Martyn Lyons, The Typewriter Century. A Cultural History of Writing Pratices

Toronto, University of Toronto Press, 2021.

Référence(s) :

Martyn Lyons, The Typewriter Century. A Cultural History of Writing Pratices, Toronto, University of Toronto Press, 2021, 266 p.

Texte

En 1940, afin de faire face à l’augmentation soutenue de son activité de critique littéraire, George Orwell décide de rédiger ses comptes rendus directement sur sa machine à écrire, sans brouillon ni plan préalables. Bernard Crick, auteur d’une biographie de référence à son sujet, estime que ce choix, initialement motivé par des impératifs alimentaires et de rapidité d’exécution, ne fut pas sans conséquence sur le style de ses articles, qui devint à la fois plus familier et plus vivant1. Martyn Lyons, historien bien connu du livre, de la lecture et de l’écriture, ne contestera pas une telle analyse puisque l’influence de la machine à écrire sur les pratiques d’écriture irrigue l’ensemble de son dernier livre : The Typewriter Century. A Cultural History of Writing Pratices.

Martyn Lyons explore la relation entre un auteur et sa machine à écrire, autrement dit, les différents effets générés par celle-ci sur la production littéraire. La machine à écrire peut ainsi contraindre à être précis, puisque les opérations de correction d’un texte tapuscrit sont fastidieuses. Cette compagne de l’écrivain est parfois source de frustration, quand devenue indispensable, elle s’avère difficile à transporter lors de voyages. Pour comprendre cette relation particulière entre un outil et son utilisateur, l’historien s’est notamment servi de témoignages d’écrivains sur leurs habitudes d’écriture. Pour certains, elle représente une opportunité intéressante, par exemple pour accélérer leur rythme de travail. Pour d’autres, elle est au contraire appréhendée avec méfiance, comme potentiellement non compatible avec un travail littéraire de haute volée. Pour autant, la machine à écrire ne remplace par l’écriture manuscrite. Martyn Lyons étudie ainsi la cohabitation entre machine à écrire, écriture manuscrite et dictée à un tiers. À ses débuts, l’arrivée de la machine à écrire suscite par exemple une nostalgie pour l’écriture manuelle.

Loin d’être réservée aux seuls écrivains, la machine à écrire constitue une révolution pour le quotidien de millions d’employés. Aujourd’hui jetée aux oubliettes de l’histoire par l’informatique et le traitement de texte, la machine à écrire a en son temps constitué un jalon important entre culture de l’imprimé et culture numérique. Martyn Lyons qualifie ainsi de « Typewriter Century » une période allant des années 1880, où Mark Twain est l’un des premiers à adopter ce nouvel outil, à la décennie 1980, date de l’avènement du traitement de texte et de la première composition informatique d’un roman, cette fois-ci par Len Deighton. Si elle n’a pas eu le même impact que l’invention de l’imprimerie, son influence s’est fait sentir de nombreuses manières. Pour en revenir à son effet sur la littérature, elle a permis une accélération de la production individuelle, tout comme la délégation d’une partie du travail d’auteur à des dactylographes professionnels – le plus souvent des femmes. Son effet sur le style reste plus difficile à prouver. Le lecteur contemporain n’est pas forcément conscient du recours à une machine à écrire lors de la rédaction du texte qu’il lit. Toutefois, pour Martyn Lyons, il serait dommageable de négliger ce facteur. Il cite Georges Simenon convaincu de l’influence de la machine à écrire sur son œuvre, au moins en termes quantitatifs.

Outre le grand auteur belge de romans policiers, l’historien se penche sur de nombreux écrivains et écrivaines : Henry James, Agatha Christie, Richmal Crompton, Enid Blyton, Barbara Taylor Bradford, Gordon Clive Bleeck, Erle Stanley Gardner, John Le Carré, Le Clézio, Jack Kerouac. Il revient sur l’invention (collective) de la machine à écrire, son perfectionnement et son influence, toujours visible sur nos claviers QWERTY et AZERTY. Il envisage ensuite la figure de la « sténo-dactylo » et la révolution générée par la machine à écrire dans le monde du bureau, parlant de « typosphere ».

Malgré la diversité des relations entretenues par les écrivains à leur machine à écrire, Martyn Lyons s’efforce de dégager une typologie de leurs principales modalités. Il oppose ainsi ce qu’il appelle le « distancing effect », c’est-à-dire l’impression d’éloignement généré par la machine à écrire entre un auteur et son texte, au « romantic typewriter ». L’outil joue alors un rôle libérateur pour l’écrivain, à l’image de Jack Kerouac et, de manière plus surprenante, d’Enid Blyton, la créatrice de « Oui-Oui » et du « Club des cinq ». Il revient également sur les relations entre manuscrit, machine à écrire et révision manuelle des tapuscrits. Enfin, à l’heure d’Internet et du traitement de texte – dont l’un des intérêts majeurs est la facilité de correction –, il aborde la nostalgie de la machine à écrire que cultivent certains auteurs, soit pour des raisons générationnelles (Paul Auster), soit pour lutter contre la distraction (Zadie Smith) ou même pour échapper à la surveillance numérique.

En dépit de ce que son sous-titre assez large pourrait laisser entendre, le propos de Martyn Lyons se concentre sur l’écriture littéraire, offrant une histoire littéraire enrichie par les apports d’une analyse attentive à la culture matérielle. Contrairement à l’un de ses précédents ouvrages2, il ne se penche guère sur des pratiques plus « ordinaires » d’écriture. Il aurait pu envisager l’impact de la machine à écrire sur les écrits administratifs, commerciaux ou judiciaires. En revanche, il propose des développements sur la machine à écrire comme « agent de changement » de la division sexuelle du travail au sein du monde des bureaux, ou comme révélatrice pour certaines écrivaines de la difficile conciliation entre leurs activités professionnelles et domestiques. L’intérêt majeur de son livre repose sur les nombreuses études de cas de la relation d’écrivains avec leur machine à écrire. Peu importe que les premiers soient inscrits dans des genres canoniques ou considérés comme plus « mineurs » (littérature jeunesse, roman policier). Voilà une histoire vivante de son appropriation, de ses usages, mais aussi de son influence littéraire.

1 Bernard Crick, George Orwell. A Life, Londres, Penguin, 1981, p. 389.

2 Martyn Lyons, The Writing Culture of Ordinary People in Europe, c.1860-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

Notes

1 Bernard Crick, George Orwell. A Life, Londres, Penguin, 1981, p. 389.

2 Martyn Lyons, The Writing Culture of Ordinary People in Europe, c.1860-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.

Citer cet article

Référence électronique

Benjamin Caraco, « Martyn Lyons, The Typewriter Century. A Cultural History of Writing Pratices », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=813

Auteur

Benjamin Caraco

Centre d’histoire sociale des mondes contemporains

Articles du même auteur