Déconfiner les archives du COVID-19

Retour sur le projet collaboratif « Vitrines en confinement »

Deconfining the covid 19 archives: back to collaborative project “WindowsInLockdown”

DOI : 10.56698/rhc.1091

Résumés

Comment parlons-nous du confinement ? Avec quels mots et quelles phrases ? Qui nommons nous comme responsables de la décision de confinement qui nous contraint à rester chez nous et à limiter le plus possible nos déplacements ? Quels documents garderons-nous pour témoigner de cette période dans le futur ? Cet article présente le projet de recherche et défi collaboratif « Nos vitrines parlent à l’heure du confinement » qui constituait lors des brèves sorties autorisées, à prendre de manière la plus systématique possible des photographies en gros plan et en mode paysage des messages apposés par les commerçants dans leurs vitrines, par les responsables de lieux publics non-commerçants sur leurs façades ou par les citoyens sur leurs fenêtres privées et de les partager sur les réseaux sociaux ou sur une plateforme collaborative dédiée.

How do we talk about confinement? What words and phrases do we use? Who do we declare responsible for the decision to call a lockdown that confines us to our homes and severely restricts our movements? What kind of traces will we keep to remember this period by in the future? This article presents the research project and collaborative challenge “Windows on Confinement” is to systematically take photos of the messages that we observe in the public space, in shop-windows, or on public buildings, during the brief outings we are allowed, and then share them on social networks (#WindowsInLockdown) or on a collaborative platform.

Index

Mots-clés

Mémoire, Participation, Espace public, COVID, Archives

Keywords

Memory, Participation, Public Space, COVID, Archives

Texte

En mars 2020, les chercheuses comme le reste de la population française ont été saisies par la mise en œuvre du confinement sur le territoire national. Dans notre cas, toutefois, cette expérience personnelle a donné naissance à un projet de recherche à portée patrimoniale au croisement de la science politique et des sciences de l’information et de la communication. Nous avons lancé le défi collaboratif #VitrinesEnConfinement / #VetrineInQuarantena / #WindowsInLockdown, en trois langues, via les réseaux sociaux et une plateforme collaborative pour collecter les mots du confinement dans l’espace public en rassemblant des photographies des messages apposés pendant sur les vitrines, aux fenêtres privées ou sur les murs des rues des communes.

Si ce projet s’inscrit dans un foisonnement, en France1 comme dans l’ensemble du monde occidental (Fridman et Gensburger, 2021), de constitutions d’archives du COVID, il s’en distingue toutefois sur plusieurs plans. Il émane tout d’abord d’une initiative de chercheuses et non d’archiviste ou de responsable de musée. À ce titre, il intègre d’emblée dans son périmètre une réflexion globale sur l’ensemble des initiatives de collectes par rapport auxquelles il doit se situer. Notre initiative a en effet la particularité de ne pas inciter au récit de soi, d’une part, de ne pas se centrer sur l’espace privé et confiné, de l’autre. Il s’agit en effet de garder des traces de messages qui préexistent à l’appel à collecte et se trouvent, originalité majeure, dans l’espace extérieur. Par ailleurs, le fait que la collecte n’émane pas d’une institution la rend libre des standards ou des formats d’archivage à respecter et la rend ainsi plus malléable aux propositions des contributeurs.

Ce projet est né d’une double expérience de recherche. Sarah Gensburger est sociologue de la mémoire et résidente du boulevard Voltaire, aux abords du Bataclan. En 2015, après les attentats du 13 novembre, elle a ainsi vu son objet de recherche arriver en bas de chez elle. Cette expérience singulière a donné naissance à un travail d’observation quotidienne de l’espace public dans la suite de l’événement (Gensburger, 2017). Elle a ensuite conduit à la participation à un travail collectif, rassemblant chercheurs et archivistes, d’étude de la production, de la collecte et des usages sociaux de l’ensemble des messages déposés aux abords des lieux touchés (Gensburger et Truc, 2020). Cette expérience a produit une grille d’observation spécifique de l’espace public qui a été remobilisée pendant le confinement. Elle a fait naître de nombreuses questions. Pourquoi affichons-nous des messages dans l’espace public alors même que personne n’est censé s’y trouver ? Comment y parlons-nous du confinement ?

Lors des brèves sorties autorisées, en France, en Italie et ailleurs, il était proposé à tous et toutes de prendre des photographies en gros plan et en mode paysage des messages apposés par les commerçants dans leurs vitrines, par les passants sur les murs de la ville ou par les habitants sur leurs balcons. Ensuite, ces photos devaient être publiées dans les espaces numériques mis à disposition. À chaque fois, en plus de la photographie, il devait être précisé : la date de la prise de photographie, l’adresse complète et la nature du lieu (commerce / lieu public non commercial / fenêtre privée / graffiti), l’activité habituellement exercée en ce lieu (café, sport …) et si possible, la retranscription du texte de l’affichette. Le projet a rencontré un succès inattendu avec plus de 4000 images collectées en France et près de 1000 en Italie. Il se poursuit toujours et connaît un regain d’intérêt depuis le 1er novembre, date à laquelle le groupe Facebook pour les seuls contributeurs francophones comptait plus de 1300 membres. La première phase de collecte est en train de donner lieu à une mise en forme et un traitement sur le portail OMEKA pour permettre la constitution d’une collection patrimoniale réutilisable par d’autres chercheurs et consultable par tout intéressé par une interface cartographique ou par mot-clé. En parallèle, nous avons mis en forme un questionnaire et initié une campagne d’entretiens destinés à comprendre le cadre social de la participation en lui-même.

1 Pour quelques exemples, le lecteur pourra consulter les programmes du festival du jeu de l’oie de l’Université Aix Marseille en décembre 2020, https

Bibliographie

Orli Fridman et Sarah Gensburger, “Unlocked memory” in Yifat Gutman et Jenny Wüstenberg (ed.), Handbook of Memory Activism, NY, Routledge, 2021, under press.

Sarah Gensburger et Gérôme Truc (dir.), Les Mémoriaux du 13 Novembre, Paris, Editions de l’EHESS, 2020, 283 p.

Sarah Gensburger, Mémoire vive. Chroniques d’un quartier. Bataclan, 2015-2016, Paris, Anamosa, 2017, 224 p.

Marta Severo, « Qui sont les participants aux recherches culturelles participatives ? », Culture et Recherche, n° 140, 2020, p. 68-69.

Marta Severo, Plateformes contributives patrimoniales. Entre amateurs et institutions, Habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication, Université de Lille, 2018, 293 p.

Annexe

Pour consulter la collection 

https://vitrinesenconfinement.huma-num.fr

Pour en savoir plus

https://anr-collabora.parisnanterre.fr/index.php/vitrinesenconfinement/

Si vous voulez participer (avec vos collections personnelles constituées depuis mars 2020) :

PAR FACEBOOK : Vous pouvez poster votre photo et les informations liées sur le groupe https://www.facebook.com/groups/vitrinesenconfinement/

PAR TWITTER : Vous pouvez tweeter votre photo en insérant #VitrinesEnConfinement #WindowsInLockdown #VetrineInQuarantena

PAR INSTAGRAM : Vous pouvez poster votre photo en insérant #VitrinesEnConfinement #WindowsInLockdown #VetrineInQuarantena

PAR LA PLATEFORME CONTRIBUTIVE : https://vitrinesenconfinement.gogocarto.fr/

PAR EMAIL : vitrinesenconfinement@protonmail.fr

Notes

1 Pour quelques exemples, le lecteur pourra consulter les programmes du festival du jeu de l’oie de l’Université Aix Marseille en décembre 2020, https://festivaljeudeloie.fr ou encore la journée d’étude l’Institut National du Patrimoine en janvier 2021, http://www.inp.fr/Recherche-colloques-et-editions/Actualites/Le-patrimoine-au-temps-du-confinement.-Conserver-la-memoire-d-une-histoire-a-ecrire.

Citer cet article

Référence électronique

Sarah Gensburger et Marta Severo, « Déconfiner les archives du COVID-19 », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 08 avril 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=1091

Auteurs

Sarah Gensburger

Sarah Gensburger est chercheuse au CNRS en sciences sociales à l’Institut des Sciences sociales du Politique. Elle est l’auteur de Les Mémoriaux du 13 novembre (Ed EHESS, 2020, co-dir avec Gérôme Truc), A quoi servent les politiques de mémoire ? (Presses de Sciences Po, 2017 avec Sandrine Lefranc) et Mémoire vive. Chroniques d’un quartier (Bataclan, 2015-2016) (Anamosa, 2017).

Articles du même auteur

Marta Severo

Marta Severo est professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris Nanterre. Elle est l’auteur de Le patrimoine culturel immatériel et numérique (L’Harmattan, 2017, co-dir avec Séverine Cachat) et Dispositifs du visible et de l’invisible dans la fabrique des territoires (L’Harmattan, 2020, co dir. avec Cécile Tardy). Elle dirige l’ANR Collabora sur les plateformes contributives culturelles.

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