« Complexe de masculinité » et homosexualité chez la femme militaire

Production et circulation de savoirs psychanalytiques (1945-1963)

Complex of masculinity” and homosexuality in military women

DOI : 10.56698/rhc.3402

Résumés

Avec l’introduction du personnel féminin dans les rangs de l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale, la femme militaire devient l’objet de nombreux discours qui mêlent inquiétudes et fantasmes. Dans l’imagerie populaire, la figure de la virago plane alors sur la femme militaire : cette dernière est décrite comme inévitablement masculine, autoritaire, et parfois violente. Cette contribution s’attache à retracer la fabrique de ce stéréotype, notamment à travers l’élaboration de savoirs psychanalytiques dans la période d’après-guerre. En France, deux thèses ont participé à ce tournant épistémologique, d’abord celle d’Yvonne-Hélène Taillefer en 1947, puis celle de Jacques Sarraz-Bournet en 1953. Ces textes, en s’appuyant sur un héritage scientifique plus large, ont participé à construire la femme militaire comme une figure homosexuelle, marquée par un « complexe de masculinité ». Loin de se limiter à la sphère médicale, ces idées circulent et alimentent certaines productions culturelles, notamment au cinéma où le regard du psychanalyste rejoint celui du réalisateur. Si ces deux milieux semblent éloignés de prime abord, l’analyse du film From Russia with Love de Terence Young (1963) se fera le témoin de la circulation et de la réappropriation des imaginaires médicaux autour de la femme militaire. Suivant l’appel de l’historien de l’art William John Thomas Mitchell à confronter textes et images pour esquisser une histoire culturelle, ces sources seront donc mises en dialogue afin de documenter la formation, la circulation, mais aussi la sédimentation de savoirs psychanalytiques autour de la femme militaire, dès lors construite comme un sujet « masculinisé » et lesbien.

The Second World War has seen the introduction of military women in most parts of Europe, including France. In that context, the female military became the subject of many discourses. Accused of leaving femininity for masculinity, the military woman has been equated to a virago : a masculine woman whose habits look like men. This contribution seeks to retrace the building of this stereotype by looking at the formation of psychoanalytical knowledge in post-war France. Two theses participated in this epistemological turn in the country, first the thesis of Yvonne-Hélène Taillefer in 1947, followed by the writing of Jacques Sarraz-Bournet in 1953. This contribution will first demonstrate how these texts rely on a broader psychoanalytical heritage to construct the military woman as a homosexual figure marked by a “masculinity complex”. However, if these productions belong to a medical field, they have also shaped knowledge outside of it, notably in cinema where the gaze of the psychoanalyst converges with that of the film director. From that perspective, the analysis of the film From Russia with Love by Terence Young (1963) allows us to track the recurrence, the circulation, and the re-appropriation of psychoanalytic knowledge around military women in the context of a post-war masculinity crisis. Drawing on William John Thomas Mitchell, we will thus confront texts and images to outline a cultural history of military women while investigating the formation, circulation, and sedimentation of psychoanalytical knowledge that made the female military a “masculinised” and “lesbian” subject.

Index

Mots-clés

Genre, sexualité, histoire culturelle, psychanalyse, femmes

Keywords

Gender, sexuality, cultural history, psychoanalysis, women

Plan

Texte

En 1938, la loi Paul-Boncour autorise pour la première fois l’introduction des femmes dans l’armée. Par le statut de volontaire, il est donc désormais possible de s’engager en tant que femme dans les rangs de la Grande Muette. Depuis cette date, c’est une féminisation lente mais certaine qui s’opère dans l’institution militaire1. En parallèle de cette avancée historique s’exprime une multitude de discours qui font de la femme militaire un objet médiatique largement débattu2. Autrement dit, l’introduction de personnel féminin dans les rangs de l’armée s’accompagne de la formation d’un stéréotype où l’identité de genre – entendue comme la construction sociale de la différence des sexes – détient une place centrale. En cause, l’introduction des femmes dans l’institution militaire contredisait la construction, et la polarisation, des caractéristiques genrées qui séparaient les femmes des hommes. D’abord, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le rôle sacré – et premier – du « masculin » était encore celui du combattant3. Introduire des femmes dans l’armée – et potentiellement ouvrir la fonction de soldat à ces dernières – remettait donc en cause la définition de « masculinité » pour les années 1940. Quant à la question de l’identité de genre féminine, la journaliste Renée Davray résume la problématique majeure liée à l’introduction des femmes dans l’armée en 1939 : « Dans de nombreux pays, les femmes acceptent d’être militarisées et de porter les armes. Mais elles savent bien que leur rôle est d’apaiser, de panser les blessures et non pas d’apprendre à tuer »4. La journaliste du magazine Minerva résume ici l’incompatibilité que représente la femme militaire pour une large partie des contemporain.e.s qui ne conçoivent pas comment le genre féminin – considéré comme « doux » et « passif » – pourrait composer avec le danger et la violence que suppose un conflit armé5. La femme militaire – et donc possiblement combattante – est ainsi perçue comme un « non-sens » qui « s’éloigne » des attentes de la féminité. Par cette association genrée, la militaire se voit alors confondue avec la figure de la virago, c’est-à-dire de la femme « masculine ». Terme latin, la virago fait référence à une figure ancienne que l’anthropologue Françoise Héritier fait remonter à la période antique où le terme désignait une jeune fille, non mariée, souvent représentée dans des activités de chasse, voire de guerre, au côté de son père6. Si la virago est un archétype ancien, elle n’en reste pas moins une figure instable dont la définition est changeante, à l’instar des identités de genres7. La Première Guerre mondiale, et les remaniements socioéconomiques qui la caractérisent, ont par exemple favorisé l’émergence d’une nouvelle virago : la garçonne. Avec des cheveux courts et un look androgyne, cette figure engage un débat autour des identités de genre dans les années 1920 et soulève la question d’une masculinisation des femmes en France. Le succès du roman de Victor Margueritte La Garconne ou les écrits de la féministe radicale Madeleine Pelletier en sont des exemples significatifs8. Néanmoins, une autre sphère participe à l’élaboration de cet archétype de la « femme masculine », bien qu’elle ne soit pas questionnée par les travaux de l’histoire culturelle. Cette discipline – la psychanalyse – est encore naissante au début du XXe siècle mais son influence sur la sphère publique est manifestement croissante au cours de la période9. Ce champ d’étude particulièrement dynamique voit également naître de sous-disciplines, à l’image de la psychopathologie psychanalytique sur lequel se portera notre analyse. Cette dernière a pour particularité d’étudier les troubles psychiques – et leurs genèses – à la lumière des thèses fondamentales de la psychanalyse10. Ainsi, l’objectif de cette contribution consiste à reconsidérer l’influence de cette production médicale dans la formation du stéréotype de la femme militaire. Interpellés par ce sujet de société – et les questions de genre que sous-entendent l’introduction des femmes dans l’armée – ces travaux de psychopathologie s’inscrivent également dans un contexte particulier, celui de l’après-guerre. Après la défaite de 1940, et les bouleversements de l’ordre genré pendant la guerre, l’heure est effectivement à la reconstruction de l’identité masculine. C’est dans ce contexte de réaffirmation de la différence des genres que deux thèses de psychopathologie sur les femmes militaires en France furent ainsi produites. La première est la thèse d’Yvonne-Hélène Taillefer en 1947 intitulée Essai de Psychopathologie Féminine dans l’Armée. Son travail s’appuie sur l’observation de 56 femmes militaires internées au service de neuropsychiatrie de l’hôpital du Val de Grâce. Puis Jacques Sarraz-Bournet qui prolongea ce travail avec la Contribution à l’étude de la psychopathologie dans le personnel féminin de l’armée en 1953, en étudiant 36 membres du Personnel Féminin de l’Armée de Terre (PFAT) présentes au service de santé militaire entre 1947 et 1952.

Afin de comprendre l’héritage plus large au sein duquel ces deux thèses s’inscrivent, d’autres voix de la psychanalyse seront mobilisées et confrontées. Autrement dit, nous cherchons à faire dialoguer ces textes avec d’autres travaux psychanalytiques pour comprendre la généalogie et les fondements épistémologiques de l’objet « femme militaire » dans les discours médicaux de l’après-guerre. Cet objet est nommé au singulier dans la mesure où ces textes participent à la formation d’un archétype, soit d’une image culturelle construite, marquée par des caractéristiques facilement identifiables, simplifiées et limitées. Si un archétype qualifie un sujet, il en reste néanmoins une image réductrice qui ne peut prétendre à la description du réel. Autrement dit, la constitution de ces savoirs psychopathologiques sur la femme militaire ne peut être confondue avec l’expérience des femmes militaires dans les armées. Enfin, les catégories binaires de « féminité » et de « masculinité » seront uniquement réutilisées pour retranscrire l’idéologie qui parcourt les savoirs médicaux afin de comprendre l’héritage culturel sur lequel l’archétype de la femme masculine a pu se former.

L’objet « femme militaire » construit en psychanalyse relève également de plusieurs contextes d’élucidation. La formation de ce stéréotype est effectivement le produit de différents textes, images et faits sociaux qui dépassent le seul cadre du médical. Fruit d’un échange, la virago militaire encourage donc l’historien à croiser les productions afin de comprendre la portée et la circulation de ces savoirs psychanalytiques. Dans ces conditions, une analyse unique des discours scientifiques de l’après-guerre occulterait une partie de l’histoire de la diffusion de l’archétype de la femme militaire. En considérant qu’un archétype est donc circulant et coconstruit, cette contribution proposera des allers retours avec le cinéma – et plus précisément le film From Russia with Love de Terence Young – pour examiner l’implémentation et la réadaptation des savoirs psychanalytiques dans la construction de l’objet « femme militaire » dans d’autres productions culturelles. Appartenant à la franchise à succès James Bond, ce film américain produit en 1963 a connu un large succès et permet d’interroger des sources produites en dehors de l’hexagone. Cette influence anglo-saxonne n’est pas nouvelle puisque les thèses de psychopathologie ont été elles-mêmes influencées par une littérature scientifique internationale, si bien que l’archétype de la femme militaire ne peut être réduit à un dialogue franco-français. De manière similaire aux thèses de psychopathologie, From Russia with Love s’inscrit également dans une période sociale critique – marquée par la guerre froide – où l’identité masculine cherche aussi à être réaffirmée11. Enfin, bien que ce film ne soit pas l’unique production mettant en scène le stéréotype de la femme militaire masculine12, nous avons décidé de limiter notre analyse à son étude. Autrement dit, cette contribution ne prétend pas faire une revue des différentes productions cinématographiques concernées par le cliché de la femme militaire13, mais souhaite proposer une analyse détaillée et approfondie d’un film et de ses images, ce qui limite par conséquent notre corpus.

Au cœur du scénario de cette production cinématographique, les Britanniques affrontent l’organisation criminelle SPECTRE afin de s’emparer d’un joyau technologique soviétique : le Lektor. L’objet se trouve être néanmoins une pure invention créée par l’agence ennemie dans le but de piéger James Bond. Dans un contexte politique marqué par l’anticommunisme aux États-Unis, c’est la colonelle russe Rosa Klebb, également numéro deux du SPECTRE, qui est chargée d’exécuter le plan pour tuer le célèbre espion. À travers ce film, nous essayerons donc de comprendre comment la psychanalyse a constitué une source d’inspiration pour construire le personnage de Rosa Klebb. Ainsi, l’étude approfondie de la colonelle formera un exemple de la circulation, mais aussi de la réappropriation des savoirs psychanalytiques au cinéma. From Russia with Love sera donc envisagé comme un espace où différents discours médicaux se rencontrent, se modifient et s’altèrent pour (re)créer et diffuser plus largement l’archétype de la virago militaire. À partir de ces exemples, cette contribution cherche donc à sonder les imaginaires médicaux – ainsi que leurs récurrences – pour comprendre comment la femme militaire a pu être construite comme une figure homosexuelle, marquée par un « complexe de masculinité ».

Être une femme dans un monde masculin : une trahison de genre ?

Trouble d’identification et élaboration d’un « complexe de masculinité » chez la femme militaire

Le premier commentaire de la journaliste Renée Debray illustrait déjà la difficulté de lier la définition de la « féminité » à celle de l’armée. Dans ces circonstances, seule une trahison de genre pouvait rendre intelligible l’engagement du personnel armé féminin. Cette interprétation est du moins répandue chez les militaires qui tentent de donner sens à l’engagement des femmes. Pierre Carles, colonel en Indochine, se prononce sur la question :

 Vers 1955, après l’Indochine, après dix ans de services féminins, on commence à voir quelques rudes gaillardes, souvent décorées, et dont la féminité ne s’étend pas toujours au langage. […] Célibataires ou « démariées », ces adjudantes créent, hélas, un pendant féminin aux vieux sous-officiers gueulards qui ont fait la fortune des opérettes militaires14.

Bien que non explicitée, l’ombre de la femme masculine traverse le discours du colonel. Les « rudes gaillardes » non mariées ne remplissent effectivement pas lesdits critères de la « féminité » établis dans les années 1950. Ainsi, ce n’est pas la définition du genre féminin qui est revue, mais bien le genre de l’individue concernée. La thèse d’Yvonne-Hélène Taillefer s’inscrit également dans une lecture genrée du phénomène de militarisation des femmes. Son discours introductif, qui porte sur l’histoire des femmes soldates, réinsère ainsi la question du genre comme on peut le voir dans le passage où l’auteur parle des Lottas finlandaises de cette façon : « elles doivent oublier qu’elles sont femmes »15. Après un éloignement de cette prétendue féminité, Yvonne-Hélène Taillefer explicite comment elle perçoit l’engagement féminin dans les armées en 1947 : « Beaucoup de femmes [militaires] ont trouvé dans l’élément masculin la satisfaction qu’elles pouvaient rechercher »16. Jacques Sarraz-Bournet est quant à lui plus explicite : « pour beaucoup, si une femme s’engage, c’est que : « il y a quelque chose » », il continue et précise « on voit dans cet engagement la satisfaction d’un complexe de virilité, par identification avec l’homme »17. La logique du psychopathologue renvoie ici directement aux fondations de la discipline psychanalytique qui privilégient la notion d’inconscient pour comprendre un.e individu.e, son comportement et ses choix de vie. Dans le cas de la femme militaire, c’est sa volonté de s’engager dans l’armée qui trahirait, comme la pointe d’un l’iceberg, un trait inconscient et enfoui, celui du « complexe de masculinité ». Dans la théorie psychanalytique, ces « troubles » identitaires prennent racines pendant la petite enfance où les définitions de « masculin » et « féminin » seraient intériorisées. Plus précisément, cette intériorisation de l’identité genrée s’opère au moment charnière que représente le complexe d’Œdipe dans la pensée freudienne. D’abord, la découverte de la différence sexuelle est considérée comme un élément déterminant pour la petite fille qui découvre l’existence du phallus. Selon Sigmund Freud, cette dernière serait frustrée de ne pas posséder cet organe et jugerait la mère responsable de ce manque. La petite fille développerait alors une hostilité contre cette dernière, avant de prendre son père comme objet de son amour18. Dans la théorie freudienne, ce schéma décrit une résolution « classique » du complexe d’Œdipe. Néanmoins, d’autres issues – qu’ils jugent « non-normatives » – sont envisagées par le psychanalyste : l’hystérie et le « complexe de masculinité »19. Dans ce dernier cas, la petite fille maintiendrait son désir de s’approprier le phallus et persisterait « avec insolence » pour l’obtenir. Toujours selon le psychiatre, cette dernière cultiverait alors une jalousie de l’homme, développant par la même occasion le dit « complexe de masculinité ». Les sciences psychanalytiques comprennent donc ce complexe comme le résultat d’une expérience passée, vécue pendant l’enfance. Ainsi, l’engagement militaire n’est pas considéré comme la cause de ce » trouble », mais bien comme son symptôme.

Si l’institution militaire est associée au « complexe de masculinité », c’est d’abord parce qu’elle est considérée comme un milieu structurellement « masculin ». Ainsi, pour Jacques Sarraz-Bournet : « il est incontestable que le milieu militaire constitue un facteur déclenchant et réactivant pour les prédisposés »20. À cela s’ajoute l’idée que « l’armée influence l’éclosion et le développement des maladies mentales »21. En cause « la rigidité des règles auxquelles ils [les militaires] doivent s’astreindre est parmi quelques autres un important facteur de maladie mentale. »22. Dès lors, la combinaison de ces deux facteurs dans la théorie psychanalytique construit l’armée comme un espace à risque pour la femme au « complexe de masculinité ». Néanmoins, cette masculinisation ne concerne pas toutes les militaires : seules les individues préalablement atteintes du dit « complexe » seraient concernées. Une distinction est alors opérée par les médecins entre les volontaires « classiques » et « les volontaires qui occupent des positions plus masculines »23. Cette ligne de partage entre occupations dites « féminines » et « masculines » n’est pas clairement définie par l’auteur, bien qu’elle soit structurante dans la mesure où son franchissement est vecteur de pathologisation pour la recrue. Jacques Sarraz-Bournet se limite à la définition de ces activités « déviantes » par ces mots : « ce sont les volontaires qui veulent vivre une vie dangereuse, participer à des opérations de guerre » ou encore « qui cherchent le goût de l’aventure et qui par l’engagement militaire satisferont leur complexe de virilité »24. La frontière est ici arbitraire, en effet, les activités dites « déviantes » – le « danger » ou le « goût de l’aventure » – reflètent des comportements traditionnellement associés au « masculin », et non des postes spécifiques. L’indice des « opérations de guerre » suggère que l’auteur désigne potentiellement des femmes combattantes engagées sur des espaces conflictuels mais, de nouveau, les spécialités exercées par les sujets de l’étude ne sont pas précisées. En l’absence d’information, nous ne pouvons pas affirmer qu’il s’agit d’un discours adressé uniquement aux femmes combattantes, d’autant plus que la femme soldate n’est pas encore une réalité historique en France au moment de la rédaction de cette thèse. Jacques Sarraz-Bournet étudiait effectivement un corps féminin auxiliaire qui n’avait pas vocation à combattre. Ainsi, bien que l’auteur désigne une minorité « aux activités masculines » au sein du personnel armé, nous continuerons d’utiliser le terme de femme militaire face à l’imprécision des discours médicaux qui ne permettent pas une meilleure identification du sujet d’étude. L’ambiguïté de la définition de Jacques Sarraz-Bournet montre néanmoins toute la subjectivité du diagnostic qui s’intéresse davantage à des comportements – et à leurs significations genrés – qu’à l’exercice d’une fonction spécifique.

Ainsi, les thèses de Jacques Sarraz-Bournet et Yvonne-Hélène Taillefer pensent l’armée comme un espace d’assouvissement du « masculin », espace idéal pour les recrues dites atteintes du « complexe de masculinité ». De cette façon, l’engagement féminin est compris comme une stratégie inconsciente qui vise à « soulager le regret de ne pas être virile »25.

Pour asseoir leurs démonstrations, ces psychopathologues mobilisent d’autres productions, issues d’horizons géographiques variés. Parmi elles, le travail d’Hélène Deutsch sur le complexe de masculinité, cité à de nombreuses reprises, s’impose comme un texte majeur26. Pourtant, l’origine de ce concept est plus ancienne. Il fut d’abord traditionnellement attribué au psychanalyste Sigmund Freud, mais c’est le psychanalyste Johan Van Ophuijsen qui fut le premier à écrire sur le sujet en présentant à la Dutch Psycho-analytical society le texte suivant en 1917 : « Contributions to the Masculinity Complex in Women »27. Le concept fut ensuite repris et développé plus largement par Hélène Deutsch dans Psychoanalysis of the Sexual Functions of Women, publié en 194328. Ces différents ouvrages sont néanmoins fondamentaux pour comprendre la formation de l’objet « femme masculine » dans les savoirs psychanalytiques. Ces textes ont effectivement construit la femme au « complexe de masculinité » comme une individue qui s’identifie au genre opposé. La logique de cette pensée se veut binaire, soit un reniement de comportements jugés « féminins » entraîne automatiquement l’identification à l’autre genre pour les psychanalystes. Cette association étant déjà établie pour les psychopathologues français.e.s de l’après-guerre, il ne s’agit plus de définir la femme masculine : le « complexe de masculinité » est tenu pour acquis, comme part d’un héritage scientifique plus large. Désormais, il sert d’outil de catégorisation pour comprendre et qualifier le personnel féminin de l’armée. Cette reprise du « complexe de masculinité » pour étudier les femmes militaires n’est d’ailleurs pas une exception française. Les publications anglosaxonnes sur le sujet précèdent les écrits des psychopathologues français.e.s et mobilisent déjà cette rhétorique pour analyser le personnel féminin29. Dans l’étude de Ree Linford, conduite sur un groupe de 2000 femmes engagées dans les corps auxiliaires de l’armée britannique et admises au Mill Hill Emergency Hospital à Londres entre 1942 et 1944, il écrit par exemple : « in some, enlistment offers an opportunity of overcoming feelings of inadequacy or unwanted attributes of feminity. The military uniform, the activities and regimentation of service life in some cases is an opportunity for meeting a desire for masculine identification »30. Ainsi, sans vouloir dresser une généalogie exhaustive du concept de « complexe de masculinité », la mobilisation d’autres productions médicales permet de mesurer la circulation de cette notion qui est également reprise dans l’espace anglo-saxon pour comprendre les femmes militaires. L’idée d’un « complexe de masculinité » au sein du personnel féminin de l’armée semble ainsi faire consensus dans un plus large réseau de connaissances psychanalytiques.

Pourtant l’origine même de ce complexe, elle, reste soumise à débat dans la discipline. Hélène Deutsch considère qu’il s’agit d’une attribution erronée du phallus à la mère, quand Karen Homey argumente, au contraire, que le complexe relève d’une fixation excessive de la petite fille sur la figure du père qui détient le phallus31. Ce débat – absent des thèses de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet – est pourtant intéressant pour comprendre comment la figure de la femme militaire masculine fut construite, pensée, ou encore représentée. En effet, si les détails de l’origine sont disputés, les théories restent marquées par un postulat : le primat du phallus, persuadées que c’est le manque de ce dernier qui est à l’origine de tous les maux. Ainsi, il n’est pas étonnant que la question phallique soit réinvestie dans d’autres discours quand il s’agit de comprendre des femmes militaires dites « masculines ». La réappropriation du concept de la femme phallique pour représenter la femme militaire dans certaines productions culturelles est, à ce titre, intéressante et permet d’interroger les interactions entre différents savoirs psychanalytiques pour construire un archétype commun.

La femme militaire est-elle une femme phallique ? Armes, violence et masculinité sur grand écran

Si la notion de femme phallique est absente des thèses de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet, le cinéma s’est révélé comme un espace de récupération de cette figure pour représenter la femme militaire. Ce concept – formulé à l’origine par Sigmund Freud – est utilisé en psychanalyse pour décrire une femme qui exprime sa masculinité dite « manquante » via des attributs de forme phallique32. Suivant cette définition, il n’est pas étonnant qu’une femme jugée « masculine » puisse être réassociée à la figure de la femme phallique, bien que ces deux notions soient traitées distinctivement dans les travaux de Sigmund Freud. Si cette (ré)association est particulièrement présente au cinéma, c’est que le septième art est avant tout un art visuel. Autrement dit, le cinéma travaille à traduire visuellement une idée. Dans cette perspective, l’utilisation d’un phallus symbolique peut faciliter la représentation de la femme masculine, en cela qu’il peut participer à rendre littéralement visible la « masculinité » sur un personnage. Jack Halberstam, dans son analyse cinématographique de la femme masculine, confirme que la femme phallique est effectivement une figure largement réutilisée par l’industrie afin de rendre visible le désir de « masculinité » chez un personnage. L’archétype de la femme phallique est ainsi repris, étendu et négocié au cinéma, y compris à travers le personnage de la militaire qui sert aussi de réceptacle à cette figure.

Dès les premières minutes du film From Russia with Love, le personnage de Rosa Klebb est positionné dans cette lecture. Missionnée d’anéantir James Bond, la colonelle est présentée comme un personnage agressif, toujours accompagnée d’un objet dont la forme peut être qualifiée de « phallique » – pistolet, bâton… – et ce même quand le cadre narratif n’en justifie pas la présence. Si ces objets ne servent pas le déroulement de l’histoire, leur déploiement n’est pas anodin. D’abord, ces accessoires (potentiellement mortifères) signalent au spectateur la dangerosité de la femme phallique, associée à la castration ou à la mort33. Cette notion de danger est effectivement incarnée par Rosa Klebb. La nationalité russe du personnage est d’abord le signe d’une menace politique dans un contexte de forte rivalité entre le bloc occidental et soviétique au moment de la sortie du film. Ce risque que représente la militaire est poussé à son paroxysme quand cette dernière s’aventure armée dans la chambre de James Bond pour le tuer. Infiltrée sous couverture, elle se présente comme une femme de chambre dans une robe grise, avant de pointer son arme en direction du célèbre espion. Le héros, qui la désarme avec aisance, ridiculise la force de la colonelle qui n’arrive pas à la cheville de l’espion. S’ensuit une altercation physique entre les deux personnages où Rosa Klebb semble particulièrement « agitée » face à un James Bond calme et maître de lui-même. La prétendue force de la femme militaire est ici exposée comme une fraude qui ne peut prétendre aux « réelles » facultés « masculines ». La colonelle russe apparait alors comme un personnage faible, euphorique, voire maladif. Ainsi, si la femme phallique est d’abord présentée comme un danger, le spectateur se voit réassuré par la neutralisation de Rosa Klebb qui signe la réinstauration d’un ordre genré et politique normatif. Dans cette séquence, le cinéaste construit donc la militaire comme un personnage anormal et dangereux, constituant une menace. Mais les éléments phalliques ne servent pas qu’à signaler la dangerosité du personnage, ils participent également à construire la masculinité du personnage.

La mise en scène d’objets phalliques, en tant que symboles du « masculin » dans les savoirs psychanalytiques, permet effectivement de rendre visible la femme au « complexe de masculinité » au cinéma. Ces accessoires restent néanmoins symboliques, il n’est effectivement pas question d’un pénis littéralement apposé au corps de la militaire, mais bien de traits de caractères symboliquement liés à la « masculinité » – à l’image de la violence représentée par les armes – qu’une femme peut s’approprier et qui seront incarnés par ces objets. La spécialiste en études filmiques Monica German confirme, par exemple, l’utilisation d’objets phalliques pour matérialiser et signaler la masculinité de Rosa Klebb34.

Cette masculinité est d’abord signifiée par le vêtement et l’apparence. Dans la mesure où le cinéma est un art visuel, le physique d’un.e individu.e constitue effectivement un moyen efficace pour rendre visible l’intériorité d’un personnage. L’habit, le corps ou la gestuelle ne sont donc pas des considérations secondaires pour Terence Young, mais des outils, pensés et réfléchis qui permettent de rendre visible les traits de caractère de Rosa Klebb. Ainsi, la présence d’accessoires phalliques sur le corps de la colonelle russe renseigne sur la manière dont le réalisateur pensait le psychisme de la militaire. Ce dernier construit d’abord un personnage physiquement éloigné des modèles de féminité, enfermant Rosa Klebb dans une lecture « masculine ». Cette dernière, dépeinte comme ingrate – voire monstrueuse – navigue dans ce que Barbare Creed appelle l’ « iconographie de la laideur »35. La colonelle présente effectivement un visage fermé, des cheveux courts, des traits durcis et un uniforme terne qui tranche avec les tenues civiles des autres femmes du film (voir figure 1). Autrement dit, l’accumulation de ces marqueurs visuels sépare Rosa Klebb de la communauté d’apparence féminine que forment les classiques, et particulièrement sexualisées, « James Bond Girls ». L’éloignement de la militaire des autres femmes signale également sa distance des standards de beauté féminins et confirme une compréhension plus « masculine » du personnage.

Figure 1: Rosa Klebb dans From Russia with Love de Terence Young, 1963
(TC: 00:15:17).

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Le roman From Russia with Love de Ian Fleming, qui inspira le film, livre encore plus de détails sur l’apparence physique de ce personnage : « Rosa Klebb is short and squat, she has thick legs, with very strong calves for a woman […] her obscene bun and military uniform is complemented by drab khaki stockings »36. Dans la description de l’auteur, la « laideur » de la militaire est prédominante. Cette dernière est petite, ses jambes sont épaisses et ses mollets disgracieux, du moins trop disgracieux « pour une femme » selon l’auteur britannique. De nouveau, la laideur du personnage sert de signal visuel pour éloigner la colonelle du genre féminin. Enfin, l’âge de Rosa Klebb est aussi un détail important pour signifier et annoncer au spectateur la rupture du personnage avec une féminité dite « traditionnelle ». La militaire semble effectivement en décalage avec la jeunesse éclatante des autres « James Bond Girls ». Les traits de son visage sont marqués, et sa posture d’autorité accentue l’idée d’un âge avancé. La dernière scène du personnage voit également l’apparition de la colonelle avec des cheveux grisonnants, renforçant l’idée de vieillesse autour de la militaire. Représenter Rosa Klebb de cette façon n’est pas anecdotique puisque l’idéal de jeunesse est constitutif des standards de beauté féminine37. Ainsi, si ces traits physiques, accessoires ou vêtements sont mobilisés pour personnifier Rosa Klebb, ils permettent avant tout de rendre visible sa « trahison » de genre, ou ce que les psychanalystes auraient appelé « complexe de masculinité ». Ainsi, la présence d’armes qui invoque la figure de la femme phallique s’accompagne d’une iconographie plus généralement « masculine » (cheveux courts, uniforme...) qui rappelle le « complexe de masculinité ». Dans le contexte de cette production cinématographique, la femme phallique constitue donc un outil pour révéler l’existence d’un « complexe de masculinité » chez un personnage. Femmes masculines, femmes phalliques et femmes militaires sont donc associées dans l’univers mental du cinéaste, trahissant une première circulation et réappropriation des différents discours médicaux évoqués précédemment. Ainsi, l’apparence physique du personnage de Rosa Klebb peut être comprise comme l’expression de savoirs psychanalytiques plus anciens, à la différence que ces savoirs sont réappropriés, négociés et mélangés pour (re)construire un archétype culturel. Dans ces conditions, From Russia with Love n’est pas une simple réplication d’un discours médical, au contraire, il constitue un exemple des échanges et réappropriations multiples et dynamiques autour de l’archétype culturel que représente la femme militaire.

La femme militaire au prisme de l’inversion

Perte de féminité et homosexualité présupposée

Le complexe de masculinité qui plane sur la femme militaire ne s’arrête cependant pas à la crainte d’une femme à l’allure « masculine ». Ce n’est effectivement pas la présence de ce complexe per se qui inquiète les médecins, mais bien les conséquences de celui-ci : lesdites « perversions » sexuelles38 . Derrière ce terme, c’est bien l’inversion – c’est à dire l’homosexualité – qui préoccupe les médecins. En cause, l’armée était perçue comme un espace à risque pour les recrues : « pour beaucoup d’entre elles [les femmes militaires] ce fut l’aventure, la facilité d’approcher les femmes. Le sentiment du danger a paru toujours à certaines comme une excuse et même comme une permission de l’abandon moral »39. La vie militaire – qui réunit des individus de même genre dans des espaces rapprochés – est effectivement pensée comme un milieu à « risque » pour l’homosexualité. Par ailleurs, ces questionnements sur la sexualité des recrues féminines ne sont pas le seul fait des médecins. Les militaires eux-mêmes s’interrogent sur l’existence de relations homosexuelles au sein de l’armée, et certains ouvrages – comme le roman de Tereska Torrès40– abordent de front la question de l’homosexualité féminine dans l’institution et publicisent le sujet de cette façon. Autrement dit, il était communément craint que la vie militaire transforme les recrues en « inverties » sexuelles, bien que dans la réalité ces dernières étaient peu nombreuses dans les armées41.

Néanmoins, cette seule peur de la promiscuité ne suffit pas à expliquer l’association courante entre femme militaire et inversion sexuelle. Une analyse plus poussée des thèses de psychopathologie est donc nécessaire pour identifier les raisons derrière une telle association. À l’origine de l’inquiétude des psychopathologues français.e.s réside une première confusion entre « complexe de masculinité » et homosexualité. En effet, l’inversion sexuelle ne concernait pas toutes les femmes selon les médecins. Jacques Sarraz-Bournet explique, au contraire, que seules les femmes militaires au « complexe de masculinité » « laissent présager de futures perversions sexuelles »42. Il précise que l’engagement militaire de ces dernières relèverait alors d’une stratégie afin de se rapprocher plus intimement d’autres femmes. L’association entre femme à l’allure « masculine » – à qui on attribue un « complexe de masculinité » – et homosexualité féminine constitue donc un postulat de base dans la thèse du médecin. Le rapprochement de ces deux notions est effectivement le résultat d’un héritage scientifique – mais aussi culturel – plus ancien qui a construit l’homosexualité comme une inversion, inversion sexuelle, mais aussi inversion des caractères genrés. Comme le rappelle l’anthropologue américaine Esther Newton, il était effectivement commun d’être « étiqueté lesbien parce que son comportement ou son style vestimentaire, et plus généralement les deux, reprennent de manière ostensible des éléments jugés exclusivement masculins »43. Selon cette logique, il est compréhensible que la femme en uniforme – dans la mesure où ce vêtement fut longtemps porté par des hommes – soit associée à une femme « masculine », potentiellement homosexuelle. Par ailleurs, cette imagerie de la lesbienne au style « masculin » n’est pas historiquement infondée. Esther Newton explique que pour « se repérer mutuellement dans le paysage urbain du XXe siècle, elles devaient devenir visibles, ne serait-ce que les unes pour les autres »44. Pour l’anthropologue, l’association entre apparence masculine et homosexualité était donc courue d’avance, avant d’être reprise et stabilisée par les discours médicaux, littéraires ou encore cinématographiques. À ce titre, le personnage de Rosa Klebb dans From Russia with Love s’inscrit dans cette lignée, puisque sa masculinité affichée s’accompagne d’une sexualité homosexuelle. La lesbianité du personnage se lit d’abord entre les lignes. En cause, le film est produit à une époque où le Code Hays est encore en usage aux États-Unis. Ce dernier interdit formellement toute représentation de sexualité homosexuelle, bien que cela ne signifie pas une absence de discours sur la question. Dans le cas de From Russia with Love, l’orientation sexuelle de Rosa Klebb est construite au détour de discours implicites, notamment lors de ses échanges avec la jeune Tatiana Romana qu’elle tente de séduire. Il en est de même dans la littérature où les personnages féminins à l’allure explicitement masculine pouvaient être aussi homosexuelles. Le désormais classique Le Puit de Solitude de l’écrivaine Radclyffe Hall s’inscrit dans cette dynamique. Le personnage principal, Stephen Gordon, entretient des relations amoureuses avec des femmes et présente un physique typiquement associé aux codes du « masculin » : le personnage se démarque par des « hanches étroites », des « larges épaules musclées » et un « esprit volontaire et affirmé »45.

En ce qui concerne les discours médicaux, la confusion entre apparence genrée et sexualité constitue également la base des théories sur l’homosexualité. Le médecin Havelock Ellis écrit : « La principale caractéristique de la femme invertie sexuellement est un certain degré de masculinité »46. Les travaux du psychiatre germano-autrichien Richard Von Krafft Ebing reconduisent cette idée en élaborant une classification quadripartite des lesbiennes selon leur degré de masculinisation. Le premier groupe de femmes « ne trahit pas leurs anomalies par leurs apparences extérieures, ou par des caractéristiques sexuelles mentales masculines ». En revanche, le deuxième groupe témoignait selon lui d’ « une préférence marquée pour les vêtements masculins ». Le troisième groupe présente un stade d’inversion encore plus avancé où « la femme avait un rôle tout à fait masculin ». Quant à la quatrième catégorie, elle représente « le degré ultime de l’homosexualité dégénérative » où la pensée, l’action et l’apparence équivaudrait celles d’un homme47. Quel que soit le degré, le lien entre « masculinité » chez la femme et lesbianité était posé.

Ainsi, d’une réalité historique limitée s’est construit un archétype culturel sujet à de nombreux discours. Néanmoins, comme le rappelle Jack Halberstam dans son analyse de la femme « masculine », les stéréotypes ne sont pas fondamentalement bons ou mauvais. Ces derniers représentent d’abord une manière esthétique d’identifier les membres d’un groupe social, via l’usage de caractéristiques rapidement reconnaissables48. Néanmoins, après avoir identifié les différents marqueurs rattachés à l’identité sociale de « lesbienne » dans les les sciences psychanalytiques pour en faire une maladie mentale »49. Cet héritage est particulièrement visible dans le l’étude d’Yvonne-Hélène Taillefer qui décrit les femmes masculines engagées dans l’armée comme des « perverses », obnubilées par le désir « de se faire caresser, d’embrasser, par l’onanisme, l’exhibitionnisme, l’acte homosexuel, les attentats à la pudeur, etc…. »50. Elle continue et mobilise dans un second temps les travaux d’Havelock Ellis pour légitimer son argument : « elles [les homosexuelles dans l’armée] représentent, comme le dit Havelock Ellis, un symbolisme érotique qui se substitue aux excitants de la sexualité, il y a alors une inversion de la structure morale »51. La mise en discours de la femme militaire masculine ne peut donc se détacher de son entreprise de pathologisation, questionnant les enjeux derrière la formation de tels savoirs médicaux.

Cette opération de pathologisation est également rendue visible lors de la constitution d’une étiologie de la virago militaire dans les thèses de psychopathologie. Par étiologie, nous entendons une étude des facteurs et des causes d’une maladie. Lors de cette étape, des comportements auparavant « banaux » sont nommés, isolés, et donc distingués de l’ensemble « normatif » des attitudes. En cherchant les causes d’une dite « maladie », les psychopathologues transforment inévitablement certains comportements en signes cliniques, désormais soumis à une ingérence médicale. Ce tournant épistémologique se révèle lors de la rédaction de diagnostics dans les thèses de Yvonne-HélèneTaillefer et Jacques Sarraz-Bournet. Ainsi, c’est par l’analyse de ces textes que nous pourrons comprendre comment les médecins ont construit la femme militaire comme homosexuelle. Bien que « scientifiques », les diagnostics seront appréhendés comme des récits construits dont l’objectif est avant tout la démonstration d’une pathologie féminine. Pour mener à bien ce travail, il convient de prêter attention au langage, aux formes d’argumentations, à la nature de la preuve convoquée ou encore aux stratégies de persuasion mobilisées par les médecins52.
Chaque cas observé par les psychopathologues est d’abord accompagné des données socio-familiales de la patiente. Cette pratique – aussi appelée anamnèse – s’attache à reconstituer a posteriori les antécédents d’un.e patient.e à partir de son historique médical, personnel et familial. L’objectif est de retrouver – de manière presque archéologique – les causes d’un comportement jugé « maladif »53. La convocation du passé par l’individu.e est donc une étape déterminante pour le médecin qui, à partir de ces informations, pourra identifier les ressorts d’une dite pathologie. Néanmoins, une telle opération ne peut prétendre à l’objectivité. Comme le démontre la linguiste Viviane Huys, la pratique de l’anamnèse est subjective et la mobilisation des connaissances par un.e patient.e entraîne l’émergence d’un diagnostic souvent co-construit54. Une large place est ainsi laissée à l’interprétation, à la déduction, mais surtout à la sélection d’informations55. Les anamnèses présentes dans les thèses de psychopathologie se limitent par exemple à quelques lignes, trahissant un premier travail de synthèse. Paule 38 ans est ainsi présentée par Yvonne-Hélène Taillefer :

 Elle n’a pas d’enfant. Elle a subi une ovariectomie. Elle s’est engagée pour se créer une occupation… Elle n’a jamais eu de satisfaction sexuelle, tant avec son mari qu’avec ses amants… A 15 ans, elle avait eu sa première émotion sexuelle avec une jeune femme. Elle fait du prosélytisme. Pour guérir, elle voudrait se faire psychanalyser, mais au fond n’en a aucune envie… Elle est à éliminer de l’armée56.

L’ordre dans lequel les événements sont présentés en dit long sur comment la psychopathologue a pensé le cas de Paule. Yvonne-Hélène Taillefer ne commence pas par l’enfance de la patiente, mais propose un récit ponctué d’ellipses pour ne garder que les évènements jugés les plus pertinents. D’abord, la médecin mentionne la nulliparité de la jeune femme, avant d’annoncer brutalement l’ablation des ovaires subie par Paule. Dépossédée d’une partie de l’appareil de reproduction féminin, Paule est en incapacité biologique de se reproduire. Néanmoins, cette privation est traduite symboliquement par la médecin qui suggère que la patiente est également privée de son identité genrée de femme. C’est effectivement après la mention de cette ovariectomie que la psychanalyste précise que Paule manifeste des penchants homosexuels. En faisait suivre les informations dans cet ordre, Yvonne-Hélène Taillefer sous-entend que la perte de féminité de la patiente est la cause principale de sa sexualité « déviante ». Comme dans tout processus sémiologique, un signe – ici la non-reproduction de Paule – a été mis en relation avec d’autres signes – l’inversion de genre puis l’homosexualité – bien que cette correspondance ne repose pas sur des faits scientifiques.

Ainsi, à travers le cas de Paule, la psychopathologue établit une première base étiologique pour comprendre l’homosexualité féminine dans les armées. Le modèle proposé par Yvonne-Hélène Taillefer réitère ainsi que l’inversion sexuelle serait liée à une inversion de genre, ici causée par une perte de féminité. Cette dernière peut être biologique, comme dans le cas de Paule, mais aussi sociale lorsque la femme s’engage dans l’armée. Selon les psychopathologues, la perte d’identité « féminine » en milieu « masculin » constitue donc le cœur du problème. Dans la continuité de cette logique, Yvonne-Hélène Taillefer mobilise le cas de Andrée

 Andrée vingt-sept ans, elle se présente comme une déséquilibrée avec instabilité marquée, on doit retenir chez elle un élément mythomaniaque presque certain. En outre, son fond déséquilibré l’a poussée à des tendances toxicomanes : alcool et morphine. Elle se laisse entrainer à des mœurs anormales par une perverse, lesbienne de longue date.57.

L’annonce de l’homosexualité suit ici la mention d’une dépendance à l’alcool et à la morphine chez Andrée. Bien que l’autrice n’explicite pas la connotation genrée, ces substances addictives renvoient pourtant à des pratiques traditionnellement perçues comme « masculines », en particulier dans les années 195058. Alcool et drogue semblent donc agir comme des indices d’un premier détournement de la féminité dite « traditionnelle ». A ce comportement jugé « masculin », s’ensuit l’annonce de relations homosexuelles. Le positionnement de ces différentes informations n’est donc pas anodin et trahit de nouveau une compréhension genrée de la sexualité. À cela s’ajoute d’autres cas où l’homosexualité est suggérée à demi-mots par Jacques Sarraz-Bournet 

 Raymonde, vingt-cinq ans. Secrétaire. Présente un état d’excitation avec menace de suicide, d’homicide, qui motive l’hospitalisation. Ces troubles sont apparus après la rupture avec son amie, liaison durant depuis un an. A l’âge de dix ans, traumatisme affectif sexuel, est victime d’un oncle. Première expérience homosexuelle à dix-huit ans. Mariée contre son gré, quitte son mari peu après et reprise des pratiques homosexuelles59.

Ici, la relation homosexuelle – sous-entendue d’abord par la rupture avec « l’amie » – est immédiatement mise en relation avec un traumatisme. Si cette information est retenue dans ce paragraphe synthétique, c’est que le traumatisme est effectivement jugé important pour la compréhension du diagnostic final. Plus précisément, ce dernier permet de construire l’homosexualité comme un « symptôme », une stratégie de survie, face à un choc émotionnel plus important. Les relations lesbiennes sont alors présentées comme le résultat d’un ébranlement psychologique plus profond, sous-entendant que l’homosexualité n’est pas un choix – ou le fruit d’un désir – mais bien l’expression d’un problème, construisant de nouveau cette sexualité comme résolument pathologique.

Ainsi, les travaux de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet construisent la femme masculine militaire comme un symptôme de ce qui, à l’époque, est encore considéré comme une « pathologie » sexuelle : l’homosexualité. L’étude comparée de ces thèses d’après-guerre témoigne de la co-émergence de discours sur la figure de la virago homosexuelle dans les armées. Ces savoirs sont traversés par la notion de l’inversion (de genre et de sexualité) et s’inscrivent dans un héritage plus complexe de discours à la fois médicaux et culturels. L’exemple des écrits de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet témoigne ainsi de l’application de savoirs plus anciens à la figure de la militaire, où complexe de « masculinité » et « homosexualité » sont scellés pour appréhender une partie du personnel féminin. Les différentes manières de nommer l’homosexualité dans ces productions (inversion, perversité sexuelle, homosexualité, saphisme) témoignent également de la construction d’un savoir fluctuant sur la figure de la lesbienne, mais qui converge dans l’entreprise de sa pathologisation. Quel que soit la dénomination donc, ces thèses de psychopathologies font de la femme masculine militaire le marqueur d’un soi-disant « désordre » sexuel.

Sexualité et contagion : créer un « risque » lesbien chez les femmes militaires

Expliquer la présence de femmes homosexuelles dans le corps des engagées féminines n’est néanmoins qu’une première étape des thèses de psychopathologie. La pathologisation de cette sexualité s’accompagne effectivement d’un second postulat : l’homosexualité peut être contagieuse. Cette thématique devient un leitmotiv dans le texte d’Yvonne-Hélène Taillefer qui parle de « contamination des jeunes filles », ou encore de « prosélytisme ». La mise en récit de certaines anamnèses trahit également cette crainte de la contamination : « Henriette, 30 ans, a toujours été une instable. Elle a quelques aventures masculines qui ne lui donnent aucune satisfaction…elle se laisse entraîner par une autre perverse ». Henriette, d’abord présentée comme une victime, devient néanmoins le prototype de la lesbienne dangereuse imaginée par Yvonne-Hélène Taillefer qui continue : « Elle [Henriette] est alors conquise au vice, elle repousse dès lors tous les hommages masculins qui paraissent lui témoigner sa propre infériorité et devient une adepte convaincue et fait du prosélytisme. Dangereuse, elle est à éliminer »60. Présenté comme tel, le profil d’Henriette trahit l’existence de deux types de lesbiennes dans l’esprit du médecin :

 Il existe deux sortes de lesbiennes : les lesbiennes actives qui prennent des manières masculines tant dans leur comportement extérieur que dans leur pensée. Ce sont des femmes d’allures masculines dans leur habillement et dans leur façon de parler qui font du prosélytisme et qui, par la sont les plus dangereuses. Les lesbiennes passives de caractère souvent faible, qui recherchent « à moindre frais dans les mœurs de Lesbos une forme d’érotisme symbolique61.

Elle continue quelques lignes plus loin 

Il existe des petites déséquilibrées qui sont devenues des lesbiennes comme des enfants deviennent homosexuels. Cependant, elles n’ont pas de tendance au prosélytisme. A côté des pervers actives, les pervers passives apparaissent faibles et facilement entrainables, ce sont elles qui recherchent la malade pour les initier à son culte. On conçoit quel peut être le danger de tels sujets dans un milieu aussi fermé, et si la petite lesbienne passive peut guérir par la séparation, il n’en est pas de même de la lesbienne active. Il est donc absolument indispensable de savoir reconnaitre les lesbiennes perverses qui doivent être éliminées de façon absolue ; quant aux passives, elles doivent bénéficier de mesures prophylactiques ; logement correct, occupations diverses, sports, douches, etc… Toutes choses qui semblent avoir manqué dans beaucoup de cantonnements de l’armée féminine62.

L’exercice de classification est ici fondamental pour comprendre la tournure prise par les thèses de psychopathologie. En effet, la production d’un « savoir » – ici l’émergence d’une catégorisation – facilite le contrôle de l’objet étudié. Autrement dit, il n’y a pas de « relations de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir »63. À ce titre, la classification des lesbiennes militaires est suivie – comme annoncé dans l’extrait précédent – de propositions prophylactiques pour contrôler davantage ces mêmes femmes. Ces mesures ont effectivement pour objectif de prévenir l’apparition, la propagation, ou l’aggravation d’une « maladie ». Ainsi, les thèses de psychopathologie ne se limitent pas à produire des savoirs psychanalytiques sur la femme « masculine » militaire homosexuelle, mais travaillent à son contrôle. Autrement dit, penser, classer et catégoriser ces femmes n’est pas un exercice sans conséquences : « c’est une mise en ordre du monde qui donne des formes d’exercices du savoir »64 .

Cette tournure sociale et politique est également visible dans l’organisation des thèses puisque les deux textes proposent, dans leur dernière partie, un projet de réformation du système militaire. L’objectif des médecins est de limiter le nombre de femmes masculines homosexuelles ou, selon les termes de Yvonne-Hélène Taillefer, de « mieux éliminer ces malades qui portent le plus grave préjudice moral à l’armée »65. Ce processus d’identification et de sélection des recrues s’inscrit dans une tradition plus ancienne où l’institution militaire s’appuyait sur des savoirs pseudo-scientifiques pour sélectionner leurs recrues66. Depuis, il n’est pas étonnant de voir les candidat.e.s conditionné.e.s à un examen physique et/ou psychique. Les femmes n’y font pas exception et, en 1941, l’introduction du personnel féminin dans l’armée était déjà encadrée par des modalités spécifiques. L’article 3 du décret n° 74 du 16 juin 1941 stipulait que « l’admission est subordonnée au résultat favorable d’une enquête de moralité [et d’une] aptitude physique constatée par un examen médical d’incorporation »67. Le décret du 11 janvier 1944 ajoute que « sont exclues des formations militaires féminines auxiliaires, les femmes se livrant à la prostitution et les femmes ayant fait l’objet d’une condamnation privative d’au moins quinze jours, inscrite au casier judiciaire »68. En d’autres termes, la volonté de contrôler le corps et la sexualité des femmes militaires n’était pas nouvelle. Néanmoins, les thèses de psychopathologie se distinguent par leurs propositions plus complètes qui parachèvent le processus de sélection, et donc de contrôle, du personnel féminin. À titre d’exemple, Jacques Sarraz-Bournet propose une méthode qui veut effectuer un tri « efficace », le médecin se félicite d’ailleurs pour son programme qui lui permet d’afficher un « taux d’élimination de 40 % »69. Yvonne-Hélène Taillefer milite, quant à elle, pour la mise en place de « cours de psychologie avec des notions de psychiatrie qui devraient être professés dans toutes les grandes écoles militaires » afin que les recruteurs puissent identifier les homosexuelles à partir des détails personnels des volontaires70. Le psychiatre Jacques Sarraz-Bournet réserve également un chapitre entier de sa thèse pour présenter les différents tests de recrutement à la disposition du personnel armé, notamment pour mieux repérer les cas d’homosexualité.

Le modèle de la lesbienne « active » – à l’origine des propositions préventives des médecins – est donc un archétype central pour appréhender l’objet « femme militaire » dans les discours des psychopathologues. Néanmoins, le cliché de l’homosexuelle aux tendances « prosélytistes » n’est pas sans se déployer en dehors des sciences psychanalytiques, démontrant la force des systèmes de catégorisation qui, en simplifiant des données, facilitent aussi leur circulation. La menace d’une homosexualité « contagieuse » se retrouve aussi, par exemple, dans le film From Russia with Love à travers le personnage de Rosa Klebb. Dans une scène de recrutement, la colonelle est chargée d’enrôler Tatiana Romanova dans les rangs du SPECTRE, mais cette dernière profite de l’occasion pour séduire la jeune femme de manière insistante. Un double jeu se met en place à travers des allusions verbales destinées à Tatiana : « Allons venez ma chère, vous avez beaucoup de chance d’avoir été choisi pour une mission si simple…et si agréable » (TC : 00 :17 :32) ou encore « hmmm quelle jeune fille ravissante » (TC : 00 :16 :06). Le langage corporel, quant à lui, confirme l’invitation sexuelle de la colonelle : cette dernière est debout, dans une posture de domination, face à une jeune femme assise et apeurée. La militaire se lève ensuite et tourne autour de Tatiana, comme un animal tourne autour de sa proie. Enfin, les mains de Rosa Klebb s’aventurent sur le corps de la jeune femme et glissent de manière sensuelle sur celui-ci (voir figure 2). La militaire est également accompagnée d’un bâton qu’elle positionne au niveau de l’aine, dirigé droit vers Tatiana. Légèrement relevé, ce bâton n’est pas sans rappeler la forme d’un phallus qui menace la jeune femme, positionnée dans une posture visuellement inférieure (voir figure 3). Ici, la symbolique visuelle de l’objet fait écho à la femme phallique, mais le positionnement du bâton rappelle également le modèle de la lesbienne » active » en plein acte de prosélytisme. Cette scène construit ainsi l’homosexualité comme une menace contagieuse qui risquerait de corrompre sexuellement la jeune Tatiana. De nouveau, ce danger est à la fois politique – du fait de la nationalité russe de la colonelle – et sexuel. Pour contrer cela, la jeune femme est sauvée des griffes de Rosa Klebb par le célèbre James Bond, avec qui elle aura une relation sexuelle, signifiant le triomphe de l’hétérosexualité (TC : 00 :54 :25).

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Figure 2 : Rosa Klebb pendant son entretien avec Tatiana Romanova, dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :35).

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Figure 3 : Rosa Klebb, à droite de l’image, pendant son entretien avec Tatiana Romanova dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :07).

Dans cette séquence, la femme militaire est ainsi assimilée au stéréotype de la lesbienne masculine « active », engagée dans une démarche « prosélytiste », à l’image de ce qui avait été développé dans les thèses de psychopathologie. Ce cliché, s’il est repris par la célèbre franchise James Bond, dépasse le seul cadre de cette série. Comme le rappelle Jack Halberstam, cet archétype représente un topos cinématographique. Dans son étude de la femme masculine au cinéma, l’auteur identifie la cristallisation d’un modèle qu’il nomme la « predatory butch ». Cette dernière, dont la caractéristique principale est la prédation sexuelle, rappelle plus généralement l’archétype décrit par les psychanalystes : « This is a character who might have a nontraditional occupation. Very often the predatory butch’s identity is explained through rudimentary psychoanalytic models as an immature femininity, a femininity that failed to blossom. »71. De nouveau, une féminité perçue comme manquée est associée à la femme masculine, tout en y ajoutant – à l’instar des discours médicaux – le spectre de l’homosexualité. L’idée d’une sexualité inversée, prédatrice et contagieuse chez la femme masculine est ainsi présente dans certaines productions médicales et culturelles au travers de la figure de la militaire.

La psychanalyse, en plein développement en cette moitié du XXe siècle, est marquée par un engagement socio-politique « qui travaille à l’établissement de critères d’appréciation de la dangerosité sociale du sexuel »72. La question de la virago dans l’armée, reprise dans les thèses de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet, s’inscrit dans cette quête politique. Dans ces textes, c’est effectivement un virage épistémologique qui s’opère et qui médicalise la femme militaire un peu « trop masculine » en France. Ces thèses construisent effectivement la militaire comme une » espèce » à part entière, à l’étiologie propre, au corps marqué et à la sexualité « hors norme ». Les différents classements, discours ou diagnostics déployés dans les travaux de Jacques Sarraz-Bournet et Yvonne-Hélène Taillefer ont alors permis de comprendre comment – et sur quel héritage – le stéréotype de la femme militaire « masculine » a été construit. Leurs analyses auront révélé l’influence déterminante de savoirs psychanalytiques plus anciens, notamment sur la notion de l’inversion, qui associe apparence masculine chez la femme et sexualité inversée. Ainsi, les thèses de psychopathologie étudiées ne reflètent pas la formation du stéréotype de la virago, mais trahissent son essor, sa continuité et sa réappropriation à travers les époques. En portant notre regard au-delà des discours médicaux, nous avons également constaté l’influence des savoirs psychanalytiques dans la mise en scène de la femme militaire dans certaines productions culturelles, notamment au cinéma. Cela ne veut pas dire que les productions culturelles sont uniquement des supports passifs, qui se contenteraient de reproduire l’enseignement de thèses de psychopathologie. L’exemple de From Russia with Love a, au contraire, démontré comment un milieu peut se réapproprier la figure de la militaire en piochant dans différents concepts psychanalytiques, à l’image du concept de « femme phallique » réinjecté dans le personnage de Rosa Klebb. Cet exemple montre que la diffusion de savoirs psychanalytiques dans la sphère culturelle ne se limite pas à un simple processus de réplication : l’image de la femme militaire se réadapte, se réitère et s’altère. La mise en miroir des thèses de Yvonne-Hélène Taillefer et Jacques Sarraz-Bournet avec d’autres discours était donc essentiel pour comprendre la diffusion et la transmission de ce stéréotype au-delà des sphères psychanalytiques. À travers ces discours, c’est aussi le rapport anxiogène des contemporain.e.s à une potentielle « masculinisation » des femmes qui s’est révélé. Dans un contexte de réaffirmation de l’identité masculine après la défaite de 1940 et la perte des colonies, la virago militaire constituait une hérésie, un problème social, dont les sciences et la politique ont tenté de se saisir. Entre peurs et fantasmes, la femme militaire a donc été fabriquée comme un objet de science autour duquel résonnait des considérations sociales et culturelles.

1 Ce phénomène a été documenté dans Elodie Jauneau, La Féminisation de l’armée française pendant les guerres 1938-1962 : enjeux et réalités d’un

2 Des pétitions contre la loi Paul-Boncour ont été lancées notamment dans la revue Europe. Les documents sont conservés aux archives de la

3 Odile Roynette, « La construction du masculin. De la fin du XIXe siècle aux années 1930 », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, vol. 75, no. 3, 2002

4 Renée Davray, « Le service national féminin », Minerva, 23 avril 1939.

5 Joshua Goldstein, War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 3.

6 Françoise Héritier. Masculin, Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 27.

7 Au cours de la période on observe par exemple une instabilité de la définition. Qualifiée de « femme de grande taille, robuste et d’allure masculine

8 Victor Margueritte, La Garconne, Paris, Ernest Flammarion, 1922 ; Madeleine Pelletier, « La femme soldat », La Suffragiste, octobre 1908.

9 Jacqueline Carroy (ed.), Histoire de la psychologie en France. XIXe - XXe siècles, Paris, La Découverte, 2006, p. 59-84.

10 Jacqueline Carroy, Annick Ohayon, et Régine Plas, « Une singularité française : le modèle pathologique en psychologie », dans Jacqueline Carroy (éd

11 Kyle Cuordileone, « ‘Politics in an Age of Anxiety’: Cold War Political Culture and the Crisis in American Masculinity, 1949-1960. », The Journal

12 Voir par exemple Leslie Howard, The Gentle Sex, 1943, Derrick De Marney Productions, 92 minutes; Gilbert Gunn, Operation Bullshine, 1959

13 À ce titre voir Yvonne Tasker, Soldiers’ Stories: Military Women in Cinema and Television since World War II, Durham, Duke University Press, 2011.

14 Pierre Carles, Des millions de soldats inconnus, La vie de tous les jours dans les armées de la IVe République, Paris, Lavauzelle, 1982 [1959], p. 

15 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie féminine dans l’Armée, Paris, Maurice Lavergne imprimeur, Thèse pour le doctorat en médecine

16 Ibid. p. 37.

17 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de la psychopathologie dans le personnel féminin de l’armée, Paris, Imprimerie R. Foulon, Thèse pour

18 Sigmund Freud, « La féminité » dans Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1989 [1932].

19 Sigmund Freud, “The dissolution of the Oedipus complex” dans James Strachey (éd.), The Standard Edition of the Complete Psychological Works of

20 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 12.

21 Y-H. Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

22 Ibid. p. 39

23 Ibid. p. 32.

24 Ibid. p. 35 et 37 (pour les deux dernières citations).

25 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

26 Hélène Deutsch, Psychoanalysis of the Sexual Functions of Women. vol. 1: Girlhood, New York, Allyn & Bacon, 1943.

27 Voir Johan Van Ophuijsen, “Contributions to the Masculinity Complex in Women”, Russell Grigg (éd.), Female Sexuality. The Early Psychoanalytic

28 On peut également citer les travaux de Karen Horney, “The flight from Womanhood: The masculinity-complex in women”, The International Journal of

29 Rees Linford, « Neurosis in the Women’s Auxiliary Services », Journal of Mental Science, vol. 95, n° 401, 1949, p. 888; Margaret Craighill, « 

30 R. Linford, « Neurosis in the Women’s Auxiliary Services », art.cité, p. 888.

31 K. Horney, « The flight from Womanhood: The masculinity-complex in women », art.cité, p. 328.

32 Judith Kegan Gardiner, « Female Masculinity and Phallic Women— Unruly Concepts », Feminist Studies, vol. 38, no. 3, 2012, p. 599.

33 Jack Halberstam, Female Masculinity, Durham, Duke University Press, 1998, p. 191. Voir également Barbara Creed, The Monstrous-Feminine: Film

34 Monica Germanà, Bond Girls: Body, Fashion and Gender, Londres, Bloomsbury, 2020, p. 192.

35 Barbara Creed, The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, op. cit., p. 157.

36 Ian Fleming, From Russia with Love, Londres, Penguin, 2004 [1957], p. 63.

37 Geneviève Sellier, « Women in television series : a summary », présentation donnée pendant la conférence Women in Security Television series

38 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 90.

39 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 92.

40 Tereska Torrès, Women’s barracks, New York, Fawcett, 1950.

41 L’homosexualité féminine dans l’armée américaine concernait par exemple moins de 1 % du personnel (voir Margaret D. Craighill, « Psychiatric

42 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

43 Esther Newton, « Le mythe de la lesbienne masculine : Radclyffe Hall et la Nouvelle Femme », Cahiers du Genre, vol. 45, no. 2, 2008, p. 19-20.

44 Ibid. p. 23.

45 Radclyffe Hall, Le Puits de solitude, Paris, Gallimard, 1980 [1928], p. 20.

46 Havelock Ellis, Études de psychologie sexuelle. Tome 1, Paris, Mercure de France, 1921 [1886], p. 152.

47 Richard Krafft-Ebing, Psychopathia Sexualis, Paris, Camion Noir, 2012 [1882], p. 86.

48 Jacques Halberstam, Female masculinity, op. cit., p. 180.

49 Sylvain Tousseul, « Petite histoire conceptuelle de l’homosexualité », Psychologie clinique et projective, vol. 22, no. 1, 2016, p. 47.

50 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 63.

51 Ibid. p. 92.

52 Viviane Huys, « Le rôle de l’anamnèse dans la co-construction du diagnostic », Espaces Linguistiques, n° 2, 2021, p. 36-45.

53 Bernard Brusset, « Enquête familiale et anamnèse » dans Serge Lebovici (éd.), Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris

54 Ibid. p. 35.

55 André Scheen, « L’anamnèse médicale, étape initiale capitale pour l’orientation diagnostique », Revue Médicale de Liège, n° 68, 2013, p. 603.

56 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 91.

57 Ibid. p. 41.

58 Sidsel Eriksen, « Alcohol as a Gender Symbol », Scandinavian Journal of History, n° 24, 1999, p. 45-73.

59 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 43.

60 Ibid. p. 93.

61 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 92.

62 Ibid. p. 94.

63 Alain Foucault Beaulieu (dir.), Michel Foucault et le contrôle social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. 23.

64 Yolande Maury, « Classements et classifications comme problème anthropologique : entre savoir, pouvoir et ordre », Hermès, La Revue, vol. 66, no. 2

65 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 82.

66 Voir par exemple les travaux de Georges Fromaget, Les mesures de protection à l’égard des pervers qui s’engagent dans l’armée, Thèse de médecine

67 Cité dans Élodie Jauneau, « Images et représentations des premières soldates françaises (1938-1962) », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, vol. 30

68 Ibid. p. 245.

69 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 73.

70 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 112.

71 Jacques Halbserstam, Female masculinity, op. cit., p. 194.

72 Jacqueline Carroy, Annick Ohayon et Régine Plas, « Après la Seconde Guerre mondiale : heurs et malheurs de la psychologie » dans Jacqueline Carroy

Notes

1 Ce phénomène a été documenté dans Elodie Jauneau, La Féminisation de l’armée française pendant les guerres 1938-1962 : enjeux et réalités d’un processus irréversible, Université Paris Diderot, thèse de doctorat, 2011.

2 Des pétitions contre la loi Paul-Boncour ont été lancées notamment dans la revue Europe. Les documents sont conservés aux archives de la Bibliothèque Marguerite Durand, dossier « Comité d’action contre le projet de la loi Paul-Boncour », AFF 86a.

3 Odile Roynette, « La construction du masculin. De la fin du XIXe siècle aux années 1930 », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, vol. 75, no. 3, 2002, p. 92.

4 Renée Davray, « Le service national féminin », Minerva, 23 avril 1939.

5 Joshua Goldstein, War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 3.

6 Françoise Héritier. Masculin, Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 27.

7 Au cours de la période on observe par exemple une instabilité de la définition. Qualifiée de « femme de grande taille, robuste et d’allure masculine » en 1913 dans Valéry Larbaud, A.O Barnobooth, Paris, Gallimard, 1913, p. 240, le terme « virago" » présente une tournure plus péjorative quelques décennies plus tard : « virago : femme grossière et autoritaire aux manières rudes. Synonyme : dragon, gendarme, harpie, mégère » voire Marcel Aymé, Travelingue, Paris, Gallimard, 1941, p. 213.

8 Victor Margueritte, La Garconne, Paris, Ernest Flammarion, 1922 ; Madeleine Pelletier, « La femme soldat », La Suffragiste, octobre 1908.

9 Jacqueline Carroy (ed.), Histoire de la psychologie en France. XIXe - XXe siècles, Paris, La Découverte, 2006, p. 59-84.

10 Jacqueline Carroy, Annick Ohayon, et Régine Plas, « Une singularité française : le modèle pathologique en psychologie », dans Jacqueline Carroy (éd.), Histoire de la psychologie en France. XIXe – XXe siècles, Paris, La Découverte, 2006, p. 60.

11 Kyle Cuordileone, « ‘Politics in an Age of Anxiety’: Cold War Political Culture and the Crisis in American Masculinity, 1949-1960. », The Journal of American History, vol. 87, no. 2, 2000, p. 515-545.

12 Voir par exemple Leslie Howard, The Gentle Sex, 1943, Derrick De Marney Productions, 92 minutes; Gilbert Gunn, Operation Bullshine, 1959, Associated British-Pathé, 84 mins; Edward Zwick, Courage Under Fire, 1996, Fox 2000 Pictures, 116 minutes; Ridley Scott, G.I. Jane, 1997, Hollywood Picture Company, 124 minutes.

13 À ce titre voir Yvonne Tasker, Soldiers’ Stories: Military Women in Cinema and Television since World War II, Durham, Duke University Press, 2011.

14 Pierre Carles, Des millions de soldats inconnus, La vie de tous les jours dans les armées de la IVe République, Paris, Lavauzelle, 1982 [1959], p. 104.

15 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie féminine dans l’Armée, Paris, Maurice Lavergne imprimeur, Thèse pour le doctorat en médecine, 1947, p. 24.

16 Ibid. p. 37.

17 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de la psychopathologie dans le personnel féminin de l’armée, Paris, Imprimerie R. Foulon, Thèse pour le doctorat en médecine, 1953, p. 31.

18 Sigmund Freud, « La féminité » dans Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1989 [1932].

19 Sigmund Freud, “The dissolution of the Oedipus complex” dans James Strachey (éd.), The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, Londres, The Hogarth Press, 1961. 

20 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 12.

21 Y-H. Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

22 Ibid. p. 39

23 Ibid. p. 32.

24 Ibid. p. 35 et 37 (pour les deux dernières citations).

25 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

26 Hélène Deutsch, Psychoanalysis of the Sexual Functions of Women. vol. 1: Girlhood, New York, Allyn & Bacon, 1943.

27 Voir Johan Van Ophuijsen, “Contributions to the Masculinity Complex in Women”, Russell Grigg (éd.), Female Sexuality. The Early Psychoanalytic Controversies, Montréal, Rebus Press, 1999, p. 19-30 ; ce travail fut publié en allemand puis néerlandais, mais il faudra attendre 1924 pour voir sa publication en anglais menant à l’attribution trompeuse du concept à Sigmund Freud.

28 On peut également citer les travaux de Karen Horney, “The flight from Womanhood: The masculinity-complex in women”, The International Journal of Psychoanalysis, vol. 7, 1926, p. 324-329; S.M Payne, “Zue Auffassung der Weiblichkeit”, Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. 22, 1936, p. 19-39.

29 Rees Linford, « Neurosis in the Women’s Auxiliary Services », Journal of Mental Science, vol. 95, n° 401, 1949, p. 888; Margaret Craighill, « Psychiatric aspects of Women serving in the Army », The American Journal of Psychiatry, vol. 104, n° 4, 1947, p. 229.

30 R. Linford, « Neurosis in the Women’s Auxiliary Services », art.cité, p. 888.

31 K. Horney, « The flight from Womanhood: The masculinity-complex in women », art.cité, p. 328.

32 Judith Kegan Gardiner, « Female Masculinity and Phallic Women— Unruly Concepts », Feminist Studies, vol. 38, no. 3, 2012, p. 599.

33 Jack Halberstam, Female Masculinity, Durham, Duke University Press, 1998, p. 191. Voir également Barbara Creed, The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, Londres, Routledge, 2007 [1993], p. 155.

34 Monica Germanà, Bond Girls: Body, Fashion and Gender, Londres, Bloomsbury, 2020, p. 192.

35 Barbara Creed, The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, op. cit., p. 157.

36 Ian Fleming, From Russia with Love, Londres, Penguin, 2004 [1957], p. 63.

37 Geneviève Sellier, « Women in television series : a summary », présentation donnée pendant la conférence Women in Security Television series, Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, le 19 mars 2021 [en ligne].

38 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 90.

39 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 92.

40 Tereska Torrès, Women’s barracks, New York, Fawcett, 1950.

41 L’homosexualité féminine dans l’armée américaine concernait par exemple moins de 1 % du personnel (voir Margaret D. Craighill, « Psychiatric aspects of Women serving in the Army », art. cité, p. 228).

42 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 37.

43 Esther Newton, « Le mythe de la lesbienne masculine : Radclyffe Hall et la Nouvelle Femme », Cahiers du Genre, vol. 45, no. 2, 2008, p. 19-20.

44 Ibid. p. 23.

45 Radclyffe Hall, Le Puits de solitude, Paris, Gallimard, 1980 [1928], p. 20.

46 Havelock Ellis, Études de psychologie sexuelle. Tome 1, Paris, Mercure de France, 1921 [1886], p. 152.

47 Richard Krafft-Ebing, Psychopathia Sexualis, Paris, Camion Noir, 2012 [1882], p. 86.

48 Jacques Halberstam, Female masculinity, op. cit., p. 180.

49 Sylvain Tousseul, « Petite histoire conceptuelle de l’homosexualité », Psychologie clinique et projective, vol. 22, no. 1, 2016, p. 47.

50 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 63.

51 Ibid. p. 92.

52 Viviane Huys, « Le rôle de l’anamnèse dans la co-construction du diagnostic », Espaces Linguistiques, n° 2, 2021, p. 36-45.

53 Bernard Brusset, « Enquête familiale et anamnèse » dans Serge Lebovici (éd.), Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 509.

54 Ibid. p. 35.

55 André Scheen, « L’anamnèse médicale, étape initiale capitale pour l’orientation diagnostique », Revue Médicale de Liège, n° 68, 2013, p. 603.

56 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 91.

57 Ibid. p. 41.

58 Sidsel Eriksen, « Alcohol as a Gender Symbol », Scandinavian Journal of History, n° 24, 1999, p. 45-73.

59 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 43.

60 Ibid. p. 93.

61 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 92.

62 Ibid. p. 94.

63 Alain Foucault Beaulieu (dir.), Michel Foucault et le contrôle social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. 23.

64 Yolande Maury, « Classements et classifications comme problème anthropologique : entre savoir, pouvoir et ordre », Hermès, La Revue, vol. 66, no. 2, 2013, p. 23.

65 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 82.

66 Voir par exemple les travaux de Georges Fromaget, Les mesures de protection à l’égard des pervers qui s’engagent dans l’armée, Thèse de médecine, Lyon, Bosc, 1934 ; Jean Lacassagne, Étude sur la Pédiculose du corps aux armées prophylaxie et traitement, Lyon, Rey, 1916.

67 Cité dans Élodie Jauneau, « Images et représentations des premières soldates françaises (1938-1962) », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, vol. 30, 2009, p. 245.

68 Ibid. p. 245.

69 Jacques Sarraz-Bournet, Contribution à l’étude de psychopathologie…, op. cit., p. 73.

70 Yvonne-Hélène Taillefer, Essai de psychopathologie…, op. cit., p. 112.

71 Jacques Halbserstam, Female masculinity, op. cit., p. 194.

72 Jacqueline Carroy, Annick Ohayon et Régine Plas, « Après la Seconde Guerre mondiale : heurs et malheurs de la psychologie » dans Jacqueline Carroy (éd.), Histoire de la psychologie en France. XIXe – XXe siècles, Paris, La Découverte, 2006, p. 212.

Illustrations

Figure 1: Rosa Klebb dans From Russia with Love de Terence Young, 1963  (TC: 00:15:17).

Figure 1: Rosa Klebb dans From Russia with Love de Terence Young, 1963
(TC: 00:15:17).

Figure 2 : Rosa Klebb pendant son entretien avec Tatiana Romanova, dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :35).

Figure 2 : Rosa Klebb pendant son entretien avec Tatiana Romanova, dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :35).

Figure 2 : Rosa Klebb pendant son entretien avec Tatiana Romanova, dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :35).

Figure 2 : Rosa Klebb pendant son entretien avec Tatiana Romanova, dans From Russia with Love de Terence Young, 1963, (TC : 00 :17 :35).

Citer cet article

Référence électronique

Louise Francezon, « « Complexe de masculinité » et homosexualité chez la femme militaire », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le , consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=3402

Auteur

Louise Francezon

Diplômée d’un Master d’histoire à l’École de la Recherche de Sciences Po et d’un Master en Visual Studies (spécialité Film Studies) de l’université d’Amsterdam, elle est actuellement doctorante à Paris 1 Sorbonne-Université et travaille sur les femmes photographes de guerre dans une perspective d’histoire des femmes et du genre