus, décrits dans ce même dossier. Les travaux que des anthropologues du fait religieux ont consacrés à l’univers feutré des moniales ont montré eux aussi que, pour ces dernières, « faire le silence », le manufacturer dans l’espace du monastère, est une manière de contrôler son corps pour établir une connexion métaphysique avec le divin11. Les recherches sur le rapport entre maîtrise du langage, dont le silence est l’expression la plus accomplie, et maîtrise du corps, dont la règle monacale est le paradigme, vérifient ces hypothèses dans le passé, donnant sens à un projet d’anthropologie historique (du silence) que nos travaux ont voulu reprendre et faire revivre à l’École des hautes études en sciences sociales12. Mais ce numéro se propose aussi de désenclaver le silence, de le désarticuler du religieux auquel il est souvent associé pour l’explorer au sein d’autres univers où il est moins affiché comme un bien partagé, horizon de vie et norme collective réglant le quotidien dans ses moindres détails, bien qu’il soit tout aussi prégnant et structurant de savoir-faire, manières d’être au monde (ontologies) ou modalités d’agir. Ces univers, de la cour de Byzance aux planchers de danse de Paris et des banlieues parisiennes, sont réunis par le fait que les acteurs y mobilisent le silence comme « une des modalités de la parole »13, comme une forme d’action et un régime de langage14 pour faire autre chose que le silence. Il s’agira en l’occurrence de comprendre quoi pour saisir l’étendue de sa performativité.

Dans sa version la plus courante, celle qui suscite autant de reprises dans le monde social, le silence imposé (le « faire taire » ou la censure dans toutes ses formes) a déjà suscité des entreprises de recherche collectives15. Tel n’est pas le cas du taire comme faire ou savoir-faire impliquant des compétences spécifiques qui dépassent largement la simple résistance à l’usage de la parole souvent évoquée pour décrire le silence mafieux ou omerta16, et qui déploient le volet actif du verbe. Pour amorcer cette entreprise, il fallait tout d’abord prendre ses distances d’un ensemble d’approches conduisant à appréhender le silence comme une valeur négative, existant par soustraction17 : une parole qui s’absente, un bruit qui s’évapore, un vide cognitif, un « trou noir » dans l’espace interactionnel, un « blanc » dans la communication. Mais il fallait en même temps ne pas céder à la tentation, et à la facilité, de considérer le silence comme quelque chose qui est déjà là, soubassement de tout acte de langage qui viendrait s’y poser ou déposer. « Le silence est un artefact », comme le dit la philosophe et psychanalyste Catherine Perret dans ce dossier où sont proposés un ensemble de cas d’étude permettant d’observer le silence dans le cours même des actes et actions qui le font, en train de se faire, de le saisir dans de multiples pratiques (sociales, politiques, cliniques, artistiques) qui incarnent ce mot volubile, d’explorer, en même temps que sa dimension pragmatique, les problèmes concrets que cette exploration implique sur le plan de la méthodologie, voire de la déontologie de la recherche. Faire parler des univers silencieux par nature n’est-ce pas, en soi, une forme de violence ? Violence de la parole, et de la parole scientifique que nous assumons de penser : cette exploration interdisciplinaire, c’est-à-dire conduite à partir des outils mis à disposition par chaque discipline - de l’histoire de l’art à l’ethnographie - pour penser le silence et le décrire a fait émerger la nécessité de réinvestir de façon réflexive et engagée cette notion par-delà les difficultés réelles à saisir ce qu’est « le silence », pour étudier l’ineffable, l’insaisissable, l’indicible et l’indescriptible qui sont précisément ses modes d’existence.

Des historiens de l’art du Moyen Âge ont entrepris d’étudier le silence comme un acte de communication à part entière, du geste muet du moine à la « parole silencieuse » qu’est la prière, langage spécifique de certaines situations liées en particulier au champ religieux, producteur de son propre régime sonore, fondateur d’une manière particulière d’être au monde, générateur d’un espace à la fois intérieur et extérieur, mental et architectural, intime et partagé. Dans ces études, le silence est décrit comme une « surface » où se produit la rencontre avec Dieu que le moine crée à l’intérieur, dans son cœur, à l’extérieur, dans l’espace monastique et plus particulièrement dans le cloître, et graphiquement, sur la page des livres religieux18. Le silence a aussi été décrit anthropologiquement comme événement cognitif qui façonne des phénomènes de violence politique et des rapports de pouvoir.19 On sait à quel point le dialogue entre anthropologie et histoire de l’art du Moyen Age a été fructueux pour renouveler l’appréhension de certains objets de recherche20. Parions sur le fait que le silence puisse constituer un nouvel objet interdisciplinaire en partage entre ces deux disciplines21. Pour l’heure, cette proposition théorique de « traiter le fait silence comme une positivité »22, de l’envisager comme « une des modalités de la parole »23, conduit non seulement à prendre en compte sa dimension créative - créatrice d’autres modes d’expression, d’autres modalités de communication, d’autres manières d’interagir - au lieu de le considérer comme un obstacle à la production du sens, mais aussi à renouveler notre regard sur un ensemble de faits esthétiques qui lui sont sémantiquement associés, comme ces lieux d’où l’image se dérobe, où elle semble se taire, disparaître et où, au contraire, l’absence d’écriture ou de figuration se présente comme une autre grammaire visuelle à traduire et à comprendre. Étudier le silence n’est pas étudier l’absence de langage, tout comme étudier le vide n’est pas étudier l’absence d’images : c’est tout l’apport des travaux de l’historienne Elina Gertsman24, qui invite à penser « en plein » ce que l’histoire de l’art avait longtemps considéré comme un « vide ».

Mais les stimulations intellectuelles à penser la dimension positive, et plus encore, performative du silence nous viennent également de l’anthropologie, et elles nous viennent de loin. Dans un article pionnier, intitulé « ‘To Give up on Words’. Silence on Western Apache Culture », publié en 1970, Keith Basso25 répertorie les « situations » et analyse les « contextes » dans lesquels les Apache retiennent volontairement leurs mots, identifiant dans cette retenue un véritable acte, un « acte de silence ». Il y a un demi-siècle déjà, l’anthropologue américain avait ouvert ainsi la voie à une exploration de la « performativité du silence » reprise dans des travaux sur la mafia26. Basso l’avait appelée de tous ses vœux en incitant à élargir à d’autres populations du monde le même type d’enquête et de questionnement sur le silence qu’il avait menés auprès des Indiens d’Amérique. Tout est déjà dans ce texte fondateur : l’attention aux codes comportementaux conduisant à choisir le silence plutôt que la parole comme forme de communication, car, comme dit la citation de l’anonyme en exergue de cet article : « It is not a case that a man who is silent says nothing » ; une interrogation sur la « fonction » du taire ; une analyse fine du type de relation impliquée par le choix de refreiner sa langue. Sont ainsi analysées des situations aussi délicates et périlleuses que peuvent l’être les relations entre étrangers, entre individus pris dans des rapports de force dyssymétriques ou entre jeunes hommes et jeunes femmes, là où les avances amoureuses vont de pair avec la continence des mots. Le silence comme réponse au caractère imprévisible et potentiellement dangereux de certaines interactions sociales montre déjà sa prégnance pour l’étude du politique. Le lecteur reconnaîtra la force de cette théorisation dans certaines situations analysées dans ce numéro, écartées dans l’espace et dans le temps, mais semblables dans leur forme, comme la rencontre d’individus de différents sexes et couleurs de peaux, ou le cérémonial de visite à l’empereur byzantin, deux moments d’incertitude et renégociation des statuts et des identités des participants plongés dans un silence « sidérant ».

Le questionnement anthropologique que nous a légué Keith Basso est ici mis au service d’une entreprise interdisciplinaire, convoquant l’histoire, la sociologie, la psychanalyse, la philosophie, la théorie de l’art pour atteindre une meilleure intelligibilité du silence comme faire. Mais l’intention commune est résolument « ethno-graphique », renvoyant à la description de pratiques situés dans l’espace et dans le temps : les pratiques volontaires, individuelles ou collectives du silence ont fait l’objet d’une série d’enquêtes où ce dernier n’a pas été considéré comme le reste fastidieux de disciplines qui fondent leurs procédés et procédures sur l’exercice réussi de la parole et de l’interaction langagière avec des interlocuteurs attitrés (qu’ils soient « informateurs » ou « patients »), mais a été placé au cœur d’une interrogation sur les conditions mêmes de la rencontre avec l’autre. Que se passe-t-il dans la vie lorsque celle-ci n’est pas médiée par la parole mais produite par le silence ? Cette question a conduit immanquablement à parler de ce qui est habituellement passé sous silence ou reste invisible dans les récits ethnographiques, comme la présence charnelle de l’anthropologue dans son terrain, avec son corps, ses pulsions, émotions, sensibilités, craintes ou désirs - les textes de Sarah Loze Privat, Véronique Béneï et Deborah Puccio-Den l’évoquent dans la diversité de leurs terrains.

Le désir ressenti ou nié sur le terrain peut soulever des questions éclairantes pour construire un savoir anthropologique conscient des positions respectives de l’enquêteur et de l’enquêté27. Sont ainsi touchées des questions taboues comme la sexualité et la couleur de la peau, en même temps qu’on dévoile les conditions de production d’un savoir sur l’autre qui laisse le « soi » dans un « silence assourdissant ». Le texte de Jean-Luc Bonniol sur « Le silence de la race » reprend ces questions à partir de l’expérience d’un anthropologue qui les étudie depuis de longues années, non seulement dans sa production scientifique28, au croisement entre histoire, anthropologie et études génétiques, mais aussi pour les rôles et places que ce chercheur, professeur émérite aujourd’hui, a joués et occupés dans plusieurs commissions d’enquête sur la question épineuse de savoir si oui ou non il fallait nommer la « race », au moins comme catégorie analytique, ou si ce simple acte de nomination ne conduit pas à essentialiser et naturaliser quelque chose qui n’existe pas29. Cette fois, c’est la dimension diachronique du silence sur la « race » qu’il fait apparaître traquant au long cours de l’histoire les stratégies de la dissimulation et « silenciation » de ce qui est perçu, socialement et individuellement, comme une différence (physique), mais qui n’est en réalité qu’un levier puissant pour naturaliser des relations de pouvoir, de subordination et d’exclusion. L’auteur fait aussi une incursion dans la littérature et dans le cinéma mettant en scène des vies sous le sceau du silence sur sa « vraie » couleur, marque invisible d’une descendance « noire » dont même le corps a perdu mémoire, mais qui perdure dans la conscience, et dans une mémoire collective qui sait la reconnaître. Puis une nouvelle grammaire républicaine impose un silence de façade sur la race, pour lequel on pourrait appliquer la formule « ne pas en parler, mais y penser très fort ». Invisibilisées dans le langage, les différences, avec leur lot de discriminations, persistent dans la pensée, alors même que les ruptures de silence où la « couleur » est revendiquée comme une marque identitaire font réapparaître le fantôme de la « race » lui donnant, par la performativité de la parole, une consistance nouvelle.

Quels enjeux « raciaux » traversent silencieusement les pratiques sociales d’aujourd’hui, et précisément celles que l’on voudrait à l’abri de ce type de discours, les pratiques artistiques, de danses et musiques qui utilisent la grammaire politiquement correcte du « métissage » ? Pour aborder cette question au-delà des mots des acteurs reproduisant immanquablement ce registre de la rencontre heureuse entre cultures, il fallait un autre acte de dévoilement prenant volontairement la mesure des effets de positionnement en termes de sexe, classe sociale et couleur de la peau dans son terrain, comme tente de le faire Deborah Puccio-Den. L’enjeu de cette levée de silence est de taille et dépasse même la question de la « race », car comme l’affirme Don Kulick : « …en définissant a priori le sexe comme interdit aux chercheurs, les anthropologues ont généré un silence ; une sorte de silence rempli de sens qui pourrait être analysé, dans un esprit foucaldien, comme faisant partie intégrale des stratégies qui sous-tendent les prétentions anthropologiques à l’autorité »30. « Prendre au sérieux » ces silences et en faire l’objet même de l’enquête amène à produire un savoir critique sur les fondements de notre discipline, quitte à écorner les postures d’autorité qui l’ont fondée et légitimée, et à réfléchir à nouveaux frais sur les enjeux de pouvoir impliqués dans la relation ethnographique lorsque celle-ci passe sous silence l’essentiel : qui nous sommes, qui est l’autre ? La portée de cette opération critique est double car elle ne s’attèle pas seulement à « théoriser à partir du moi », de ce moi qui est nécessairement impliqué dans l’entreprise de connaissance de l’autre, mais aussi à « théoriser le moi ».

Choisir le silence comme objet d’étude conduit à redéfinir les frontières entre soi-même et l’autre, remettant ainsi en cause les conceptions du soi comme une entité bien délimitée et circonscrite. Non seulement nous savons en tant qu’anthropologues que l’étendue de cette entité dépend des sociétés et des « cultures »31, mais il semblerait aussi que ces frontières soient différemment modulées selon qu’on utilise la parole ou le silence comme vecteur de communication. Certains groupes silencieux, comme les mafieux qui s’autoreprésentent dans le « nous » impersonnel d’une « chose nôtre » (Cosa Nostra), le suggèrent32, et l’exemple du « geste nôtre » que le pédagogue Fernand Deligny instaure pour communiquer avec les enfants « autistes » (d’une certaine manière, et qui n’est pas la nôtre, justement) semble le confirmer. Comme l’affirme Catherine Perret dans son article, faire silence devient un moyen expérimenté pour « produire les conditions d’une autre articulation du lien que la langue ». D’autres modalités relationnelles deviennent alors possibles, tout comme celles nouées à Paris et en banlieue parisienne entre les danseurs (« noirs ») et les danseuses (« blanches ») de kizomba qui s’abstiennent de mots pour raconter leur vie mais la dansent, silencieusement, tissant la trame d’un lien qui va au-delà de la parole, et peut-être même du dicible. Ce lien, autre et primordial, passe par la corporéité du geste, la surface haptique du toucher, la sensibilité du mouvement. Le silence devient ainsi une surface sensible du réel, un tissu continu comblant les discontinuités de la parole et du social.

Cette possibilité de communiquer par le corps et le geste, silencieusement, et de fonder sur ce silence, et non sur son abolition, une clinique (une « clinique du silence » dit Catherine Perret) renverse la perspective logocentrique de la cure et des sciences sociales qui, dans leur effort de raconter ou remémorer les événements en ce qu’ils ont de plus traumatique, sont parfois elles aussi présentées comme des cures ou des thérapies sociales. Dans son article « Toward an ethnography of silence », l’anthropologue israélienne Carol Kidron souligne l’écart entre le discours académique (qui renvoie le silence au domaine du pathologique, dans le royaume du traumatisme à dépasser par une parole à valeur thérapeutique) et la vie quotidienne des descendants des survivants de l’Holocauste où tout ne se transmet pas par la langue. Certains vécus traumatiques passent par le corps qui les garde silencieusement comme traces d’une violence que la mémoire élabore autrement que par les mots : les non-dits, les implicites, le savoir tacite du génocide inscrit sur la peau ou dans les objets domestiques, font eux aussi leur travail. C’est alors une nouvelle épistémologie qu’il faut mettre en place pour comprendre le travail de cette mémoire silencieuse et incarnée : une « épistémologie du silence »33.

Le paradigme logocentrique, affirme Kidron, associe le bien-être humain à la libération de la voix, négligeant le silence comme moyen efficace d’expression, de communication et de transmission du savoir. Dans le domaine de la psychologie en particulier, le silence est considéré comme un défaut, un manque de « mots » pour dire les « maux » qui nous affectent, une absence dysfonctionnelle en attente d’une restauration salvifique de la parole. Psychologues et chercheurs en sciences sociales, tout comme les historiens de l’Holocauste, se sont donné comme mission de délivrer la mémoire de la prison du silence, écartant ainsi d’autres manières de faire mémoire qui s’appuient sur des ressorts non langagiers34. Par son caractère non verbal, l’interaction entre les survivants et leurs descendants de la Shoah est une forme de communication « non positiviste »35, permettant d’accéder à un savoir qui n’essaie pas de comprendre ni d’expliquer le monde mais, en prenant appui sur un ensemble de ressorts « tacites », y rendre possible la vie, y aménager des formes de survie pour des catégories d’humains qui ne structurent pas leur expérience uniquement par le langage verbal et la représentation nominale du vécu. Ces perspectives croisent celles déployées par l’article de Catherine Perret dans ce dossier, dont le point de départ est la méprise, et parfois le mépris, des psychologues et cliniciens traitant les troubles des enfants dits « autistes », intraitables par le langage, et sur la « tentative » du pédagogue Fernand Deligny d’instaurer des bribes de rencontre, ou « pas tout à fait », à l’endroit où des pas se croisent (comme dans une danse), là où quelques interactions avec des objets ou de la nourriture peuvent advenir, mouvements tracés et retracés par des dispositifs gardant mémoire de ces rapports au monde hors de la parole, de ces gestes créant dans leur répétition un espace commun - un « milieu » - habité par le silence.

Les anthropologues ont été confrontés au silence dès leurs premières expériences de terrain ; au silence des acteurs, déjoués de multiples manières, et par diverses ruses, mais aussi à notre propre silence. Nous avons fait silence sur nos véritables intentions, comme nos interlocuteurs ont tu les leurs, mais c’est ce silence qui a paradoxalement créé autre chose : une entente tacite, une négociation permanente sur un sens jamais fixé une fois pour toutes ou sur une relation qui n’est pas établie d’avance sur la base de mots échangés, un peu comme en amour, autre domaine du silence, autre espace où on ne peut pas tout dire. L’autocensure est en œuvre à tous les niveaux, de l’enquête à son journal, de la confidence à la publication, et c’est elle qui définit finalement l’objet de recherche en dessinant les limites à ne pas franchir36. Si le silence s’impose comme une thématique originale de recherche qui semble dire beaucoup de nos sociétés passées et présentes, de leurs configurations politiques et leurs expressions culturelles, sa problématisation est susceptible de nous conduire à porter un regard novateur, et parfois critique, sur les fondements épistémologiques des sciences sociales. Le projet intellectuel au cœur de ce dossier est donc bifide : une branche de l’exploration concerne le silence lui-même ; l’autre, réflexive, concerne ce qu’une question telle que le silence met en jeu dans la pratique ethnographique et scientifique.

Comme le dit Michael Naepels, la relation ethnographique « apparaît sur un fond de silence […] face à un ethnographe, posons qu’il y a toujours de bonnes raisons de se taire », et plus loin : « les silences amusés ou obstinés, les fins de non-recevoir font intégralement partie de la relation ethnographique : c’est donc bien l’évidence de la relation ou de l’interlocution ethnographique qui doit être questionnée »37. Notre questionnement dans ce dossier est plus radical. Il prend appui sur une réflexion épistémologique produite par Stephan Hirschauer. La collecte de données ethnographiques sur le terrain apparaît comme une sorte de combat livré au silence. Réfléchissant à la situation ethnographique, Michael Naepels remarque : « Plus on s’avance vers un savoir privé, mettant en cause l’identité ou le statut de nos interlocuteurs, plus leur réticence est susceptible de croître et la tension de grandir. La méthode ethnographique serait alors de l’ordre d’un savoir-faire, d’une maïeutique, d’une technique de séduction, destiné à convaincre les personnes que nous rencontrons de délivrer les informations qui nous importent »38. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause cette expérience à laquelle tout ethnologue sur le terrain s’est confronté. Il semble néanmoins que, par moments et sur certains terrains, nos efforts de « faire parler » nos interlocuteurs butent contre un problème de « sociologie du savoir », clairement exposé par le sociologue allemand dans son article « Puttings things into words » 39.

Ce problème a une double épaisseur : il concerne tout autant la description ethnographique que la collecte des matériaux, deux opérations impliquant la « verbalisation » de faits sociaux qui n’existent pas dans le réel sous forme de faits de langage ; ils y existent au contraire sous d’autres formes difficilement traduisibles dans le langage verbal. La question n’est pas seulement épistémologique, mais aussi ontologique : « mettant des mots sur des choses » qui « n’existent pas » dans le langage avant cette opération, les sciences sociales leur font subir une mutation qui n’est pas seulement de forme, mais de nature. Poser la question de l’écriture ethnographique en ces termes, à savoir du point de vue du « silence du social », conduit à remettre en cause la vision du monde social comme quelque chose qui doit nécessairement être décrit en termes discursifs, suivant la croyance positive que l’essentiel de la vie sociale se déroule essentiellement via la communication linguistique40. Ce postulat amène à écarter de l’espace de la connaissance ce qui advient de manière silencieuse ou dans d’autres registres expressifs, privilégiant ce qui peut être enregistré, transcrit ou mémorisé sous la forme de notes de terrain.

Rien que cette opération de transcription faisant partie de nos routines de travail, à laquelle nous sommes tellement accoutumés qu’elle nous paraît tout à fait anodine - inscrire sur le papier un fait social qui aurait pu se passer une seule fois, le rendre consultable à loisir, disponible à tout moment - le modifie. Ainsi saisi, « gelé » (frozen), l’évènement est très différent de ce qu’il était à l’origine : un fait éphémère, quelque chose qui advient, qui se passe et qui passe, sans laisser des traces dans la plupart des cas41. Une ethnographie de la danse ne peut se passer de ce type de questionnement. Mais que dire des entretiens, une pratique ethnographique qui a le pouvoir de produire « des conversations qui dans la vie quotidienne n’existent pas, n’ont jamais existé ? »42 Ici, c’est l’enregistrement qui produit un « original », fabrique l’événement, le réifie, en fait une fiction ex-post validant le savoir sociologique. Le texte de Véronique Béneï contourne cet écueil, fondé comme il l’est essentiellement sur des conversations à magnétophone éteint, là où le silence se distille en confidences que seule une pratique du terrain longue et réitérée permet de recueillir. Les analyses d’Elisabeth Anstett affichent quant à elles toute la difficulté à construire des descriptions là où le silence comme marque d’une violence politique radicale a effectué son travail d’effacement.

La foi en la verbalisation repose sur la conviction que les événements existent quelque part, d’une manière ou d’une autre, et qu’ils n’attendent qu’à être traduits d’un langage à l’autre, de l’oralité à l’écriture, pour entrer dans le royaume des données scientifiques. Cette croyance est accompagnée par une autre, tout aussi naïve : que nos informateurs nous feront accéder par le biais de ces opérations langagières à leur « vérité » ou à leur vision du monde43. Et quand nos « interlocuteurs » manquent de mots, tout simplement parce que les expériences qu’on leur demande de raconter se sont passées dans un espace de leur vie et de leur cerveau où les mots ne sont pas support de représentations, on imagine quelque défaillance de leur mémoire, ou on les soupçonne d’une incompétence linguistique (après tout, ils maîtrisent moins bien la langue que nous…). Les travaux des historiens participant de ce dossier vont à l’encontre de cette naïveté interrogeant d’autres sources, non discursives, comme les images donnant accès à un univers non-dit de pratiques du silence (Scott G. Bruce) et du pouvoir (Marie Emmanuelle Torres). Ils s’attachent également aux sources textuelles (règles monastiques et constitutions protocolaires) dont le sujet est précisément (et de façon paradoxale) de parler du silence avant qu’il advienne ou pour le faire advenir ; de le régler, de le justifier, de produire normes et gloses. En anthropologie, des travaux ont déjà été consacrés à l’indicible d’expériences de violence extrême et de vécus traumatiques44. La sensibilité, la prudence et la délicatesse avec laquelle Sarah Privat Lozé a conduit ses interviews avec les victimes des Khmers rouges ont non seulement garanti le respect du seuil de l’indicible ; elles lui ont aussi permis d’accéder à l’irreprésentable et aux manières dont il a pu se dire en cette circonstance si particulière qu’est l’entretien ethnographique.

Il y a donc bien une discrépance entre l’objet silence et les moyens de l’atteindre. Un silence intraduisible, irréductible, tenace demande des enquêtes tout aussi tenaces. Les analyses d’Elisabeth Anstett affichent toute la difficulté qu’ont les anthropologues à produire des descriptions des violences de masse là où le silence comme marque d’une destruction radicale (des corps, des mots, de tout signe de vie) a effectué son travail d’effacement. Il faut alors recourir à la démarche interdisciplinaire faisant appel à ceux qui savent lire et déchiffrer ce qui reste (médecins légistes, archéologues, géographes, psychothérapeutes…), ce qui fait trace de ce qu’on a fait silence. Geste politique car faire parler, après-coup, ces rémanences de la violence signifie dénoncer les actes de silence (faire taire) qui les ont précédées. L’article de Véronique Béneï se présente comme un récit de terrain ou de « retour » sur un terrain silencieux qui ne se laisse saisir que dans « l’après-coup », ce temps où certains silences sur les violences subies ou craintes se lèvent, d’autres perdurent, opiniâtres, montrant leur capacité à inscrire dans un quotidien en apparence banal l’atrocité d’une guerilla qui n’en finit pas de le hanter. Ce ne sont pas seulement les non-dits qui le disent, les blancs de l’interaction ethnographique ; ce sont aussi ces mots, tout à fait ordinaires eux aussi, qui font planer la menace45. La vie reste alors suspendue à ces paroles de mort non prononcées. Jeanne Favret-Saada signalait déjà, dans ses enquêtes sur la sorcellerie dans le bocage, que dans le silence des échanges avec ses interlocuteurs, c’était la violence de ce qui n’était pas dit qui émergeait avec rage46. Reste à comprendre comment traiter la violence de ce qui n’est pas exprimé dans l’interaction ethnographique, tout comme celle implicite dans les aveux de ceux qui semblent n’avoir rien à dire, « ou si peu »47 sur les actes d’une atrocité hors norme qui leur sont imputés.

Dans son article sur la fabrique et la pratique du silence dans le Cambodge dévasté par les violences du régime des Khmers rouges, Sarah Privat Lozé ne choisit pas d’étudier ces opérations de silenciation radicale qui complètent le génocide par une éradication de la langue et un anéantissement de la pensée ; elle tourne son regard vers ce que devient la parole « en creux » des victimes, génératrice d’un nouveau langage qui, d’être silencieux, n’en est pas moins puissant. Par ce souffle silencieux que l’ethnologue écoute, suit et restitue, la vie circule encore, mêlée parfois à la mort. Dans ce terrain, l’ethnologue doit faire face non pas à des résistances à l’interlocution, mais à d’autres modalités de parole : geste de la main portée à la bouche, cri qu’on n’arrive pas à retenir, interruption de l’entretien ethnographique, mise en suspens d’une parole qui semble dangereuse, refus de nommer, évitement du « je ». De contrainte, le silence se métamorphose alors en ressource. Là où la terreur est une affaire de parole et d’écriture (la menace de mort proférée, la lecture des noms des morts à venir, le fichage, le listage, la désignation comme traître qui annonce la mort, la parole imprudemment livrée à l’espion qui voue à la mort), le silence protège. Et l’ethnographe, stylo et carnet à la main, risque d’éveiller ces peurs des mots qui tuent. Et elle se retient. Les témoignages qu’elle recompose en récit, « corps du silence », donnent à voir et à entendre le paysage sonore de l’horreur, milieu d’un silence dense de bruits inarticulés qui évoquent incessamment la présence de la mort et qui laissent littéralement « sans mots ». Ses descriptions au plus près des gestes menus et furtifs par lesquels certains ont pu survivre nous renseignent sur ce qu’est vivre silencieusement, subrepticement, montrant ainsi que le silence est autant une modalité d’être au monde qu’un régime d’action. Rester en silence devient ici un acte politique d’opposition à la mise à mort par la parole, un silence dont la force vivifiante défie la terreur.

Nouveau paysage déclinant dans ce dossier la sonorité du silence, la cour de Byzance, admirablement décrite par l’historienne Marie-Emmanuelle Torres. Des historiens de l’Antiquité se sont interrogés sur la place du silence dans le discours politique48. Cette même dimension a été examinée dans un numéro consacré aux usages et interprétations du silence dans le discours politique contemporain. Mais ce qui nous occupe dans ce numéro, ce n’est pas tant « Ce que se taire veut dire »49, c’est plutôt ce que taire peut faire. En histoire, cela amène à s’intéresser à « une pragmatique du silence », une pragmatique « codifiée, voire dramatisée, qui détermine une hiérarchie sociale de ceux qui se taisent ou de ceux qui font taire »50. L’empereur byzantin impose, et s’impose par une parade du silence qui redistribue les valeurs, redessine l’architecture du palais et ses hiérarchies, crée la distance nécessaire à produire cette « sidération » qui est le propre de l’apparition de la divinité, suscitant dans les spectateurs du rituel une admiration extasiée qui confine à la terreur. Dans cet espace épuré par le silence, le mot est profanation. On perçoit tous les enjeux politiques de cette fantasmagorie du pouvoir d’un homme se faisant image, qui fascine en se dérobant, qui renonce aux attributs de l’humain (la voix, la parole, et finalement le corps) pour mimer le Dieu. Si on les perçoit, c’est parce que les hommes du temps les perçoivent, savent les lire dans les modulations d’un silence aussi tonitruant que les bruits qui le font exister par contraste - montrant une fois de plus que le silence n’existe pas par privation de son ; au contraire, ce dernier le renforce51. On déduit la force du silence des « ratés » du rituel. Lorsque les Latins sont reçus à la cour et, ne connaissant pas les normes sonores locales, ils osent adresser la parole à l’empereur, cela est vécu et rapporté comme une provocation dangereuse : cette rupture du silence cérémoniel risque d’étioler l’aura impériale - montrant qu’à cette époque déjà, le silence est un code. Il fallait non seulement se mettre à l’écoute de ce silence, raconté par ces voyageurs extasiés ou terrifiés face à l’empereur muet, mais aussi le lire dans les figurations qui en sont restées, où les instruments musicaux n’apparaissent que pour l’amplifier.

La proposition d’écouter le silence des autres est porteuse d’un véritable projet politique, anticipé par la Muted Groups Theory au milieu des années 197052. S’inscrivant dans le tournant féministe, cette théorie pointe une question de grande actualité : quels mots peuvent trouver les « dominés » pour s’exprimer, si ce n’est ceux qu’ils trouvent dans le langage fabriqué par les « dominants » ? Deux textes montrent comment le choix de sortir un objet du silence qui l’entoure est déjà politique. Le premier - dans la rubrique « Varia » pour marquer le déplacement de l’objet aux méthodes - est celui de la jeune chercheuse Lola Mégean, qui a entrepris d’étudier la part cachée des métiers du sexe, cette clientèle féminine qui se dérobe même dans la littérature en sciences sociales, et qui existe subrepticement, entre non-dits et impensés. L’ethnologue reprend ici le fil rouge qui entremêle silence et désir, traquant cette le désir des femmes qui ne sont plus désirées, un désir qui ne pouvant pas se dire au sein du couple, ni dans l’environnement familial, ni à la société, reste piégé dans les plis de l’être, délégitimé à jamais. L’écoute de l’ethnographe du silence sert d’exutoire pour cette parole si difficile à obtenir, lui donnant une légitimité nouvelle, et un espace dans la cité. Le deuxième texte est celui de l’artiste Philippe Dollo qui est allé photographier les indices, traces et signes du « Silencio » porté sur la guerre civile espagnole, depuis que la loi de l’amnistie votée en 1977 (à la sortie de la dictature franquiste et peu après la mort du Caudillo) en a refoulé les violences dans les territoires d’un oubli forcé. Publié dans la rubrique « Carte blanche », le récit de cette enquête photographique porte en germe le projet même de notre revue Silence(s) de faire dialoguer les sciences sociales avec l’art, ou plutôt les arts dans leur dimension plurielle.

Ainsi, et pour conclure, les textes réunis dans ce premier numéro double de notre revue interdisciplinaire Silence(s) sont traversés par une intention commune : faire bouger les lignes de frontière entre les disciplines en même temps que les partages qui les structurent de l’intérieur, comme celui qui voudrait que le silence soit, toujours et en toutes circonstances, un exercice de domination que toute pensée critique se devrait de dévoiler et dénoncer. Dans ce dossier, ce sont les revirements possibles de cette situation qui nous intéressent, en ce qu’ils sont susceptibles de dynamiser le schéma habituel « silence des dominés », « langage des dominants ». Et si le silence était une autre modalité de la parole par laquelle les dominés tentent de renverser le rapport de force instauré par les dominants ? Le travail des moniales sur les reliques53 est un exemple emblématique de la manipulation silencieuse des traces ou « restes » du divin par des femmes qui instaurent, par ce biais, les conditions d’un lien privilégié avec un ordre (métaphysique) dont elles sont exclues par la hiérarchie ecclésiastique masculine. Le silence ne serait-il donc pas l’art de s’approprier des pouvoirs de ceux et celles qui n’ont, à véritablement parler, pas de pouvoir ? Si c’était le cas, cet objet pourrait nous conduire à revisiter une théorie de la domination en partie fondée sur une théorie du langage54.

Bibliography

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Notes

1 La matrice intellectuelle de cette réflexion conjointe se trouve dans deux ouvrages sur le silence des deux auteurs de cette introduction : Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, et Deborah Puccio-Den, Mafiacraft. An ethnography of deadly silence, Chicago, University of Chicago Press, 2021 ; en ligne. Si l’historien s’est interrogé sur le silence dans l’art du Moyen Âge comme modalité d’interaction et d’expérimentation de l’invisible et du divin, l’anthropologue a étudié les modes de validation sociales de l’existence d’une chose, la « mafia », longtemps restée invisible et silencieuse. Sur ce dernier point, voir aussi Deborah Puccio-Den, « Invisible Things », HAU Journal of Ethnographic Theory, 2019, 9, 3, p. 642-649 ; En ligne. Return to text

2 On pense, bien sûr, au mouvement Metoo et aux nombreuses « victimes » qui ont « brisé le silence ». Cette exigence de rompre quelque chose qui serait de l’ordre d’une essence apparaît dans les titres de nombreux ouvrages, comme The Silence Breakers and the #MeToo Movement de D. Harris et R. Morris, ou #METOO. Viol. Briser le silence, de C. Van Loey. Return to text

3 Bien des films documentaires ont admirablement traité cette question. Nous n’en mentionnerons que deux : Le silence des autres (Robert Bahar et Almudena Carracedo, 2019) sur les violences infligées aux Républicains pendant la guerre civile espagnole, étouffées pendant la dictature franquiste avant d’être amnistiées par l’État républicain et tomber dans l’espace d’un oubli institutionnalisé ; le reportage ARTE Le silence des mots (Gaël Faye et Michaël Sztanze, 2022) qui raconte le génocide au Rwanda, perpétré aussi par le viol, à travers « des récits dont les mots sont des silences ». Du côté des films, là encore la liste serait longue, nous nous limiterons à mentionner celui de François Ozon, Grâce à Dieu, qui relate le combat judiciaire mené par des victimes d’abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique en France, par sa forme même d’enquête, et par les temporalités des transitions du silence à la parole qu’il donne magistralement à voir. Return to text

4 Rappelons l’œuvre, devenue célèbre, 4‘33’’, soit « quatre-minutes trente-trois secondes de silence » interprétée à Woodstock, New York, le 29 août 1952, par le pianiste David Tudor. Son compositeur, le musicien John Cage, avait préalablement visité la chambre insonorisée de l’université Harvard et y avait expérimenté l’impossibilité du silence comme absence absolue de sons, l’insonorisation rendant perceptibles et amplifiant même les bruits de son propre corps. Return to text

5 Pier Aldo Rovatti, L’esercizio del silenzio, Milan, Raffaello Cortina Editore, 1992, p. 130. Return to text

6 Alain Corbin, Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016 [1994]. Return to text

7 David Le Breton, Du silence, Paris Métailié, 1997, p. 17 ; David Le Breton, « Anthropologie du silence », Théologiques, 7, 2, 1999, p. 11-28. Return to text

8 David Le Breton, Du silence, Paris Métailié, 1997, p. 150. Return to text

9 Alain Corbin, Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016 [1994]. Return to text

10 Sur les activités de cette équipe de l’EHESS dont les réflexions ont a constitué la matrice de ce dossier, mais aussi du projet de la création de la revue interdisciplinaire Silence(s), voir le carnet de recherche hypothèses : https://silences.hypotheses.org/. Return to text

11 Francesca Sbardella, « Ecouter, regarder, se taire : dialoguer dans la clôture », Terrain, 54, 2010, p. 141-151 ; Francesca Sbardella, Abitare il silenzio. Un’antropologa in clausura, Rome, Viella, 2015. Return to text

12 L’anthropologie historique a joué un rôle fondateur à l’EHESS nourrissant des débats interdisciplinaires de grande envergure, comme ceux qui ont été menés par l’historien Jean-Claude Schmitt autour de l’image au Moyen Âge ou par l’anthropologue Daniel Fabre autour de l’écriture. Return to text

13 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, p. 50. Return to text

14 Deborah Puccio-Den, « Mafiacraft. How to Do Things with Silence », Journal of Ethnographic Theory, 9, 3, 2019, p. 599-618, ici p. 600. Return to text

15 Voir, par exemple, le dossier « Censures » de la revue Terrain (72, 2019). Return to text

16 Maria Pia Di Bella, Dire ou taire en Sicile, Paris, Éditions du Félin, 2008. Return to text

17 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 11. Return to text

18 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 48 et p. 79. Return to text

19 Deborah Puccio-Den, Mafiacraft. An ethnography of deadly silence, Chicago, Chicago University Press, p. 2. Return to text

20 Voir note 12.  Return to text

21 C’est sur ce pari que s’est constituée au sein de l’EHESS l’équipe internationale triennale (EIT) « Arts et intelligences du silence », coordonnées par Vincent Debiais et Deborah Puccio-Den, réunissant essentiellement historiens et anthropologues français et étrangers ayant comme but de fabriquer les moyens d’un dialogue interdisciplinaire autour du silence (https://silences.hypotheses.org/). Return to text

22 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 11. Return to text

23 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 50. Return to text

24 Elina Gertsman, « Phantoms of Emptiness: The Space of the Imaginary in Late Medieval Art», Art History, 41-5, 2018, p. 800-837. Return to text

25 Keith Basso, « ‘To give up on words’: Silence in Western Apache culture », Southwestern Journal of Anthropology, 1970, 26, 3, p. 213-230 ; en ligne. Return to text

26 Deborah Puccio-Den, « Mafiacraft. How to Do Things with Silence », Journal of Ethnographic Theory, 9, 3, 2019, p. 615. Return to text

27 Don Kulick, « The sexual life of anthropologists: erotic subjectivity and ethnographic work », Don Kulick, Margaret Willson (dir.), Taboo, Sex, Identity and Erotic Subjectivity in Anthropological Fieldwork, London, Routledge, 1995, p. 15-16. Return to text

28 Rappelons l’ouvrage Jean-Luc Bonniol, La Couleur comme maléfice : Une illustration créole de la généalogie des “Blancs” et des “Noirs”, Paris, Albin Michel, 1992. Return to text

29 Sur cette question, voir aussi le dossier que la revue Droit & Société a consacré à la « Critical Race Theory » (108/2021). Return to text

30 Don Kulick, « The sexual life of anthropologists: erotic subjectivity and ethnographic work », Don Kulick, Margaret Willson (dir.), Taboo, Sex, Identity and Erotic Subjectivity in Anthropological Fieldwork, London, Routledge, 1995, p. 10. Return to text

31 Mary Douglas, Comment pensent les institutions, suivi de Il n’y a pas de don gratuit
et La connaissance de soi, Paris, La Découverte, 1999 ; le texte « La connaissance de soi », publié à la suite du livre Comment pensent les institutions, remet en cause le modèle durkheimien d’individu, montrant que le moi unitaire auquel les sciences sociales font généralement référence est une convention qui résulte du système culturel adopté. Return to text

32 Deborah Puccio-Den, « De l’honneur à la responsabilité », L’Homme, 223-224, 2017 ; en ligne. Return to text

33 Carol A. Kidron, « Toward an ethnography of Silence : The Lived Presence of the Past in the Everyday Life of Holocaust Trauma Survivors and Their Descendants in Israel », Current Anthropology, 50, 1, 2009, p. 5-27, ici p. 6. Return to text

34 Carol A. Kidron, « Toward an ethnography of Silence : The Lived Presence of the Past in the Everyday Life of Holocaust Trauma Survivors and Their Descendants in Israel », Current Anthropology, 50, 1, 2009, p. 5-27, ici p. 6. Return to text

35 Carol A. Kidron, « Toward an ethnography of Silence : The Lived Presence of the Past in the Everyday Life of Holocaust Trauma Survivors and Their Descendants in Israel », Current Anthropology, 50, 1, 2009, p. 5-27, ici p. 17. Return to text

36 Florence Weber, « L’enquête, la recherche et l’intime ou : pourquoi censurer son journal de terrain ? », Espaces Temps, 47-48, 1991, [Jacques Hoarau et Yveline Lévy-Piarroux (dir.) La fabrique des sciences sociales. Lectures d’une écriture], p. 71-81. Return to text

37 Michel Naepels, « Note sur la justification dans la relation ethnographique », Genèses, 64, 3, 2006, p. 110-123, ici p. 110-111. Return to text

38 Michel Naepels, « Une étrange étrangeté. Remarques sur la situation ethnographique », L’Homme, 38, 148, 1998, p. 185-199, ici p. 187. Return to text

39 Stefan Hirschauer, « Puttings things into words. Ethnographic Description and the Silence of the Social », Human Studies, 29, 4, 2006, p. 413-441. Return to text

40 Stefan Hirschauer, « Puttings things into words. Ethnographic Description and the Silence of the Social », Human Studies, 29, 4, 2006, p. 414. Return to text

41 Stefan Hirschauer, « Puttings things into words. Ethnographic Description and the Silence of the Social », Human Studies, 29, 4, 2006, p. 417. Return to text

42 Stefan Hirschauer, « Puttings things into words. Ethnographic Description and the Silence of the Social », Human Studies, 29, 4, 2006, p. 420. Return to text

43 Stefan Hirschauer, « Puttings things into words. Ethnographic Description and the Silence of the Social », Human Studies, 29, 4, 2006, p. 422. Return to text

44 Mots 56, 1998, « La Shoah, silence… et voix » (numéro sous la direction d’Anny Dayan-Rosenman). Return to text

45 Veena Das, Life and Words. Violence and the Descent into the Ordinary, Berkeley, University of California Press, 2007. Return to text

46 Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977, p. 10. Return to text

47 Richard Rechtman, La vie ordinaire des génocidaires, Paris, CNRS éditions, 2020, p. 40. Return to text

48 Silvia Montiglio, « Prises de paroles, prises de silence dans l’espace athénien », Politix, 26, 1994, p. 23-41. Return to text

49 Mots, les langages du politique, 103, 2013 [Denis Barbet, Jean-Paul Honoré (dir.), Ce que se taire veut dire. Expressions et usages politiques du silence]. Return to text

50 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 26. Return to text

51 Vincent Debiais, Le silence dans l’art, Paris, Éditions du Cerf, 2019, p. 193. Return to text

52 Shirley Ardener, « Introduction », Sirley Ardener (dir.), Perceiving Women, Londres, Malaby, 1975, p. 7. Return to text

53 Francesca Sbardella, « Écouter, regarder, se taire : dialoguer dans la clôture », Terrain, 54, 2010, p. 141-151. Return to text

54 Roland Barthes, Leçon inaugurale de la chaire de sémiologie littéraire au Collège de France prononcée le 7 janvier 1977, Paris, Seuil, 2005, p. 12. Return to text

References

Electronic reference

Deborah Puccio-Den and Vincent Debiais, « Faire silence », Silence(s) [Online], 1/2 | 2024, Online since 26 septembre 2024, connection on 16 janvier 2025. URL : https://revues.mshparisnord.fr/silences/index.php?id=117

Authors

Deborah Puccio-Den

Centre de Savoirs sur le Politique. Recherches et Analyses (EHESS-CNRS)

By this author

Vincent Debiais

Centre de recherches historiques (EHESS-CNRS)

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