Patricia Sorel, Les libraires, les éditeurs et la loi Lang. Un combat pour le livre,1974-2008

Paris, École nationale des chartes et Presses de l'Enssib, 2021

Référence(s) :

Patricia Sorel, Les libraires, les éditeurs et la loi Lang. Un combat pour le livre,1974-2008, Paris, École nationale des chartes et Presses de l'Enssib, 2021, 238 p.

Texte

Voici un ouvrage bienvenu en ces temps difficiles de pandémie du Covid 19 et de ses épisodes de confinements et de déconfinements pour tous les arts, le livre, le cinéma, les arts du spectacle, les industries culturelles et pour l'ensemble des professionnels qui en ont la responsabilité. Les bouleversements qu'ils ont provoqués inquiètent le monde de la culture, comme le fait remarquer François Gèze dans sa préface très éclairante sur « l'enjeu historique » que représente la Loi Lang pour penser « l'avenir du livre ». En effet l'enjeu de cet ouvrage très documenté et très riche en informations professionnelles sur le fonctionnement de l'édition du commerce du livre (et accessoirement celui de la création littéraire, ainsi que sur celui des écrivains et des bibliothèques) est de cerner au plus près les évènements qui ont précédé et suivi l'élaboration et le vote de la loi Lang ainsi que son application et le respect des clauses qu'elle contient. Ce beau travail d'archiviste, particulièrement soigné (abondance de notes, tableaux chronologiques, index, texte de la loi en annexe) en font un outil de travail remarquable pour approfondir ses connaissances et sa réflexion sur le livre : un objet qui a dû être finalement reconnu comme essentiel tant pour l'individu que pour la société !

On regrettera toutefois le caractère un peu trop studieux de son écriture tant les faits sont soulignés. De guerres intestines entre les protagonistes à la guerre permanente du monde de l'industrie et de l'économie du livre contre le pouvoir politique et ses politiques publiques où la recherche du profit commercial le dispute à la recherche de la notoriété culturelle, la question de liberté revient avec insistance ! Mais il ne s'agit pas de la même liberté : celle des prix pour les premiers, celle de l'éducation et de l'émancipation intellectuelle pour les seconds. En fait le récit de cette bataille qui se déroule de 1974 à 2008 est un objet politique qui relève d'une histoire culturelle dépassant de loin les limites d'affrontements commerciaux.

Dans ce contexte, il est difficile de faire un compte rendu précis de ces luttes systématiques : mieux vaut tracer les grandes lignes de cette épopée en se souvenant qu'au XIXe siècle les artistes plasticiens, les musiciens et les architectes s'étaient battu à côté des écrivains pour défendre leurs droits d'auteur contre les marchands quels qu'ils soient. Mais, différence notoire, l'unicité de l'œuvre des premiers différait de la reproduction industrielle de ces derniers : les uns se vantaient d'être libres alors que leurs confrères artistes devaient faire appel à la protection juridique de l'administration des Beaux-Arts pour lutter contre le monopole commercial des marchands.

Au siècle suivant, ce sont les éditeurs et les libraires – sous la houlette de Jérôme Lindon et des Éditions de Minuit – qui font appel à l'État et au ministère de la Culture pour légiférer en leur faveur contre la tentative des diffuseurs d'imposer leur monopole sur le prix du livre. Le combat s'engage en 1974 face à l'offensive de la Fnac, dirigée par André Essel, qui aboutira à l'adoption de la loi sur le prix unique du livre (votée à l'unanimité à l'Assemblée Nationale le 3 juillet 1981) et au Sénat avec la majorité de 276 voix contre 9. Elle sera promulguée le 10 Août 1981 et entrera vigueur le 1er Janvier 1982 (lire les dispositifs de la loi p. 93, le texte est reproduit en annexe). Mais quarante ans plus tard le combat se poursuit : depuis 2008, face à l'offensive d'Amazon contre le prix unique du livre, toujours aussi difficile à préserver. Il se caractérise par deux batailles qui s'entrecroisent. La première, plutôt conjoncturelle, confronte les distributeurs (la Fnac, les grandes surfaces comme les centres Leclerc...) nouveaux venus dans le champ culturel aux plus anciens que sont les libraires et les éditeurs. La seconde, plutôt structurelle, confronte les libraires et les éditeurs entre eux. Chaque camp a ses personnalités et ses formations syndicales en régions et à Paris. Les batailles se déclenchent à chaque initiative commerciale de l'un ou l'autre : chacune d’entre elles est considérée comme déloyale, et toutes s'organisent autour de ripostes et de contre-offensives. Ce jeu à quatre partenaires commerciaux devient rapidement politique quand l'État décide d'intervenir en légiférant et en instituant des mécanismes de régulation et de médiation. Ils sont destinés à rétablir un équilibre et une harmonie entre le marché du livre considéré comme une marchandise et un produit de consommation de masse (par les distributeurs et certains éditeurs qui gèrent le flux des ventes en grandes surfaces), et le marché du livre culturel et savant destiné aux lecteurs avertis et au monde de l'éducation et de la recherche scientifique (assuré par les libraires et les éditeurs qui gèrent des stocks de collections et d'ouvrages rares en magasins).

Une chronologie rapide de ces affrontements permanents permet de préciser les conditions dans lesquelles ils se déroulent avant le vote de la loi et après. Avant le vote, il s'agit d'obtenir l'assentiment des partenaires engagés dans l'élaboration de la loi. On suit les péripéties de ce difficile combat dans la première partie de l'ouvrage intitulée « La guerre des prix (1974-1980) ». Elle débute avec l'ouverture de la Fnac et la lutte contre le discount, se poursuit avec la remise en cause du régime du prix conseillé qu’arbitre l'arrêté du 23 février 1979 qui instaure la libération du prix des livres, liberté des prix qui entraînerait la division de la profession de libraire. Après le vote, il s'agit d'appliquer les clauses de la loi et d'en respecter la lettre et l'esprit. C'est l'objet de la seconde partie du livre qui traite du « régime du prix unique » après le vote de la loi Lang, et de l'application de la loi qui entraine les premiers conflits entre libraires et éditeurs. Elle rend nécessaire la lutte juridique contre les contrevenants à la loi sur le prix unique, tout en aménageant la pratique de « spécimens payants » et le plafonnement du taux de remise aux collectivités. La troisième partie s'intéresse aux aspects techniques très anciens de la discorde entre éditeurs et libraires comme « l'office et les remises » ; qui sont expliqués ensuite : l’office comme « un mal nécessaire » défini par le protocole d'accord de 1980, qui aboutit à la difficile application de l'article 2 de la loi Lang, et qui nécessite la médiation et le protocole Cahart (1990-1992). Elle entraîne l'unité syndicale des libraires (1995-1999) et aboutit à l'adoption de nouveaux accords à l’issue de ce très long et laborieux processus.

La conclusion synthétise les points forts de la loi Lang en Mai 2008, alors qu’elle a encore failli être remise en cause au parlement dans le cadre de l'examen de la loi de modernisation de l'économie. Les amendements libéraux d'inspiration anglo-saxonne ont été retirés après l'intervention de Christine Albanel, ministre de la Culture, qui s'opposa à cette offensive de lobbying au nom de l'exception culturelle française – dont fait partie la loi Lang qui reste un modèle pour l'Europe. La création d'un médiateur du livre est alors confirmée par tous les libraires et certains éditeurs, mais tous reconnaissent la commission des usages commerciaux du livre instituée à la direction du livre qui vise à faire respecter la loi et la réglementation. Ce n'est qu'en 2014, sous l'impulsion d'Aurélie Filippeti, qu'une autorité de conciliation est instaurée par la loi du 17 mars sous la présidence du médiateur du livre : celui-ci est chargé de la conciliation des litiges portant sur l'application de la législation relative au prix unique du livre. Les choses ont encore évolué récemment : après le confinement et la crise sanitaire, il est question de compléter la loi de 1981 et de prendre des nouvelles mesures qui assurent l'avenir du livre.

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Référence électronique

Marie-Claude Genet-Delacroix, « Patricia Sorel, Les libraires, les éditeurs et la loi Lang. Un combat pour le livre,1974-2008 », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=2229

Auteur

Marie-Claude Genet-Delacroix

Professeur émérite à l'Université de Champagne -Ardenne.

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