« La psychanalyse à l’écran : spectroscopie et enjeux d’une série »

Entretien avec Paul-Laurent Assoun -À propos d’« En thérapie »

DOI : 10.56698/rhc.559

Résumé

Restitution de l’entretien du psychanalyste et universitaire Paul-Laurent Assoun avec Evelyne Cohen et Pascale Goetschel en juin 2021 sur la série télévisée « En Thérapie »

Index

Mots-clés

Freud – inconscient- psychanalyse-série- télévision-

Plan

Texte

Revue : L’idée est de vous faire réfléchir sur la série télévisée En thérapie. Nous sommes une revue d’histoire, d’histoire culturelle et souhaitons vous interroger sur la manière dont l’analyse de cette série vous permet d’envisager les liens entre histoire et psychanalyse. 

Paul-Laurent Assoun : Voilà en effet une série qui a connu un succès exceptionnel. C’est une série israélienne au départ intitulée Betipul créée par Hagai Levi. Il faut partir d’un petit historique. Elle est apparue entre 2005 et 2008. L’analyste mis en scène dans le scénario s’appelait Danan ; dans la version française, il s’appelle Dayan. Et à partir de là, il a été transféré, si je puis dire, dans divers contextes nationaux, du Portugal à la Russie, des États-Unis à l’Argentine, jusqu’au Japon, comme une traînée de poudre. On peut parler d’un véritable engouement transnational, qui contraste en tout cas avec les affirmations de ceux empressés à annoncer le déclin inéluctable de l’intérêt pour la psychanalyse. Il y a là comme une fascination. Et elle a été diffusée en France depuis février 2021, dans un contexte de confinement (de huis clos donc). L’analyse a en effet toujours exercé une certaine fascination cinématographique, soit à travers des films censés illustrer les théories psychanalytiques, depuis Les Mystères d’une âme de Pabst dès 1926 jusqu’aux films d’Hitchcock, soit par mise en scène du personnage du psychanalyste, mais selon des clichés ou stéréotypes, de la pose au silence hiératique ! La plupart du temps, cela a peu à voir avec la pratique analytique réelle, plutôt avec une certaine image sociale. En thérapie se signale donc comme une exception. C’est un défi de tenter de donner une idée réelle de ce qui se passe dans l’analyse qui, comme Freud le dit, est une situation qui « ne tolère pas de tiers » ! Là, il y a l’œil de la caméra qui s’invite, mais pas de façon voyeuriste. Quelque chose de la réalité de l’analyse qui passe l’épreuve du film. Alors, je vais répondre à vos questions mais moi, la question principale que je me pose est celle-là : comment est-ce possible ? Au départ, j’avais presqu’un préjugé, disons une défiance, compte tenu des précédents et puis, bon, au visionnement, c’est un fait, il y a quelque chose qui se passe, qui fait – c’est même un peu troublant – que se produit un effet de miroir, parfois, de ce qui se déroule effectivement dans cet espace. Mais il y a énormément de choses à discuter sur le cadre qui, d’un autre point de vue, est plutôt atypique. Voilà. Moi, je partirai de là. 

Il y va d’un enjeu culturel : la psychanalyse est un « fait culturel » que Freud a promu en introduisant le « mouvement psychanalytique », il faut le rappeler, et en créant cette relation inédite. Et il y a une réception culturelle de ce fait. Bref, cela fait partie de l’histoire. Comment lire ce phénomène ? Freud pose deux principes qui semblent vraiment incompatibles a priori avec une mise en spectacle de cet événement : l’analyse est une relation à deux. Là, vous avez un tiers. Tout le monde est là, tout le monde est dans le cabinet de l’analyste. Deuxièmement, le cinéma analytique, Freud ne le censurait pas, mais il rappelait que « nos théories psychanalytiques ne se prêtent pas aux représentations plastiques ». Donc, si on part de là, il y a quasiment deux interdits : est-ce qu’on peut « débarquer » ainsi dans une séance de psychanalyse et en donner une idée et faire se représenter les processus inconscients à l’œuvre ? Bien sûr, il y a aussi toute une littérature qui évoque avec plus ou moins de bonheur la psychanalyse… Et deuxièmement, évidemment, quand ça passe par l’image, est ce qu’on n’est pas justement dans l’imaginaire, loin du réel d’une séance analytique ? On peut lancer un oukase en disant « ben non, ça n’a rien à voir avec la psychanalyse », si : il y a de fait des moments d’authenticité. 

« FAIRE UNE PSYCHANALYSE » : UN ESPACE ET SES ENJEUX

Reste ce que l’on appelle « le cadre ». Un point encore très intéressant, et là, je parle en tant que praticien, il est peut-être utile pour le public de la revue de décrire ce qu’est une analyse, pour voir ensuite ce que veut dire être En thérapie. Mais voilà déjà un signe, un témoignage symptomatique intéressant : certains de nos patients parlent de la série, reconnaissant quelque chose de ce qu’ils vivent. Souvent ils l’ont vue, ils en parlent avec une certaine émotion, quasiment à faire partager. C’est comme le livre intéressant de Marie Cardinal, Les Mots pour le dire, qui a aussi une certaine authenticité, mais qui peut donner en même temps une idée imaginarisée de qui se passe dans le réel d’une analyse. C’est quand même un événement, je trouve, cette série, parce qu’il y a quelque chose de l’authenticité de la psychanalyse qui transparaît. C’est intéressant que les gens étrangers à l’expérience psychanalytique puissent aussi acquérir une « vue » de l’analyse, au-delà des discours, qui alimentent ce qu’il faut bien appeler une ignorance haineuse de l’analyse chez certains qui en font quasiment profession. L’analyse, c’est d’abord un acte.

Rappelons la définition officielle, en tout cas la plus complète de ce que l’on met sous ce terme de « psychanalyse » : en 1923, dans Psychanalyse et théorie de la libido, Freud déclare que la psychanalyse est le nom pour trois choses : 1. Un certain procédé d’investigation des processus psychiques, inconscients, c’est un savoir. 2. Une thérapie fondée sur cette connaissance des processus inconscients. Un savoir et une pratique donc, et les deux sont très étroitement liés l’un à l’autre. C’est le patient qui apprend, c’est le patient qui nous enseigne et nous « traduisons ». Mais bien entendu, il faut une théorie. Certains pensent qu’on peut être clinicien comme ça, avec un flair clinique et une empathie extraordinaire pour les patients. Reste qu’on a besoin d’une boussole, dont Freud nous a fourni les bases, il faut bien le dire génialement.

3. C’est une thérapie, un savoir, mais aussi une contribution au savoir de l’homme. Une « série de conceptions psychologiques », acquises par la clinique, mais qui avec le temps peut revendiquer le statut de « science ». La psychanalyse enseigne sur « les passions humaines », comme le dit Lacan. C’est sa dimension d’universel. C’est pour cela que l’on peut s’intéresser à la psychanalyse sans avoir « fait » une analyse. Ce n’est pas simplement une technique. Mais ce n’est pas non plus « une vision du monde » parce que Freud ne parle pas de « synthèse ». Tout part du symptôme et du sujet. C’est ça qu’a enseigné Freud. Et bon, il faut la boussole théorique, ce qu’il appelle « métapsychologie », d’une grande richesse. Voilà donc, on peut parler quand même d’une « science de l’inconscient ». Chez Freud, il n’y a rien qui ressemble à ces psychothérapies intuitives, ni avec des visions du monde ou les bavardages idéologiques. Non, on ne se « métamorphose » pas quand on fait une analyse. Par contre, il se passe quelque chose d’essentiel, dans le rapport à ses « motions » ou mouvements pulsionnels et ses conflits et, en dernière analyse, de son désir. Alors, ayant cela à l’esprit, on commence à pouvoir juger de ce qui se passe dans le récit filmé de cette série.

PSYCHOTHERAPIE ET PSYCHANALYSE : UNE « CURE DE PAROLE »

Revue : Très bien, parfait. Qu’est-ce qui est authentique puisque, si l’on reprend le terme que vous avez utilisé, vous dites qu’il y a une certaine authenticité ?

Paul-Laurent Assoun : Là, c’est toute la question. Pour se préparer à l’entendre, rappelons la finalité d’une psychothérapie analytique. Cela me concerne au double titre, d’analyste et de professeur, formateur et chercheur. Freud invente quelque chose qui appartient au genre « psychothérapie ». Donc la psychanalyse, c’est une espèce de la psychothérapie, mot qui apparaît à la fin du XIXe siècle. C’est Hippolyte Bernheim, qui pratiquait l’hypnose, qui a inventé le mot psychothérapie en 1892. La « psycho-thérapie », c’est un défi parce que l’idée, c’est qu’il y a des maladies qui ne sont pas référables à la médecine, c’est-à-dire qu’on peut « tomber malade » d’une maladie purement psychique. La psyché « fait » des maladies que l’on peut dès lors traiter psychiquement. Est-ce que la névrose est une « maladie » ? En tout cas, on peut se sentir « malade » sans aucune lésion. Alors que la médecine, heureusement d’ailleurs, devient de plus en plus scientifique, elle guérit, les médecins de l’époque ont tendance à craindre que, si l’on parle d’une « psycho »-thérapie, on revienne à des conceptions préscientifiques. Voir sur ce point le texte remarquable de Freud sur « Le traitement psychique ». Il y a tout un courant au fond courageux qui s’est appuyé là-dessus. Et Freud, médecin, qui était allé voir Charcot à la Salpêtrière, qui est allé à Nancy voir Bernheim et Liébault, adhère à la psychothérapie. Il y a tout un courant qui date du début du XXe siècle sur ce qui se nomme même « le traitement d’âme ». 

Revue : Dans le vocabulaire d’aujourd’hui, psychothérapie n’est pas la même chose que psychanalyse.

Paul-Laurent Assoun : Disons que, en première approximation, le genre, c’est la psychothérapie et l’espèce, c’est la psychanalyse, mais une espèce je dirais foncièrement dissidente. Il y a toute une panoplie de psychothérapies avant Freud. Depuis la mort de Freud, il y a un pullulement de psychothérapies qui, toutes d’ailleurs, reviennent à des théories plutôt de l’ordre de la catharsis, c’est-à-dire qu’il faut vider le trauma en faisant fond sur les pouvoirs du corps. Notamment, après Freud, on a mis l’accent sur la « relation d’aide » (Rogers). Alors que si, il faut l’espérer, on aide le patient, effectivement, le but premier, c’est de le confronter au réel du symptôme, l’amélioration venant « de surcroît ». Qu’est-ce qui se passe quand on vient consulter un analyste ? On arrive avec un malaise, parfois déjà des symptômes constitués, dont on est embarrassé pour le moins. De quoi s’agit-il ? Le savoir freudien s’appuie sur la notion centrale de conflit psychique avec des enjeux « psychosexuels ». Si on « fait » des symptômes, en leur extrême diversité – ne perdons jamais de vue la singularité du sujet –, c’est que le conflit inconscient s’est noué. Mot emprunté à la médecine, mais il faut démédicaliser ce mot « symptôme » en même temps. Un médecin, c’est quelqu’un que vous allez trouver quand avez un malaise corporel, vous attendez qu’il vous dise : « Alors qu’est-ce qui vous amène ? » Vous présentez les signes de ce malaise et vous attendez un diagnostic. Le médecin d’aujourd’hui part de l’écoute, mais en cas de doute vient le prélèvement organique ou le recours à l’imagerie : savoir, c’est voir la lésion éventuelle. 

Or, on a des sujets qui viennent avec des problèmes, disons psychologiques, où après avoir vu tous les médecins, par exemple des grands hypocondriaques, ça ne va toujours pas. Bon, autrefois, on allait voir son confesseur… ou son chaman, qui mettait le malaise en lien avec la possession par les « esprits ». Le psychothérapeute, c’est un héritier du chaman, comme l’a remarqué Lévi-Strauss. Seulement le chaman, lui, est dans l’animisme, il adhère à la croyance du groupe, même s’il est lui-même très malade, se servant de sa maladie, alors que la psychanalyse s’appuie sur l’instance de la science. Mais, en même temps, la psychothérapie a tout un côté flexible, c’est une praxis. Le sujet a l’impression qu’en effet, d’abord, ça « tient à lui », bien qu’il ait beaucoup à se plaindre des autres. Lacan dit de façon intéressante que l’ignorance est une passion, celle qui fait entrer en analyse, autant qu’un désir de savoir. Ce n’est pas simplement un état, mais on commence souvent en disant : « Je ne sais pas ce qui m’arrive ». « Jusqu’à présent, je fonctionnais plutôt bien. Il y a un problème maintenant, une angoisse disproportionnée, un acte incompréhensible, bref je ne me reconnais plus. » Le sujet vient avec son angoisse dans ce qu’on appelle « l’entretien préliminaire » : c’est un mot comme ça, un peu lourdement technique, mais voilà, c’est quand même extraordinaire : aller contacter un inconnu ou une inconnue, et puis lui apporter quoi ? Lui apporter son malaise, sa souffrance, et donc sa honte aussi. Il y a dans la thérapie un travail sur la honte de vivre même, oser montrer un objet intime à quelqu’un à qui on suppose un savoir, Lacan disant qu’en effet, nous analystes, « nous en savons en bout », mais ce savoir se remet en jeu avec chaque patient. Autrefois, ça pouvait être un confesseur catholique que d’ailleurs Freud compare à sa manière avec l’analyste. Sauf qu’un analyste, avec ses faux airs de confesseur, soumet le sujet à sa propre parole. Voilà donc Freud, lui, part de ce principe. C’est un médecin mais, à un certain moment, il tombe sur ces « maladies psychiques », notamment l’hystérie, et spécialement la femme hystérique – évidemment qu’il y a des hommes hystériques, ô combien, mais enfin, c’est peut-être aussi avec l’idéologie qu’on lie de façon misogynique l’hystérie à la femme, et sans comprendre ce que c’est l’hystérique. D’abord, Freud commence par pratiquer l’hypnose et, ensuite, il débouche sur une cure de langage et surtout de parole. Il reconnaît le patient comme un « parlêtre », selon l’expression de Lacan, qui tient son être de sa parole. Le seul medium est la parole. Le pari et le constat de la psychanalyse, c’est que tout se joue dans la parole – on va voir justement comment fonctionne cette parole dans En thérapie de façon assez spéciale. On peut dire : « Des mots, des mots. À quoi ça sert ? », de l’extérieur. Le fameux divan, ce n’est pas tout de suite. Il y a même des patients qu’on n’allonge jamais – il faudrait en discuter, d’autres qu’il faut allonger assez vite. Comment sent-on que c’est le moment ? En tout cas, au début, il y a un entretien, un « face à face », une écoute en partie dialoguée. Mais ce n’est pas une conversation, certes pas un entretien mondain, ni un entretien social habituel. Il y a deux personnes mais, bien sûr, il y en a un qui écoute, l’autre qui parle. Cela dépend aussi de chaque analyste. Mais bon, sur tout ça, on reviendra en voyant l’exemple d’En Thérapie. À partir de là, de quelle oreille j’écoute comme analyste ? Évidemment, le sujet donne des informations sur son vécu et son histoire (ce que l’on appelle « anamnèse »), comme en médecine, attestant sa position subjective et l’histoire dont il est la résultante. Dans l’analyse, c’est vraiment l’être parlant qui a une chance de s’exprimer sans même impératif de communication. Voilà. Il ne faut pas croire d’ailleurs qu’on ne fasse qu’écouter sans fin… Il faut aussi, à partir de là, savoir lire et écrire avec le patient. Évidemment, il faut avoir une bonne mémoire mais, en même temps, pas question de mettre le patient en fiches …

Il y a quand même une « disparité », une inégalité, non pas au niveau des personnes, mais des places occupées : ce ne sont pas deux personnes en face à face qui « s’intersubjectivent à qui mieux mieux », selon l’expression de Lacan ! Ceux qui le citent régulièrement dans la série auraient d’ailleurs dû s’en souvenir. Dans la série, il y a indéniablement énormément de dialogues, d’entretiens. Quoique la disparité existe, il y a sans cesse un rappel de la parité, qui vient à certains moments bousculer les rôles, comme quand un patient, qui s’avérera ensuite respectueux de ce que lui apporte la parole de son analyste, l’interpelle avec désinvolture (qui au reste sert de masque à son angoisse). Cela ne veut pas dire que l’analyste est muet comme un Sphinx. On a affaire dans la série à un Sphinx plutôt loquace ! On va voir la question que cela pose. En tout cas, l’analyste de la série n’a assurément pas le mutisme d’un Sphinx, on y reviendra, quoique par moments le silence se fasse entendre.

À partir de là, évidemment, une analyse, on sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça finit. Il y a des analyses longues, voire interminables. Maintenant, on cherche des « thérapies brèves ». Il s’agirait de cibler le symptôme et d’en alléger le patient le plus vite possible, ce qui correspond à une démarche cognitive ou comportementale. En psychanalyse, ce n’est pas ça. Le symptôme n’est pas qu’un « inconvénient ». Le symptôme est intelligent, si le sujet fait un symptôme, c’est pour parler à l’expression une vérité autrement informulable… et même sans savoir clairement ce qu’il dit ainsi ! Parfois même, c’est parce qu’il a trop bien entendu quelque chose de son environnement familial, refoulé mais actif, qu’il ne tourne plus rond. Il devient l’homme ou la femme qui en sait trop, sans savoir clairement quoi, au point de prendre conscience par l’analyse de ce qu’il savait à son insu ! Les symptômes naissent dans la famille, dans le « cercle » de la famille, c’est là où ça apparaît de façon absolument essentielle, à commencer par ce générateur qu’est le « complexe d’Œdipe ».

Mais un patient qui dirait « Me voilà, ça va, mais je voudrais faire le tour de mon inconscient » se tromperait d’adresse. Une vraie analyse, c’est qu’on y est poussé par une nécessité intime, quand on ne sait pas faire avec son symptôme. Désarroi qui amène à la demande. Ce qu’on accueille, ce sont les inhibitions, c’est-à-dire les sujets qui sont entravés dans leur capacité d’action, des angoisses, un vécu d’envahissement par quelque chose qui ne vous lâche plus ,et des symptômes. Quant à l’angoisse, c’est une expérience extrêmement désagréable, mais aussi vérace, parce que, dans l’angoisse, je ne sais pas ce qui se passe, mais en tout cas, il se passe quelque chose qui fait que je ne peux plus me cacher quelque chose. Et puis, bien sûr, les symptômes plus ou moins organisés (obsessions, phobies, etc.).

Dans les entretiens préliminaires, l’une des questions est de savoir si l’on a affaire à un sujet névrosé ou un sujet psychotique, mais surtout pas pour mettre les gens dans une boîte en l’identifiant. Ce n’est pas ça, c’est écouter la singularité du patient. Vous imaginez bien que si on n’avait pas le savoir, face à quelque chose de totalement inintelligible, ce serait impossible, mais le savoir s’enrichit sans arrêt avec les patients. Quand je fais un cours de psychanalyse, je pense régulièrement à certains patients qui m’ont montré quelque chose à articuler en discours. Bien sûr, le principe absolu, c’est la discrétion médicale. C’est aussi une sorte de serment d’Hippocrate, même si l’on n’a pas de formation médicale. Il ne faut pas qu’on puisse reconnaître un patient, mais il est important de citer certains symptômes qui enseignent. À partir de là, c’est complexe, une analyse. Le sujet, d’abord, se souvient. Le principe de l’analyse, c’est qu’on associe librement. Sur le divan c’est la « libre association » qui se libère. L’idée, c’est que si vous dites ce qui vous « tombe dans l’esprit », au sens où votre parole n’est pas finalisée par quelque « ordre du jour », vous arrivez tôt ou tard au cœur de votre refoulé personnel. Certains ont des problèmes avec ça. Il peut y avoir une angoisse, mais avec quelqu’un qui est derrière soi, qui écoute, c’est différent du face à face. Il y a des patients qui ont absolument besoin du face à face, il ne faut surtout pas « allonger » trop vite, par ailleurs. Bon, tout ça, ça s’apprend avec l’expérience. À partir de là, la psycho-analyse n’est pas une psycho-synthèse. Ce sont les motions, les mouvements, les composantes, les éléments qui, progressivement, vont être identifiés. Le sujet dit qu’il va se « reconstruire ». Mais l’histoire du sujet, à partir de là, c’est un peu comme un puzzle. Et bien sûr, une analyse peut être douloureuse parce que le sujet se révèle n’être pas qui il croyait, et cela ses propres symptômes l’exprimaient à son insu ! Donc, remémoration, il y a vraiment une mémoire qui se reconstitue et c’est le patient qui a les choses en main. 

La formation médicale n’est pas exigible de l’exercice du métier d’analyste, Freud l’a nettement édicté, mais l’analyste peut être aussi médecin-psychiatre. C’est le cas de Dayan dans la série. On le voit prescrire des psychotropes, qui sont même dans des boîtes presque à portée des patients, ce qui est plutôt insolite ! À un certain moment, il y a une patiente dont il craint qu’elle ne vole des somnifères, et il est soulagé de les retrouver. Il devrait quand même être plus ordonné… Voyez, ce sont des détails un peu bizarres. Enfin disons que l’analyste a pour seule arme, si je peux dire, la parole.

LE « DRAME ANALYTIQUE » : RÉSISTANCE ET TRANSFERT

Deux concepts très importants apparaissent, la résistance et le transfert. Le patient, si bienveillant soit-il, mène une guerre sourde de résistance contre l’avancée du travail, d’autant que ce travail touche au cœur de son conflit … Mais c’est aussi le « transfert » : quand on dit « mon analyste », ce n’est pas rien. La résistance est de dire : c’est bien beau de vouloir savoir, mais je vais me confronter à un certain moment à des forces opposées à la tendance à la remémoration. Je ne veux plus ignorer mais, en même temps, je m’emploie à continuer à ignorer. C’est pour ça que c’est une décision du patient d’y aller. Lacan souligne que l’analyste lui-même résiste au patient, c’est même son devoir, pour qu’il avance. L’idée aussi, évidemment, le pari fondamental, c’est que le sujet va aller mieux, mais pas au sens d’une guérison, au sens médical. On pense au fameux « Connais-toi toi-même ». C’est, d’une certaine manière, un lointain héritage de cette exigence, mais je ne peux pas me « connaître » moi-même dès lors que je suis divisé par mon inconscient et mon conflit, c’est même pour ça que j’ai fait un symptôme. On pourrait dire : si j’ai fait un symptôme, c’est que je le sais un peu. Oui, j’en sais la moitié, mais l’autre moitié, je l’ignore. C’est même vital en un sens de l’ignorer. Sauf que le symptôme, et l’angoisse son signe avant-coureur, vient me dire : alors qu’est-ce que tu es en train de faire de toi et de ta vérité ? 

Le symptôme n’est pas une bavure ou un inconvénient qu’il faudrait éviter. C’est un moment de vérité du sujet. Et c’est ça qui fait vraiment la très grande force anthropologique de l’apport freudien. D’où la démarche dans mon trajet multi-disciplinaire – je suis quand même parti de la philosophie et je reste toujours dans le questionnement et la problématisation. Mais un symptôme, c’est tout autre chose qu’une « pensée ». Et donc, de ce point de vue-là, il y a quelque chose dans la chair clinique qui est extrêmement important. D’une certaine manière, c’est une expérience anthropologique, c’est-à-dire qu’on voit à l’œuvre la dimension du sujet. C’est vrai que, quand vous entendez un patient, vous voyez ce que c’est que les passions humaines. 

Un tout dernier point. Alors là, on va le voir à fond dans En thérapie. Le transfert, c’est Übertragung en allemand, c’est le transfert au sens d’un déplacement. En commençant une analyse, je vais remuer des choses à l’intérieur et à l’extérieur. La famille, c’est là que le sujet naît, dans ses identifications, ses idéalisations, son complexe œdipien. C’est dans le « cercle étroit de la famille » que se détermine le sujet. C’est un point absolument essentiel qui ouvre une discussion sociologique, évidemment, parce qu’il y a beaucoup d’autres institutions importantes. Mais c’est là que le sujet naît, avec tout ce que ça implique. Ce qui est arrivé à un psychotique, c’est très différent de ce qui arrive à un névrosé. Mais à partir de là, l’analyste doit porter ces conflits familiaux du patient, avec la distance qu’il faut. C’est vrai que c’est une très grosse responsabilité pour le psychothérapeute. Il entend même des choses que personne d’autre ne saura jamais pour des raisons très complexes. Il en sait autant parfois que les notaires qui détiennent des secrets absolument incroyables. Sauf que, nous, ce qui nous intéresse dans tout cela, c’est exclusivement le sujet. On est au service du sujet. Le therapeutes en grec, c’est un petit esclave, même si le psychothérapeute détient un indéniable prestige. 

C’est un drôle de rapport humain, l’analyste n’est ni un ami, ni une simple connaissance, ce n’est pas un étranger mais il n’est jamais vraiment familier. Mon analyste, j’ai rendez-vous avec lui, selon une fréquence variable. Chez Freud, c’était trois fois par semaine et les analyses étaient assez courtes. En fait, ça dépend des pratiques mais, donc j’ai rendez-vous avec quelqu’un que je ne connais pas au départ, j’entends parler de lui ici ou là. Qui qu’il soit, il se déclenche quelque chose qui s’appelle le transfert. C’est-à-dire que comme analysant je reporte les personnages significatifs de mon passé personnel sur lui, c’est toujours une métaphore parentale qui intervient, qui fait que le sujet va avoir une forme d’amour, ce que Freud appelle « amour de transfert », mais aussi, d’ailleurs, qui peut montrer son envers à un certain moment, une agressivité réactivant les anciennes ambivalences. C’est comme un remake. 

Quand une analyse marche, c’est que, forcément, le transfert est en place. On pourrait parler tout simplement de confiance, mais on le voit, c’est plus complexe. C’est mis en acte, ce n’est pas simplement une question de se remémorer, c’est répéter, revivre. Freud a écrit un texte qui s’appelle « Remarques sur l’amour de transfert » où il montre qu’on peut être effectivement confronté à des transferts incendiaires, qui fait que, comme dit Freud, à certains moments, l’analyste compte plus que l’analyse. Évidemment, il faut le traiter, « manier le transfert », puisque l’éthique de l’analyste est précisément que ce qui l’intéresse d’abord, c’est l’ordre du désir. La passion de l’analyste, si je puis dire, c’est d’aider les sujets, hommes et femmes, à retrouver le chemin de leur désir. On comprend le ressort dramatique de la relation transférentielle sur laquelle table le synopsis de la série. Vous allez voir – parce qu’il y a évidemment une grosse bavure là, dans la série –, c’est qu’à un certain moment, Dayan, qui est un type plutôt attachant, il « ne la ramène pas », il ne se prend pas pour ce qu’il est, il n’a rien de pervers, mais à un certain moment, il est confronté à ça, c’est-à-dire de tomber amoureux d’une patiente qui se trouve être la femme répondant à son désir d’homme. Ce qui est quand même un gros embarras, une grosse complication pour son métier ! 

Le désir d’analyste, c’est quelque chose qui se place au-dessus, disons dans une certaine forme de sublimation, au-dessus de la mêlée… des désirs. Mais oui, en un sens, on peut aller très loin dans l’amour par le fantasme et la parole, sans qu’il y ait de passage à l’acte. C’est d’ailleurs cette règle que Dayan rappelle fermement à sa patiente qui passe son temps en déclarations d’amour. Après avoir dit « jamais, jamais rien ne se passera entre nous, entendez bien… », il déclenche, en contradiction totale avec son dire, un sentiment qui au reste ne se réduit pas à la pulsion. En fait, un analyste doit être engagé résolument dans une position qui renvoie non à la morale, mais à « l’éthique du désir ».

Donc, c’est une relation qui est très particulière. Je ne parle pas des autres psychothérapies. Ce n’est plus une thérapie corporelle. Attention, le corps est très présent dans la séance, mais c’est un corps de langage, un corps parlant. En contraste avec l’hypnothérapie, la primal therapy, le rebirth et toutes les relations où je suis censé revire sensoriellement mes expériences les plus traumatiques, etc., les thérapies de renaissance. On ne mange pas de ce pain-là, l’idée, c’est qu’on a affaire à des êtres parlants, des êtres qui sont aussi pris dans la culture, ce qui échappe à toute incantation.

CULTURE, INCONSCIENT ET SYMPTÔME

Revue : Pouvez-vous préciser lorsque vous dites « des êtres pris dans la culture » ?

Paul-Laurent Assoun : Oui, c’est très important. Freud a créé un mouvement qui s’appelle le mouvement psychanalytique. On a eu un débat, en novembre 2019, en lien avec l’Assemblée nationale. Très souvent, les ennemis de la psychanalyse présentent des choses comme si Freud avait eu cette idée-là, comme ça, de l’inconscient ; brusquement, « dans la nature ». Il a en fait découvert les pulsions, en butte à la répression culturelle. C’est toujours le sexuel qui est la clé du conflit. Ce qu’on appelle le problème psychosexuel qui n’est pas un » pansexualisme », expliquant « tout » par la sexualité. Mais j’ai mis l’accent là-dessus lors de mon intervention à cette occasion, c’est un mouvement culturel. Prenons le névrosé, qui est quand même la référence psychopathologique pour Freud. Le névrosé, c’est quelqu’un qui tombe malade, entre guillemets, d’un conflit en rapport avec la culture. La Culture elle-même est fondée sur la répression pulsionnelle. Moi, j’y tiens beaucoup, c’est pour cela que je fais de l’anthropologie psychanalytique, un axe que j’ai défendu à l’Université. Un névrosé, ce n’est pas simplement quelqu’un qui a des symptômes, mais un sujet qui est un symptôme, vivant, de la culture, c’est-à-dire que la culture produit la répression pulsionnelle, ce qui est la condition, elle est bâtie là-dessus, le névrosé se cabrant à son insu contre celle-ci. Et Freud n’est pas pour rien un homme de culture, un Kulturmensch. Le symptôme lui-même renseigne beaucoup sur la Culture et sur la société, à toute époque. À tel point que je dis aux sociologues : « lisez les comptes rendus de cas et vous verrez ce que c’est que la structure de l’institution familiale. » Vous le voyez par le symptôme qui vient dire ce que c’était qu’une femme, ce qu’était une mère à l’époque, ce que c’était que la relation paternelle. Voilà : le symptôme est un réel, et ça se voit pas mal dans les péripéties des patients mis en scène dans la série. Nous parlons depuis la Culture autant que du symptôme du sujet. 

LA PSYCHANALYSE DANS LA SÉRIE

À un certain moment, dans la série, l’analyste est en situation de faire pratiquement des petits cours : « je vais vous expliquer, ça, c’est l’inconscient, ce en quoi vous êtes en butte... ». Cela pourrait tourner à une « Introduction à la psychanalyse » si ce n’était assez habilement inséré dans les moments de l’échange analytique (car il y a bien un « échange » avec l’analyste dans En thérapie). Il est bien arrivé à Freud de faire ça avec un patient qu’on appelle l’Homme aux rats, mais pour lui montrer qu’il y a un savoir dans ce qui le divise, pour dire « vous savez, un savoir de l’inconscient est disponible », sans développer. Dans la série, je pense que ces explications s’adressent, au-delà des patients mis en scène, au public pour lui donner une idée de ce que c’est que l’inconscient. Mais du coup, on ne sait plus très bien si cela s’adresse au patient lui-même, auquel cas parfois c’est utile. Parfois, cet « enseignement » génère des malentendus, ça ramène à la catharsis, l’évacuation du trauma, très présente. Voilà les questions qu’on peut se poser en assistant à certains dialogues. 

Pourquoi le succès est-il si important ? Parce que les téléspectateurs sentent que ce qui est évoqué est sérieux, qu’on n’est pas « dans la frime », que ça les concerne, même s’ils ne peuvent dire en quoi et jusqu’à quel point. Ce n’est pas du tout le sexuel de la sexologie qui est en cause dans les problèmes des sujets. Ce n’est pas non plus la sexualité biologique, fonction de reproduction, contact des corps, mais celle des êtres parlants et jouissants, comme s’il y avait un problème chronique de rapport au sexuel dans la vie psychique humaine. Du coup, ce n’est pas simplement une question de relations sexuelles, d’actes sexuels, quoique l’acte sexuel est évidemment un moment décisif. C’est toute cette relation de langage et de la relation à l’autre. Chaque fois que vous voyez un patient qui a de gros problèmes sexologiques, très invalidants, il y a derrière un problème symbolique dans le rapport à l’autre, aux autres. On découvre des choses comme ça qui montrent que le sexuel est un test absolument déterminant, avant de parler d’« identité psychique ». Et Freud le dit d’ailleurs, on raconte que je mets de la sexualité partout, mais au départ, je ne pensais pas à ça du tout, c’est ma clinique qui me l’a enseigné, et au départ les hystériques. La femme hystérique, dont on constate qu’elle a contribué à la fondation de la psychanalyse. 

Revue : Introduire Lacan, n’est-ce pas un biais de l’adaptation ? À partir du moment où la série est française, n’est-ce pas un phénomène franco-français ?

Paul-Laurent Assoun : Alors, oui et non, parce qu’il y a par exemple une version anglo-saxonne de Lacan, en rapport avec des enjeux idéologiques et propres à la culture américaine qui a été reçue aux États-Unis, quitte à se mêler à un construct idéologique. Par contre, vous posez une question extrêmement importante que je voulais évoquer. Ça serait intéressant de faire vraiment un travail sur la réception de cette série israélienne selon les traditions nationales. Si le symptôme est un effet vivant du malaise de la Culture, pourquoi ne se réfracterait-il pas dans le malaise des cultures et leurs dispositifs de jouissance, fût-ce à partir d’invariants structuraux, et au-delà de la condition de « mondialisation » ? En tout cas, si Lacan est omniprésent par les citations et l’inspiration dans la série, la cure n’est assurément pas un modèle de pratique lacanienne de la cure.

VÉRIDICITE DE LA RECONSTITUTION ?

Revue : On peut en venir aux moments d’authenticité, les questions que ça pose 

Paul-Laurent Assoun : J’y viens. Cela me paraissait important de donner une idée de l’analyse réelle, d’évoquer déjà par touches les traits d’authenticité et les problèmes de la série. Je pense que l’on a maintenant les éléments pour visualiser la série avec un regard analytique réaliste. Il est temps de voir l’ensemble de la démarche de mise en scène de l’espace de la relation entre les acteurs…de ce drame analytique. Mon impression : il y a quelque chose de l’effectivité de l’événement analytique qui est restitué. Un indice pour moi très significatif : un témoignage de l’équipe de tournage, selon lequel les acteurs de la série ressentaient une angoisse très particulière en rentrant sur scène, qui va sans doute bien au-delà du « trac », comme si, dans cette mise en scène, quelque chose d’eux-sujets était engagé, comme acteurs mais aussi comme sujets, qui ne pouvaient pas faire que « jouer », ou bien plutôt qui entraient dans un rôle qui mettait en acte un réel qu’il leur fallait assumer. Ce n’était pas un banal trac, mais, du moins est ce mon impression, voire mon « diagnostic », sur le fait que jouer à l’analysant (celui qui fait une analyse), c’est un rôle trop réel pour maintenir « l’actant » dans la fiction ! Encore faut-il être à la hauteur. Comme s’il était particulièrement difficile de jouer le rôle du symptôme, et que, là, c’était plus « du cinéma » ... Je pense que la séance de tournage a croisé l’intensité de la séance d’analyse (indépendamment de la question de savoir si les acteurs ont ou non fait une analyse à titre personnel, « pour de vrai »). D’où « l’affect de vérité » de ces séances. Il arrive d’ailleurs qu’un patient qui pénètre sur la scène analytique ait l’impression d’être pris dans une mise en scène, comme souvent dans les situations sociales, mais spéciale en ce que là il joue son propre rôle, le plus intime.

Au fond, ce qui pour moi est un indice d’authenticité que l’on ressent en tant qu’analyste, c’est d’abord celui qui vient de deux types de témoins : nos patients réels qui y reconnaissent quelque chose de leur expérience de la cure et… celui de certains acteurs qui semblent avoir ressenti, quasiment dans leur corps, le caractère de scène hors scène, de drame réel qui engage la subjectivité. Le décor est dépouillé, l’espace d’un simple appartement, la ville reste hors de cet espace privé où tout se joue. Cela pourrait d’ailleurs faire penser à certains espaces théâtraux, tels ceux de Beckett ou Pirandello. Et c’est peut-être pourquoi la pression du réel est telle au moment même de l’entrée en scène. Là, nous sommes au cœur de l’effectivité de la reconstitution. 

À quoi assiste-t-on ? Certes, cet espace réel est aussi celui du fantasme analytique, celui qui fait se rejoindre ce que Freud appelait les « deux parties de la relation analytique » en un huis clos. Il y a un espace de l’acte analytique, matériel et psychique, en un sens sanctuarisé, mais seulement à moitié ! On nous montre notamment ce qui se passe derrière l’avant-scène, la pièce principale, car, après tout, cet espace où les patients ne font que passer est occupé par des personnes réelles, acteurs de leur vie, par l’analyste – un homme comme les autres en dehors de sa fonction, qui a des problèmes conjugaux, des problèmes de père dans la relation à sa fille. Il subit la trahison adultérine, le mépris filial, alors qu’il est une référence pour ses patients, quitte aussi à douter de lui comme analyste, on y reviendra. Évidemment, l’analyste a une vie sociale, il a une vie domestique, familiale, mais le scénario articule très habilement, même avec insistance, le lien entre la scène et ses « coulisses », au sein du même espace. Ce n’est pas la même chose d’aller et venir dans les affaires courantes, et d’officier, de siéger littéralement. Il est plutôt vissé à son fauteuil, hein ! Comme tout analyste, mais peut-être est-il lui spécialement dans une conception de l’analyste comme officiant. Là aussi on y reviendra. Le fait de le montrer confronté à une question des plus triviales – comme des toilettes bouchées, lieu d’évacuation des déchets, vaut comme un clin d’œil. Mais cela ne l’empêche pas de réoccuper sa place. Disons en passant que c’est un fantasme de beaucoup de patients de croire deviner ce qui se passe à l’envers du décor de l’analyse, cela fait partie du transfert, et en ce sens la série satisfait ce fantasme…

UNE LECTURE DU « CADRE » 

Revue : Sauf le moment où c’est le psychanalyste qui s’installe sur le canapé. 

Paul-Laurent Assoun : Voilà ! Ce canapé-là, on dit le « divan », meuble magnifié quelque peu par l’analyse, son centre de gravité en quelque sorte, joue un rôle assez spécial dans la série. Normalement, ou bien on est en face à face, ou bien on est allongé. Là, on ne sait plus quelle est la fonction de ce canapé. La plupart du temps, le patient lui-même est assis en face de son analyste... quand il ne se promène pas dans la pièce ! Ça a un côté ludique quand la patiente s’allonge, mais c’est aussi un défi à son analyste. En quelque sorte un « clin d’œil » à « l’analyse réciproque » de Ferenczi, dissident de la pratique freudienne : quoique l’analyste, non ferenczien ni rallié à ces analyses mutuelles de style anglo-saxon, maintienne la séparation des poses et des rôles. Interversion, même ludique, impensable pour nous ! Le sujet, bien sûr qu’il a cette demande dans le fantasme… Dans ses rêves, il déplace les places à loisir, sous des formes diverses et le raconte même à son analyste, comme fantasme – tandis que la série les réalise. Mais Lacan a raison de souligner comme une nécessité la « disparité subjective » entre l’analyste et l’analysant… Cela signifie qu’analyste et analysant ne sont pas que des « personnes », ils occupent deux places ni paritaires ni en miroir, et c’est même ce qui garantit l’effet de l’acte analytique. C’est cela que, dans le contrat tacite, le patient accepte de maintenir, même s’il rêve de rapprochements affectifs (et c’est son droit, comme une divagation transférentielle). 

Une scène mémorable, dans le scénario, est celle où l’analyste devenu amoureux déclare son sentiment à l’analysante, et que l’on voit surgir, chez la patiente qui ne rêvait que de cela, qui ne fantasmait que sur cela, apparaître une forme de désarroi – quelque chose qui inscrit dans cet accomplissement inespéré (dans l’ordre du fantasme) quelque chose comme une… déception ! Le fantasme pourrait-il être disloqué par sa réalisation ? Voilà quelque chose que le scénariste a bien deviné. Cette femme qui est tellement amoureuse, elle le dit, elle le répète à chaque séance – sentiment sincère mais, en même temps, au service de la résistance – aspire en fait au maintien de cette distance transférentielle, c’est bien vu. Cette disparité doit être maintenue, c’est le devoir de l’analyste, mais là, l’analyste flanche, il redevient un homme. Aussi bien en arrive-t-elle à passer progressivement de l’amour fou de transfert à un quasi mépris envers celui qui s’y prête, surtout quand il en vient à lui confier ses problèmes intimes, perdant sa place à ses yeux dès lors qu’il montre ses propres symptômes.

Revue : En tout cas il n’est pas seulement sur son fauteuil. Il passe beaucoup de temps à ouvrir et fermer la porte. `

Paul-Laurent Assoun : En effet, c’est essentiel à la scénographie. D’abord, parce que ces portes, c’est très bien pour le côté dramatique d’une série. Les auteurs de vaudevilles le savent bien. « Entrées » des patients arrivant et « sorties » de ceux qui ont achevé leur séance, comme en un tourniquet. Cela symbolise le mouvement de ces sujets qui se succèdent, dans la ronde des symptômes. Il y a quelque chose qui tourne, mais aussi quelque chose qui reste toujours au même endroit, le siège de l’analyste ! Le climat est feutré, même quand se produit une scène de ménage explosive, comme dans l’espèce de thérapie de couple où l’analyste devient un témoin alternativement silencieux et intervenant. Un moment de vérité aussi quand le mari, travaillé par la jalousie, apprend l’infidélité avérée de sa femme sans pouvoir dire un mot. Le point d’authenticité central, c’est que le drame inconscient est actualisé à partir des drames inconscients mis en scène, évoqués, qui produisent le suspense intrinsèquement, de séance en séance. Même dans les films de Hitchcock où il y a des éléments assez troublants du point de vue de l’évolution inconsciente, le détail du scénario ne se montre pas, malgré l’interaction entre la patiente et son analyste. Dans cette série, il n’y a qu’une demi-douzaine d’acteurs centraux : une chirurgienne, celle qui s’énamore de son analyste, la jeune nageuse, le policier tourmenté, le couple agité (ainsi que la collègue superviseuse). Mais on a l’impression qu’il se passe énormément de choses. Ce qui peuple l’intrigue, ce n’est pas des anecdotes, les figurants sont les symptômes… et leurs sujets. C’est bien vu. Le miracle du point de vue de la « comédie analytique », c’est qu’à aucun moment l’analyste ne s’ennuie, dès lors qu’il suit de près les entretiens et les déplacements de la parole et de l’affect. Quoiqu’il y ait des mouvements d’enlisement qui font partie du script, la réussite de la série, c’est d’avoir montré en acte la densité du parlêtre, en ce sens toujours « intéressant » (au sens fort). Il est assez fréquent d’entendre « Ah vous êtes psychanalyste ; vous ne vous ennuyez pas ? Ce n’est pas trop dur d’entendre des gens qui parlent pendant des heures ?… ». Question de bon sens, mais on ne peut être plus à côté de la plaque. Pourquoi ne s’ennuie-on pas, en effet ? Parce qu’il y a un drame dans la parole en elle-même, par où se noue le destin verbal du sujet vivant et parlant. Il ne faut d’ailleurs surtout pas trop jouir de ça, garder la distance compatible avec l’écoute. Car il y a dans le symptôme un « bénéfice », donc une jouissance au-delà même de la parole. Elle peut être aussi impliquée dans la mise en spectacle du symptôme de l’autre, c’est le piège de l’image qui questionne la mise en image. Il y a des patients, souvent obsessionnels, qui font exprès de tenter d’ennuyer l’analyste : « Je vais encore vous ennuyer avec mes histoires… Ah tiens, j’ai un rêve », comme s’ils offraient en cadeau leurs rêves comme distraction à leur récit, comme s’ils donnaient leurs rêves à manger à l’interprète. 

Il ne faut certes pas que l’analyse se routinise. Mais la psychanalyse n’est pas une herméneutique, c’est-à-dire une théorie du « sens » majuscule. C’est plutôt une corrélation signifiante. Lacan dit « l’interprétation doit être preste », tandis que les herméneutes trouvent du sens partout. En analyse, pas question de jouir du sens pour déconstruire le signifiant des symptômes. Et c’est pas mal restitué dans la série, même si souvent, on l’a dit, perce une tendance « pédagogique » chez cet analyste mis en scène et que le plaisir de mettre au jour la signification est un peu trop visible chez l’analyste en question, malgré son indéniable dignité et modestie dans l’écoute. 

Revue : Les moments d’authenticité, est-ce ce qui fait que ça ressemble à une analyse ou en est-on éloigné ? En quoi la fiction dit-elle ou non le réel ? 

Paul-Laurent Assoun : En saisissant – au vol – les moments de cristallisation du transfert, car il faut bien comprendre que le transfert n’est pas simplement une question affective. Là aussi, Lacan a complété Freud : celui qui est supposé me savoir, celui-là, je suis enclin à l’aimer. Et ça se voit, ça se sent. 

La séance-type des patients qui interpellent l’analyste, dans la série, avec quelque arrogance, sur leurs revenus ou en les interrogeant sur la jouissance de leur métier, on peut la dire rarissime dans la réalité. Ce serait une tentative de déstabiliser la relation, de jouer à destituer l’autorité du psychanalyste, surtout d’ailleurs pour vérifier qu’il tient assez, qu’il a assez d’assiette pour rester à cette place, dont l’analysant lui a besoin. Ainsi est-ce le cas de ce militaire qui est là, qui a un besoin vital de vérité, étreint authentiquement par ses angoisses professionnelles, et qui d’ailleurs devient de plus en plus attachant.

La limite de l’exercice, c’est que l’on ne peut, en quelques dizaines d’heures, présenter cinq analyses dont chacune dans la réalité dure des mois, voire des années. L’interprétation est d’autant plus rapide – au pas de charge, tout en ayant l’art du ralenti – qu’il y a la temporalité dramatique. Mais cela même cible la temporalité de « l’une-séance ». Ce que l’on saisit bien en raccourci, en accéléré, les moments où le sujet s’avise (plus encore qu’il ne « comprend ») qu’il y a quelque chose d’essentiel de lui qui dans l’interprétation analytique est articulé, qui est de l’ordre de sa vérité, qu’il « s’entend dire ». Il n’y a de véracité que parce que l’analyste a écouté le patient, jusqu’en ses silences : du coup, ces moments d’authenticité sont pris dans une rationalité interprétative, dans une rencontre de non-sens percutante. Freud parle du travail de « construction » de longue haleine qui fait que l’analyste reconstitue pièce par pièce le puzzle et le fait valider par le patient. Mais justement le moment de conflagration signifiante, c’est quand une pièce manquante est placée. Et cela arrive dans les épisodes clés de la série. Assez souvent dans une analyse, l’analyste aperçoit la pièce du puzzle manquante avant le patient, l’intéressé lui-même. Ce qui est décisif, c’est de choisir le bon moment pour le lui communiquer. Les moments d’authenticité, c’est d’une certaine manière quand il est coincé… par sa propre parole. Ce militaire dit qu’il en a assez, il fait partie du service anti-terroriste et il a l’impression que les gens dénient ce qui est en train de se passer, il met en acte un profond sentiment de solitude. C’est tout à fait à l’ordre du jour. Il y a bien le réel là, mais c’est parce qu’on n’est pas dans le discours, mais dans l’effraction traumatique de la parole.

 Car l’analyste met au jour, par sa reconstruction, toute la problématique de sa propre humiliation familiale par rapport au père, lui-même maghrébin ou ce moment où un terroriste âgé, à un certain moment, le fixe avec un regard lourd de reproche, ce qui le trouble sans l’ébranler sur le fond. Étape par étape, d’une séance à l’autre, se reconstituent le puzzle familial et sa reviviscence dans le présent. La vérité du sujet est dans le puzzle. Tout ce qu’il vit dans le réel même de son métier qu’il veut faire bien. Il finit par se suicider en se ruant au combat, avec la cause qu’il ne peut pas faire entendre, en un dénouement d’acting mélancolique. Reste le moment saisissant où il avait « pigé » (l’argot épingle parfois mieux le signifiant en jeu) que son comportement en tant que tel répétait une impasse subjective familiale. Où se vérifie que ce sont les vécus familiaux de la première enfance qui ont une intensité, une importance psychique considérable, que « l’enfant est le père de l’homme ». 

On ne peut pas s’imaginer, ou plutôt on le réalise bien quand on fait une analyse, à quel point les « traces mnésiques » ou souvenirs des premières années sont absolument déterminantes pour le sujet. Évidemment au milieu vous trouvez l’œdipe, moment effectif. Si Freud avait fait de la traumatologie, à l’ordre du jour avec le « stress post-traumatique », il aurait fait croire comme dans la théorie du choc que le sujet était bien et que c’est parce qu’il a eu la mauvaise expérience qu’il est tombé malade... Non, on tombe toujours malade de la conjonction entre une catastrophe dans la réalité et une reviviscence d’une situation catastrophique. Car le sujet est toujours actif psychiquement, jusque dans la passivation qui lui est imposée. Si je réussis à enlever quelque chose à cette gangue de répétition, la souffrance du trauma va être allégée et va être réduite à ses proportions, proportions quelquefois considérables. Bref, le sujet tombe toujours malade aussi de ses propres défenses. Notre système immunitaire (psychique) est là engagé. 

SUJET ET ÉPREUVE DU RÉEL : LE HUIS CLOS ET SON DEHORS

Revue : À propos de la relation avec le psychanalyste dans En thérapie, il y a des moments de grande sympathie et il y a des moments où chacun agresse le psychanalyste. 

Paul-Laurent Assoun : C’est ce que l’on appelle transfert positif et transfert négatif, en lien avec la turbulence passionnelle que nous avons décrite, ou encore « l’hainamoration ».

Revue : Sur cette question d’authenticité, quand on a dit à nos collègues qu’on allait faire quelque chose avec vous sur En thérapie et que pour nous ce qu’on appelle le contexte comptait, plusieurs nous ont fait remarquer que, pour eux, c’était une série qui nous parlait de psychanalyse mais pas de cette vague toile de fond historique. 

Paul-Laurent Assoun : En effet. Heureusement d’ailleurs que la toile de fond n’écrase pas la prise en compte du sujet. Ce qui me paraît bien restitué, c’est d’abord la parole effective d’un policier révolté, qui est sur le front. En même temps, le sujet n’est justement pas qu’un policier. Il a l’impression d’être un transfuge. Ce regard d’un tueur sur l’analysant évoqué plus haut a la puissance de l’impressionner parce qu’il active chez lui un sentiment de culpabilité, en dernière analyse œdipien. Ce n’est donc pas une croyance idéaliste de l’analyste comme quoi le sujet est un absolu. C’est la question très intéressante du rapport entre l’universel structural de l’inconscient et les conjonctures culturelles, les données du réel.

Déjà, dans les années vingt, on discutait de l’effet des cultures sur l’œdipe. C’est le travail de Malinowski qui a été voir sur le terrain s’il trouvait l’œdipe aux îles Trobriand ! On peut dire que c’est un effet de l’occidentalisation ? Est-ce que, en m’occidentalisant, j’attraperais l’œdipe, un virus occidental ?Cela ne se vérifie pas, il y a bien une constante structurale de la question que pose l’œdipe, même s’il a trouvé son expression en référence avec la culture grecque antique (Sophocle).

Le mot contexte est très important à examiner. Si le texte inconscient est articulé au « con-texte », on a aussi affaire à certaines significations au-delà du contexte, soit les formations inconscientes, soit ce rapport que j’ai à moi comme sujet en rapport à l’objet qui cause mon désir, l’enfant que je reste comme objet du désir dont témoignent mes rêves, mes symptômes, mes productions inconscientes, mon « style » d’existant. Notre origine reste consubstantielle, contemporaine de notre devenir. Et c’est une très belle question pour le rapport entre « sciences de la culture » et psychanalyse ! Modèle historique versus modèle structural, que chaque discipline dose à sa manière et qui est centrale en psychanalyse.

Revue : Il y a plein de contextes socio professionnels : la jeune fille sportive et le couple, l’univers médical. On voit la famille, la profession ; on ne voit pas les univers amicaux. Cela rend-il compte de la manière dont ça se passe en vrai, dans la cure psychanalytique ? 

Paul-Laurent Assoun : On voit par exemple le rapport de la jeune nageuse à l’entraîneur séducteur et névrosé à la fois, de la chirurgienne à la maladie et au drame collectif en situation de crise, la communication impossible dans le couple, etc. Le social met en acte l’inconscient. Il faut le rappeler aussi aux analystes. On apprend beaucoup de choses sur les situations conflictuelles à l’intérieur même du lien social, confirmation que le symptôme le plus subjectif jette un éclairage sur le collectif. Cela a des effets sur la psychothérapie : des patients d’un certain milieu social sont à l’aise pour parler d’eux, chez d’autres, il peut y avoir la honte de parler. Mais avec le transfert ça se déclenche, preuve de la constance des êtres parlants, dès lors qu’on leur donne opportunité de s’entendre dire… 

Revue : Pourquoi, de votre point de vue, un tel succès de cette série dans le monde ? À quoi cela fait-il écho ? 

Paul-Laurent Assoun : Une certaine médisance envers la psychanalyse n’entame pas cette intuition que c’est de soi qu’il s’agit dans le savoir de l’inconscient. Il y a un effet de vérité qui peut être très bien compressé, réprimé peut-être même jusqu’à l’extinction. Freud était optimiste de ce point de vue-là. Quand il y a une vérité dans une théorie scientifique, de toutes les façons elle s’impose à terme. Copernic, Darwin … et Freud ! Mais la psychanalyse a affaire à une résistance spéciale, touchant de trop gros enjeux, de nature narcissique. Il y a le rejet de l’inconscient. Reste que la psychanalyse parle… au sujet dont son savoir est issu. 

La psychanalyse défend le sujet, au-delà, dans la mesure du possible, de toute position idéologique, car c’est le réel qui l’intéresse, il faut y insister. La série met l’accent sur l’intersubjectif. On a aussi un analyste qui rencontre les affres du doute, il y a tout le rapport avec sa superviseuse, jouée par Carole Bouquet, devant laquelle il redevient adolescent par moments ! On voit quelqu’un qui révèle une précarité subjective et connaît de véritables affres... Mais après tout, il ressent ce que Freud dit, que la psychanalyse est en un sens un « métier impossible », comme l’éducation ou la politique, mais, ne nous y trompons, par là même nécessaire, car se confrontant à l’essentiel, le désir du sujet. S’il était comme un poisson dans l’eau dans son métier, ignorant toute angoisse, serait-ce un si bon signe ? Après tout, cet analyste pousse sa vocation jusqu’à ressentir spécialement le caractère « impossible » de son métier, ce qu’il ne confie qu’à sa superviseuse. C’est une situation, il faut le souligner, exceptionnelle, du moins est-ce une parabole de l’angoisse de l’analyste, qui est aussi une réalité au moins ponctuelle.

Que certains aient de sérieux problèmes personnels ne les empêche pas d’être de bons thérapeutes. À aucun moment il n’y a l’idée que l’analyste serait une sorte de superman. Le sujet est toujours divisé. Mais là ils y vont fort : sa femme qui lui fait une scène de ménage, qui se dit négligée au profit de ses patients, qui ne le ménage pas dans le récit de son infidélité. Il a l’air d’un enfant touchant. Il y a quand même des aspects préoccupants eu égard à sa position d’analyste. C’est quelqu’un qui a vacillé ce qui débouche chez lui sur une indéniable « confusion de sentiments » qui n’est certes pas un modèle. Le plus intéressant, encore une fois, c’est la réaction de la patiente, quand il s’épanche sur ses problèmes sur un banc, littéralement déconsidéré. Sans doute reste-t-il dans la série la référence à une sorte de mutualisme du soin, mais elle en montre aussi l’envers avec une forme de lucidité. 

Revue : Une dernière question sur le contexte de réception. Le succès n’est-il pas lié au contexte de confinement ? Écho du trauma lié au confinement…

Paul-Laurent Assoun : Au fond, une séance d’analyse implique un confinement sporadique périodique ! Mais, bien sûr, la condition pandémique a montré la portée de l’enfermement, au reste contrastée. Elle a eu aussi des effets sur le « cadre » analytique et les modalités de la rencontre. Une « clinique du confinement » montre aussi que c’est un moment de vérité qui s’avérait un moment de vérité du sujet. On réalise à quel point le rapport au semblable est essentiel. De nouveau, le rapport entre le dedans et le dehors. Alors, oui, des sujets confinés, contemplant ce huis clos analytique, paradoxalement libérateur… L’essai de reconstitution en est en effet un moment qui pourrait faire date.

Citer cet article

Référence électronique

Paul-Laurent Assoun, « « La psychanalyse à l’écran : spectroscopie et enjeux d’une série » », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 08 octobre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=559

Auteur

Paul-Laurent Assoun

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