Né en 1928 à Châlons-sur-Marne et décédé en 2017, Jack Ralite a déployé son action politique à plusieurs étages : municipaux, nationaux, internationaux. Soucieux au premier chef d’action culturelle, il a privilégié pendant une grande partie de sa vie l’échelon municipal : la ville d’Aubervilliers a été le territoire et le point de départ de la plupart de ses expériences. Jack Ralite est entré au Parti communiste en 1947. Longtemps journaliste à L’Humanité et à L’Humanité Dimanche, il devient à l’invitation du maire PCF d’Aubervilliers André Karman maire adjoint chargé de la culture et de l’éducation entre mars 1959 et 1984 puis maire de 1984 à 20031. Il a œuvré sur le terrain politique national en tant que député (1973-1981), ministre2 (1981-1984) puis sénateur (1995-2011). Communiste engagé, il a développé ses conceptions de la culture au sein du comité central du Parti communiste français où il siège après 1979. Jack Ralite n’a cessé de se situer et de revendiquer son engagement communiste tout en suscitant de larges mobilisations qui sont allées au-delà du cercle communiste3.
Notre article s’appuie en partie sur des sources numérisées par les archives Jack Ralite à Aubervilliers4, sur des archives issues du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers5, sur des sources de presse locales comme nationales : citons en particulier le magazine Aubermensuel (1986-2018)6, les journaux Le Monde, L’Humanité et L’Humanité Dimanche. Les archives municipales d’Aubervilliers ont dressé un état des fonds disponibles sur les États généraux de la culture7. Le sociologue Laurent Fleury a organisé en 2016 à l’université Paris Diderot une rencontre à l’occasion des trente ans des États Généraux de la Culture que Jack Ralite avait initiés8. Jack Ralite ainsi que plusieurs intervenants des États généraux de la culture y étaient présents. Nous-mêmes avons pu organiser dans le cadre du séminaire « Culture et Communication » du Comité d’histoire du ministère de la Culture des rencontres9 auxquelles ont participé, en particulier, Claudine Joseph10, Serge Regourd11, Jean-Claude Petit12. De plus, Jack Ralite jouissait d’une certaine aura et a suscité de nombreux témoignages de son vivant. Nous disposons de nombreuses sources filmiques13, télévisuelles et radiophoniques sur lui et avec lui. Des notices biographiques lui ont été consacrées. À sa mort, des hommages et nécrologies ont été publiés.
Deux livres s’avèrent particulièrement précieux pour comprendre son action : il s’agit de La culture française se porte bien pourvu qu’on la sauve, présenté par Jack Ralite et publié aux Éditions Messidor/Éditions sociales en 198714. Ce livre contient les interventions et messages des participants aux États Généraux de la Culture. Le deuxième, intitulé Retour de France-Reportages de Claudine Ducol15, rapporte des témoignages issus du « Tour de France de la santé » engagé par Jack Ralite entre le 16 septembre et le 23 octobre 1981quand il était ministre de la Santé. Il faut également signaler, pour ses enseignements sur le contexte politique interne au Parti communiste, la thèse de Marie-Lise Fayet « Le Parti communiste français et la culture de 1956 à 1981. Une exception culturelle dans le centralisme démocratique » (2011)16. Cette thèse pose la question des relations qu’a entretenues Jack Ralite au sein du Parti communiste, de son orientation spécifique sur les questions culturelles. Un mémoire de master a été consacré en 2016 aux États généraux de la Culture par Leonor Friedli17.
Notre propos consiste à questionner l’itinéraire d’un acteur culturel communiste, à situer ses conceptions de la culture parmi celles des gauches contemporaines à un moment particulièrement marqué par le développement des chaînes privées de télévision et par l’essor des luttes pour défendre l’audiovisuel public. Après avoir donné quelques éléments utiles pour la présentation biographique de Jack Ralite, nous évoquerons en premier lieu ses territoires d’action, du local au national voire à l’international, puis nous examinerons les interventions culturelles et politiques de ce littéraire communiste organisateur des États Généraux de la Culture (1986-1989), défenseur des « droits de la culture française », tout particulièrement dans deux domaines : celui du théâtre et celui de l’audiovisuel. En définitive il s’agit d’analyser les conceptions, la place et le rôle de « la culture » dans son action politique.
Éléments biographiques
Jack Ralite a raconté, à plusieurs reprises et avec un certain plaisir, les facteurs qui ont contribué à son amour de la culture et à son engagement communiste18. Très jeune, il a, sous l’influence de ses parents, pu développer son goût de la lecture et son amour des images et du cinéma où il allait tous les dimanches entre 6 et 16 ans. Lycéen à Châlons-sur-Marne pendant la période de la Seconde Guerre mondiale19, il a passé trois mois en prison à l’âge de 13 ans sous l’Occupation alors que son lycée était occupé par les Allemands. La prison a été pour lui l’occasion de rencontres décisives. Dès cette période il a, dit-il, « éprouvé un battement de cœur permanent pour l’Armée Rouge »20. Il a aussi été sensible aux propos et à l’action d’un prêtre résistant, le père Graser, lui aussi emprisonné.
Journaliste à L’Humanité Dimanche de 1956 à 197321, il y crée la rubrique « Télévision »22 : là s’ancre sa préoccupation constante pour l’audiovisuel qu’il contribue à intégrer au domaine de la culture légitime. À Aubervilliers-même, Jack Ralite met en place des institutions et des événements culturels dont l’écho deviendra national, voire international : le point de départ en est un premier festival d’Aubervilliers en 1960. « Avant l’ouverture du théâtre de la Commune d’Aubervilliers en 1965, Gabriel Garran a d’abord créé, de 1961 à 1964, un festival théâtral annuel qui se déroulait en juin dans le gymnase Guy Moquet, aménagé par un dispositif scénique de 24 x 15 m, le Théâtroscope, construit par René Allio »23.
Des Rencontres d’Aubervilliers au théâtre de la Commune
Jack Ralite a été particulièrement sensible à l’art théâtral : il souligne l’impact de la présence physique des comédiens au théâtre. Il est, toute sa vie durant, proche de Jean Vilar qu’il considère comme un père, d’Antoine Vitez qu’il considère comme un frère24. Le 25 janvier 1965, naît, avec le soutien de la mairie d’Aubervilliers le théâtre de la Commune dans une vieille salle des fêtes remodelée par René Allio25. L’État et le ministère des Affaires culturelles n’ont pas apporté de soutien matériel à la création du théâtre, ce que Ralite souligne régulièrement26. Garran et Ralite n’hésitent pas à faire eux-mêmes les affichages, à visiter les comités d’entreprise et les HLM27. C’est le point de départ et le modèle d’« un mouvement théâtral de banlieue »28 et d’une vague de décentralisation dramatique dans la banlieue parisienne, notamment en Seine-Saint-Denis et dans les banlieues rouges. La reconnaissance de cette initiative artistique militante s’est traduite par l’octroi d’un label de Centre dramatique national, le 1er janvier 1971. Jack Ralite attire dans la salle des poètes, des metteurs en scène, des artistes… Aragon, Elsa Triolet, Jean-Louis Barrault, Claude Dauphin, Jean Renoir, Truffaut et, dans un même mouvement qui caractérise son action, il œuvre aux côtés de Gabriel Garran au lien entre les milieux intellectuels et les catégories populaires. Il a été particulièrement soucieux de faire venir les publics qui ne vont pas régulièrement au théâtre. Cependant, et de ce point de vue, le succès est relatif : selon l’analyse du public établie à partir du fichier des amis du théâtre en 1966 et repris par Margaret Teboul29, 62 % des spectateurs viennent d’Aubervilliers ou des communes proches, mais la proportion d’ouvriers est faible : 4,98 %, en dépit de l’action des comités d’entreprise. Le théâtre touche surtout les employés et, parmi eux, les enseignants, les scolaires constituent 19 % de la fréquentation
En 1974, Jack Ralite témoigne de l’expérience devant André Harris et Alain de Sedouy30. Ce témoignage est intéressant en ce qu’il livre des nuances sur la « belle image » d’Aubervilliers, son conseil municipal et son théâtre de la Commune. On comprend les difficultés de cette expérience de démocratisation culturelle in situ. Lorsque la Commission municipale de la Culture se réunit pour tenter de dresser un bilan, « tous ne sont pas présents. C’est parce qu’il s’agit de théâtre » nous dit Ralite31. Les réflexions relevées révèlent les difficultés et l’insatisfaction : « Maintenant on nous reproche d’être tristes. Cela tient peut-être au fait que Garran est obsédé par l’individu écrasé par la société. Cela ne nous a pas empêchés de jouer plusieurs pièces gaies. Les gens riaient, puis on entendait dire “ Cela n’a aucun contenu” »32.
Ralite explique aussi, dans l’entretien donné à Harris et Sedouy, les difficultés du choix du répertoire si l’on ne veut pas jouer uniquement Brecht. Il défend une certaine liberté d’expression et de choix des pièces montées33. Il revendique un parti pris de création théâtrale34.
En 1991 Jack Ralite raconte ce parcours :
En 1959 on a créé un festival dans un gymnase. Le premier festival de théâtre en banlieue avec une pièce La Tragédie optimiste de Vichnievski. Il est venu 150 personnes. Ensuite en 1965 la première troupe a pu s’installer dans l’ancienne salle des fêtes de la ville réaménagée. Sans subventions du ministère de la Culture. On était des vilariens extrémistes ; avec Garran on écumait les comités d’entreprise et les HLM, on effectuait nous-mêmes l’affichage. On a monté Strindberg, Shakespeare, Max Frisch, Patrick Dewaere, Coline Serreau et Nathalie Baye ont débuté ici… Les Parisiens ont découvert le chemin d’Aubervilliers […]35 .
Il tire le bilan lors de l’exposition organisée pour les 50 ans du théâtre de la Commune, en 2015 et affirme : « L’avenir du théâtre appartient à ceux qui n’y vont pas »36.
Les communes de banlieue, des territoires pour la culture ?
À l’intersection des préoccupations contemporaines, la culture apparaît comme un domaine à investir, un espace à occuper sur différents territoires37. La culture, pour Jack Ralite c’est un ensemble de références et de pratiques qu’il souhaite mettre à l’abri du profit, à qui il entend donner des moyens matériels, et dont il souhaite faire bénéficier les classes populaires.
Il faut ici insister sur le contexte des années 1960 : André Malraux met en place le ministère des Affaires culturelles dans lequel l’impulsion vient « d’en haut » et dont Ralite souligne volontiers qu’il n’accorde aucune aide à ces politiques locales de banlieue que lui-même encourage. De son côté, le Parti communiste est traversé par les effets du rapport Khrouchtchev et les remises en cause en son sein. L’époque est aussi celle du concile Vatican II (1962-1965). Certains communistes encouragent au rapprochement entre chrétiens et communistes.
Partisan de la « décentralisation culturelle »38, Jack Ralite participe dès les années 1960 au développement de la Fédération nationale des centres culturels communaux (FNCCC)39 mise en place en 1960 par le maire adjoint centriste de Saint-Étienne, Michel Durafour, au sein de laquelle plusieurs communistes sont présents. Il en devient membre dirigeant à partir de 1964 et vice-président en 1969. Cette participation à la FNCCC a été, pour lui, une expérience très formatrice. Il s’agit alors de promouvoir la culture et en particulier la culture issue des territoires, proche de l’éducation populaire, au sein-même des cités. Du 24 au 26 avril 1964, se tiennent à la Mutualité les premiers États Généraux de la Culture, à l’origine d’une charte de la culture40. Les 27 et 28 juillet 1967, la FNCCC se réunit à l’invitation de Jean Vilar en Avignon : aux côtés de directeurs de Centres dramatiques nationaux et de Maisons de la culture (Chéreau, Planchon, Hossein), les maires de plusieurs villes dont Aubervilliers sont appelés à présenter leurs politiques culturelles41. La FNCCC entame alors un mouvement de revendication pour le 1 % aux affaires culturelles.
En mai 1969, Jack Ralite alors maire adjoint d’Aubervilliers représente la FNCCC au Congrès de Vichy (9-11 mai 1969), dont le thème est « La culture : qui, quoi, comment ? »42. En mai 1969, est mis en place un « Comité de liaison du 1 % » qui revendique qu’1 % du budget de l’État soit consacré à la culture. Celui-ci regroupe 56 organisations et syndicats, avec en particulier la présence de nombreuses structures et associations d’éducation populaire, dont Peuple et Culture, la Fédération Léo Lagrange ou encore la Fédération des centres musicaux ruraux. La FNCCC y est représentée par Jack Ralite, alors maire-adjoint à la culture d’Aubervilliers43.
Argenteuil et la référence permanente à Louis Aragon
En janvier 1966, est formellement décidée la tenue d’une session du Comité central du Parti communiste sur les questions de la culture. Le congrès se tient du 11 au 13 mars 1966 à Argenteuil. Il contribue à l’ouverture d’un climat de plus grande liberté au sein du Parti communiste44. Jack Ralite participe, avec Gérard Belloin, à la rédaction de la motion d’Argenteuil qui, selon les recommandations d’Aragon, revendique « la citoyenneté du créateur, la libre diffusion des œuvres culturelles, la nécessité d’un écart entre l’activité artistique et le mouvement social et politique, la possibilité de critiquer publiquement ce qui se faisait alors en URSS, l’indépendance de la recherche scientifique45 ». À partir de ce moment, Aragon, qui a su formuler une voie de compromis au sein du Parti communiste, devient une référence permanente pour Jack Ralite tant sur le plan littéraire que pour ses positions politiques. En effet, deux courants se dessinent alors au sein du congrès et du Parti communiste comme l’explique Pierre Daix rédacteur en chef des Lettres françaises :
Autant dire qu’à ce moment déjà il y a d’un côté Waldeck Rochet, Aragon et d’autres partisans de l’ouverture intellectuelle face au remue-ménage des idées qui marque ces années 1960 et, en opposition à eux, Marchais, Krasucki et une partie importante de l’appareil. Ce conflit se manifestera pleinement en 1968 […] (Le Débat, p. 133)46.
Le comité central d’Argenteuil œuvre, en dépit de débats houleux, à la transformation du rôle des intellectuels communistes pensés au premier chef comme des créateurs disposant d’une marge d’autonomie. Il contribue à une transformation du climat au sein du Parti communiste vers davantage de liberté47. Cependant, Frédérique Matonti explique qu’à partir de ce congrès s’établit une « distinction entre sciences “dures” et œuvres artistiques d’une part et sciences humaines d’autre part qui permet de maintenir un contrôle politique sur la production intellectuelle »48, en particulier celle d’intellectuels comme Louis Althusser ou Roger Garaudy.
Aubervilliers et Avignon
Les Rencontres d’Avignon organisées par le Festival dès 196449 ouvrent leurs tribunes aux thématiques familières de Jack Ralite et des communistes autour du théâtre et de l’action culturelle. Elles donnent un écho national à ses pensées et à son action. Comme l’écrivent Emmanuelle Loyer et Antoine de Baecque, « l’adjoint au maire d’Aubervilliers [est] un spectateur fidèle du festival tout autant qu’un animateur charismatique »50. Il est comme « l’emblème »51 de la présence communiste en Avignon. Jack Ralite participe aux Rencontres du Festival en 1966 sur la question du développement culturel régional52. Il soutient Jean Vilar en 1968 alors que celui-ci est attaqué par des gauchistes53. Il rappelle ses prises de position alors qu’il prononce un discours54 à Aubervilliers le 22 février 1969 à l’occasion du centenaire de la naissance de Firmin Gémier :
Cet été, se donnant la main, même si les doigts ne se touchaient pas, gaullistes et gauchistes ont fait feu contre “ce festival bourgeois” (l’œuvre identifiée à la composition sociale du public qui n’est d’ailleurs pas bourgeois), ce “ supermarché de la culture” (il est plus commode de tonner contre Avignon que contre l’industrie de la culture). Alors que nous avons besoin de dix, vingt, trente Avignon en France. En fait, Avignon a eu lieu, a tenu et aura lieu ce juillet prochain. Mais il n’échappe à personne que cet été un coup a été porté aux lettres populaires, que Vilar avait su donner à la liberté de création. Et dans la sorte de cri, que contiennent et l’intervention de Garran et celle de Vilar, il y a cela qu’il nous faut savoir entendre. Sans pilotis, et ils sont durs à établir, la liberté de création chute. Depuis Avignon, Monnet, Barrault, Tréhard, Gatti et le T.N.P. sont frappés. Une sorte d’ordre moral s’instaure dans le pays […].
En 1977-1978, Jacques Chambaz55 et Jack Ralite présentent à la mairie d’Avignon la politique culturelle du PCF pour la France56 .
Jack Ralite un littéraire, un militant et un élu
Jack Ralite est connu pour ses goûts littéraires revendiqués, son amour des citations des auteurs qu’il affectionne et dont il revendique la force de conviction. Il se plaît à dire qu’il a « adoré » Le Rouge et le Noir, qu’il a moins aimé Balzac qui lui « donnait l’impression de lire des documents », que les livres de l’historien Marc Bloch l’ont « ébloui »57. Parmi les auteurs qu’il cite, on trouve Julien Gracq, Pierre Boulez, Henri Michaux, Boris Pasternak, Louis Aragon et beaucoup d’autres. Son vocabulaire est marqué par les références républicaines et révolutionnaires : États généraux en 1964 et 1987, Tour de France de la culture, de la santé, cahiers d’exigences…
Dans son discours à Aubervilliers pour le centenaire de la naissance de Firmin Gémier, le 22 février 1969, il explique ce qu’est à ses yeux la culture :
La culture n’a pas pour synonyme seulement les trois Beaux-arts : elle est un phénomène complexe ayant plusieurs composantes, la science, le sport, le civisme, la technique, les Beaux-arts, etc. La culture c’est d’abord dans sa spécificité que l’on trouve bonheur à y être mêlé. Et cette spécificité au théâtre qu’elle est-elle ? Elle tient “aux yeux de la mémoire” que le répertoire d’hier et d’aujourd’hui constitue. Sans doute le théâtre qui se mange chaud entretient-il des rapports avec la politique58…
Le 20 février 1977, Jack Ralite prononce un discours pour l’inauguration de la bibliothèque Saint John Perse à Aubervilliers59. Après avoir évoqué les 17 ans des Rencontres d’Aubervilliers, le « parfum des poèmes d’amour » et cité Aragon, Hölderlin, Claudel, Éluard, Saint-John Perse et beaucoup d’autres, Jack Ralite fait un tableau positif du « développement culturel d’Aubervilliers » en 17 ans de théâtre, cinéma, peinture, littérature. Il dresse un bilan chiffré des institutions et des activités mises en place en donnant la part de financement de l’État pour les conservatoire (12,2 %,), bibliothèque (1 %), centre de loisirs (0 %), centre d’Arts plastiques (0 %), O.M.J.A60 (0,25 %), studio d’Aubervilliers (3 %), théâtre (56,24 %). Il commente ce dernier chiffre en ponctuant « mais avec quelle bataille acharnée qui a mis 10 ans pour aboutir »61. Cette allocution se conclut en citant longuement Saint-John Perse62.
En 1981, Jack Ralite, désormais membre du comité central du Parti communiste, fait partie des quatre ministres communistes choisis par la direction du Parti communiste qui entrent dans le gouvernement de François Mitterrand : Anicet Le Pors, Charles Fiterman, Marcel Rigout et Jack Ralite63. Jack Ralite est ministre de la Santé mais aurait certainement préféré le portefeuille de la Culture accordé à Jack Lang64.
Les États Généraux de la Culture65 après 1986
Après avoir quitté le gouvernement, en 1984, Jack Ralite va partager son action entre la mairie d’Aubervilliers et le rassemblement des États Généraux de la Culture qu’il initie et développe. Il se mobilise, à partir de 1986, contre la privatisation de TF1 par le gouvernement du ministre de la Culture et de la Communication François Léotard. La défense du service public de l’audiovisuel devient pour lui un combat prioritaire qui lui donne l’occasion d’affirmer les droits de la culture et son refus de la « marchandisation ». Il manifeste alors l’importance qu’il donne à l’audiovisuel et rassemble autour de lui de nombreux intellectuels et artistes de tous bords politiques et de toutes disciplines. Cette action intervient au même moment que celle de Jack Lang, ancien ministre de la Culture, qui entend « sauver le service public »66, et celle de la pétition lancée par l’hebdomadaire Télérama67. Quelques personnalités comme Claude Santelli se retrouvent dans les différentes initiatives.
Une première réunion qui réunit des centaines d’artistes se tient à la Mutualité le 9 décembre 1985. Jack Ralite y dénonce le « coup d’État dans l’audiovisuel » qu’a représenté la naissance de la Cinq68. Claudine Joseph69, qui a accompagné Jack Ralite dans la réalisation des États Généraux de la Culture, a retracé les grandes lignes pour le Comité d’histoire du ministère de la culture le 27 février 2020 :
Tout a commencé le 20 décembre 1986 [dans la salle de la Bellevilloise] par un appel de Jack Ralite sur le thème : “la Culture française se porte bien, pourvu qu’on la sauve”. C’était une réaction à la privatisation de TF1, et au malaise des artistes face à la marchandisation de la Culture. Jack a donc décidé d’écrire un texte, qu’il a soumis à 257 artistes, et l’originalité du geste consistait en ce qu’il s’agissait d’artistes de toutes les disciplines, de toutes les esthétiques et toutes les sensibilités. Très vite, ce sont 1500 artistes qui l’ont signé. Nous avons organisé des réunions par discipline artistique et par région, et il en est sorti que ce malaise était ressenti par tous. Le 9 février 1987, au Théâtre de l’Est Parisien, nous avons organisé une autre réunion, cette fois avec des représentants de toutes les disciplines. Pendant cette soirée, la décision d’élaborer une déclaration des droits de la Culture a été prise, dont les motivations étaient l’émerveillement face aux créations artistiques, l’angoisse devant les coups portés, et la conscience de l’urgence d’agir70.
Jack Ralite a expliqué la méthode adoptée pour aboutir à la rédaction de « cahiers d’exigences »:
On a décidé de convoquer les États Généraux de la Culture en juin 1987, au Théâtre de Paris. Pour les préparer, on a fait des réunions catégorielles et des réunions transdisciplinaires dans les régions. Réunions à Marseille, au Théâtre de la Criée, sous la présidence de Marcel Maréchal, réunions dans le Nord à l’École d’Arts Plastiques, réunions au Havre, à Bobigny, dans les Maisons de la culture, dans le Val-de-Marne avec Catherine Dasté, etc. Toutes ces réunions ont esquissé la rédaction de ce qu’on a appelé les cahiers d’exigences, pour garder le vocabulaire de 1789 en l’actualisant : aujourd’hui, on n’a pas de roi, on n’a pas de doléances ; on a une république, on a des exigences71.
Le 17 juin 1987, au Théâtre de Paris, tous les artistes ont adopté une « déclaration des droits de la Culture »72, proclamée symboliquement le 16 novembre 1987, lors d’une grande manifestation publique et gratuite au Zénith de Paris73, qui regroupa 6 000 personnes. Trois tribunes se sont succédées de 14 h à 20 h 30 au Théâtre de Paris, où ont siégé côte à côte des comédiens (Micheline Presle, Claude Piéplu, Michel Piccoli), des metteurs en scène (Lucien Attoun, Jean-Paul Wenzel), des réalisateurs de télévision (Claude Santelli), des musiciens (Gilbert Lafaille), des danseurs, des plasticiens et des cinéastes. Les débats ont débuté par la lecture du « cahier d’exigences » rédigé lors des assemblées préparatoires organisées depuis le 1er mai, discipline par discipline. Cette déclaration compte cinq points : audace de la création ; obligation de production ; élan du pluralisme ; volonté de maîtrise nationale ; besoin de coopération internationale.
Le leitmotiv était : « un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se condamne à des libertés précaires ». Et Claudine Joseph de poursuivre :
Quant à l’originalité du mouvement, elle résidait dans la conjugaison d’une parole citoyenne et d’actes artistiques74. Les cinq points de la déclaration ont été proclamés, expliqués et illustrés par Antoine Vitez, Jean Ferrat, Paul Puaux, Bernard Noël et Claude Santelli, précédés d’un discours de Jack Ralite assez remarquable75.
On peut, à la suite de Serge Regourd, commenter l’esprit du premier paragraphe de la déclaration des droits de la Culture qui, selon lui, est « presque un clin d’œil évangélique » :
Audace de la Création. D’abord, car au début est le créateur. Les marchands viennent ensuite – quand ils viennent. Réduire l’œuvre à un produit, c’est la détruire. Il faut donc poser, pour l’artiste comme pour le public, le primat de l’œuvre sur l’argent, afin d’émanciper l’imaginaire du pécuniaire.
Obligation de production. Ensuite, car face à une liberté du marché, qui trop souvent opprime, c’est l’obligation qui affranchit76.
La déclaration des droits de la Culture repose sur une définition large de la culture ; elle entend à la fois œuvrer pour la protection de la culture contre l’argent, contre la « marchandisation », mais aussi pour la construction d’un nouvel espace et pour la défense du service public. Cependant, poursuivant la ligne politique décidée lors du Congrès d’Argenteuil, elle s’intéresse principalement aux métiers de la création et à ceux du secteur audiovisuel. Elle s’accompagne d’une charte de l’audiovisuel qui affirme et revendique le « droit à la communication »77. Jack Ralite soutient un mouvement contre la publicité télévisée qui débute à Chantelle dans l’Allier78. Une association nationale de défense de la télévision (ANADET)79 se met en place et lance des actions. Elle prévoit un rallye qui doit traverser la France à l’automne 1988 pour expliquer aux Français des villes et villages traversés la lutte contre le « saucissonnage des œuvres ». En revanche en 2009, quand Nicolas Sarkozy limite la place de la publicité en soirée à la télévision, Jack Ralite, comme plusieurs de ses contemporains, défend la publicité comme moyen de financement de l’audiovisuel.
Le mouvement entamé par les premiers États généraux de la Culture se développe à l’international. Il contribue à plusieurs mobilisations et se prolonge dans le temps par d’autres États Généraux de la Culture :
« Après, on a eu des visites ici et là avec des pays étrangers, le Chili en premier qui, en juillet dernier a créé un mouvement qui s’appelle “Chile Crea” avec, comme document de base, la déclaration des États Généraux traduite en Espagnol. Alors on s’est dit : “ Puisque ça a un tel écho, pourquoi ne pas pousser un peu ? ”. C’est ainsi qu’au Festival de Cannes, on a organisé une conférence de presse à laquelle participaient des hommes comme Ettore Scola, Terence Young, etc. Là, on a recueilli des signatures de nombreux artistes européens. On est aussi à l’initiative de la manifestation du cinéma du Boulevard Saint-Michel pour le film de Scorcese80, de la manifestation réplique quand Hélène Delavault a été blessée par un royaliste incorrigible et méchant. Les États Généraux de la Culture, c’est tout ça, vous voyez81. »
La mobilisation pour les droits de la culture débouche sur le combat pour la reconnaissance de l’exception culturelle française à laquelle travaillent de concert Serge Regourd82 et Jack Ralite.
Du 1er au 3 novembre 1991 se tiennent des États Généraux internationaux à Berlin. Le 12 octobre 2003, Jack Ralite organise de nouveaux États Généraux de la Culture au Zénith, à Paris, alors que se développe un grand mouvement des intermittents du spectacle qu’il soutient contre l’application des réformes de Raffarin83. Il les cite volontiers : « Les intermittents ne se plaignent pas, ils portent plainte.84 »
Les actions d’un élu communiste
Jack Ralite a été successivement maire adjoint, maire, député85, ministre puis sénateur86 et s’est efforcé dans chacune de ses fonctions d’intervenir pour revendiquer des moyens, de défendre le service public, en particulier pour tout ce qui concerne l’audiovisuel et la culture ; il est l’auteur de plusieurs propositions de lois.
En 1974, alors que le député Jack Ralite est rapporteur de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, il dépeint une situation catastrophique du cinéma français qui ne reçoit pas des pouvoirs publics le soutien nécessaire. Il met en cause une « censure économique87 ». À l’origine de la crise, Jack Ralite voit deux façons de considérer en France le cinéma, « deux idées guillotines » qui ont présidé à ses destinées : le cinéma français est un luxe ; il est aussi une marchandise. « Son aspect culturel est négligé, écrit-il, le public est méprisé, ses aspirations ignorées88. » Il rappelle les vœux de la commission culturelle du VIe Plan qui proposait que la culture soit mise « hors profit ». Jack Ralite considère le cinéma comme « l’art par excellence de notre époque89 ».
En octobre 1979, il est, aux côtés de Guy Hermier, rapporteur du budget pour avis de la Commission des affaires culturelles, pour le cinéma90. Guy Hermier explique la méthode de préparation du budget par les communistes et utilise, il faut le remarquer, l’expression de « Tour de France » que Jack Ralite emploiera de nouveau à propos de la santé et de la culture :
« Pour préparer cette discussion budgétaire, nous sommes allés voir les créateurs, les animateurs, les professionnels de la culture, les artistes, dans plus de dix villes de France, au cours d’un véritable tour de France de la culture91. »
En 1979, Jack Ralite entre au Comité central du Parti communiste92. Quand il obtient le poste de ministre de la Santé93 en mai 1981 dans le gouvernement dirigé par Pierre Mauroy94, il entend, dit-il, « s’occuper des corps » alors que tout le monde le questionne sur sa préférence pour la culture. Ministre de la Santé, il ne se dispense pas de références culturelles, la culture étant systématiquement intégrée dans ses interventions. Il explique volontiers qu’il ne reçoit aucune directive du Parti communiste.
Entre 1986 et 1992 il est conseiller régional d’Ile de France et s’emploie à développer la mobilisation autour des États Généraux de la culture.
Il devient sénateur de la Seine-Saint-Denis de 1995 à 2011. Il intègre alors le groupe communiste, républicain et citoyen (CRC) du Sénat. Le sénateur Ralite fait de nombreuses propositions de loi95 qui montrent son intérêt pour la défense de l’audiovisuel public. Le 22 avril 1999, il défend « cette belle invention humaine qu’est la télévision ». Il affirme que « l’enjeu social et culturel de la télévision mérite un véritable “code de la route de l’imaginaire des peuples” ». Il propose « une politique industrielle européenne d’investissements pour la production de programmes audiovisuels et logiciels dont le montant doit atteindre dans un délai de 5 ans 1 % du PIB consolidé des pays membres de l’Union européenne »96. À partir de 2007, aux côtés de Charles Fiterman après avoir évoqué quelques « initiatives novatrices des années 199097 », il appelle « à une véritable Refondation », à la « constitution d’un Pôle antilibéral » et au rassemblement d’une « Gauche fédérée » à la gauche du Parti socialiste98. Il souhaite « porter le débat et l’action à l’échelle européenne et mondiale ». Dans une « époque marquée par l’affirmation du besoin d’autonomie et de liberté de l’individu », Charles Fiterman et Jack Ralite affirment la nécessité d’un meilleur équilibre entre l’action collective et l’initiative individuelle vers « un socialisme de la liberté ». Ils entendent « favoriser la création artistique, ses audaces, sa diversité et son partage par chacune et par chacun99 ». Ainsi, tout en tenant compte des modifications du contexte culturel et politique de l’époque les Refondateurs poursuivent leurs objectifs de longue durée de défense de la création.
Toujours soucieux des financements de l’audiovisuel, Jack Ralite considère dans une de ses dernières interventions comme sénateur que « la loi du 5 mars 2009 (n° 2009-258) relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, en supprimant en deux étapes la ressource publicitaire de France Télévisions, loin de renforcer le groupe audiovisuel, l’a au contraire affaibli, a considérablement réduit son indépendance, et a mis en péril sa capacité à assumer ses missions de service public100. Il estime que « supprimer la publicité, c’est donc ainsi non seulement diminuer les ressources de France Télévisions, mais surtout mettre le groupe entièrement sous la coupe de l’État, qui dispose de pouvoirs considérablement renforcés en tant que financeur unique »101.
Jack Ralite a tout au long de sa carrière politique manifesté une grande continuité d’intérêt pour les causes qu’il a soutenues. Il a inscrit son action sur plusieurs terrains qu’il a défendus de façon militante. Certains ont pu s’interroger sur la nature de son appartenance au Parti communiste, se demandant « comment il avait fait » pour agir ainsi tout en restant communiste102. À cette question difficile à appréhender on peut répondre d’une part qu’il s’est toujours présenté comme communiste dans les fonctions électives qu’il a occupées, qu’il a su investir, sans mener le conflit, la place réservée à « la création » dessinée par le Congrès d’Argenteuil. Il a déployé une action de terrain aussi bien à Aubervilliers que dans ses Tours de France et dans les rencontres menées pour les États Généraux de la Culture. Il a, de façon constante, voulu donner des moyens d’existence à la culture en privilégiant l’audiovisuel et la création théâtrale. On peut aussi souligner sa volonté de transformer les droits des artistes et de la culture française en s’appuyant sur la loi.