Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin/masculin dans la presse du XIXe siècle

Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022

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Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin/masculin dans la presse du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022.

Texte

L’ouvrage Féminin/masculin dans la presse du XIXe siècle dirigé par Christine Planté et Marie-Ève Thérenty est issu d’un colloque international et interdisciplinaire portant sur l’inscription des femmes et des hommes, du féminin et du masculin dans la presse du XIXe siècle, période élargie du XVIIIe siècle à l’Entre-deux-guerres en France. Découpé en cinq parties chronologico-thématiques, il se centre sur des analyses de genre enrichissant les travaux pionniers d’Évelyne Sullerot (1963) et de Laure Adler (1979)1, par une attention portée aux inflexions données aux normes de genre, aux dissonances des discours de la presse féminine/féministe ou aux positionnements des femmes journalistes relativement à la presse masculine, notamment généraliste.

Les transformations économiques, sociales et techniques font entrer le XIXe siècle « dans une nouvelle ère médiatique » (Marie-Ève Thérenty), marquée par l’essor remarquable de « la civilisation du journal »2, au sein de laquelle les organes de presse féminine/féministe comme les articles rédigés par des femmes tentent de s’implanter. Modèles et stéréotypes gênent leur accès à l’expression publique et notamment à l’écriture journalistique. La plupart des articles souligne cependant comment « la presse représente un lieu important de construction et d’évolution de la ligne de genre » (Patricia Izquierdo, p. 221). Néanmoins, dans leur introduction, les éditrices ne veulent pas clore le débat visant à déterminer si la presse « constitue l’espace d’élaboration et de constructions de ces modèles ou si elle permet surtout de rendre reconnaissables ces catégories, tendant à les imposer comme des évidences, comme des catégories de saisie du monde » (p. 23). Il apparaît pourtant que face aux discours contraints et aux représentations dominantes, beaucoup d’écrits et de postures singulières de femmes participent, par la transgression des règles, de la transformation du champ médiatique.

La première partie du volume s’intéresse à la « diffusion ou contestation des stéréotypes » de genre, à travers l’étude de corpus et supports diversifiés. Catherine Nesci confronte des journaux féminins anglais puis français publiés de 1730 à 1830 qui, par-delà leur vocation à enseigner l’art d’être femme – et grâce à l’émergence, au fil du temps, d’une distinction entre presse pour les femmes et presse pour les dames –, ne se contentent plus de conseiller, mais se chargent d’instruire leurs lectrices qui accèdent ainsi à des formes culturelles larges. C’est l’éventail de modèles ainsi offert qui permet à la conscience féminine de s’écarter peu à peu de « ses ancrages traditionnels ». Caroline Fayolle étudie comment les journaux à destination des femmes et ceux de l’opposition républicaine, sous le Consulat et l’Empire, parviennent à contester la hiérarchie sexuée en revendiquant un accès à la connaissance et aux savoirs, à l’instruction, pour entrer progressivement dans des résistances d’ordre politique à l’ordre social genré. C’est aussi la perspective de Christine Planté : soulignant la radicalité des revendications des rédactrices saint-simoniennes de La Femme libre et du Conseiller des femmes, elle montre comment ces périodiques marqués par la volonté de s’insérer dans les débats de la presse d’opinion peuvent être considérés comme source du féminisme français. François Kerlouégan et Barbara Bohac s’intéressent respectivement à des corpus peu explorés : la presse de mode masculine et féminine. Approfondissant les rares études de genre sur la masculinité à travers les représentations du corps masculin, le premier souligne l’évolution et la transformation du rôle du corps comme norme anatomique dans l’élaboration du genre. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, « le genre n’est plus indexé sur le corps mais peut être déterminé par des pratiques corporelles (voix, gestes) ou sociales (discours, action) » (p. 114-115). Il est intéressant de découvrir ainsi les images inversées de la masculinité par son esthétisation. Étudiant la même période, Catherine Bohac met en lumière les représentations de la femme véhiculées dans La dernière mode de Stéphane Mallarmé, s’adressant aux lectrices des classes privilégiées. Consentant aux stéréotypes propagés par la presse de mode, le poète les subvertit en attribuant un « rôle central dans la religion du Beau » (p. 30) à ces femmes qui, guère préoccupées des soucis de la vie politique et dispensées de « soins moroses », sont disponibles à la vie de l’esprit ; il attribue ainsi une dimension spirituelle à la femme. Les trois articles suivants s’intéressent à la figure de « consommatrice – lectrice » de et dans la presse de la Belle Époque. Nicolas Pitsos étudie une source peu explorée par les historiens, celle des publicités pour des produits de bien-être féminins ou masculins, reposant sur une différenciation genrée du bien-être. Examinant l’évolution des représentations picturales des portraits des lectrices, Isabelle Matamoros complète grâce à l’étude d’un support original, le tableau de peinture, « les rares études sur le public féminin du journal » (p. 146). « Cristallisée dans la figure de La Parisienne » (p. 159), les représentations évoluent d’un statut de lectrices apolitiques des revues illustrées et rubriques mondaines à celui d’égérie à la Belle Époque. La figure de la lectrice de journal assouplit les frontières de genre, par le fait d’être représentée dans un lieu public masculin comme le café, sans aller jusqu’à renoncer toutefois à la vision de l’apolitisme des femmes. Sandrine Roll pour sa part envisage les modes de consommation des « lectrices et acheteuses » dans La Fronde. Sur la base des enquêtes sociales publiées dans le journal au tournant du XXe siècle se lit l’engagement militant des autrices qui invitent les consommatrices à renforcer leurs prises de parole et leurs actions dans l’espace public voire politique (p. 166). En réformant leurs comportements d’achat celles-ci sont amenées à des postures éthiques favorables à l’amélioration des droits des travailleuses, ainsi les journalistes poussent leurs lectrices à se penser et à agir en citoyennes, même si les femmes n’ont pas de droits civiques (p. 31).

La seconde partie de l’ouvrage analyse des « discours sur l’art et la littérature au prisme du genre » selon trois thématiques : le discours sur la danse se mêlant, sous la Monarchie de Juillet, à une dévalorisation du danseur (Hélène Marquié) ; le compte rendu de Salons où les « prescriptions et les contraintes sociales qui pèsent sur le corps » (p. 31) et les canons de beauté sont discutées par les Salonnières (Laurence Brogniez) ; la réception des écrits de femmes dans des organes de presse d’orientations diverses en 1908-1909, années décisives qui marquent un « brouillage des représentations de la différence des sexes » (p. 228), avec la possible reconnaissance des écrivaines dans un contexte de catégorisation du féminin (Patricia Izquierdo).

La troisième partie traite de la manière dont le « Faits divers » prolonge un discours genré. Pour Amélie Chabrier, la chronique judicaire, type d’écrit neutre exclusivement dévolu aux hommes, avait nourri la représentation de la présence dans le public des cours d’assises de belles impressionnables. Cela servira l’évolution de ces articles vers « les impressions d’audience » fondées sur la subjectivité et l’émotion, à la naissance desquelles les femmes sont directement liées. Le traitement du fait divers criminel, tel celui de « Gabrielle, une criminelle à la Une en 1889-1890 » (Michèle Fontana) ne renouvelle pas la typologie de la criminelle allant « de l’hystérique à la possédée » forgée par le discours de la psychiatrie, la presse continuant à fictionnaliser les grandes affaires criminelles à la fin du XIXe siècle. Laetitia Gonon analyse le modèle narratif emprunté par des grands quotidiens et des scripts relatifs aux crimes et aux violences conjugales : le corps violenté des victimes est neutralisé par la reprise d’un discours médical désincarné pour énumérer leurs blessures. Si dans l’affaire d’Oscar Wilde accusé d’outrage aux mœurs, étudiée par Frédéric Canovas, les articles journalistiques accusent le système répressif anglais, les auteurs argumentent leur défense de l’écrivain davantage sur le « statut exceptionnel d’auteur » de Wilde que sur la question de son homosexualité. Émerge pourtant un discours médiatique « qui fait progresser l’acceptation de l’homosexualité en France à la fin du XIXe siècle » (p. 33).

La quatrième partie « Femmes journalistes » explore le parcours, les pratiques, les engagements de celles qui veulent accéder à un monde réputé masculin en contrant la classique sexuation de l’espace public, modifiant ainsi le champ médiatique (p. 401) : les rédactrices du Mousquetaire d’Alexandre Dumas (Sarah Mombert), les femmes journalistes du XIXe siècle, en particulier Marie d’Agoult (Marie-Ève Thérenty) , les « reporteresses » de La Fronde (Sandrine Lévêque), les collaboratrices du journal Matinées espagnoles et leur réseau international destiné à diffuser largement les articles des journalistes (Margot Irvine), les novatrices qui écrivent des reportages sur les activités professionnelles des femmes dans le magazine Femina (Guillaume Pinson). L’ensemble de ces articles montre « que la presse a pu constituer un lieu d’innovation, d’invention et d’indépendance pour un certain nombre de femmes » (p. 33).

Enfin, la dernière partie « Vers le XXe siècle » dévoile comment l’Entre-deux-guerres confirme, sur la base de la prosopographie inédite établie par Paul Aron, l’ouverture de la profession de journaliste aux femmes, en dépit d’obstacles liés au milieu social et à l’engagement politique de celles-ci. L’hebdomadaire Marie-Claire étudié par Claire Blandin souligne les ambivalences d’un discours à la fois émancipateur et immobiliste, notamment sur la question, traitée de manière marginale, du travail salarié des femmes que dévalorise le magazine. L’autrice nuance toutefois les conclusions des études sur une presse magazine féminine jugée conservatrice.

La vision panoramique offerte par cette publication, si intéressante, ainsi que l’approche interdisciplinaire féconde rendent difficile cependant, de l’aveu même des éditrices, une réelle synthèse tant la variété des articles proposés et l’examen de corpus diversifiés élargissent « l’étendue et la nature du champ d’investigation ». En proposant l’analyse de corpus complémentaires, ce riche volume ouvre de stimulantes perspectives de recherche, dans la continuité de l’article fondateur « Pour une histoire genrée des médias »3 de Marie-Ève Thérenty. Soulignons l’intérêt du cahier d’illustrations de l’ouvrage, et combien l’index de l’ensemble des journaux cités et la bibliographie sélective seront utiles aux chercheuses et chercheurs ainsi qu’aux étudiants. Enfin, la conclusion de l’ouvrage établit les liens nécessaires avec l’actualité du XXIe siècle en rappelant qu’en dépit de la réévaluation positive récente du féminisme, les discriminations genrées existent toujours dans le monde de la presse.

1 Évelyne Sullerot, La Presse féminine, Paris, Armand Colin, 1963 et Histoire de la presse féminine en France, des origines à 1948, Paris, Armand

2 Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la

3 Marie-Ève Thérenty, « Pour une histoire genrée des médias », Questions de communication, 2009/1 (n° 15), p. 247-260.

Notes

1 Évelyne Sullerot, La Presse féminine, Paris, Armand Colin, 1963 et Histoire de la presse féminine en France, des origines à 1948, Paris, Armand Colin, 1966 ; Laure Adler, À l’Aube du féminisme : les premières journalistes, Paris, Payot, 1979.

2 Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions, coll. Opus Magnum, 2011.

3 Marie-Ève Thérenty, « Pour une histoire genrée des médias », Questions de communication, 2009/1 (n° 15), p. 247-260.

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Référence électronique

Sophie Delvallez, « Christine Planté et Marie-Ève Thérenty (dir.), Féminin/masculin dans la presse du XIXe siècle », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 20 octobre 2022, consulté le 20 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=2891

Auteur

Sophie Delvallez

LabSIC, Université Paris 13.