Le Festival des sciences sociales et des arts Jeu de l’oie1 est une initiative d’Aix-Marseille Université, lancée en 2019 en partenariat avec le Mucem – Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – pour contribuer à conforter la place des sciences sociales et des arts dans le dialogue avec la société, avec les citoyens, avec les autres disciplines de la communauté scientifique. Le festival a pris pour nom Jeu de l’oie, un jeu inventé à la fin du XVIe siècle, maintes fois reproduit et adapté aux évènements de l’histoire, et qui appartient désormais à un patrimoine partagé. Dans ce jeu, le hasard règne en maître car les dés et les aléas déterminent la marche des pièces. Son tracé en forme de spirale rappelle le labyrinthe à parcourir pour accéder métaphoriquement à la connaissance de soi et des autres. Ce festival, attaché à comprendre le jeu social et le monde, s’y réfère comme une nouvelle métamorphose.
Annonce de l’édition 2020 du festival.
Après une première édition en 20192 – dédiée justement aux multiples facettes du « Jeu » et à sa place incontournable dans l’histoire et les pratiques culturelles –, la seconde édition, prévue initialement en juin 2020, s’intitulait « Tout un monde en mouvement » et interrogeait au prisme des SHS la question des évolutions et mutations. Face aux circonstances de la pandémie, la thématique de l’édition 20203 du festival a finalement fait honneur à la mobilisation de chercheurs en sciences sociales ou d’artistes, une mobilisation tournée vers l’appréciation des expériences sociales du confinement du printemps 2020, ses impacts économiques et ses modes de traduction médiatique. Il apparaît aujourd’hui que cette implication de la communauté scientifique en SHS a témoigné d’un besoin d’engagement fort dans la compréhension de la crise sanitaire pour éclairer les citoyens sur les impacts de la pandémie et commencer à répondre aux interrogations sur le long terme. Il s’agissait lors de l’édition 2020 de rencontrer cette actualité prégnante.
Le Festival s’est donc adapté et a pris ses marques – comme bon nombre d’autres dispositifs culturels ou scientifiques – avec une deuxième édition 100 % numérique. Entre les 10 et 12 décembre, des échanges autour du thème « Confinement(s). Tout un monde à l’arrêt ? » – thématique choisie comme un clin d’œil au festival initial de « l’ancien monde » – sont venus éclairer des expositions thématiques virtuelles. Pendant trois jours, des rencontres et performances de chercheurs et artistes ont mis à profit la période de confinement(s) pour mener des réflexions originales et des expériences inédites qui répondaient aux nombreuses interrogations de notre société et font désormais traces sur le web. Le festival s’est présenté finalement sous un format virtuel qui donnait à voir, à lire, à entendre, à mettre en lumière des réflexions scientifiques, des expériences pédagogiques, des productions artistiques – des projets tous émanant de la période du confinement.
Cinq thèmes ont forgé la structure réflexive de l’événement :
1. Confinements au quotidien. Comment témoigner de ce temps suspendu du confinement ? Comment garder des traces pour le futur de ce moment singulier de notre vécu quotidien ? Que peut l’écriture pour raconter nos expériences singulières et l’ordinaire de nos vies ?
2. Performances pédagogiques. Comment assurer une continuité pédagogique à distance et comment garder du lien entre enseignants, élèves ou étudiants ? Quelles sont les propositions pédagogiques lorsque la présence n’est plus que virtuelle ? Est-il possible d’innover dans l’enseignement par écran(s) interposés ?
3. Impacts sur le territoire. Le confinement a-t-il modifié notre rapport aux territoires ? La ville de Marseille est-elle spécifique quant à l’impact de la crise et la gestion des morts sur les agglomérations urbaines ? Comment les sans-abris ont-ils résisté au confinement ? Comment les récits de la pandémie sont-ils perçus dans différents pays de la Méditerranée ?
4. Créations artistiques. Le confinement a-t-il inspiré les artistes ? Comment les institutions culturelles et artistiques ont-elles fait face au confinement ? L’art en quarantaine a-t-il fabriqué du lien entre les confinés ? Quels ont été les outils du numérique déployés au service de l’art ?
5. Interprétations et débats. Plus que jamais (ou presque), nos sociétés ont débattu, interprété, jugé souvent, ce temps de confinements. Comment les médias ont-ils traité de cette crise sanitaire ? Comment apprécier la profusion de données statistiques ou démographiques et leurs usages ? Qui a participé au débat d’idées et aux polémiques suscitées par le confinement ?
In fine, ce festival raconte à sa façon que l’année 2020 s’est déroulée comme un long pèlerinage vers l’incertitude, un temps où tout a vacillé, nos habitudes comme nos belles intentions, nos croyances illusoires en une science sans controverses ou encore notre hâte à fuir nos obligations face aux crises annoncées de cette petite planète. Il était presque plus simple de vivre dans la précipitation, emportés par nos vies réglées, que d’affronter cette année inattendue, jalonnée de mouvements de va-et-vient, d’instants de conscience de la futilité de l’existence humaine, de moments d’envie de changer de monde. L’année 2020, avec son rythme improbable de confinement et (re)confinement, a posé des questions collectives de santé publique, de responsabilités politiques ou de modèles économiques ; elle a peut-être appelé chacun de nous à ne plus faire semblant. À sa façon, en 2020, le Festival des sciences sociales et des arts – Jeu de l’Oie s’est emparé de ces moments de brusques confinements – ces « espace-temps » devenus presque familiers – pour en éclairer des expériences individuelles inédites, des partages de solidarités, des jubilations créatives, ou pour en décrypter la part des points de vue contradictoires, des doutes nécessaires et des débats à mener. Ce festival a tenu une fonction à la fois symbolique et incontournable : porter les sciences sociales et les arts sur le devant de la scène. Dans ce jeu de société, on a jeté les dés et on a contribué à réinventer le présent et l’avenir.
Parmi les projets présentés et pensés pour ce festival, la création chorégraphique, « Et … de revoir la couleur des coquelicots »4, a servi d’échappatoire et de réinvention de formes de sociabilité. Au-delà de l’importance de continuer à danser, il était primordial pour la chorégraphe de maintenir ce « mouvement », alors que le monde semblait être en pause. La question du détournement de ce temps de vulnérabilité par la créativité était aussi au cœur de la série photographique du duo d’artistes Hantu5 et de leur jeu ironique et carnavalesque autour du masque sanitaire et des identités détournées. Ce festival a également ouvert le champ des possibles et a fait surgir des formes de résistances – à l’instar de cette performance entre femmes scientifiques et femmes artistes en réaction face aux inégalités et violences conjugales6 –, a suscité des relectures des pratiques et rituels funéraires7, a conditionné des prises de conscience d’instabilités et inégalités préexistantes, amplifiés par la crise sanitaire8. Ainsi, l’espace public, pendant cette première période, a été pleinement associé à l’espace numérique9. Un espace numérique désacralisé, investi de manière polymorphe et inventive par tous les acteurs, dans un usage commun et banalisé. D’une certaine façon, ce format numérique du festival s’est révélé une adaptation salvatrice au confinement et peut-être, une forme de refus collectif de l’immobilisme.