Le projet PIND

DOI : 10.56698/rhc.407

Référence(s) :

PIND. Punk is not dead : une histoire de la scène punk en France, 1976-2016.

Résumés

PIND est un projet de recherche collectif sur l’histoire de la scène punk en France au cours des quarante dernières années. Le CNRS y propose une approche pluridisciplinaire de cet objet illégitime et vulnérable. 

PIND is a collective research project on the history of the punk scene in France over the past forty years. The CNRS offers a multidisciplinary approach to this illegitimate and vulnerable object. 

Index

Mots-clés

mouvement punk, scène

Keywords

punk movement, scene

Texte

En 2019, à l’occasion des 80 ans du CNRS, le Journal du CNRS pouvait déclarer, et placer dans un encart, que « de l’histoire de la scène punk à l’intelligence artificielle, le CNRS dévoile à tous la richesse de la science »1. Cet affichage est une reconnaissance significative pour le projet PIND, acronyme du projet « Punk is not Dead. Une histoire de la scène punk en France 1976-2016 », soutenu par l’ANR, et impulsé, depuis 2013, par Luc Robène (historien, Professeur de Sciences de l’Education à l’université de Bordeaux, THALIM UMR 7172) et Solveig Serre (musicologue, chargée de recherches au CNRS au Centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours/Centre de musique baroque de Versailles, UMR 7323)2.

Ce projet de recherche vise à relever un triple défi : celui d’un objet illégitime (dans la société et dans le champ académique français), d’une grande vulnérabilité (urgence de la recherche liée à la fragilité des acteurs3 et à la pérennité des traces du passé) et somme toute paradoxal, en raison de la nature même du punk, mouvement de subversion et de résistance, rétif par définition à l’institutionnalisation4. La dimension patrimoniale est également essentielle car la mise en œuvre du projet s’accompagne d’une campagne volontariste de regroupement d’archives diverses — écrites, visuelles, sonores et orales — ; souvent dispersées, matériellement fragiles, et qui n’ont pas vocation à se retrouver naturellement au sein des dépôts publics5. Le projet d’une « Maison du Punk », véritable centre d’archives et de recherche sur les cultures alternatives, est un horizon envisagé par l’équipe de PIND. Au plan méthodologique, la notion de « scène » comme prisme d’analyse permet à la fois de résister à une approche parisiano-centrée et de mettre en évidence les interactions entre tous les acteurs, à l’échelle nationale et locale, sans oublier les liens avec les scènes anglo-américaine6.

L’ambition interdisciplinaire du projet mobilise des anthropologues, des historiens, des historiens de l’art, des spécialistes de littératures, des politistes, des musicologues ou encore des sociologues. La présence d’acteurs, devenus chercheurs, a facilité la mise en œuvre du projet : Luc Robène est un acteur de la scène musicale bordelaise (Noir Désir, Strychnine, Arno Futur, The Hyène) ; François Guillemot, aujourd’hui ingénieur de recherche au CNRS, en charge de la documentation sur le Viêt Nam à l’Institut d’Asie orientale, est un ancien membre des Bérurier Noir et de Molodoï7.

Les problématiques sont larges, relèvent de l’histoire culturelle (création, diffusion, réception), colorée par une sensibilité anthropologique assumée, et permettent de couvrir à la fois les groupes qui relèvent du genre ; l’idéologie et la philosophie du punk ; les formes de la médiation (des radios aux fanzines ; des boutiques aux labels ; des concerts aux festivals ; de la bande dessinée au cinéma) ; la place de la critique musicale, de la réception immédiate à la construction d’un âge d’or dans une logique mémorielle, voire patrimoniale8 ; le code vestimentaire (de l’épingle à nourrice aux chaussures ; du perfecto aux coiffures) ; les pratiques corporelles comme le pogo9 ; la lutherie et les matériels mobilisés, de la guitare à l’amplification ; le genre du punk. La moisson est large, érudite et documentée, alimentée par les expériences des chercheurs-musiciens et des acteurs-témoins, et offre un voyage socio-historique dans les mondes du punk. L’un des grands mérites du projet est de se pencher sur les scènes locales, de Bordeaux à Caen, de Montpellier à la Lorraine. Depuis 2013, près d’une trentaine de journées d’études ont permis d’analyser des thématiques transversales et le fonctionnement de ces scènes locales ; et de faire se rencontrer chercheurs et témoins/acteurs10.

L’autre ambition est de proposer une perspective dans le temps long, de 1976 à nos jours ; ce qui permet de comprendre les renouvellements générationnels ; les ruptures et les continuités ; les phénomènes de pollinisation envers d’autres genres de la scène rock hexagonale. Certains groupes survivent, ne cessent de se produire ; d’autres cessent rapidement leurs activités ; d’autres se reforment. Des musiciens circulent d’un groupe à l’autre ; d’une scène locale à une autre. C’est aussi une interrogation sur les frontières entre l’underground et le mainstream au prisme de l’histoire et des sciences sociales.

En filigrane, c’est une histoire des marges et des contre-culture ; une histoire également des formes de résistance qui se dessinent. Cette spécificité motrice du punk – embryon des cultures alternatives contemporaines – ses relais et son impact à long terme sur la vie sociale, culturelle et politique de plusieurs générations en France depuis 1976, constitue un aspect fondamental de ce programme de recherche.

Nous retrouvons les singularités que tous ceux qui pratiquent l’histoire du temps présent connaissent ; exacerbées ici par la marginalité des scènes punk, le refus de l’académisme et de l’institution, la posture souvent militante de la plupart des chercheurs. La polémique qui a éclaté en 2013 entre Patrick Eudeline, chanteur du groupe punk Asphalt Jungle (1977), ancien journaliste de Best puis de Rock & Folk, et Éric de Chassey, historien de l’art et commissaire de l’exposition Europunk (Cité de la Musique, 2013), avait vu rejouer des tensions entre l’acteur et le chercheur que les historiens du temps présent ont connues, depuis une quarantaine d’années, sur d’autres objets de recherche (La Résistance, le régime de Vichy, les guerres coloniales…). La prise en compte de cette situation constitue l’un des enjeux de cette recherche : « questionner ce que la science fait au terrain et ce que le terrain fait à la science » soulignent Luc Robène et Solveig Serre. À ce titre, ce projet fonctionne comme un véritable laboratoire épistémologique et méthodologique.

Dès 2016, une livraison de la revue Volumes ! et un colloque à la Philharmonie de Paris (25-26 novembre 2016)11 permettaient de saisir l’état des lieux de l’historiographie et les potentialités de ce projet12. La valorisation de cette recherche a donné lieu, en février 2019, à une présentation vidéo issue de la collection « Reportage du CNRS » : « La grande histoire du punk »13. Cette valorisation s’appuie aussi sur un partenariat éditorial avec les Éditions Riveneuve. La collection « En Marge ! » rassemble des travaux de recherche inédits sur les scènes punk et les cultures alternatives. L’étude des marges et la focale contre-culturelle constituant un prisme décisif pour comprendre le fonctionnement des sociétés contemporaines. « En Marge ! » a l’ambition de publier aussi bien des monographies que des ouvrages collectifs relevant de l’histoire, de la musicologie et plus largement des sciences sociales. Les deux premiers volumes illustrent parfaitement ce cahier des charges14. Un Lexique Franco-Punk a également été publié, en octobre 2019, par les Editions Nova, et offre, sous un format pratique de 178 notices, rédigées par une cinquantaine d’auteurs, une première synthèse, accessible à un large public15.

Ce programme de recherches permet de mieux faire connaître un genre longtemps méprisé, voire tout simplement ignoré par les historiens. Il contribue assurément à l’écriture d’une histoire culturelle de la France contemporaine, sensible à la diversité des cultures, et ouverte au vaste monde.

1 Anne-Sophie Boutaud, « Le CNRS célèbre ses 80 ans », Journal du CNRS, hiver 2019, n°295, p. 14-17. URL : https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/

2 Punks Not Dead, sorti en 1981, est le premier album du groupe de punk rock britannique The Exploited. C’est aussi le titre du premier single de l’

3 Lors de la campagne de promotion de son roman Les Panthères grises, publié chez La Martinière en 2017, Patrick Eudeline (1954-…), auteur de L’

4 Voir le site de PIND, avec la captation des journées d’études : http://pind.univ-tours.fr 

5 À ce propos : Pierre Raboud, « La patrimonialisation du périssable : le punk comme archives », Tétralogiques, n°24, 2019, pp. 95-110. URL : http://

6 Will Straw, « Systems of Articulation, Logics of Change: Communities and Scenes in Popular Music », Cultural Studies, 1991, n° 5-3, p. 368-388 ;

7 Voir un essai d’ego-histoire : François Guillemot, « Bérurier Noir. Sociogenèse culturelle et itinéraire personnel », Volume ! , 2016, n°13/1. URL 

8 Luc Robène et Solveig Serre, « À l’heure du punk ! Quand la presse musicale française s'emparait de la nouveauté (1976-1978) », Raisons politiques

9 Luc Robène, Manuel Roux et Solveig Serre, « Pogoter n’est pas jouer ? Punk, pogo et combats figurés », Ethnologie française, 2019, n°3, p. 549-567.

10 La liste des journées d’études est accessible sur le fil Twitter : https://twitter.com/PIND19762016

11 « La scène punk en France, Quarante ans d’histoire (1976-2016) », Philharmonie de Paris, novembre 2016. URL : https://philharmoniedeparis.fr/fr/

12 Luc Robène et Solveig Serre (dir.), « La scène punk en France, 1976-2016 », Volumes !, 2016, n°13-1.

13 « Reportage du CNRS » : « La grande histoire du punk » (février 2019) : https://www.youtube.com/watch?v=UEj1aCFn914

14 Pierre Rabaud, Fun et Mégaphones. L’émergence du Punk en Suisse, France, RFA et RDA, Paris, Riveneuve, 2019 et Luc Robène et Solveig Serre (dir)

15 Luc Robène et Solveig Serre (dir.), Punk is not dead. Lexique franco-punk, Paris, Nova, 2019.

Notes

1 Anne-Sophie Boutaud, « Le CNRS célèbre ses 80 ans », Journal du CNRS, hiver 2019, n°295, p. 14-17. URL : https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/numeros_papier/jdc295_complet_bd.pdf

2 Punks Not Dead, sorti en 1981, est le premier album du groupe de punk rock britannique The Exploited. C’est aussi le titre du premier single de l’album :https://www.youtube.com/watch?v=FZLBmqFiGjY

3 Lors de la campagne de promotion de son roman Les Panthères grises, publié chez La Martinière en 2017, Patrick Eudeline (1954-…), auteur de L’Aventure punk (1977), souligna à plusieurs reprises qu’il était le seul survivant de son groupe Asphalt Jungle fondé en 1977.

4 Voir le site de PIND, avec la captation des journées d’études : http://pind.univ-tours.fr 

5 À ce propos : Pierre Raboud, « La patrimonialisation du périssable : le punk comme archives », Tétralogiques, n°24, 2019, pp. 95-110. URL : http://www.tetralogiques.fr/IMG/pdf/te_tra_24.05._raboud.pdf

6 Will Straw, « Systems of Articulation, Logics of Change: Communities and Scenes in Popular Music », Cultural Studies, 1991, n° 5-3, p. 368-388 ; Gérôme Guibert, « La notion de scène locale. Pour une approche renouvelée de l’analyse des courants musicaux », dans Stéphane Dorin (dir.), Sound Factory. Musique et logiques de l’industrialisation, Bordeaux, Editions Mélanie Seteun, 2012, p. 93-124 et Gérôme Guibert, « La scène comme outil d’analyse en sociologie de la culture », L’Observatoire, 2016, n°47, p. 17-20.

7 Voir un essai d’ego-histoire : François Guillemot, « Bérurier Noir. Sociogenèse culturelle et itinéraire personnel », Volume ! , 2016, n°13/1. URL : http://journals.openedition.org/volume/4928

8 Luc Robène et Solveig Serre, « À l’heure du punk ! Quand la presse musicale française s'emparait de la nouveauté (1976-1978) », Raisons politiques, 2016/2, n° 62, p. 83-99 ; Luc Robène et Solveig Serre, « Le punk est mort. Vive le punk ! La construction médiatique de l’âge d’or du punk dans la presse musicale spécialisée en France », Le Temps des médias, 2016/2, n° 27, p.124-138.

9 Luc Robène, Manuel Roux et Solveig Serre, « Pogoter n’est pas jouer ? Punk, pogo et combats figurés », Ethnologie française, 2019, n°3, p. 549-567.

10 La liste des journées d’études est accessible sur le fil Twitter : https://twitter.com/PIND19762016

11 « La scène punk en France, Quarante ans d’histoire (1976-2016) », Philharmonie de Paris, novembre 2016. URL : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/colloque/16927-la-scene-punk-en-france

12 Luc Robène et Solveig Serre (dir.), « La scène punk en France, 1976-2016 », Volumes !, 2016, n°13-1.

13 « Reportage du CNRS » : « La grande histoire du punk » (février 2019) : https://www.youtube.com/watch?v=UEj1aCFn914

14 Pierre Rabaud, Fun et Mégaphones. L’émergence du Punk en Suisse, France, RFA et RDA, Paris, Riveneuve, 2019 et Luc Robène et Solveig Serre (dir), Underground ! Chroniques de recherche en terres punk, Paris, Riveneuve, 2019.

15 Luc Robène et Solveig Serre (dir.), Punk is not dead. Lexique franco-punk, Paris, Nova, 2019.

Citer cet article

Référence électronique

Philippe Poirrier, « Le projet PIND », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2020, mis en ligne le 26 septembre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=407

Auteur

Philippe Poirrier

Philippe Poirrier est Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté.