L’esthétique du récepteur

Waldemar Gurian, la vie intellectuelle et la littérature française

DOI : 10.56698/rhc.325

Abstracts

Waldemar Gurian, peu connu aujourd’hui, était une personnalité intellectuelle de l’Allemagne de la République de Weimar. Russophone de naissance, familier de la culture et de la littérature russes, il est aujourd’hui connu pour ses études sur le bolchévisme. Pourtant, il s’est aussi intéressé à la France : spécialiste de l’Action française, il a également beaucoup lu les auteurs français contemporains et les a également commentés. Cet article a pour but de s’interroger sur les spécificités de ses lectures en inversant l’analyse pour s’intéresser davantage au récepteur qu’aux œuvres qu’il lit : comment s’articulent-elles avec sa vision du monde et ses autres travaux ? Gurian lisait et commentait dans une perspective sociologique, philosophique et théologique. Il était mu par une conviction catholique propre, convaincu du rôle de la littérature et de sa nécessaire hétéronomie. Ses lectures privilégiaient deux types d’auteurs bien identifiés : les intellectuels du cercle de l’Action française ainsi que les écrivains de la renaissance catholique, à l’image de Georges Bernanos.

Waldemar Gurian was an intellectual figure of the Weimar Republic. A native Russian speaker familiar with Russian cultural life and literature, he is today known for his studies on Bolshevism. However, he was also interested in France, especially in the Action française, and commented on contemporary French literature This paper aims at analysing the specificities of his readings and thus at inverting Gurian’s own literary analyses in order to focus on the critical potential of his critique, specifically in terms of world view and intertextuality. In his analyses, Gurian adopted a sociological, philosophical and theological point of view. He was driven by his own Catholic faith and was convinced of the role of literature and its necessary heteronomy. In his readings, Gurian preferred two well-identified types of authors: the intellectuals of the Action française circle and the writers of the French Renouveau Catholique, such as Georges Bernanos.

Index

Mots-clés

critique littéraire, réception, Action française, catholicisme, Renouveau catholique

Keywords

literary criticism, reception, Action française, catholicism, French Renouveau Catholique

Outline

Text

En guise d’introduction : ce « si intrigant » Waldemar Gurian

« Pourquoi supprimer les pages de Moby Dick vouées par Melville à la description de la queue du cachalot ? Et pourquoi, dans Hannah Arendt1, prélever parmi celles consacrées à d’illustres inconnus comme Waldemar Gurian ou Randall Jarrell plutôt que parmi celles traitant de Rosa Luxembourg ou de Bertolt Brecht ? 2. » Si l’on en croit cette remarque de François Salvaing3 à propos de déprédations de livres défiant toute logique, perpétuées par des « vandales » sans discernement aucun, dans un ouvrage proposant à des écrivains de s’interroger sur les bibliothèques, le nom de Waldemar Gurian semble indubitablement tombé dans l’oubli. Malgré le caractère exagéré de l’oxymore, il est difficile de lui donner complètement tort. La perplexité de François Furet, dans les rangées d’une autre bibliothèque, celle de l’université de Chicago, cette fois, confirme cette impression comme le relate Christophe Prochasson à propos de celui que le biographe de l’historien nomme « ce si intrigant Waldemar Gurian »4: « Je me souviens avoir lu ce livre5 avec passion, en me demandant qui pouvait bien être ce Waldemar Gurian : je l’ai demandé à plusieurs de mes collègues, qui l’ignoraient, et c’est finalement mon vieil ami Reinhart Koselleck, consulté par téléphone, qui m’a donné les clefs de cet auteur si vite tombé dans l’oubli, bien qu’il ait eu une carrière américaine après la guerre .»6 Comme le note justement Laura Pettinaroli dans son ouvrage sur les relations entre le Vatican, la Russie et l’URSS, l’œuvre de Waldemar Gurian reste encore mal connue7, et nous complèterons : dans les différents domaines dans lesquels il a œuvré. Cela vient sans doute du fait de son parcours mouvementé dans les temps « sombres » dont parle Hannah Arendt ou de son décès relativement jeune au mitan des années 19508. Décédé il y a donc tout juste 65 ans, il est aujourd’hui connu surtout pour être un des inventeurs de la théorie du totalitarisme9 mais demeure relativement oublié en Allemagne, y compris dans les milieux catholiques dans lesquels il était pourtant très actif10, malgré quelques travaux récents. Ce relatif oubli historiographique est toutefois assez surprenant, particulièrement en ce qui concerne ses travaux sur la France alors que cette historiographie des travaux allemands de l’entre-deux-guerres est déjà très fournie. Parmi les quelques études les plus récentes, notons celle d’Ellen Thümmler et de Michael Kunze11 qui ont bien souligné son intérêt pour ce voisin vu comme « solide » dans une Allemagne alors « instable »12. Ils ne considèrent toutefois que deux ouvrages de Gurian sur la France13, certes majeurs, laissant néanmoins de côté un autre aspect important de son œuvre : son intérêt pour la littérature française qui s’inscrivait dans une observation plus large de la vie intellectuelle. Il s’agira donc ici de s’interroger sur cette activité particulière ; nous nous questionnerons sur les spécificités de ses lectures en inversant l’analyse pour s’intéresser davantage au récepteur qu’aux œuvres qu’il lit : comment s’articulent-elles avec sa vision du monde et ses autres travaux ? Gurian, dont l’intérêt pour la France, ses débats d’idées et sa littérature contemporaine semble au premier abord constituer une courte parenthèse dans ses préoccupations intellectuelles, était avant tout mû par une conviction propre et ses lectures privilégiaient deux types d’auteurs bien identifiés : les intellectuels du cercle de l’Action française et les écrivains de la renaissance catholique, à l’image de Georges Bernanos.

La littérature (française) et son récepteur (allemand)

La littérature, dont la singularité en France tient dans son lien étroit avec la politique14, correspond pour Gurian à un miroir de la société. Il a beaucoup lu les auteurs français contemporains et les a également commentés (particulièrement Mauriac, Green, Bloy - décédé une dizaine d’années plus tôt- Claudel ou Bernanos). En retenant particulièrement ce dernier, nous souhaitons ici nous inspirer des analyses entreprises par Joseph Jurt15 en nous autorisant toutefois un point de départ différent. Premièrement, notre point de vue n’est pas celui d’un théoricien de la littérature, nous lisons les critiques de Gurian en tant qu’historien qui s’intéresse aux relations franco-allemandes ; deuxièmement, il ne s’agit pas de faire une sociologie de la réception littéraire mais au contraire d’inverser la perspective en analysant le critique à partir du regard qu’il porte sur les œuvres qu’il lit. Nous privilégions donc une analyse consacrée au récepteur. C’est sa vision du monde (et de la France), l’esthétique du récepteur en quelque sorte, qui nous occupe, délaissant l’esthétique de la réception propre aux études littéraires, initiée par Robert Jauss et Wolfgang Iser. Sa conception de la littérature sert ainsi de porte d’entrée dans l’univers interprétatif du récepteur. Joseph Jurt, dans l’introduction nouvellement parue accompagnant certains textes avec lesquels il avait déjà fourni une base théorique et empirique importante sur le sujet, et désormais réunis dans un même volume16, retrace la genèse de cette esthétique de la réception17, ainsi que l’histoire franco-allemande de la critique littéraire. Il rappelle aussi les différentes formes de critique littéraire telles qu’il les a définies : la « critique judicative » se basant sur un idéal et jugeant l’œuvre selon celui-ci, et son pendant, la « critique compréhensive », moins courante, cherchant à comprendre l’œuvre plutôt que de la juger18. C’est à l’aune de ces catégories que nous souhaitons donc considérer les lectures françaises de Gurian, en soulignant ses propres normes esthétiques et horizons d’attente.

Waldemar Gurian et la France, la focale catholique

Waldemar Gurian, juif et russe, est né en 1902 à Saint-Pétersbourg,19. Il suivit sa mère qui s’installa dès 1911 en Allemagne, pays où ils se convertirent tous deux au catholicisme. Après des études à Cologne, Berlin et Breslau, il œuvra en tant que publiciste durant la République de Weimar dans diverses revues catholiques comme Abendland, Hochland ou das Heilige Feuer et dans des journaux également catholiques –et leur supplément littéraire ou culturel- tels que le Kölnische Volkszeitung, le Rhein-Mainische Volkszeitung ou Germania. Son intérêt se porta alors tout particulièrement sur la France. Durant la deuxième partie des années 1920, qui représentent ses Godesberger Jahre20, du nom de sa ville de résidence près de Bonn, sa connaissance manifeste de la culture française fit rapidement de lui, malgré sa jeunesse, un spécialiste avéré, particulièrement du catholicisme, de son histoire mais aussi de sa confrontation avec la modernité. Cet intérêt, fruit d’un intense travail plus que d’une évidence pour ce russophone de naissance familier de la culture et de la littérature russes21, l’amena très rapidement à s’intéresser à la vie intellectuelle et à la littérature, au point qu’elles devinrent à ce moment de son existence un élément essentiel de ses travaux.

L’origine de cet attrait remonte à sa scolarité à Düsseldorf à partir de 1916. Un de ses professeurs était alors un spécialiste de la France, Hermann Platz22 (proche d’Ernst Robert Curtius23), qui fut ensuite professeur à l’université de Bonn. Gurian fréquenta ensuite Carl Schmitt et son cercle, avant une rupture assez violente. On retrouve d’ailleurs cette double influence dans la préface de son premier ouvrage, consacré à l’histoire du catholicisme français depuis la Révolution, où il les remercie nommément d’avoir éveillé son intérêt pour la France (Hermann Platz) et pour Lamennais (Carl Schmitt)24. Il coordonna également un dossier de la revue littéraire Orplid consacré à la France catholique et s’est donc, en peu de temps, établi comme un expert de la culture française, reconnu comme tel aussi en France si l’on suit le jugement d’Édouard Jourdan dans son long compte rendu dans la Revue d’histoire de l’Église de France : « Monsieur Gurian a une telle connaissance des choses françaises et semble avoir eu un tel souci de se placer d’un point de vue français, que le livre [Die politischen und sozialen Ideen des französischen Katholizismus] finit par ne plus offrir pour nous l’intérêt que présente d’ordinaire un ouvrage étranger, qui est précisément de nous faire connaître les jugements, justifiés ou non, que du dehors on porte sur nous. […] »25. C’est donc exclusivement par l’intermédiaire de cette focale catholique que Gurian s’est intéressé à la France, ce voisin dont la Révolution était perçue comme étant à l’origine des troubles contemporains en raison de la place de plus en plus réduite de la religion dans la société.

Le nationalisme français, filigrane de la vie intellectuelle française

Face aux défis provoqués par la modernité en France comme en Europe, Gurian concentra son analyse sur l’Action française dont il devint, au tournant des années 1930, un véritable spécialiste, à tel point qu’il était prévu qu’il édite en allemand une partie des œuvres de Maurras, « un des plus influents auteurs français […] dont l’influence se fait jour à l’étranger » comme il le présenta dans un long premier article en 192526, édition qui ne vit toutefois jamais le jour27. Toutefois, pour Gurian, dans ce triptyque vie intellectuelle-littérature-politique, si l’Action française était certes un « laboratoire politique »28 et un des éléments les plus intéressants à étudier, il ne demeurait justement qu’un simple laboratoire qui ne restait finalement qu’une affaire littéraire et sociale29 ; il en suivait toutefois de près les idées en raison du vent nouveau qu’elle avait fait souffler chez les catholiques.

Parmi le cercle des intellectuels proches de l’Action française, retenons en premier lieu, en plus de Jacques Maritain30, dont l’influence fut fondamentale dans l’œuvre de Gurian, la critique qu’il proposa de la Défense de l’Occident d’Henri Massis31. Il lui reprochait ce qu’il reprocha aussi à Maurras, à savoir que son œuvre était le produit classique de toute idéologie nationaliste voulant à tout prix défendre la « vraie civilisation » de la menace germanique32. Gurian combattait cette idéologie au nom d’une vérité objective alors que Massis n’aurait lui été à la recherche que du simple retour d’une position dominante de la France, intellectuellement comme politiquement. Comme pour Maurras avec Quand les Français ne s’aimaient pas (1916) ou « Gaulois, Germains, Latins » dans les Cahiers d’Occident, Gurian rejetait sa vision étriquée de l’Allemagne. Mais sa critique ne se limitait pas à ce seul point : pour lui, il fallait absolument combattre l’idée selon laquelle, dans l’idéologie nationaliste représentée par l’Action française, France et civilisation fussent synonymes car cette idéologie niait le caractère universel de l’Église en voulant préempter la religion. Au nom de ce caractère universel, il se rangeait néanmoins derrière la position de Massis souhaitant une réunion de l’Orient et de l’Occident sous la bannière du Christ ; il saluait alors l’idée selon laquelle il ne s’agissait pas de latiniser l’Asie mais de la christianiser. Ce qu’il réfutait, c’était une fausse interprétation de l’Histoire qui privilégiait trop les particularités nationales, en liant intrinsèquement nation française et catholicisme. C’est ainsi qu’il critiquait le livre de Massis comme « le livre le plus malencontreux écrit par un catholique français depuis l’armistice »33. Il n’est donc pas surprenant que Gurian réservât un accueil plus favorable à La trahison des clercs de Julien Benda34, justement parce qu’il dépassait ce simple cadre étriqué de la nation (Gurian fait aussi la distinction chez Maurras entre le praticien/traître et le théoricien/fidèle). Toutefois, il ne pouvait complètement adhérer aux arguments de Benda car ceux-ci étaient trop généraux. Gurian préférait différencier deux sortes de pratiques : la « pratique des nihilistes » qui devait effectivement être condamnée, la « pratique vraie » qui devait, elle, rester possible. Interprète de son temps, l’intellectuel catholique devait se démarquer de Benda qui s’extrayait « du monde réel pour l’observer, mi compatissant, mi ironique, de sa fenêtre avec un sourire à la fois triste et cynique »35.

Gurian suivait avec acuité les débats intellectuels français, surtout en lien avec l’Action française, et portait sur ceux-ci une vision du monde absolue. Cette intime connaissance lui permettait ainsi certes de décrypter facilement les références et analogies dans les œuvres de Bernanos, mais c’est encore une fois le caractère absolu de ce dernier qui l’attira.

Bernanos et la représentation du réel par la foi

Gurian porta une grande attention aux auteurs du « renouveau catholique », réaction à l’avènement de la IIIe République et la sécularisation de la société, et qui se traduisit par l’émergence de la figure de l’écrivain catholique dans les années 192036. Bernanos, en particulier, incarne ce renouveau catholique, et Gurian lui porta une attention toute particulière. Il le lut et le recensa en catholique convaincu du rôle de la littérature pour la sortie de la crise de l’esprit que connaissait l’Europe. Comme le nota Heinz Hürten, malgré son admiration et son enthousiasme pour ce renouveau catholique français, Gurian ne croyait pas en un tournant politique et religieux rapide et substantiel en France37. Son but était non seulement de proposer un modèle spirituel à suivre, mais aussi de démontrer à travers Bernanos38 la légitimité de la littérature catholique et en cela également sa nécessaire hétéronomie à la transcendance divine.

Gurian n’attendit pas la traduction - pourtant presque immédiate39- de Sous le soleil de Satan, première œuvre de Bernanos qui le consacra instantanément dans la « République des lettres »40, pour le recenser et le commenter41. De même, il accorda à Bernanos un long article de trois pages dans Abendland42 à l’occasion de la sortie de la traduction de L’imposture (1927) et de La joie (1929) réunis bizarrement dans un seul volume en 192943, et il dénonça cette incongruité qui brouillait le message bernanosien. Enfin, il reprit la plume deux mois plus tard, toujours dans Abendland44, pour répondre à une critique très défavorable à Bernanos45. Il souligna le caractère puissant de Sous le soleil de Satan qui dépassait selon lui la Comédie Humaine de Balzac. La critique de Gurian était originale46 bien que justifiée47. Il saluait Bernanos en cela qu’il réussissait par son œuvre à démontrer véritablement la signification décisive de la transcendance divine, surclassant l’œuvre de Marcel Proust, soudainement pâle, dans laquelle la psychologie apparaissait en comparaison banale, sans profondeur48. Il critiquait les critiques (littéraires) concernant la construction du livre, car il y percevait au contraire la clef d’interprétation de l’ouvrage. Le prologue (Histoire de Mouchette), qui peut au premier abord apparaître comme superflu voire inutile49 puisque Mouchette ne tient pas de rôle significatif dans le reste du roman, était pour lui au contraire fondamental : à l’image de Mouchette dont personne ne reconnaît quel est son vrai Seigneur, c´est le problème de la société que Bernanos révélait car le monde, la société ne reconnaissaient plus l’essence véritable des péchés et n’était donc plus à même de libérer le pécheur de Satan50. Et c’était justement l’élément surnaturel qu’introduisait Bernanos dans son roman – Satan comme représentation du Mal – qui permettait de souligner le caractère problématique, l’inanité du monde comme elle est présentée chez Balzac, en le surpassant. De même que le surnaturel est un objet central des romans de Bernanos avec le Mal51, l’incarnation de son contraire, le Saint52, octroyait à son œuvre un caractère propre dont Gurian soulignait et saluait la force et la signification pour le monde terrestre53.

Gurian faisait partie des admirateurs de Bernanos dès la sortie de son premier roman. La raison en est claire : c’est la puissance de son message qui faisait de lui un auteur au-dessus des autres. Il personnifiait à ses yeux l’écrivain catholique dans ce qu’il avait de meilleur, même s’il reconnaissait – comme le faisait d’ailleurs aussi Frédéric Lefèvre – que ses romans, de par leur difficulté, n’étaient pas pour tous les lecteurs et ne suivaient pas le canon du roman traditionnel54. Et c’est en cela qu’il perçoit Bernanos comme un écrivain nécessaire non seulement à la littérature mais au monde tel qu’il est : ses victoires du Saint contre le Mal doivent guider les pas des lecteurs et montrer le chemin véritable. Il incarne la puissance du romancier catholique car ses romans symbolisent ce que le roman catholique doit être55.

Conclusion : Littérature, philosophie, politique

Gurian n’était absolument pas un « illustre » inconnu durant l’entre-deux-guerres, ni en Allemagne, où il était un spécialiste avisé de la culture et de la littérature françaises, ni en France, où il disposait notamment d’un réseau catholique ; certainement était-il effectivement « intrigant ». Avant d’émigrer en Suisse puis de devenir « politologue américain » (Thümmler), Gurian fut donc aussi dans un premier temps un observateur et un critique fin de la vie intellectuelle et de la littérature françaises. Il lisait beaucoup, ouvrages et revues (qu’il commentait aussi), et le compte rendu était un élément essentiel de son analyse mais, comme le nota avec justesse Heinz Hürten, lorsqu’il s’agissait d’œuvres littéraires, il ne considérait nullement cet aspect56. « En période de crise, la littérature semble davantage se distinguer par ses messages que par ses qualités esthétiques »57, cela est aussi valable pour le critique Gurian qui privilégiait une perspective sociologique, philosophique et théologique. La littérature devait exprimer une société idéale vers laquelle tendre ; comme pour Maritain, qu’il présentait comme la référence philosophique à suivre, la littérature, comme l’art, devait assumer « la fonction précise d’être l’expression de la gloire de Dieu et d’être soumis à la seule vérité catholique »58, à l’image des ouvrages de Bernanos. La critique guranienne, si elle n’était pas fondamentalement littéraire, était originale : judicative et motivée par des « critères d’appréciation extra-littéraires »59 mais également compréhensive puisque Gurian comme Bernanos partageaient le même horizon d’attente.

Pour Gurian, la littérature était en quelque sorte le prolongement des débats intellectuels et l’expression de la société pour reprendre la célèbre expression bonaldienne, où la religion tient lieu d’esthétique60. On retrouve ainsi, en plus de la matrice catholique comme norme esthétique, un horizon d’attente philosophique et politique particulier en filigrane de ses lectures françaises tout comme dans ses travaux postérieurs. Il officiait donc non seulement comme intermédiaire important entre la France et l’Allemagne en matière de vie littéraire et intellectuelle, mais indiquait surtout une voie. Combattant et missionnaire, il suivait le chemin qu’il s’était tracé : à la fois contre et dans le monde moderne61.

1 Il est question ici de Vies politiques, collection d’essais et de portraits réunis par Hannah Arendt (Men in Dark Times, New York : Harcourt, Brace

2 François Salvaing, « Lueurs sur l’incendie méconnu de la médiathèque de Lorient », in Collectif, Tours et détours en bibliothèque. Carnet de voyage

3 Écrivain et ancien journaliste (à l’Humanité), François Salvaing a notamment publié Parti (Paris, Stock, 2000), dans lequel il fournit « une

4 Christophe Prochasson, François Furet: Les chemins de la mélancolie, Paris, Éditions Stock, 2013, p.160.

5 Il s’agit de Future of Bolshevism (trad. E.I.Watkin), Londres, Sheed & Ward, 1936.

6 François Furet, Inventaires du communisme, édition établie et présentée par Christophe Prochasson, Paris, EHESS, collection « Audiographie », 2012

7 Laura Pettinaroli, La politique russe du Saint-Siège (1905-1939), Rome, Publications de l’École française de Rome, 2015, p.734.

8 Nuançons ici la remarque de François Furet : Gurian était professeur à Notre-Dame depuis 1938. Il eut non seulement « une carrière américaine »

9 Cf. notamment Ellen Thümmler, « Totalitarian Ideology and Power Conflicts — Waldemar Gurian as International Relations Analyst after the Second

10 Cf. l’appel à le redécouvrir : Michael Kunze, « Auf die Autorität verweisen », Die Tagespost, 10 décembre 2019, https://www.die-tagespost.de/

11 Ellen Thümmler et Michael Kunze, « Waldemar Gurians Frankreichbild im Aufriss seiner Publizistik », in Alfons Söllner (dir.), Deutsche

12 Cf. Sebastian Liebold, Starke Frankreich – Instabiles Deutschland. Kulturstudien von Curtius/Bergstraesser und Vermeil zwischen Versailler Frieden

13 Waldemar Gurian, Die politischen und sozialen Ideen des französischen Katholizismus 1789-1914, Mönchengladbach, Volksverein GmbH, 1929 et Der

14 Gisèle Sapiro, Les écrivains et la politique en France. De l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris, Édition du Seuil, 2019.

15 Joseph Jurt, La réception de la littérature par la critique journalistique. Lectures de Bernanos 1926-1936, Paris, Jean-Michel Place, 1989.

16 Joseph Jurt, La réception littéraire en France et en Allemagne. André Malraux, Georges Bernanos, Émile Zola, Günter Grass, Paris, L’Harmattan, 2020

17 Ibid., p. 11-12.

18 Ibid., p.14.

19 Pour ses aspects biographiques, les deux monographies qui lui furent consacrées à quarante ans d’intervalle : la thèse d’habilitation d’Heinz

20 Heinz Hürten, Waldemar Gurian. Ein Zeuge der Krise unserer Welt in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, Mainz: Matthias-Grünewald-Verlag, 1972

21 Ses premiers essais publiés dans des revues, au début des années 1920, furent dédiés à Dostoïevski, Boris Sawinkoff ou Peter Tschaadaieff et il

22 Proche de Marc Sangnier, Hermann Platz est aussi une figure intellectuelle aujourd’hui largement méconnue ; il fut pourtant, aux côtés d’Ernst

23 Figure centrale de la romanistique allemande, cf. notamment les travaux de Christine Jacquemard de Gemeaux, Ernst Robert Curtius (1886-1956).

24 Waldemar Gurian, Die politischen und sozialen Ideen des französischen Katholizismus 1789-1914, op. cit.

25 Revue d’histoire de l’Église de France, 1931, 17, n°76, p. 357-363, ici p. 357.

26 Waldemar Gurian, « Charles Maurras », Der Gral, Janvier 1925, p. 236-244. Notons qu’ici aussi la double influence d’Hermann Platz et de Carl

27 Cf. Günter Wirth, « Nachwort », in Heinrich von Kleist, Politische und journalistische Schriften. Ausgewählt und eingeleitet von Adam von Trost.

28 Waldemar Gurian, Der integrale Nationalismus in Frankreich. Charles Maurras und die Action française, op. cit., p.1.

29 Ibid., p.73.

30 Maritain rompit toutefois en 1927 avec l’Action française (Philippe Bénéton, « Jacques Maritain et l’Action française », Revue française de science

31 Waldemar Gurian, « Die Abendlandideologie als Maske des französischen Nationalismus », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur

32 Ibid.

33 Il réitéra d’ailleurs cette critique du lien exclusif qu’il établissait entre classicisme et catholicisme que l’on retrouve dans la doctrine de l’

34 Waldemar Gurian, « Verrat der Geistigen », Abendland, Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 3e année, cahier 8, mai

35 Ibid.

36 Cf. Hervé Serry, « Les écrivains catholiques dans les années 20 », Actes de la recherche en sciences sociales 124, 1998, p.80-87.

37 Cf. Heinz Hürten, Waldemar Gurian, op. cit. p.27.

38 L’intérêt de Gurian pour Bernanos est à remettre dans le contexte de son intérêt pour Jacques Maritain (qui deviendra pour lui un modèle à suivre)

39 Georges Bernanos, Die Sonne Satans: Ein Roman, Berechtigte Übertragung von Friedrich Burschell, Hellerau, Jakob Hegner, 1927.

40 Gurian note ainsi qu’en l’espace de quelques semaines environ 50 000 exemplaires du livre se sont écoulés et que les critiques – de tous bords –

41 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », Kölnische Volkszeitung, n° 170, 26 septembre 1926.

42 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft

43 Georges Bernanos, Der Abtrünnige: Ein Roman. Übertragung von Georg Moenius und Friedrich von Opelln-Branikowski, Hellerau, Jakob Hegner, 1929.

44 Waldemar Gurian, « Untheologische „Theologie“ als Kampfmittel. Eine Entgegnung auf Dr. Frobergers Bernanos-Kritik », Abendland. Deutsche

45 Pour une analyse plus détaillée, cf. Joris Lehnert, « „Selbst die Romane eines Balzacs erreichen nicht die gleiche Tiefe“: Waldemar Gurian als

46 Joseph Jurt relève en effet que parmi les 87 comptes rendus de Sous le Soleil de Satan qui parurent en 1926, l’ouvrage de Bernanos n’est jamais

47 L’influence de Balzac fut en effet fondamentale pour Bernanos, lui qui « à l’âge où les petits garçons dévorent les romans d’aventure » (cf.

48 Peut-être Gurian tire-t-il cette comparaison de la lecture de l’interview de Bernanos par Frédéric Lefèvre parue quelques mois plus tôt (Gurian

49 Joseph Jurt rapporte ainsi la critique du Père Tronquedec – dont Gurian a également lu la recension de Bernanos - dans Le Correspondant du 25

50 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », art. cit.

51 Claire Daudin, « Bernanos et le Mal », Esprit, n° 425-6, juin 2016, p. 131-138.

52 Également central dans les œuvres de Bernanos, cf. Philippe Le Touzé, « La figure du prêtre dans le Sous le soleil de Satan », in Roman 20-50, 2008

53 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », art. cit.

54 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », art. cit.

55 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », art. cit.

56 Heinz Hürten, Waldemar Gurian, op. cit., p.16.

57 Cf. Joseph Jurt, « Le champ littéraire entre le national et le transnational », in Gisèle Sapiro (dir.), L’espace intellectuel en Europe. De la

58 Michael Einfalt, « Jacques Maritain et le champ littéraire français des années 20, catholicisme versus autonomie », in Regards sociologiques, n° 17

59 Joseph Jurt, La réception littéraire en France et en Allemagne. André Malraux, Georges Bernanos, Emile Zola, Günter Grass, Paris, L’Harmattan, 2020

60 Cf. Gérard Gengembre, « Bonald ou l’esthétique sociale de la littérature », in Jean-Louis Cabanès (dir.), Romantismes, l’esthétique en acte

61 Waldemar Gurian, Der katholische Publizist, Augsburg, Verlag Haas und Grabherr, 1931.

Notes

1 Il est question ici de Vies politiques, collection d’essais et de portraits réunis par Hannah Arendt (Men in Dark Times, New York : Harcourt, Brace & World, 1968) et traduit en français (Paris, Gallimard, 1974, réédité en 1986). Parmi ces personnalités ayant en commun « le monde de la première moitié du XXe siècle avec ses catastrophes politiques, ses désastres moraux », elle signa un portrait de Waldemar Gurian, qui l’avait notamment accueillie dans la revue qu’il avait fondée (Review of Politics) lors de son exil aux États-Unis et à l’université de Notre-Dame.

2 François Salvaing, « Lueurs sur l’incendie méconnu de la médiathèque de Lorient », in Collectif, Tours et détours en bibliothèque. Carnet de voyage, Villeurbanne, Presses de l’enssib, 2012, p.101-114, ici 101.

3 Écrivain et ancien journaliste (à l’Humanité), François Salvaing a notamment publié Parti (Paris, Stock, 2000), dans lequel il fournit « une autobiographie politique » et revient de façon fictionnelle sur trois décennies de son histoire dans le parti communiste. Sachant le rôle de Gurian dans l’étude du communisme, le hasard est parfois malicieux.

4 Christophe Prochasson, François Furet: Les chemins de la mélancolie, Paris, Éditions Stock, 2013, p.160.

5 Il s’agit de Future of Bolshevism (trad. E.I.Watkin), Londres, Sheed & Ward, 1936.

6 François Furet, Inventaires du communisme, édition établie et présentée par Christophe Prochasson, Paris, EHESS, collection « Audiographie », 2012, p.72.

7 Laura Pettinaroli, La politique russe du Saint-Siège (1905-1939), Rome, Publications de l’École française de Rome, 2015, p.734.

8 Nuançons ici la remarque de François Furet : Gurian était professeur à Notre-Dame depuis 1938. Il eut non seulement « une carrière américaine », mais y fut aussi un des acteurs principaux de l’établissement d’une nouvelle discipline, les Soviet Studies, après la Seconde Guerre mondiale (cf. Udi Greenberg, The Weimar Century: German Émigrés and the Ideological Foundations of the Cold War, Princeton University Press, 2014, p.122). Notons enfin que, en France, Jean-Baptiste Duroselle notamment connaissait particulièrement bien Waldemar Gurian : il relate par exemple en 1952 avoir participé pendant quatre mois aux travaux du « Committee on International Relations » de l’université de Notre-Dame, fondé par Gurian (Jean-Baptiste Duroselle, « L’étude des relations internationales : objet, méthode, perspectives », Revue française de science politique, 2-4, 1952, p.676-701, ici : 677). Sur Duroselle et Gurian, cf. notamment Nicolas Guilhot, « The international Circulation of International Relation Theory », in Wiebke Keim, Ercüment Çelik, Veronika Wöhrer (dir.), Global Knowledge Production in the Social Sciences : Made in Circulation, Routledge, 2014, p.63-86 (spécialement 72-75) et Nicolas Guilhot, « “The French Connection” Éléments pour une histoire des relations internationales en France », Revue française de science politique, 2017/1, p. 43-67.

9 Cf. notamment Ellen Thümmler, « Totalitarian Ideology and Power Conflicts — Waldemar Gurian as International Relations Analyst after the Second World War », in Felix Rösch (dir.) Émigré Scholars and the Genesis of International Relations. A European Discipline in America ?, New York, Palgrave Macmillan, 2014, p.132-153 et Bernard Bruneteau, L’Âge totalitaire : idées reçues sur le totalitarisme, Paris, Le Cavalier Bleu 2016.

10 Cf. l’appel à le redécouvrir : Michael Kunze, « Auf die Autorität verweisen », Die Tagespost, 10 décembre 2019, https://www.die-tagespost.de/gesellschaft/feuilleton/Auf-die-Autoritaet-verweisen;art310,203675.

11 Ellen Thümmler et Michael Kunze, « Waldemar Gurians Frankreichbild im Aufriss seiner Publizistik », in Alfons Söllner (dir.), Deutsche Frankreich-Bücher aus der Zwischenkriegszeit, Baden-Baden, Nomos 2011, p.173-196.

12 Cf. Sebastian Liebold, Starke Frankreich – Instabiles Deutschland. Kulturstudien von Curtius/Bergstraesser und Vermeil zwischen Versailler Frieden und Berliner Notverordnungen, Münster, Lit Verlag, 2008.

13 Waldemar Gurian, Die politischen und sozialen Ideen des französischen Katholizismus 1789-1914, Mönchengladbach, Volksverein GmbH, 1929 et Der integrale Nationalismus in Frankreich: Charles Maurras und die Action française, Frankfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 1931.

14 Gisèle Sapiro, Les écrivains et la politique en France. De l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris, Édition du Seuil, 2019.

15 Joseph Jurt, La réception de la littérature par la critique journalistique. Lectures de Bernanos 1926-1936, Paris, Jean-Michel Place, 1989.

16 Joseph Jurt, La réception littéraire en France et en Allemagne. André Malraux, Georges Bernanos, Émile Zola, Günter Grass, Paris, L’Harmattan, 2020.

17 Ibid., p. 11-12.

18 Ibid., p.14.

19 Pour ses aspects biographiques, les deux monographies qui lui furent consacrées à quarante ans d’intervalle : la thèse d’habilitation d’Heinz Hürten, Waldemar Gurian. Ein Zeuge der Krise unserer Welt in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, Veröffentlichungen der Kommission für Zeitgeschichte/Reihe B, Forschungen, Mayence, Matthias-Grünewald-Verlag, 1972 et la thèse de sciences politiques d’Ellen Thümmler, Katholischer Publizist und amerikanischer Politikwissenschaftler. Eine intellektuelle Biografie Waldemar Gurians, Baden-Baden, Nomos, 2011.

20 Heinz Hürten, Waldemar Gurian. Ein Zeuge der Krise unserer Welt in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, Mainz: Matthias-Grünewald-Verlag, 1972, p. 25.

21 Ses premiers essais publiés dans des revues, au début des années 1920, furent dédiés à Dostoïevski, Boris Sawinkoff ou Peter Tschaadaieff et il devint dans les années 1930 un spécialiste reconnu du bolchévisme.

22 Proche de Marc Sangnier, Hermann Platz est aussi une figure intellectuelle aujourd’hui largement méconnue ; il fut pourtant, aux côtés d’Ernst Robert Curtius, le médiateur le plus influent de littérature française en Allemagne avant et après la Première Guerre mondiale. Cf. à son sujet notamment Wiebke Bendrath, Ich, Region, Nation: Maurice Barrès im französischen Identitätsdiskurs seiner Zeit und seine Rezeption in Deutschland, Tübingen, De Gruyter, 2003, p.368-375.

23 Figure centrale de la romanistique allemande, cf. notamment les travaux de Christine Jacquemard de Gemeaux, Ernst Robert Curtius (1886-1956). Origines et cheminements d’un esprit européen, Berne, Peter Lang, 1998 ; « Ernst Robert Curtius », in Nicole Colin, Corine Defrance, Ulrich Pfeil, Joachim Umlauf (dir.), Lexikon der deutsch-französischen Kulturbeziehungen nach 1945, Tübingen, Narr Verlag, 2015, 166-167, et à propos de l’actualité bibliographique récente sur Curtius : « Compte rendu des nouvelles éditions des lettres d’Ernst Robert Curtius par Frank-Rutger Hausmann » http://blog.romanischestudien.de/ernst-robert-curtius-des-nouvelles-editions-des-lettres.

24 Waldemar Gurian, Die politischen und sozialen Ideen des französischen Katholizismus 1789-1914, op. cit.

25 Revue d’histoire de l’Église de France, 1931, 17, n°76, p. 357-363, ici p. 357.

26 Waldemar Gurian, « Charles Maurras », Der Gral, Janvier 1925, p. 236-244. Notons qu’ici aussi la double influence d’Hermann Platz et de Carl Schmitt, à qui il fait référence explicitement, est à nouveau le point de départ de son analyse.

27 Cf. Günter Wirth, « Nachwort », in Heinrich von Kleist, Politische und journalistische Schriften. Ausgewählt und eingeleitet von Adam von Trost. Nach der Erstausgabe von 1935 mit einem Nachwort von Günter Wort, Berlin, Edition Hentrich, 1995, p. 117.

28 Waldemar Gurian, Der integrale Nationalismus in Frankreich. Charles Maurras und die Action française, op. cit., p.1.

29 Ibid., p.73.

30 Maritain rompit toutefois en 1927 avec l’Action française (Philippe Bénéton, « Jacques Maritain et l’Action française », Revue française de science politique, 23ᵉ année, n°6, 1973, p.1202-1238).

31 Waldemar Gurian, « Die Abendlandideologie als Maske des französischen Nationalismus », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 2e année, cahier 9, juin 1927, p.227-229.

32 Ibid.

33 Il réitéra d’ailleurs cette critique du lien exclusif qu’il établissait entre classicisme et catholicisme que l’on retrouve dans la doctrine de l’Action française, surestimant de façon subjective l’élément latin, à l’encontre d’un livre du traducteur allemand de Massis (Georg Moenius, Paris, Frankreichs Herz, Munich, Limes-Verlag, 1928) cf. Waldemar Gurian, « Das Frankreichbuch von Georg Moenius », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 4e année, cahier 7, avril 1929,, p.220-221.

34 Waldemar Gurian, « Verrat der Geistigen », Abendland, Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 3e année, cahier 8, mai 1928, p.246.

35 Ibid.

36 Cf. Hervé Serry, « Les écrivains catholiques dans les années 20 », Actes de la recherche en sciences sociales 124, 1998, p.80-87.

37 Cf. Heinz Hürten, Waldemar Gurian, op. cit. p.27.

38 L’intérêt de Gurian pour Bernanos est à remettre dans le contexte de son intérêt pour Jacques Maritain (qui deviendra pour lui un modèle à suivre) qui avait fondé la collection « Le Roseau d’or » comme contre-mouvement esthétique et littéraire à la NRF et dans laquelle fut publié Sous le soleil de Satan. Peu avant, il avait consacré un long article au mois de mars 1926 à présenter le philosophe thomiste, sa pensée et son œuvre (« Jacques Maritain », Kölnische Volkszeitung n° 210, 21 mars 1926) et la semaine précédant sa recension de Sous le soleil de Satan un commentaire fouillé de l’échange épistolaire entre Maritain et Jean Cocteau dans le supplément culturel du quotidien Germania (« Der Dichter und der Philosoph. Der Briefwechsel Cocteau-Maritain », Das neue Ufer, Kulturelle Beilage der Germania, n°38, 18 septembre 1926).

39 Georges Bernanos, Die Sonne Satans: Ein Roman, Berechtigte Übertragung von Friedrich Burschell, Hellerau, Jakob Hegner, 1927.

40 Gurian note ainsi qu’en l’espace de quelques semaines environ 50 000 exemplaires du livre se sont écoulés et que les critiques – de tous bords – furent unanimes à le saluer. Cf. à ce sujet notamment Joseph Jurt, La réception de la littérature par la critique journalistique. Lectures de Bernanos 1926-1936, Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1980, p.53-123 ; Joseph Jurt, « Sous le soleil de Satan : La réception critique », in Roman 20-50, 2008/3, HS n° 4, p.45-56 et Pierre Gille, « Sous le soleil de Satan, mars 1926. ‘Un coup de tonnerre dans le ciel des Lettresʼ », in Roman 20-50, 2008/3, HS n° 4, p.5-12.

41 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », Kölnische Volkszeitung, n° 170, 26 septembre 1926.

42 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 4e année, cahier 11/12, août/septembre 1929, p.356-358.

43 Georges Bernanos, Der Abtrünnige: Ein Roman. Übertragung von Georg Moenius und Friedrich von Opelln-Branikowski, Hellerau, Jakob Hegner, 1929.

44 Waldemar Gurian, « Untheologische „Theologie“ als Kampfmittel. Eine Entgegnung auf Dr. Frobergers Bernanos-Kritik », Abendland. Deutsche Monatshefte für europäische Kultur, Politik u. Wirtschaft, 5e année, Cahier 3, décembre 1929, p.101-102.

45 Pour une analyse plus détaillée, cf. Joris Lehnert, « „Selbst die Romane eines Balzacs erreichen nicht die gleiche Tiefe“: Waldemar Gurian als Leser von Georges Bernanos », in Literaturwissenschaftliches Jahrbuch der Görres-Gesellschaft, n°52, 2011, p. 295-307.

46 Joseph Jurt relève en effet que parmi les 87 comptes rendus de Sous le Soleil de Satan qui parurent en 1926, l’ouvrage de Bernanos n’est jamais rattaché par les critiques à l’œuvre de Balzac. La critique associe en effet Bernanos à Barbey d’Aurevilly (25 fois) ou Bloy (16 fois) mais jamais à celui de l’auteur de la Comédie Humaine (Cf. Joseph Jurt, La réception de la littérature par la critique journalistique, op. cit., p. 88-90).

47 L’influence de Balzac fut en effet fondamentale pour Bernanos, lui qui « à l’âge où les petits garçons dévorent les romans d’aventure » (cf. Frédéric Lefèvre, « Sous le Soleil de Satan. Une heure avec Georges Bernanos », Les Nouvelles littéraires, 17 avril 1926), avait lu l’ensemble de la Comédie Humaine et pour qui l’influence de la jeunesse reste imprescriptible pour le reste de l’existence, à l’image de ses fameux cahiers d’écoliers.

48 Peut-être Gurian tire-t-il cette comparaison de la lecture de l’interview de Bernanos par Frédéric Lefèvre parue quelques mois plus tôt (Gurian était grand consommateur de revues) où celui-ci, justement, comme le rappelle Alain Schaffner, prend à la fois ses distances avec Balzac et Proust en raison, justement, du rôle apologétique du romancier catholique tel qu’il le conçoit et que ni l’un, « visionnaire assiégé par le rêve » (Balzac), ni l’autre, simple observateur (Proust) ne remplissait ; cf. Alain Schaffner, « Le rêve dans Sous le soleil de Satan », in Christophe Martin (dir.), « Raconter d’autres partages ». Littérature, anthropologie et histoire culturelle. Mélanges offerts à Nicole Jacques-Lefèvre, Lyon, ENS Éditions, 2017, p.379-394, ici p.391.

49 Joseph Jurt rapporte ainsi la critique du Père Tronquedec – dont Gurian a également lu la recension de Bernanos - dans Le Correspondant du 25 juillet 1926 : « cette histoire de séduction et de meurtre aurait pu être sinon supprimée, du moins réduite », Joseph Jurt, « Une parole prophétique dans le champ littéraire », Europe n°789-790,janvier-février 1995, p.75-88, ici p. 79.

50 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », art. cit.

51 Claire Daudin, « Bernanos et le Mal », Esprit, n° 425-6, juin 2016, p. 131-138.

52 Également central dans les œuvres de Bernanos, cf. Philippe Le Touzé, « La figure du prêtre dans le Sous le soleil de Satan », in Roman 20-50, 2008/3, HS n° 4, p. 63-72.

53 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », art. cit.

54 Waldemar Gurian, « Unter der Sonne Satans », art. cit.

55 Waldemar Gurian, « Der Abtrünnige. Ein neuer Roman von Bernanos », art. cit.

56 Heinz Hürten, Waldemar Gurian, op. cit., p.16.

57 Cf. Joseph Jurt, « Le champ littéraire entre le national et le transnational », in Gisèle Sapiro (dir.), L’espace intellectuel en Europe. De la formation des États-nations à la mondialisation XIXe-XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2009, p.214.

58 Michael Einfalt, « Jacques Maritain et le champ littéraire français des années 20, catholicisme versus autonomie », in Regards sociologiques, n° 17, 1999, p.147.

59 Joseph Jurt, La réception littéraire en France et en Allemagne. André Malraux, Georges Bernanos, Emile Zola, Günter Grass, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 15.

60 Cf. Gérard Gengembre, « Bonald ou l’esthétique sociale de la littérature », in Jean-Louis Cabanès (dir.), Romantismes, l’esthétique en acte, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2009, p.143-154.

61 Waldemar Gurian, Der katholische Publizist, Augsburg, Verlag Haas und Grabherr, 1931.

References

Electronic reference

Joris Lehnert, « L’esthétique du récepteur », Revue d’histoire culturelle [Online],  | 2020, Online since 26 septembre 2020, connection on 09 octobre 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=325

Author

Joris Lehnert

Joris Lehnert enseigne la langue, la culture et la civilisation françaises à l’Université de Rostock. En plus de ses recherches sur Waldemar Gurian, il travaille également sur la France contemporaine et s’intéresse aussi au sport en France et en Allemagne comme phénomène politique, culturel et social. Il a dernièrement publié « TV Fiction and State Fiction : Abseits/Offside (1981), a socialist narrative about violence in East German Football » (Soccer & Society 2020), « Literaturbericht zur neuesten Historiografie der Tour de France - und zu Raymond Poulidors Tod » (Stadion. Internationale Zeitschrift für Geschichte des Sports 1/2020) et coordonné avec Fabien Conord le dossier « Rugbykultur (in) der Romania » (apropos [Perspektiven auf die Romania], 2019).