L'espace public du confinement. Archives, participation et inclusion sociale

DOI : 10.56698/rhc.662

Résumé

À partir de mars 2020 en France, et partout dans le monde, des projets de collectes des traces du Covid-19 se sont multipliés. Il s'agissait de faire sens d'un événement pensé d'emblée comme « historique » en faisant place aux voix ordinaires et aux expériences vernaculaires afin de permettre la construction d'une mémoire et d'une résilience collectives. Cette attente citoyenne et politique n'a pourtant pas jusqu'ici donné lieu à une mise en perspective empirique. Cet article se propose d'étudier le profil sociologique des participants au défi participatif Vitrines en confinement afin d'identifier les cadres sociaux de cette mise en mémoire immédiate en situation de crise.

Index

Mots-clés

mémoire, Covid, résilience, participation, patrimoine

Plan

Texte

Au printemps 2020, en France comme dans le reste de l’Europe et du monde1, le déclanchement de la crise sanitaire et l’expérience du confinement qui s’en est suivie ont entrainé la mise en œuvre massive et généralisée de collectes de traces de cette période décrite d’emblée comme « historique ». Il s’agissait de préserver durablement l’éphémère, d’une part, de faire s’exprimer ce qui reste d’habitude de l’ordre du silencieux, voire de l’impensé, de l’autre. Cette dynamique sociale et cette mobilisation d’un secteur professionnel ont donné lieu à deux types d’initiatives.

Immédiatement, en conformité avec leur mission, la Bibliothèque nationale de France et l’Institut National de l’Audiovisuel se sont mobilisés pour collecter l’activité numérique. Ainsi le dépôt légal du web, les collectes de tweets comme celle des productions audiovisuelles ont été intensifiées et systématisées pour garder trace de la manière dont la société française vivait et réagissait à la pandémie et au confinement. Ces traces devenues archives existaient indépendamment de l’acte de collecte et dans un format nativement numérique : tweets, sites internet ou journaux télévisés auraient vu le jour que la BNF et l’INA aient pris l’initiative de les collecter ou pas. Il en va ainsi des collections de tweets contenant les #Covidmemory ou #mémoireenconfinement qui ont émergé immédiatement et de façon massive.

La crise sanitaire a toutefois, et dans un deuxième temps, généré un second type d’archives. Ici les traces devenues archives, le plus souvent des mises en récit d’expériences vécues, ont été très largement produites en réponse à la démarche même de collecte qui a pris la forme d’« appels à participation » et « à témoignages ». Préserver la « mémoire du Covid » et ses traces s’est imposé comme un impératif social pour une large diversité d’acteurs sociaux. Dans ce second cas, le numérique, dont l’usage n’a d’ailleurs pas été systématique, fut un outil de conservation parmi d’autres plutôt que la forme originelle de ce qu’il convenait de conserver.

Musées, bibliothèques, archives ainsi que des acteurs associatifs et d’entreprise se sont lancés dans la collecte d’objets, de récits, de photos, etc. La plupart de ces collectes concernait le vécu du confinement, les histoires individuelles, la dimension de la maison et de l’intime. En effet, l’expérience du confinement, liée à cette crise sanitaire, a orienté l’attention principalement vers les espaces intérieurs où les personnes ont passé leur temps du confinement. Comme conséquence, l’espace public a été vite oublié. Cependant, les rues et les places des villes, même si plus vides que d’habitude, ont été également témoin de cette phase historique. Cet article vise justement à s’intéresser aux traces laissées dans l’espace public et aux initiatives de collecte mémorielle qui ses sont chargées de construire des archives du confinement liées à ce type d’espace.

Le texte se concentrera sur la collecte « Vitrines en confinement ». Ce projet, lancé en avril 2020 par les auteurs de cet article, avait comme objectif initial de récolter des photos des affiches apposées sur les vitrines de boutiques fermées pour communiquer aux clients les raisons de la fermeture ou des messages de confort et de solidarité. Rapidement réapproprié par ses contributeurs, ce défi participatif est devenu pour les participants une occasion pour redécouvrir l’espace public. Des milliers de photos ont été publiées dans des dizaines de pays par des centaines de contributeurs. Dans ce qui suit, il ne s’agit pas d’analyser la collection d’images en tant que telle mais plutôt, et comme préalable indispensable, les cadres sociaux de l’acte même de collecte comme une première étape dans l’analyse réflexive de la mémorialisation immédiate en lien avec l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences.

Au-delà de la résilience : faire sens du Covid memory boom

Des initiatives de collecte de mémoire immédiate avaient déjà vu le jour dans la foulée des attentats de 2015 à Paris. Elles étaient alors centrées sur la question du traumatisme et par définition, limitées dans leur étendue, les événements en question étant localisés dans des espaces spécifiques et ayant visé des populations bien délimitées. La crise sanitaire a, elle, marqué l’entrée dans une nouvelle ère puisque, du confinement au décès, tout à chacun et chacune a fait l’expérience de l’épidémie dans ses conséquences non seulement sanitaires mais aussi sociales, privées comme publiques. Collecter des « témoignages », « journaux intimes », « récits », « photographies » et autres « objets » mais aussi des « rêves » et des « sons » est peu à peu devenu un impératif social. Le nombre d’acteurs sociaux impliqués dans cette mise en « patrimoine » et en « archives » du Covid n’a cessé de croitre. Une recherche réalisée, en juillet 2021, en Anglais, Français, Allemand, Italien et Espagnol, avec les mots clefs « mémoire », « archives », « musée », « patrimoine », « photographies », « témoignages », « récits » et « collectes » a mis en évidence qu’un minimum de 500 collectes de ce type avaient été mises en place depuis le début de la pandémie dans le monde. Certaines ont d’ailleurs été créées à distance des événements, à l’image de l’initiative de la MISHA de l’Université de Strasbourg, en mars 2021, « Confinement, un an après : mémoires déconfinées » qui s’interroge « Un an après, qu’avons-nous gardé du premier confinement ? »2

Par ces initiatives de collectes, il s’agissait alors, selon les cas, de préserver les « mémoires » pour documenter les « expériences vécues », les « histoires vernaculaires » et les « vues ordinaires ». Ainsi le 25 avril 2020, des chercheurs et archivistes francophones signent une tribune au titre significatif Covid-19: une mémoire ordinaire de l’extraordinaire : « L’enjeu est, enfin, de contribuer à la construction d’une mémoire « ordinaire », inclusive et citoyenne de la pandémie »3. Cette mise en archives généralisée s’est en effet vue parer d’emblée d’un rôle social et politique. Telle une catharsis, cette participation de tous et de chacune au patrimoine « national » de cette période « historique » était supposé renforcer la cohésion sociale et la solidarité nationale, pour aujourd’hui comme pour demain. Construites pour les générations futures, ces archives « citoyennes » du confinement étaient présentées par leurs initiateurs comme un moyen de dépasser l’événement, d’en construire une mémoire collective et d’en tirer les leçons pour l’avenir. C’est d’ailleurs une telle lecture du patrimoine et de la mise en mémoire qui transparaît en filigrane dans la lettre de mission de l’Institut Ad Memoriam institué par l’Etat français, à l’issue du confinement du printemps 2020, pour penser la commémoration et la mémoire partagée de la pandémie et construire notre « résilience collective »4.

Cette grille de lecture politique doit toutefois encore être éprouvée par la recherche empirique. Il convient de s’interroger sur le périmètre effectif de cette cohésion sociale et de cette mémoire collective dont ces collectes seraient le symptôme : qui sont les citoyens qui y ont participé en termes de genre, de génération, de statut conjugal ou parental, de lieu de résidence, de trajectoires, d’appartenances ethnique ou religieuse, de professions, de niveaux d’étude et de revenus, notamment ? Quelles sont les catégories de la population qui se trouvent absentes de ces collectes et ainsi possiblement exclus de la mémoire collective et du patrimoine national en construction ? Comprendre l’espace public du confinement c’est donc aussi faire la sociologie politique de ce que nous appellerons le Covid memory boom, en référence à la formule par laquelle l’anthropologue David Berliner avait qualifié, il y a maintenant quinze ans, l’explosion de la mémoire comme objet de recherche proprement dit pour les sciences sociales contemporaines5.

Vitrines en confinement : une étude de cas

Pour commencer à répondre à ces questions, cet article prend comme étude de cas le défi collaboratif #VitrinesEnConfinement / #VetrineInQuarantena / #WindowsInLockdown, qui, déployé en trois langues avait pour ambition de collecter les mots du confinement dans l’espace public en rassemblant des photographies des messages. Lors des brèves sorties autorisées, en France, en Italie et ailleurs, il était proposé à tous et toutes de prendre des photographies en gros plan et en mode paysage des messages apposés par les commerçants dans leurs vitrines, par les passants sur les murs de la ville ou par les habitants sur leurs balcons. Ensuite, ces photos devaient être publiées sur un des espaces numériques d’expression que nous avons proposé aux participants, Facebook, Twitter, Instagram et une cartographie collaborative, pour offrir à chaque participant un lieu où elle/il pourrait être à l’aise et construire du lien social6. A chaque fois, en plus de la photographie, il devait être précisé : la date de la prise de photographie, l’adresse complète et la nature du lieu (commerce / lieu public non commercial / fenêtre privée / graffiti), l’activité habituellement exercée en ce lieu (café, sport …) et si possible, la retranscription du texte de l’affichette. Le projet a rencontré un succès inattendu avec plus de 4000 images. Il se poursuit toujours à la date du 20 juillet 2021 et connaît un regain d’intérêt depuis le 1er novembre 2020, date à laquelle le groupe Facebook pour les seuls contributeurs francophones comptait plus de 1300 membres7.

Ce projet est né d’une double expérience de recherche. Sarah Gensburger est sociologue de la mémoire et résidente du boulevard Voltaire, aux abords du Bataclan. En 2015, après les attentats du 13 novembre, elle a ainsi vu son objet de recherche arriver en bas de chez elle. Cette expérience singulière a donné naissance à un travail d’observation quotidienne de l’espace public dans la suite de l’événement8. Elle a ensuite conduit à la participation à un travail collectif, rassemblant chercheurs et archivistes, d’étude de la production, de la collecte et des usages sociaux de l’ensemble des messages déposés aux abords des lieux touchés9. Cette expérience a produit une grille d’observation spécifique de l’espace public qui a été remobilisée pendant le confinement. Marta Severo est, elle, spécialiste de l’étude des pratiques participatives en matière de patrimoine10. Son savoir-faire et ses questionnements propres ont pu donner naissance, forme et horizon à ce défi collaboratif qui visait à étudier les mots du confinement dans l’espace public mais également la pratique collaborative en la matière dans un temps d’isolement social.

Ensemble et au croisement de leurs deux champs de recherche, les deux auteurs de cet article ont ainsi lancé le défi collaboratif le 15 avril 2020. Le matériau constitué par ces milliers de photographies et l’ensemble des méta-données de collecte qui les accompagnent peut aujourd’hui être traité de multiples manières. Une analyse du contenu des messages collectés, des mots employés et des positions exprimées, est évidemment nécessaire11. Elle ne peut toutefois être conduite sans une autre analyse, préalable, qui porte, elle, sur la pratique sociale de collecte elle-même. Une telle étude des cadres sociaux de la mémorialisation du Covid-1912, à l’échelle d’un cas et en attendant une approche globale et comparative, est ainsi nécessaire. Elle résonne d’ailleurs bien au-delà du contexte de la crise sanitaire.

En effet, l’explosion des collectes mémorielles durant la période de la Covid-19 s’insère dans un tournant participatif plus large qui touche tous les secteurs de la société y compris celui de la culture. Le ministère de la Culture s’est fait porteur depuis quelques années d’un intérêt renouvelé pour le rapport entre culture et société qui a porté à la fondation du mouvement des sciences participatives et recherches culturelles, qui est principalement alimenté par le réseau Particip-arc13. Au-delà de cette impulsion récente au niveau national, de nombreuses institutions culturelles (archives, musées, bibliothèques, etc.) lancent désormais avec régularité des initiatives participatives au niveau local afin d’engager le citoyen dans les activités de l’institution. Ces éléments collectés sont représentatifs des mémoires et de récits individuels et collectifs qui sont sensés alimenter notre patrimoine. Cependant, si de nombreuses initiatives de collecte ont été lancées, la mise en place de processus d’évaluation de la participation sont rares, fautes de ressources et de compétences. Des exceptions importantes comme les enquêtes sur les usages de Gallica14 ont pourtant montré l’intérêt et l’importance de tels dispositifs d’étude de la participation.

Etudier la collecte Vitrines en confinement non seulement pour son contenu mais aussi, et ici donc, comme une pratique sociale s’insère également dans les questionnements qui sont au cœur du champ des memory studies. Pendant longtemps les travaux sur la mémoire, sur le recours aux témoignages ou sur les usages sociaux des archives ont présupposé que ces pratiques sociales étaient par définition inclusive et égalitaire. Pourtant le constat est aujourd’hui fait que le développement de l’expression de mémoires diversifiées comme des politiques publiques censées les transmettre à une large audience peut également produire de l’exclusion et de la marginalisation15. Cet état de fait a, récemment, conduit plusieurs chercheurs à s’interroger sur les rapports différenciés des individus à la mémoire collective, la conscience historique ou encore le fait même de se raconter16 pour envisager que ces pratiques sociales puissent être inégalement partagées et, notamment, encadrées par des variables sociologiques plus classiques comme le genre, le niveau de revenu, le lieu de résidence ou encore le niveau d’études17.

L’étude de la participation citoyenne aux collectes d’archives liées à la crise sanitaire, et ici au projet Vitrines en confinement, offre ainsi un terrain empirique inédit et particulièrement ambitieux pour traiter ces questions qui n’ont jusqu’ici pas donné lieu à des enquêtes d’envergure. A cet égard, ce texte constitue un des tout premiers articles sur la crise sanitaire dans la perspective des memory studies18.

Les cadres sociaux de la mémorialisation immédiate du Covid-19

Au début du mois d’avril 2021, 3186 photographies pour la France avaient été postées dans le cadre du défi collaboratif Vitrines en confinement19 tandis que celui-ci avait rassemblée, comme contributrice ou simple commentateur, plus de 1500 personnes, principalement usagers de Facebook (1322) et, dans une bien moindre mesure, de la plateforme collaborative, de Twitter ou Instagram. Il s’agit d’une des collectes majeures pour le territoire français et, en première apparence, une des plus populaires en tous les sens du terme : numériquement, puisque le nombre d’items collectés et celui des participants sont largement supérieurs à la plupart des autres collectes d’archives liées au Covid mais aussi qualitativement, dans le type de public concerné puisque le modus vivendi est très peu discriminant et très simple et que l’espace public ne suppose pas, a priori, de compétences langagières ou sociales, à la différence d’autres initiatives comme, par exemple, les appels à témoignages qui faisant appel au sentiment de légitimité à se raconter exclut, a priori, certains publics.

La collection a donné lieu à une mise en ligne sur le site huma-num.vitrinesenconfinement.fr à travers l’outil OMEKA20 qui a permis la constitution d’une collection patrimoniale réutilisable par d’autres chercheurs et consultable par une interface cartographique ou par mot-clé. Cette mise en ligne s’est accompagnée d’un codage des contenus comme d’un certain nombre de métadonnées sur la pratique de collecte. En parallèle, nous avons conçu et diffusé un questionnaire en ligne destiné aux participants. Celui-ci a reçu une centaine de réponses21. Quels sont donc les cadres sociaux de la mémorialisation du Covid-19 pour la collecte considérée ? Les données rassemblées mettent en évidence que la participation à la conservation de la mémoire du Covid n’est pas socialement neutre. Le pays, le lieu de résidence, le genre, l’âge et le niveau de diplôme constituent les principales variables structurantes de la participation à la collecte vitrines en confinement et à la mémorialisation immédiate étudiée à travers cette première étude de cas. Ces variables reflètent ainsi les contours de l’institution à l’origine de la collecte : des femmes, chercheuses, la quarantaine, installées en région parisienne, respectivement française et italienne.

La collecte a eu lieu dans 29 pays et en trois langues. Cependant elle a rencontré un écho majoritairement en France puisque 2403 des 3186 images, soit plus de 75 % de la sous-collection traitée ici, proviennent de ce territoire. Viennent après l’Italie (avec 287 images) et la Belgique (avec 188 images) avant une multitude de minuscules échantillons nationaux. Ainsi, et malgré nos efforts de diffusion et de trilinguisme, l’ancrage national et institutionnel de départ a durablement structuré l’espace social de la collecte. Au sein du territoire hexagonal, les participants ne se répartissent pas non plus de manière aléatoire. Un tiers des photographies sont prises à Paris22. Viennent ensuite les villes de Lille (174), de Thionville (173), de Rome (110), Montreuil (86) et Marseille (69). Les autres localités enregistrent moins de 50 clichés. L’expérience urbaine, la ville capitale, centrée sur la région parisienne en France, et sur celle de Rome en Italie, et dans une moindre mesure la métropole régionale, constitue donc le second cadre social de la mémorialisation participative du Covid 19. Les réponses au questionnaire nous ont permis de préciser que ces lieux de prise de photographies, et donc du confinement, étaient celui du lieu de vie habituelle pour 90 % des participants tandis que 82 % des répondants considéraient leur lieu de confinement et donc de prise de photographies comme « la ville » contre 10 % pour « la campagne ».

Cette variable du lieu de résidence n’est évidemment pas complétement indépendante de celle du niveau d’étude qui constitue la troisième variable structurante des cadres sociaux de la mémorialisation immédiate du Covid. Cette donnée n’apparaît pas dans les métadonnées de la collecte puisque le défi collaboratif est resté simple dans ses modalités et privilégiait l’anonymat pour favoriser la participation. Le questionnaire, certes sur un échantillon réduit, met en évidence que les participants ont un niveau d’éducation nettement plus élevé que celui de la moyenne des Français. En 2018 alors que les femmes de 25 à 34 ans étaient le groupe le plus diplômé, elles ne rassemblaient que 36 % de titulaires d’un diplôme bac +3 et plus23. De même, le groupe d’âge des participants est très spécifique.

Image 10000201000001900000010ECA4B7007.png

Figure 1. Niveau de diplôme

Image 1000020100000190000000D2F54DEC6D.png

Figure 2. Age des participants

Ce niveau de large sur-éducation des participants peut être mis en relation avec les motivations indiquées pour cette participation à la collecte. Les réponses les plus en phase avec la conscience historique et citoyenne du temps arrivent en effet largement en tête.

Image 1000020100000190000000F0D615F71D.png

(Plusieurs réponses possibles)

Figure 3. « Quelles étaient la ou les motivations qui vous ont amené à participer au projet ? ».

Enfin sur les 3186 photographies considérées dans ce sous-échantillon, 2406 soit plus de 75 % ont été prises et partagées par des femmes selon les métadonnées ce qui se retrouve dans le dépouillement du questionnaire qui, sur certes un effectif relativement limité, indique que 74 % des contributeurs sont des contributrices. Plus encore, il apparaît que les hommes et les femmes ne partagent pas le même type de photographies. Les images de rue et de restaurants sont sur-collectées par les hommes tandis que les commerces de vêtements et de cosmétique et les bâtiments privés (balcons) sont eux sur-partagées par les femmes. Ici le genre constitue un cadre social majeur de la mémorialisation immédiate du Covid-19 telle que saisie à travers l’étude de cas vitrines en confinement.

Enfin, plusieurs réponses au questionnaire permettent de comprendre comment la nature participative des collectes liées à la mémoire du Covid renforce l’uniformité sociale des participantes. La diffusion de l’initiative s’appuie en effet sur les réseaux de sociabilité dont la littérature sociologique a, de longue date, mis en évidence l’homogénéité sociale. 80 % des personnes interrogées indiquent ainsi avoir fait connaître le projet autour d’elles tandis que 54 % indiquent avoir entendu parler du projet par quelqu’un qu’elles connaissent personnellement.

Conclusion

A partir de mars 2020 en France, et partout dans le monde, les projets de collectes des traces du Covid-19 et de la réaction des sociétés à l’épidémie se sont multipliés. Il s’agissait de faire sens d’un événement pensé d’emblée comme « historique » en faisant place aux voix ordinaires et aux expériences vernaculaires afin de permettre la construction d’une mémoire et d’une résilience collectives. Cette attente citoyenne et politique n’a pourtant pas jusqu’ici donné lieu à une mise en perspective empirique.

L’étude du profil sociologique des participants du défi participatif Vitrines en confinement a toutefois mis en évidence les limites de l’effectivité de ce paradigme. Le lieu de résidence, le niveau d’étude, l’âge et le genre apparaissent ainsi comme des variables déterminantes pour expliquer la pratique sociale considérée. Cette conclusion met également en évidence la manière dont le cadre institutionnel de l’opération d’archivage oriente le choix de celles et ceux qui y participent. Elle invite à un retour critique sur les attentes sociales et politiques adressées à ces initiatives de collectes et au développement de projets visant à transformer de manière effective et dans un sens véritablement inclusif et diversifié les cadres sociaux de la mémorialisation immédiate, ici du Covid-19 mais plus largement des expériences de crise.

1 Sarah Gensburger et Marta Severo, “Unlocking the heritage of the COVID-19 pandemic. Collecting traces of what was happening outside”, en soumission

2 https://www.misha.fr/actualites/actualite/confinement-un-an-apres-memoires-deconfinees17-mars-11-mai-2021

3 https://www.liberation.fr/debats/2020/04/25/covid-19-pour-une-memoire-ordinaire-de-l-extraordinaire_1786299/

4 https://www.cnrs.fr/fr/creation-de-linstitut-covid-19-ad-memoriam

5 Berliner, David, « The Abuses of Memory: Reflections on the Memory Boom in Anthropology », Anthropological Quarterly, 2005, vol 78, n°1, p. 197-211.

6 Severo, Marta, « Qui sont les participants aux recherches culturelles participatives ? », Culture et Recherche, n° 140, 2020, p. 68-69.

7 https://anr-collabora.parisnanterre.fr/index.php/vitrinesenconfinement/ ; https://www.facebook.com/groups/vitrinesenconfinement/

8 Gensburger, Sarah, Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan, 2015-2016, Paris, Anamosa, 2017, 224p.

9 Gensburger, Sarah et Truc, Gérôme (dir.), Les Mémoriaux du 13 Novembre, Paris, Editions de l’EHESS, 2020, 283p.

10 Severo, Marta, L’impératif participatif. Institutions culturelles, amateurs et institutions, Paris, INA Éditions, 2021.

11 Une première analyse a été présentée lors du colloque « Les écrits confinés : créer, afficher, diffuser, 28 et 29 juin 2021, UPEC, LIS, CEDITEC. Un

12 Halbwachs, Maurice, Les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 [1925].

13 Ce réseau, piloté par le MNHN fédère chercheurs et professionnels intéressés à la mise en place de dynamiques participatives dans le contexte des

14 Chevallier, P., 2018, « Les données au service de la connaissance des usages en ligne: l’exemple de l’analyse des logs de Gallica », Les Enjeux de

15 Pour une synthèse, Gensburger S. et Lefranc S., A quoi servent les politiques de mémoire ?, Presses de Sciences Po, 2017.

16 Schiff, B., A New Narrative for Psychology. New York: Oxford University Press, 2017.

17 Allen M.J., The poverty of memory: For political economy in memory studies. Memory Studies 9(4): 371-375, 2016.

18 Erll, A. 2020. Afterword: Memory worlds in times of Corona, Memory Studies, Vol. 13(5) 861–874 et Hirst, W.. 2020. Remembering COVID-19. Social

19 Cet article ne porte que sur le corpus français du projet.

20 https://vitrinesenconfinement.huma-num.fr

21 Grâce à la collaboration de Benjamin Barbier, post-doctorant au DICEN IdF, une campagne d’entretiens vient de débuter auprès de contributeurs et

22 De même 48 % des répondants au questionnaire résident à Paris.

23 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238409?sommaire=4238781

Notes

1 Sarah Gensburger et Marta Severo, “Unlocking the heritage of the COVID-19 pandemic. Collecting traces of what was happening outside”, en soumission et avec Orli Fridman, Unlocked spaces of memory activism: Has the Covid pandemic changed commemoration?” dans Yifat Gutman and Jenny Wüstenberg (ed.), Handbook of Memory Activism, NY, Routledge, à paraître en janvier 2022.

2 https://www.misha.fr/actualites/actualite/confinement-un-an-apres-memoires-deconfinees17-mars-11-mai-2021

3 https://www.liberation.fr/debats/2020/04/25/covid-19-pour-une-memoire-ordinaire-de-l-extraordinaire_1786299/

4 https://www.cnrs.fr/fr/creation-de-linstitut-covid-19-ad-memoriam

5 Berliner, David, « The Abuses of Memory: Reflections on the Memory Boom in Anthropology », Anthropological Quarterly, 2005, vol 78, n°1, p. 197-211.

6 Severo, Marta, « Qui sont les participants aux recherches culturelles participatives ? », Culture et Recherche, n° 140, 2020, p. 68-69.

7 https://anr-collabora.parisnanterre.fr/index.php/vitrinesenconfinement/ ; https://www.facebook.com/groups/vitrinesenconfinement/

8 Gensburger, Sarah, Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan, 2015-2016, Paris, Anamosa, 2017, 224p.

9 Gensburger, Sarah et Truc, Gérôme (dir.), Les Mémoriaux du 13 Novembre, Paris, Editions de l’EHESS, 2020, 283p.

10 Severo, Marta, L’impératif participatif. Institutions culturelles, amateurs et institutions, Paris, INA Éditions, 2021.

11 Une première analyse a été présentée lors du colloque « Les écrits confinés : créer, afficher, diffuser, 28 et 29 juin 2021, UPEC, LIS, CEDITEC. Un ouvrage collectif est à paraître.

12 Halbwachs, Maurice, Les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994 [1925].

13 Ce réseau, piloté par le MNHN fédère chercheurs et professionnels intéressés à la mise en place de dynamiques participatives dans le contexte des recherches culturelles.

14 Chevallier, P., 2018, « Les données au service de la connaissance des usages en ligne: l’exemple de l’analyse des logs de Gallica », Les Enjeux de l'information et de la communication, (2), 57-67. Laurent B., Baker M., Beaudouin V. et Raulet-Croset N. (dir.), 2018, Innovation et participation. Approches critiques, Presses des Mines, Paris.

15 Pour une synthèse, Gensburger S. et Lefranc S., A quoi servent les politiques de mémoire ?, Presses de Sciences Po, 2017.

16 Schiff, B., A New Narrative for Psychology. New York: Oxford University Press, 2017.

17 Allen M.J., The poverty of memory: For political economy in memory studies. Memory Studies 9(4): 371-375, 2016.

18 Erll, A. 2020. Afterword: Memory worlds in times of Corona, Memory Studies, Vol. 13(5) 861–874 et Hirst, W.. 2020. Remembering COVID-19. Social Research: An International Quarterly, Vol. 87(2), 251-252.

19 Cet article ne porte que sur le corpus français du projet.

20 https://vitrinesenconfinement.huma-num.fr

21 Grâce à la collaboration de Benjamin Barbier, post-doctorant au DICEN IdF, une campagne d’entretiens vient de débuter auprès de contributeurs et contributrices mais elle est trop peu avancée pour donner lieu à une analyse pertinente à ce stade.

22 De même 48 % des répondants au questionnaire résident à Paris.

23 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238409?sommaire=4238781

Illustrations

Figure 1. Niveau de diplôme

Figure 1. Niveau de diplôme

(Plusieurs réponses possibles)

Citer cet article

Référence électronique

Sarah Gensburger et Marta Severo, « L'espace public du confinement. Archives, participation et inclusion sociale », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 05 octobre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=662

Auteurs

Sarah Gensburger

Directrice de recherche en science politique au CNRS – Institut des Sciences sociales du Politique

Articles du même auteur

Marta Severo

Professeur des Universités en sciences de l’information et de la communication – Université Paris Nanterre, DICEN IdF/IUF

Articles du même auteur