Tzvetan Todorov : la transculturation, fiction ou réalité ?

Tzvetan Todorov: Transculturation, fiction or reality?

DOI : 10.56698/rhc.1024

Résumés

Le présent article se propose d’analyser le concept de « transculturation » tel qu’il est réélaboré par Tzvetan Todorov dans son ouvrage “L’homme dépaysé” à la lumière de sa propre expérience de son exil en France et du retour dans son pays natal, la Bulgarie. Dans un premier temps, il s’agira de replacer cette notion-clé dans le contexte plus large de la pensée de l’Autre que Todorov développe à travers une série d’ouvrages consacrés à la problématique de l’altérité et des rapports interculturels et qui s’emploient à démontrer le rôle fondateur de l’Autre à tous les niveaux de l’existence humaine. Dans un deuxième temps, nous nous proposons d’examiner les difficultés d’ordre aussi bien théorique que pratique auxquelles un promoteur de la transculturation peut se heurter à l’épreuve de la réalité. L’expérience concrète que l’homme dépaysé traversera lors de ses retrouvailles avec « les siens » à l’occasion d’un congrès ayant comme sujet « La Bulgarie » représentera ainsi un véritable défi, à même de remettre en question l’idéal de la double appartenance culturelle.

This paper aims at analyzing the concept of transculturation as reelaborated by Tzvetan Todorov in his book “The Uprouted Man” according to his own experiences of his French exile and of his return to Bulgaria, his home country. First, we will try to look at his key notion within the broader context of a whole perspective on otherness that Todorov develops in a series of works dealing with cultural exchanges and aiming at proving the fundamental role of the Other in shaping human existence. Secondly, the article examines the theoretical as well as the practical difficulties that a promoter of transculturality may run into in real life. The concrete experience of the uprooted man coming home to his fellow Bulgarians on the occasion of a colloquium having Bulgaria as its main topic thus appears as a real challenge which is able to question the ideal of the dual cultural identity. 

Index

Mots-clés

transculturation, identité, altérité, relations interculturelles, dépaysement, Bulgare, Français

Keywords

transculturation,  identity,  otherness,  intercultural exchanges,  uprooting,  Bulgarian, French 

Plan

Texte

Si, aux yeux de Tzvetan Todorov, « nous sommes tous des êtres croisés1 » en vertu de nombre d’appartenances, on pourrait affirmer, sans risque de se tromper, qu’il fut lui-même l’un de ces êtres croisés par excellence. Originaire de Bulgarie, il arriva à Paris en 1963 après des études de philologie à l’Université de Sofia. En devenant citoyen français en 1973 pour s’établir à jamais en France, il choisissait l’exil afin de fuir un régime politique totalitaire – le communisme – qu’il allait toujours juger comme l’un des plus grands maux du xxe siècle.

Mais c’est toujours à cette occasion que son aventure interculturelle commençait. Au fil du temps il allait publier bon nombre d’ouvrages, dont certains seront consacrés à une pensée tournée vers la problématique de l’altérité et de l’interculturalité. Ce qui l’animait, c’était la recherche d’une sagesse aussi bien théorique que pratique à travers des questions du type : « Peut-on connaître les autres ? », « Peut-on communiquer avec les autres ? », « Comment faire pour mieux vivre avec les autres ? ». Car sa longue expérience de dépaysement fut pour lui non seulement une épreuve, mais aussi une chance, celle de la liberté de réflexion et d’expression. Alain Montandon a ainsi raison de noter qu’en dehors des aspects négatifs de la migration, « il est aussi […] des exils salutaires, qui sauvent la vie des gens. Il est aussi des adaptations à de nouveaux mondes réussies et des reconstructions de soi heureuses et épanouies »2.

Cependant, cette vocation de l’autre ne se manifesta pas d’emblée. Car les préoccupations intellectuelles de ce jeune Bulgare, qui voulait à tout prix prendre ses distances par rapport « à la domination idéologique régnant alors en Union soviétique »3, propre aussi à l’univers totalitaire qu’il avait fui, s’inscrivent dans un premier temps dans le mouvement structuraliste dominant en France à cette époque-là. En effet, en tant que disciple de Roland Barthes et de proche collaborateur de Gérard Genette, ce « premier » Todorov – comme la critique se plaît à désigner ce moment majeur de sa trajectoire intellectuelle – aura une contribution essentielle au développement de la sémiologie et de la poétique, des disciplines privilégiant une approche particulièrement formelle. C’est d’ailleurs sa traduction des formalistes russes (1965), encore peu connus en France, qui lui ouvre les portes des milieux intellectuels français ainsi que celles du CNRS. Il allait poursuivre sur cette voie, en fondant en 1670 aux côtés de Gérard Genette et d’Hélène Cixous la revue Poétique qu’il dirigera pendant une dizaine d’années.

Mais au fil des années Tzvetan Todorov allait peu à peu se détourner de l’approche structuraliste dont les limites lui apparaissent de plus en plus clairement. Ainsi peut-on parler d’un véritable tournant « humaniste » de sa pensée à partir des années 80, marqué, entre autres choses, par la publication en 1984 de l’ouvrage Critique de la critique qui, tout en constituant une sorte d’autocritique théorique, annonçait aussi les nouvelles directions auxquelles le « second » Todorov4 allait désormais se consacrer : « Entre-temps, un autre thème, celui de l’altérité, est venu au centre de mon attention »5

Dans ce qui suit nous nous proposons de voir dans un premier temps quelles pourraient être les lignes directrices de cette pensée de l’Autre que Tzvetan Todorov eut l’occasion de développer pendant cette deuxième étape de son parcours intellectuel, pour pouvoir ensuite analyser sa conception de la transculturalité, telle qu’elle s’esquisse dans son ouvrage L’homme dépaysé. Étant donné qu’il s’agit d’aborder un sujet qui a déjà une longue histoire, pas toujours dépourvue de malentendus, il convient toutefois de se pencher d’abord sur quelques aspects théoriques concernant la notion même de transculturation.

Naissance et évolutions d’un concept

Le terme de transculturation paraît pour la première fois en 1947 sous la plume de l’ethnologue et anthropologue cubain Fernando Ortiz. Approuvé dès sa création par Bronislaw Malinowski, il recevait la définition suivante :

[…] Le mot « transculturation » exprime mieux les différentes phases du processus de transition d’une culture à une autre parce que cela ne consiste pas seulement à acquérir une autre culture, ce que le mot anglais « acculturation » implique réellement, mais le processus implique aussi nécessairement la perte ou le déracinement d’une culture antérieure, ce que l’on pourrait définir comme une déculturation. En outre, il porte l’idée de la création conséquente de nouveaux phénomènes culturels, que l’on pourrait appeler “néoculturation”6.

Le concept était ainsi appliqué à l’origine aux phénomènes de croisement et de syncrétisme culturels ayant eu lieu à Cuba, étant d’emblée mis dans un rapport étroit avec la déculturation et avec l’acculturation, tout en désignant un cas de figure différent. Dans le contexte d’une certaine usure de ces termes à travers le temps, due à leur utilisation parfois confuse, voire abusive, Jean Lamore s’est proposé – il y a déjà quelques décennies – de revenir aux sources et de rendre justice au créateur de la notion de transculturation, en en rappelant l’acception initiale :

Dans ce texte anthologique, Fernando Ortiz indique qu’il emploie pour la première fois le mot « transculturation » et qu’il a l’intention de le substituer (du moins très largement) au vocable « acculturation ». Selon lui, l’histoire de Cuba est exemplaire à cet égard : chaque immigrant, déraciné de sa terre natale, a subi un double processus, d’abord de « déculturation » ou « ex-culturation », ensuite d’« acculturation » ou « inculturation », et en fin de compte, comme synthèse, un processus de « transculturation »7 .

L’apparition de la notion s’explique ainsi par la nécessité de dépasser, voire de remplacer celle d’acculturation qui déboucherait trop souvent sur celle d’assimilation de la culture « dominée » par la culture « dominante » impliquant, autrement dit, l’obligation des vaincus d’embrasser tôt ou tard les valeurs culturelles du vainqueur. L’exemple de Cuba, à partir duquel Ortiz bâtit sa théorie, serait donc représentatif pour un « choc » de deux – ou plusieurs – cultures, tout en apportant un nouvel éclairage de la dynamique qui régit les relations entre « culture conquérante » et « culture native ». Ce changement de perspective supposerait l’abandon de l’idée d’une assimilation unilatérale en faveur d’un processus impliquant une certaine réciprocité des échanges et des emprunts et, partant, une « transculturation réciproque »8.

La perspective de Fernando Ortiz préfigure en quelque sorte les théories contemporaines de l’hybridation et de l’hétérogénéité des cultures, développées par un Homi Bhabha – dont l’une des notions-clés est celle de tiers-espace9 – ou par un Serge Gruzinski. Chez ce dernier c’est la notion de « métissage » qui devient centrale, la rencontre des cultures et leur coexistence sur le long terme entraînant la formation d’une « culture métisse »10 – fruit d’interactions interculturelles prolongées11. Même si elles semblent avoir occupé le devant de la scène, ces perspectives théoriques récentes et les nouvelles notions qu’elles promeuvent restent tout aussi sujettes à débats que la notion concurrente de transculturalité qui, loin d’être tombée dans l’oubli, figure encore parmi les outils théoriques permettant de « penser l’intermédiaire »12. Car, comme l’annonçait déjà Jean Lamore, « L’importance historique de cette notion, son caractère profondément évolutif et vivant, et aussi son optimisme résolu font qu’elle a sans nul doute de beaux jours devant elle »13.

La démarche de Tzvetan Todorov vient donc s’inscrire dans le contexte plus large du débat théorique portant sur les rencontres et les croisements culturels et représente un chaînon important pour l’évolution du domaine. L’un des points intéressants qui retiendra notre attention est la manière dont Todorov déplace l’accent de la collectivité vers l’individu. En effet, dans son ouvrage L’homme dépaysé, il mène une réflexion sur la manière (ou les manières possibles) dont l’exilé se rapporte à la culture d’accueil, tout en reprenant à son compte des notions préexistantes – parmi lesquelles celle de transculturation – qu’il tente de repenser et d’adapter, en proposant son propre modèle des situations interculturelles qu’on pourrait appeler intermédiaires. Son souci envers le niveau identitaire et individuel des dynamiques interculturelles témoigne, en outre, de la profonde actualité de sa réflexion, la condition intenable de l’exilé, qu’il s’ingénie à dépeindre, s’apparentant à celle des migrants d’aujourd’hui. Car, comme le remarquait Serge Gruzinski :

L’identité est une histoire personnelle, elle-même liée à des capacités variables d’intériorisation ou de refus des normes inculquées. Socialement, l’individu ne cesse d’affronter une multitude d’interlocuteurs, dotés eux-mêmes chacun d’identités plurielles. Configuration à géométrie variable ou à éclipses, l’identité se définit donc toujours à partir de relations et d’interactions multiples14.

C’est dans cette perspective que nous nous proposons de suivre le cheminement d’une pensée de l’Autre et de l’entre-deux, afin d’en saisir à la fois la cohérence et la pertinence, sans pour autant passer sous silence les multiples écueils auxquels elle se voit confrontée, à même de rendre compte des « difficultés à penser le mélange »15.

Une pensée de l’Autre

Qui est l’Autre et pourquoi cet intérêt ? Rien de moins que la « pièce maîtresse de mon univers »16 , pour reprendre une belle formule de Michel Tournier. En effet, Todorov s’inscrit dans une lignée de penseurs et de philosophes qui font de la relation avec autrui un élément non seulement essentiel, mais constitutif de l’être humain. Parmi ceux-ci nous pouvons nommer Martin Buber, Emmanuel Levinas, Vladimir Jankélévitch, Paul Ricœur, mais aussi et surtout Mikhaïl Bakhtine, dont l’influence sur la pensée de Todorov est manifeste.

À travers ses ouvrages, Todorov s’emploie à démontrer le rôle fondateur de l’Autre à tous les niveaux de l’existence humaine, tout au long du développement graduel de l’être, qui va de l’intersubjectivité, passe par l’intraculturel pour aboutir, dans le meilleur des cas, à l’interculturel. Nous retrouvons ainsi une première illustration de l’action de l’Autre au premier palier de l’être dans l’article « Bakhtine et l’altérité ». Selon Todorov, « il est impossible de concevoir l’être en dehors des rapports qui le lient à autrui »17 ; ou encore, cette fois-ci selon des propos repris à Bakhtine :

La rupture, l’isolement, l’enfermement en soi sont la raison fondamentale de la perte de soi. […] Toute expérience intérieure s’avère être située à la frontière, elle rencontre autrui, et toute son essence réside dans cette rencontre intense. […] Être signifie être pour autrui et, à travers lui, pour soi18.

S’esquisse ici une vision de l’être humain en tant que frontière, l’essence même de l’humain résidant non pas dans une pure intériorité, mais dans la rencontre et l’ouverture à l’Autre. Ainsi non seulement autrui me fait-il être, mais sans sa présence je suis tout simplement menacé de néantisation.

Le niveau supérieur, intraculturel, fait intervenir le « nous » du groupe auquel j’appartiens et qui est le seul garant de mon identité, de mon existence. D’où l’éloge de la culture, d’une culture « essentielle », dont les fonctions cognitive et affective permettent à l’être humain d’une part de s’orienter dans un monde déjà structuré et organisé à travers l’expérience collective et, d’autre part, « de nous percevoir comme appartenant à un groupe spécifique et d’en tirer une confirmation de notre existence » (HD, p. 128).

Cependant, si « L’interhumain fonde l’humain » (HD, p. 174), « l’interculturel est constitutif du culturel »19 . Cela est valable aussi bien pour les membres d’une culture particulière que pour les cultures elles-mêmes dans leur ensemble. Le croisement des cultures serait donc non seulement souhaitable mais nécessaire et, de plus, inévitable. À travers une enquête consacrée aux relations interculturelles à l’époque moderne dans son ouvrage Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Todorov fera un véritable inventaire des divers types de rapport à l’autre à travers le temps, la plupart lui apparaissant comme autant de cas de mauvaise connaissance des autres. Si, tout au long de ce parcours, il va mettre en question les divers visages de l’ethnocentrisme, du scientisme, du racisme, du nationalisme ainsi que de toutes les formes de xénophobie, voire de xénophilie et d’exotisme, il aboutit à ce que lui-même appelle un humanisme critique ou un humanisme bien tempéré. Cela revient à dire que Todorov tranche en faveur d’un bon universalisme aux dépens des dérapages du relativisme, ce choix supposant une foi en l’existence d’une nature humaine, mais aussi en celle de valeurs universelles, communément partagées.

Il n’y a toutefois pas de contradiction entre son universalisme et le respect et l’intérêt qu’il porte aux différences culturelles irréductibles, puisque son point de vue s’apparente à celui de l’ethnologue soucieux de découvrir le chemin qui mène à l’universel grâce au particulier. Ce credo, d’inspiration rousseauiste, est d’ailleurs maintes fois exprimé à travers son œuvre : « L’universel est l’horizon d’entente entre deux particuliers […] »20.

En pratique, l’enjeu serait la manière d’arriver à un croisement culturel réussi, qu’il s’agisse d’une rencontre entre des représentants de cultures différentes ou – comble de félicité – d’une rencontre des cultures à l’intérieur de soi-même. Car il y aurait plusieurs voies possibles qui s’ouvrent à l’étranger en position de demeurer dans un pays autre que le sien. Ce qu’il faut craindre par-dessus tout c’est, selon notre auteur, la déculturation, que Todorov définit comme la perte de la culture d’origine sans que le nouveau code culturel en soit acquis pour autant. Cette situation renferme un vrai danger, notamment celui de la déstructuration de l’être qui, en l’absence d’une grille d’interprétation de « son » nouveau monde, risque de se trouver perdu, désemparé. Le deuxième cas de figure, plus heureux que le premier, c’est l’acculturation qui, selon Tzvetan Todorov, implique à son tour la dégradation de la culture d’origine, mais aussi l’acquisition progressive de la nouvelle. Cependant, comme il y a plus d’une façon d’être homme,

L’individu ne vit pas une tragédie en perdant sa culture d’origine à condition qu’il en acquière une autre ; c’est d’avoir une langue qui est constitutif de notre humanité, non d’avoir telle langue21. (HD, p. 22)

Enfin, la situation la plus enviable serait la transculturation. À ses yeux, celle-ci suppose la coexistence de deux codes culturels à l’intérieur d’un même individu, étant le résultat d’une acculturation atypique. C’est d’ailleurs de cette position privilégiée que notre auteur se réclame dans le livre qui fera l’objet de notre analyse, L’homme dépaysé. Elle permettrait, du moins théoriquement, de porter un double regard, doublement avisé, à l’intérieur de deux cultures, de deux « particuliers », ce regard étant peut-être le seul à même de déboucher sur un horizon universaliste d’entente.

Cette possibilité d’entente nous ramène à une autre question essentielle pour notre propos, à savoir la communication interculturelle. Ce bon universalisme défendu par Todorov ne saurait être qu’une quête de vérités et de valeurs partagées, commune à des représentants de cultures différentes :

L’universalité est un instrument d’analyse, un principe régulateur permettant la confrontation féconde des différences […].Ce qui est proprement humain n’est évidemment pas tel ou tel trait de culture. […] Ce que chaque être humain a en commun avec tous les autres, c’est la capacité de refuser ces déterminations […]22.

Autrement dit, la liberté et la perfectibilité sont le propre de l’homme, l’important étant à chaque fois non pas d’avoir « telle ou telle qualité donc, mais la capacité de les acquérir toutes23 ». Mais cela serait impensable en dehors de la possibilité de la communication interculturelle, du dialogue, voire du consensus :

[…] je préfère le dialogue, qui présuppose bien une différence entre Je et Tu, mais aussi un cadre commun, la volonté de comprendre l’autre et de communiquer avec lui. (HD, p. 224)

Cette vision – très élaborée d’ailleurs dans les ouvrages de Tzvetan Todorov – qui tranche en faveur de la communication et de la virtualité du « consensus issu du dialogue » (HD, p. 145) semble, en effet, pleinement justifier l’idéal de la transculturation. Il convient d’ailleurs de remarquer le fait qu’à l’intérieur de cette typologie construite par Todorov grâce à la récupération des notions ci-dessus, la déculturation et l’acculturation ne sont pas remplacées ou dépassées par la transculturation, comme c’était le cas chez Fernando Ortiz, mais coexistent avec cette dernière comme autant de cas de figure possibles.

Cette construction théorique résistera-t-elle cependant à l’épreuve de la réalité ?

Le transculturé de retour « chez soi »

L’homme dépaysé rend compte de l’expérience autobiographique d’un être transculturé – car c’est bien l’image que Tzvetan Todorov entend donner de lui-même – qui apparaît comme biculturel, voire triculturel. En effet, à l’en croire, une vie humaine ne permet, de par sa durée, que l’assimilation de deux, voire trois cultures. Et ce n’est peut-être pas un hasard que le livre soit structuré en trois parties : « Originaire de Bulgarie », « Citoyen en France » et « Visiteur aux Etats-Unis ».

Après dix-huit années d’absence, le narrateur réintègre sa ville natale, Sofia, à l’occasion d’un congrès ayant comme sujet « La Bulgarie ». Une fois sur place, il a la joie de constater qu’il est tout à fait à son aise dans les deux cultures. Mais, petit à petit, la joie tourne au malaise. Et c’est sa propre communication, consacrée à la question du nationalisme, qui s’avère bien problématique.

Dans la version française du texte qu’il avait préparé pour le congrès de Bulgarie, Todorov se prononçait en faveur du rejet du nationalisme civique et politique, en aboutissant à la conclusion « qu’il n’y avait pas grand intérêt à s’enfermer dans le culte des valeurs nationales traditionnelles » (HD, 15). Tout allait le mieux du monde jusqu’au moment où il a fallu traduire le texte du français en bulgare. Du coup, c’est le destinataire imaginaire qui s’est métamorphosé également et, avec lui, tout un horizon d’attentes. Grâce à sa double appartenance, l’auteur s’est aperçu alors des malentendus que sa communication risquait d’engendrer. En effet, le nationalisme dont il était question se parait à l’époque aux yeux des intellectuels bulgares d’un singulier prestige. Car, dans le pays totalitaire qu’était encore la Bulgarie en 1981, la seule manière de prendre position contre l’internationalisme communiste était précisément le discours nationaliste.

L’idéal de la transculturation commençait ainsi à s’effriter. La double appartenance s’avérait non plus un bonheur, mais une malédiction. Car comment concilier, que ce fût à l’intérieur de soi-même ou à l’extérieur, deux discours contradictoires et tout aussi légitimes l’un que l’autre ? Cette double identité à même de procurer une compréhension de l’intérieur des deux cultures n’aboutissait, paradoxalement, qu’à une parole impossible. Du moins pour quelqu’un qui se voulait fidèle à soi-même et n’aurait su désavouer aucune « moitié » de son être :

[…] il fallait carrément remplacer une affirmation par son contraire. […] On ne combine pas A et non-A impunément. Il me restait le recours au silence… (HD, p. 16)

Un premier inconvénient de la transculturation surgit puisque, si l’idéal de départ et de parcours était l’universalisme supposant le dialogue, voire le consensus, à l’épreuve d’autrui il s’avère tomber non seulement dans le différend, mais dans le pur silence. Car, si « le langage tout entier […] a pour rôle de nous sortir de nous-mêmes et de nous mettre en relation avec autrui » (HD, p. 173), un double langage va étrangement enfermer le sujet en soi-même sous peine de présenter à l’Autre une image faussée. Par conséquent, être sincère reviendrait ici à être perçu comme déraisonnable. Car comment un biculturel pourrait-il se faire comprendre par un uniculturel ? Quoi qu’il y fasse, il y aura toujours de l’imprésentable. Et ce n’est peut-être pas un hasard que Tzvetan Todorov ne dise pas un mot au sujet du déroulement du congrès proprement dit…

La leçon qui s’impose dans un premier temps est assez décevante pour un partisan fervent de la transculturation : « Il était impossible, avec ces moitiés, de faire un tout ; c’était ou l’une ou l’autre. […] C’en était trop pour un seul être ! L’une des deux vies devait évincer l’autre. » (HD, p. 19-20) Se rendre à l’évidence, c’est accepter que ce qui apparaissait comme le croisement culturel idéal se mue, à l’épreuve de la réalité, en « une menace, conduisant à la schizophrénie sociale, lorsque celles-ci [les deux cultures] sont en concurrence » (HD, p. 20). Mais la schizophrénie n’est rien d’autre qu’une perte de contact vital avec la réalité. Ainsi le transculturé, s’il devait s’accrocher à sa double identité, ne s’enfermerait-il pas dans un rêve ? « Rêve ou folie, car je ne fais peut-être que prétendre avoir vécu ici et là ? » (HD, p. 19)

Et pourtant le transculturé tient à sauver à tout prix sa condition, qu’il ne laisse pas de concevoir comme exceptionnelle. Il s’y prendra donc en y apportant de petites rectifications. Ainsi est-ce le rapport qu’entretiennent les deux cultures à l’intérieur de lui-même qui doit subir des changements. Si au tout début elles étaient logées à la même enseigne, l’égalité sera remplacée par une hiérarchie librement choisie. Ce n’est qu’ainsi qu’« on peut surmonter les angoisses du dédoublement et la coexistence devient un terrain fertile d’une expérience nouvelle » (HD, p. 20).

L’expérience nouvelle est celle du dépaysement, nouveau visage que prend la transculturation à la suite du déplacement d’accent de l’intériorité vers l’extériorité. Car si, dans un premier temps, celui des retrouvailles avec ses compatriotes bulgares, les avantages de la transculturation résidaient surtout dans une compréhension de l’intérieur des deux cultures – bulgare et française – à présent l’essentiel est d’accéder à une position d’extériorité, celle d’un observateur qui n’est plus Français et Bulgare, mais ni Français ni Bulgare.

Et ce sera l’homme dépaysé, étranger partout, un être cosmopolite ayant abouti à un horizon universaliste grâce à ces deux particuliers. On se rappelle d’ailleurs que tel était le but que Todorov assignait à l’ethnologue, dont la démarche s’apparente en quelque sorte à celle du transculturé24. Si cela lui permet de rejoindre ses positions universalistes initiales, c’est cependant sans avoir résolu un problème épineux comme l’était, en l’occurrence, celui de concilier les deux regards contradictoires portés sur le nationalisme. L’homme dépaysé peut « tirer profit de son expérience. Il apprend à ne plus confondre le réel avec l’idéal, ni la culture avec la nature » (HD, p. 24). Soit. Toujours est-il qu’il semble le plus souvent en rester à l’« interrogation » et à l’« étonnement ».

Quels seraient donc les points faibles de la transculturation, qui en font une construction théorique sur le point de basculer, au contact de la réalité, dans la fiction ? Premièrement, conçue comme un croisement culturel intérieur, à même de démolir les barrières qui nous séparent des autres, elle ne fait, comme nous venons de le voir, que couper les ponts pour nous enfermer dans un dialogue stérile entre soi-même et l’autre soi-même. L’exemple du nationalisme est révélateur, car la volonté de dialogue, voire de consensus, s’avère utopique.

Ensuite, la solution d’une hiérarchisation des deux cultures à l’intérieur de soi-même mine les fondements mêmes du concept. Car une hiérarchie « librement choisie » ne saurait apparaître qu’arbitraire. Sur quoi pourrait toutefois s’appuyer la prééminence que moi, être transculturé, j’accorde à une moitié de moi-même aux dépens de l’autre moitié ? Une typologie des relations à autrui exposée dans l’ouvrage La conquête de l’Amérique pourrait y apporter certains éclaircissements. La relation à autrui se constituerait ainsi sur (au moins) trois axes dont il faudrait tenir compte dans une telle analyse : un plan axiologique (j’aime ou je n’aime pas l’autre), un plan praxéologique (je veux m’identifier à lui, l’assimiler ou conserver une position de neutralité) et un plan épistémique (je connais plus ou moins l’autre, ma connaissance pouvant aller d’une véritable intimité25 jusqu’à l’ignorance totale). L’auteur fait cependant une précision importante : « La connaissance n’implique pas l’amour, ni l’inverse ; et aucun des deux n’implique, ni n’est impliqué par l’identification avec l’autre. Conquérir, aimer et connaître sont des comportements autonomes et, en quelque sorte, élémentaires »26 .

Au niveau de quel axe pourrait-on situer le moteur de la hiérarchisation des cultures, de sa préférence envers sa moitié française aux dépens de son identité bulgare ? Du point de vue praxéologique, son premier mouvement en arrivant en France avait été d’embrasser les valeurs de la culture d’accueil, ce qui trahit une volonté d’assimilation maximale. Néanmoins, tout en devenant Français, il avait conservé certaines caractéristiques, comme par exemple l’accent d’origine, qui en faisaient un Français pas comme les autres. Car si, dans la situation d’assimilation maximale, le Moi devient Autre, le Moi du transculturé déborde infiniment l’Autre.

Ce ne sera pas non plus à l’axe épistémique d’éclaircir le mystère. Sans doute sa connaissance de l’Autre était-elle devenue de plus en plus poussée pendant ces dix-huit années passées en France avant sa première visite de son pays natal. Mais, de retour en Bulgarie, il s’aperçoit que sa compréhension des Bulgares est tout aussi entière qu’auparavant.

Reste à chercher du côté de la dimension axiologique. Pour ce faire, il convient de remonter aux sources de son désir premier de découvrir la France. C’était à l’époque de sa jeunesse bulgare, où ces horizons lui seraient peut-être restés étrangers, n’eût été son ami Karata, dont l’amour pour Paris, nourri de lectures et d’images, « était comme un petit jardin de bonheur au milieu d’un univers dévasté » (HD, p. 236). Et, s’il fallait reprendre les paroles d’un auteur si prisé par Todorov, Michel de Montaigne, au sujet de l’amitié véritable – « Le secret que j’ai juré ne déceler à nul autre, je le puis, sans parjure, communiquer à celui qui n’est pas autre : c’est moi. C’est un assez grand miracle de se doubler27 […] » –, on pourrait aisément concevoir ce transfert de Moi à Toi d’un idéal de civilisation incarné à leurs yeux par la France. Bien que ce ne fût au début qu’un amour fondé sur une connaissance livresque, celui-ci a préexisté – et, sans doute, déterminé de façon décisive – l’aventure interculturelle de Tzvetan Todorov. Et, malgré les déceptions survenues en cours de route et malgré le regard désabusé qu’il portera parfois sur les réalités françaises, son amour, lui, demeurera intact : « La France est un pays parmi d’autres, libre du mal que j’ai connu ailleurs, non de divers autres défauts, envers de ses qualités ; mais c’est maintenant le mien. » (HD, p. 237) On sait déjà que la connaissance n’a rien à voir avec l’amour ; aussi la lucidité ne saurait-elle rien enlever à l’adhésion affective totale, à la préférence presque inconditionnelle pour ce qu’il est devenu – plus Français que Bulgare : « Je sais intégrer la voix bulgare (étrangère !) dans le cadre français, non le contraire : le lieu de mon identité présente est Paris, non Sofia. » (HD, p. 21)

Cette hiérarchisation intérieure prend maintenant tout son sens. Il s’agit ainsi d’un choix librement assumé en faveur de l’identité présente aux dépens de l’autre identité, ancrée plutôt dans le passé. Et c’est la dernière identité du point de vue chronologique qui prend le dessus sur la première, car

La Bulgarie réelle s’éloigne chaque jour de moi – je ne la connais plus et ne désire pas vraiment la connaître –, la Bulgarie qui a infléchi mon regard reste en moi et ne me quittera plus. (HD, p. 85)

L’idéal de la transculturation, garant de la communication interculturelle, en sort quelque peu froissé. Car, si le dialogue intérieur se déroule entre deux voix inégales, qu’en sera-t-il d’un dialogue avec l’extérieur, avec l’Autre ? Cela fait d’ailleurs surgir une nouvelle question : l’égalité des partenaires que présuppose le dialogue est-elle finalement une virtualité réalisable ou est-ce plutôt la hiérarchie des voix qui sera, à chaque fois, l’option ultime ?

Enfin, un dernier problème s’élève quant à la visée allocentrique de la transculturation. L’essentiel de la pensée de Tzvetan Todorov reposait sur un souci fondamental de l’Autre, sur la nécessité d’une meilleure connaissance et d’une meilleure compréhension d’autrui. Mais, à l’épreuve de la réalité, n’aurait-on pas plutôt affaire à une généreuse fiction ? « La connaissance des autres n’est pas simplement une voie possible vers la connaissance de soi : elle est la seule28 » ; « La connaissance de l’autre sert à l’enrichissement de soi : donner, ici, c’est prendre29 » ; deux affirmations – l’une de Todorov lui-même, l’autre reprise à Goethe, mais faite sienne –, les deux faisant écho à une idée développée également dans L’homme dépaysé, à savoir l’épanouissement de soi à travers l’autre. Cependant, envisagée sous ce nouveau jour, la transculturation semble se détourner de son souci premier – autrui – pour se tourner vers le Moi. Et si la double identité peut, en effet, constituer un plus d’être, la transculturation sur laquelle elle repose risque de devenir d’allocentrique, égocentrique, et l’Autre, de fin, moyen.

Cette revisitation de la transculturation en tant que concept-clé de la pensée de l’Autre de Tzvetan Todorov se veut moins une mise en question de sa pertinence, qu’une mise en lumière des multiples écueils auxquels tout un chacun pourrait se heurter s’il devait faire l’expérience d’une telle interculturalité intérieure sur fond de migration ou d’exil prolongé. Ce fut le cas de Tzvetan Todorov qui nous propose une réflexion nourrie de sa propre expérience, mais menée dans un esprit de dialogue aussi bien avec d’illustres devanciers qu’avec ses contemporains. Loin de nous fournir des réponses bien arrêtées, cette pensée extrêmement nuancée, qui conserve toute son actualité, a surtout le mérite de nous remettre sur la voie de l’interrogation et du dialogue, que ce soit dans un tête-à-tête avec soi-même ou avec l’Autre. Le lieu de son discours est cette position inconfortable de l’entre-deux, position risquée s’il en est, qui amène l’homme dépaysé à se confronter à toute une série de défis existentiels et identitaires, tout en le poussant au questionnement infini que soulève la figure d’autrui. Mais, malgré toutes ces difficultés, peut-être faudrait-il imaginer Tzvetan Todorov sous les traits d’un porte-parole d’une nouvelle « honnêteté » intellectuelle et existentielle, persuadé, à l’instar de l’un de ses maîtres à penser, Michel de Montaigne, qu’« un honneste homme c’est un homme meslé »30 .

1 Tzvetan Todorov, L’homme dépaysé, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 23. Les références à cet ouvrage figureront désormais dans le corps du texte

2 Alain Montandon, « Avant-propos », in Alain Montandon, Philippe Pitaud (éd.), Vieillir en exil, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires

3 Stoyan Atanassov, Paul Rasse, « Tzvetan Todorov (1939-2017). In memoriam », Hermès, La Revue, vol. 78, n° 2, 2017, p. 230-236, p. 234.

4 Sur cette évolution de la pensée de Todorov pendant cette deuxième étape de son parcours, voir entre autres Stefano Lazzarin, « Vers une

5 Tzvetan Todorov, Critique de la critique. Un roman d’apprentissage, Paris, Seuil, 1984, p. 9.

6 « [...] the word “transculturation” better expresses the different phases of the process of transition from one culture to another because this does

7 Jean Lamore, « Transculturation : naissance d’un mot », in Fulvio Caccia, Jean-Michel Lacroix (dir.), Métamorphoses d’une utopie, Paris, Presses de

8 Ibid., p. 46.

9 Voir Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Traduit de l’anglais par Françoise Bouillot, Paris, Éditions Payot & Riv

10 Jean Lamore, op. cit., p. 46.

11 Pour une discussion théorique récente sur le sujet, voir aussi, entre autres, Sanjay Subrahmanyam, L’éléphant, le canon et le pinceau. Histoires

12 Serge Gruzinski, « Introduction générale : “Un honnête homme, c’est un homme mêléˮ. Mélanges et métissages », in Louise Bénat Tachot, Serge

13 Jean Lamore, op. cit., p. 47.

14 Serge Gruzinski, op. cit., p. 12.

15 Ibid., p. 7.

16 Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Paris, Gallimard, 1972, p. 53.

17 Tzvetan Todorov, « Bakhtine et l’altérité », Poétique, n° 40, 1979, p. 502-513, p. 502.

18 Mikhaïl Bakhtine, art.cité parT. Todorov, p. 504.

19 Tzvetan Todorov, « Le croisement des cultures », Communications, vol. 43, n° 1, 1986, p. 5-26, p. 16.

20 Tzvetan Todorov, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 34.

21 Ce fragment n’est pas sans rappeler le bel aphorisme d’E. M. Cioran, qui écrira dans son dernier livre : « On n’habite pas un pays, on habite une

22 Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit., p. 513.

23 Ibid., p. 514.

24 Sur cette question, voir le chapitre consacré à Claude Lévi-Strauss dans l’ouvrage déjà cité Nous et les autres.

25 Sur une typologie des formes d’intimité, voir aussi notre article Vanezia Pârlea,« Errance(s) et intimité(s) chez Isabelle Eberhardt », in Philippe

26 Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 191.

27 Michel de Montaigne, Essais (I, 28), Paris, Éditions Gallimard, p. 1965, p. 273.

28 Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit., p. 123.

29 Tzvetan Todorov, « Le croisement des cultures », Art. cit., p. 19.

30 Michel de Montaigne, Les Essais (III, 9), Paris, Quadrige/PUF, 1999, p. 986.

Notes

1 Tzvetan Todorov, L’homme dépaysé, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 23. Les références à cet ouvrage figureront désormais dans le corps du texte, précédées de l’abréviation HD.

2 Alain Montandon, « Avant-propos », in Alain Montandon, Philippe Pitaud (éd.), Vieillir en exil, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2006, p. 7.

3 Stoyan Atanassov, Paul Rasse, « Tzvetan Todorov (1939-2017). In memoriam », Hermès, La Revue, vol. 78, n° 2, 2017, p. 230-236, p. 234.

4 Sur cette évolution de la pensée de Todorov pendant cette deuxième étape de son parcours, voir entre autres Stefano Lazzarin, « Vers une anthropologie de l’exil : le “secondˮ Todorov », in Ticontre. Teoria Testo Traduzione, 1 (2014), p. 85-102.

5 Tzvetan Todorov, Critique de la critique. Un roman d’apprentissage, Paris, Seuil, 1984, p. 9.

6 « [...] the word “transculturation” better expresses the different phases of the process of transition from one culture to another because this does not consist merely in acquiring another culture, which is what the English word “acculturation” really implies, but the process also necessarily involves the loss or uprooting of a previous culture, which could be defined as a deculturation. In addition it carries the idea of the consequent creation of new cultural phenomena, which could be called neoculturation, Fernando Ortiz, Cuban Counterpoint. Tobacco and Sugar, Durham, Duke University Press, 1995 [1947], p. 102-103.

7 Jean Lamore, « Transculturation : naissance d’un mot », in Fulvio Caccia, Jean-Michel Lacroix (dir.), Métamorphoses d’une utopie, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1992, p. 43-48, p. 44.

8 Ibid., p. 46.

9 Voir Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Traduit de l’anglais par Françoise Bouillot, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007.

10 Jean Lamore, op. cit., p. 46.

11 Pour une discussion théorique récente sur le sujet, voir aussi, entre autres, Sanjay Subrahmanyam, L’éléphant, le canon et le pinceau. Histoires connectées des cours d’Europe et d’Asie. 1500-1750, Traduit de l’anglais pas Béatrice Commergé, Paris, Alma, 2016, en particulier p. 52-54.

12 Serge Gruzinski, « Introduction générale : “Un honnête homme, c’est un homme mêléˮ. Mélanges et métissages », in Louise Bénat Tachot, Serge Gruzinski (dir.), Passeurs culturels. Mécanismes de métissage, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2001, p. 7.

13 Jean Lamore, op. cit., p. 47.

14 Serge Gruzinski, op. cit., p. 12.

15 Ibid., p. 7.

16 Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, Paris, Gallimard, 1972, p. 53.

17 Tzvetan Todorov, « Bakhtine et l’altérité », Poétique, n° 40, 1979, p. 502-513, p. 502.

18 Mikhaïl Bakhtine, art.cité par T. Todorov, p. 504.

19 Tzvetan Todorov, « Le croisement des cultures », Communications, vol. 43, n° 1, 1986, p. 5-26, p. 16.

20 Tzvetan Todorov, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 34.

21 Ce fragment n’est pas sans rappeler le bel aphorisme d’E. M. Cioran, qui écrira dans son dernier livre : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre », in E. M. Cioran, Aveux et anathèmes, Œuvres, Paris, Gallimard, 1995, p. 1651.

22 Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit., p. 513.

23 Ibid., p. 514.

24 Sur cette question, voir le chapitre consacré à Claude Lévi-Strauss dans l’ouvrage déjà cité Nous et les autres.

25 Sur une typologie des formes d’intimité, voir aussi notre article Vanezia Pârlea, « Errance(s) et intimité(s) chez Isabelle Eberhardt », in Philippe Antoine, Vanezia Pârlea (dir.), Voyage et intimité, Paris, Classiques Garnier, coll. « Carrefour des lettres modernes », 2018, n° 6, p. 179-194.

26 Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 191.

27 Michel de Montaigne, Essais (I, 28), Paris, Éditions Gallimard, p. 1965, p. 273.

28 Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit., p. 123.

29 Tzvetan Todorov, « Le croisement des cultures », Art. cit., p. 19.

30 Michel de Montaigne, Les Essais (III, 9), Paris, Quadrige/PUF, 1999, p. 986.

Citer cet article

Référence électronique

Vanezia Pârlea, « Tzvetan Todorov : la transculturation, fiction ou réalité ? », Revue d’histoire culturelle [En ligne],  | 2021, mis en ligne le 31 mars 2021, consulté le 24 avril 2024. URL : http://revues.mshparisnord.fr/rhc/index.php?id=1024

Auteur

Vanezia Pârlea

Vanezia Pârlea est maître de conférences en littérature française à l’Université de Bucarest, où elle dirige le Centre de recherche Heterotopos. Ses travaux portent essentiellement sur les récits de voyage, avec un intérêt particulier envers la problématique des altérités et rapports (inter)culturels. Elle a publié « Un Franc parmy les Arabes ». Parcours oriental et découverte de l’Autre chez le chevalier d’Arvieux (Grenoble, ELLUG, 2015), dirigé aux Presses Universitaires Blaise Pascal Iles réelles, îles fictionnelles (2019) et codirigé Voyage et Intimité (Lettres modernes Minard/Classiques Garnier, Paris, 2018). pvanezia@yahoo.com