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Une voix incarnée à l’épreuve des sources : Marie Fel ou l’héritage renouvelé du jeu lyrique à l’époque ramiste

Lola Salem
avril 2018

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.849

Résumés   

Résumé

Comment entendre la voix d’une chanteuse morte il y a plus de trois siècles et en tirer des leçons pour l’analyse et l’interprétation d’aujourd’hui ? En interrogeant la diversité des sources d’époque, il semble être possible de dessiner la marque d’attributs vocaux individuels entre les lignes des témoignages et des partitions : faire (re)vivre une voix incarnée. Marie Fel (1713-1794), étoile ramiste, synthétise de manière singulière héritage français et technicité italienne, réussissant ainsi à influencer l’écriture et la réécriture même des rôles endossés.

Abstract

How can we hear the voice of a performer who died more than three centuries ago, and apply that understanding to current performance and theory? By analysing a range of historical sources, from personal letters to musical scores, it is possible to reconstruct something of a particular vocalist’s style and personality, giving life to a voice from the past. Marie Fel (1713-1794), a favourite of Rameau, combined the French vocal tradition with Italian technique so successfully as to greatly influence the writing and rewriting of parts she played.

Index   

Plan   

Texte intégral   

Introduction

1Jusqu’à récemment, la musicologie française a considéré la partition comme une source figée ou, en quelque sorte, absolue. Depuis quelques dizaines d’années, la mise en pratique des ouvrages anciens a été l’occasion de questionner ce positionnement universitaire. La recréation – si tant est qu’elle se revendique d’une certaine forme de véracité – nécessite d’interroger l’œuvre en remettant en perspective ses conditions et finalités d’écriture. Elle formule, de fait, la poursuite d’un travail scientifique original qui interroge l’objet artistique en tant que source historique vivante et donc fondamentalement relative.
Concernant la musique baroque française, les travaux d’avant-garde de certains interprètes et metteurs en scène autour des années 1970 (William Christie & Les Arts Florissants, Eugène Green & le Théâtre de la Sapience, etc.) ont été les premiers à constater que l’approche et la représentation de ce répertoire – encore marginale à l’époque – nécessitait un travail approfondi des partitions et livrets1 replacés dans leur contexte de création. Vis-à-vis de l’opéra, genre lyrique majeur en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, un travail d’archéologue est ainsi requis afin de scruter, sous la surface du papier, tout un arrière-monde qui ne nous est parvenu que par morceaux : que les sources soient incomplètes, ou qu’elles se trouvent disséminées à travers une foule d’éléments de diverses natures (traités théoriques, écrits personnels, gravures, portraits, maquettes ou autres fragments épars).
Cette démarche récente cherche notamment à renouveler l’étude de ces partitions lyriques par le prisme, non de ce qui nous est parvenu de manière unitaire, solide et sûre, mais bien par ce qui nous échappe irrémédiablement – effacé par le temps, les aléas de l’histoire et quelques peu obscurci par la distance culturelle. L’approche micro-historique que nous privilégions, se fixe sur le jeu de l’interprète d’opéra baroque : son talent théâtral et sa voix qui est notoirement difficile à étudier parce qu’elle semble parfois impossible à saisir ou à observer. Elle représente pourtant un élément central de la création et tisse, dans le cadre des œuvres lyriques baroques, un schéma bien particulier avec le reste du système dramaturgique.
Plus particulièrement, nous nous attacherons au jeu de l’actrice féminine dont les spécificités physiques, techniques et sociales, obligent à affiner notre étude par la mise en valeur signifiante et instructive du genre :

« S’intéresser à la femme dans le théâtre, c’est souvent s’intéresser davantage à la scène qu’à l’écrit et cela nécessite de replacer le théâtre hors de sa forme littéraire, sous sa forme vivante. La rencontre de la femme et du théâtre est en effet un espace de confrontation social, politique, religieux, moral et culturel qui renvoie le théâtre à la multitude de ses fonctions vivantes et historiques. Un débat dynamisant pour l’histoire du théâtre, fondé sur des rapports humains ».2

2L’interprète femme trouve sur la scène mixte de l’Académie royale de musique (ARM) un espace qui donne libre cours au développement des différents registres vocaux féminins et des caractères de rôle qui leurs sont associés ; mais elle dessine également une forme « d’expérimentation sociale et imaginaire »3 remarquable qui conduit, par l’affirmation de son poids social, à interroger sa valeur identitaire – en tant qu’individu et représentante particulière de sa condition4.
Force est de constater le vide qui existe encore actuellement sur cette question de l’interprétation en tant qu’objet éphémère mais signifiant dans l’approche des sources musicales lyriques des XVIIe et XVIIIe siècles. Nous chercherons ici à mettre en évidence un renouvellement important des règles d’interprétation au XVIIIe en interrogeant l’inscription réelle du geste vocal et théâtral à l’opéra en la personne de Mlle Fel. « Étoile ramiste », Marie Fel est, certes, héritière d’une technique vocale française mais rend compte également d’un jeu teinté de nouveauté, grâce à son instruction auprès de Mme Van Loo, née Anne Antonia Christina Somis, chanteuse d’origine italienne. Son passage des rôles anonymes et secondaires aux premiers emplois féminins (tendres princesses) accuse ainsi l’importance de la prise en compte des capacités propres d’un individu à part entière dans le processus général de création. L’inscription de l’effet dans la partition même, est accompagnée par l’ensemble des écrits de ce temps (journaux, écrits théoriques, administratifs et personnels), auxquels il faut encore ajouter les documents de nature iconographique (tableaux, maquettes de costumes, etc.).
Le choix de cette actrice est loin d’être anodin puisque Marie Fel (1713-1794), se trouvant à la croisée d’influences diverses, affirme un tournant esthétique en germe depuis quelques générations et participe ainsi en creux à l’évolution du statut moderne de l’interprète. Or, l’émergence décisive de la figure moderne des agents artistique – et plus précisément de l’interprète – influence justement en profondeur l’écriture a priori ou a posteriori d’une œuvre lyrique. Car si l’on peut rendre compte du « signe » de leur art à travers la partition et le livret opératiques baroques (à l’attention des interprètes d’aujourd’hui) c’est effectivement que ces artistes exercent une force quelconque sur le processus d’écriture des ouvrages lyriques.

3Notre enquête, qui s’attache à déceler les qualités de jeu de Marie Fel à travers les témoignages de ses contemporains et l’analyse des partitions qu’elle crée ou reprend, offre ainsi un éclairage novateur sur l’approche des œuvres. Celui-ci permet à l’interprète actuel de s’approprier des éléments techniques concrets pour son propre usage. Il pourra non seulement bénéficier d’un aperçu théorique et technique des qualités vocales et théâtrales du XVIIIe siècle, incarnées en la personne de Mlle Fel, mais pourra encore comprendre à quels rôles ces mêmes qualités ont pu être confrontées.
Ici dialogueront, à travers et autour des œuvres lyriques analysées trois axes fondamentaux. D’une part, la prise en compte des modalités d’instruction vocale et théâtrale des rôles joués sur la scène de l’ARM (aux XVIIe et XVIIIe siècles), qui permettent de comprendre ce qui est effectivement transmis d’une génération d’interprète à l’autre et de quelle manière. D’autre part, la capacité vocale et théâtrale propre à l’individu, qu’elle soit innée ou même acquise mais formulée de telle sorte qu’elle marque le sceau des capacités personnelles – et donc uniques – de l’actrice en question. Enfin, l’horizon d’attente du public, réagissant aux évolutions portées sur scène, les discutant et les validant ou non.

1. L’idéal vocal féminin français à l’épreuve de la réalité de l’enseignement et de la pratique du chant à l’époque baroque

1.1. Les ambitions philosophiques et esthétiques des théoriciens du chant

4Il n’est plus à démontrer que l’opéra se donne pour objet d’exprimer les passions. Deux éléments peaufinent le modèle français : d’une part, le lourd héritage théâtral en terme de matière dramatique (livrets) et de méthode de jeu (gestuelle) qui s’expriment, d’autre part, à travers le filtre de la vraisemblance merveilleuse. Ainsi, Lully aurait-il pris comme modèle initial pour l’écriture de ses récitatifs l’art de la déclamation propre à la tragédienne racinienne La Champmeslé. Après sa mort, cependant, les compositeurs expérimentent volontiers. Il apparaît que l’on se focalise progressivement sur l’aspect chanté de la voix plutôt que sur sa capacité à réciter à l’ancienne mode. Les moments de pauses diégétiques (principalement les divertissements) représentent des occasions idéales pour l’interprétation d’ariettes, principalement jouées par des personnages secondaires (souvent anonymes) dont l’importance actantielle moindre se manifeste alors principalement par la force de mélodies simples, structurées et largement ornementées. Épurés des longs textes récitatifs, ces airs donnent libre cours à une virtuosité proprement vocalisante.
Les traités de chant et de déclamation qui enregistrent ces changements sont légions, surtout depuis que l’art rhétorique de l’ornementation commence à être codifié, en parallèle de celui de la gestuelle. Ils tentent de mettre à jour un idéal vocal français : produit de réflexions théoriques esthétiques ainsi que synthèse de l’art des meilleurs interprètes contemporains. Leur préoccupation centrale consiste à rappeler que tout savoir-faire est impuissant sans la prescience d’un « bon goût » qu’il s’agit d’éduquer tout autant, sinon plus :

« La musique latine perfectionne la science, et la musique française perfectionne le goût. Il ne suffit pas pour bien chanter le français de savoir bien la musique, ni d’avoir de la voix, il faut encore avoir du goût, de l’âme, de la flexibilité dans la voix, et du discernement pour donner aux paroles l’expression qu’elles demandent, suivant les différents caractères ».5 

5En France et concernant les genres vocaux en général, on peut citer pour le XVIIIe siècle Les Principes de Musique de Montéclair (1736), Les Vrais Principes de la musique de La Chapelle (1736), L’Art du chant de Jean-Antoine Bérard (1755) ou encore les Principes de l’art du chant de Lécuyer (1769). Rameau, quoique piètre chanteur lui-même, consacre également tout un chapitre à cette question (« Méthode pour former la voix ») dans son Code de musique pratique (1760). Blanchet, lui, définit ainsi son projet, commun aux autres :

« La plupart des règles contenues dans ce traité auront, comme j’espère, le mérite de la vérité ; ce n’est qu’après un sévère examen, et qu’après avoir consulté les gens à talent & les amateurs les plus éclairés, que je les ai confiées au papier. MM Rebel, Francœur, Chéron, La Motte, Duché, Jélyotte et Mlle Fel, ainsi que MM. de Cahusac, Diderot, De Lagarde et Rameau, tous gens d’une autorité infinie dans l’empire du Chant, se sont prêtés de la meilleure grâce du monde à résoudre mes doutes : j’ai eu le plaisir délicat de voir qu’ils me confirmaient dans mes opinions, et que leurs idées courraient quelquefois au-devant des miennes ».6 

6Difficile à cerner objectivement, cet idéal vocal français, se construit entre autre par comparaison avec le savoir-faire italien. Sa codification, objet de débat national, joint aux différences compositionnelles et vocales (dans le cadre de l’opéra) des considérations philosophiques, politiques et sociales. On cherche à développer un vocabulaire suffisamment spécifique pour pouvoir délimiter clairement les spécificités des voix françaises et de leur savoir-faire sous-jacent. Les théoriciens insistent sur deux arguments principaux : d’une part, le placement de la voix, et d’autre part, sa limpidité. Ces qualités recoupent l’idéal classique français de manière générale : un certain naturel en corrélation avec la nature de chaque personnage.
La voix égale et juste, d’une douceur faite de grâce et de bon goût, au service de la tragédie, est présentée comme finalité du jeu de l’acteur français depuis le XVIIe siècle. Cependant, le XVIIIe se détache quelque peu des origines théâtrales de jeu qui présidèrent à la création de l’opéra en refusant que la déclamation empiète sur le timbre chanté de la voix et les articulations mélodiques qu’elle requiert. Ainsi, l’attention portée à la déclamation doit être constante sans pour autant venir blanchir le timbre de la voix – soit par excès de clarté, soit une petitesse du souffle. Ces voix-là sont couramment dénoncées comme trahissant les rôles qu’elles endossent et la conception plus générale du « bon goût » :

« Les voix trop claires ne devraient jamais prendre de grands rôles : parce qu’elles ne conviennent point à la noblesse des personnages que l’ont met sur scène : et parce qu’elles ne sont point susceptibles d’inflexions assez sensibles, pour traiter une passion ».7 

7Opérant à partir du principe de classification encyclopédique propre aux Lumières, certains théoriciens français formulent pour la première fois le vœu de produire un outil d’application savant et utile tout à la fois. C’est là, selon Rameau, que résiderait la vraie différence entre les écoles de chant française et italienne. La France aurait intérêt à s’inspirer de cette dernière pour développer une technique vocale qui mette surtout à profit les qualités propres aux chanteurs :

« La troisième méthode contient l’art de former la voix, c’est-à-dire, qu’elle enseigne à tirer de la voix les plus beaux sons dont elle est capable dans toute son étendue au-delà des bornes qui paraissent d’abord naturelles, et d’arriver à toute la flexibilité nécessaire pour exécuter les plus grandes difficultés : méthode non encore usitée en France, où l’on se contente d’enseigner le goût du chant, lorsque ce goût ne peut naître que du sentiment qui ne se communique point. […] L’extrême étendue et la grande flexibilité des voix chez Italiens, doivent certainement prévenir en faveur d’une méthode qu’on tient en partie d’eux ».8 

8Le rôle crucial du professeur est notamment souligné par Riccoboni qui importe en France la méthode italienne. Celui-ci doit savoir faire « sentir » la justesse de jeu vocal et théâtral à son élève, plutôt que de démontrer des principes livresques :

« Inutile de tracer des exemples par l’écrit. Il faut nécessairement les donner de vive voix, et que la pratique d’un habile maître en fasse sentir toute la finesse ».9 

9Développant cette pensée, Rameau souligne l’importance de l’articulation théorie-pratique :

« Les maîtres, en France surtout, ont toujours enseigné le goût du chant, sans s’occuper beaucoup des moyens qui doivent en procurer l’exécution ; ils se piquent justement d’enseigner ce qui ne dépend pas d’eux, pendant qu’ils négligent ce qui en dépend effectivement, et sans quoi toutes les leçons de goût tombent en pure perte ».10

10Pour la première fois en France, Rameau et quelques contemporains développent ainsi de nombreuses images afin de concrétiser leur propos à l’égard de l’interprète11 et espérer la reproduction efficace de leurs conseils. Les voix féminines, qui amènent à considérer un apprentissage vocal tout particulièrement différent, favorisent ce lien privilégié entre maître et élève.

1.2. Faillite d’un système de formation musicale standardisé : originalités de la formation vocale des actrices-chanteuses

1.2.1. Modèle technique et social d’apprentissage et de production féminin

11Pourtant, la formation des acteurs-chanteurs de l’opéra, bien qu’encouragée et codifiée dans les traités, connaît plusieurs limites. Tout d’abord, l’impact réel de ces textes théoriques dans le cadre de leur formation (sans doute réel, mais qu’il est difficile de mesurer précisément) ; ensuite, le niveau des institutions pédagogiques allouées à l’ARM. Les sources sont particulièrement rares à ce sujet, mais on sait que l’école de l’Opéra était décevante12 et que seuls les chanteurs des chœurs semblaient y être accoutumés :

« Si le Magasin ne fournit point de sujets à l’Opéra, c’est qu’on ne lui donne pas le temps de les former, et qu’on les débauche en chemin. Ce qui a dégoûté les Actrices et les Danseuses de former des Élèves, c’est qu’elles ne profitent de leurs leçons que pour les supplanter, et leur enlever leurs Amants ».13 

12Contrairement aux chanteurs de sexe masculin qui débutent ordinairement au sein d’une maîtrise rattachée à une église14, les chanteuses, à la manière des instrumentistes, sont contraints de se spécialiser directement auprès d’un enseignant particulier. Pourtant, si nous ne connaissons pas le détail du déroulement des années d’apprentissage, il était nécessaire pour les interprètes de se présenter à l’Académie en connaissant déjà la musique15. Sans cadre institutionnel, « l’on [pratiquait] surtout ce qu’on appellerait aujourd’hui la “formation sur le tas“ »16 et les solistes femmes de l’ARM y étaient confrontées plus tôt que leurs camarades masculins.

13Ce caractère spécifique de l’enseignement dévolu aux femmes conditionne très tôt leur stratégie d’apprentissage ainsi que leur manière d’évoluer sur scène. L’interprète du XVIIIe siècle doit faire face, d’un point de vue socio-économique, à la multiplicité des lieux de production qui l’oblige à développer une certaine diversité en termes de technique vocale. On relèvera en particulier les scènes plus intimistes que celle de l’ARM comme les salons privés de mécènes tels que celui de Louis-François de Conti (1717-1776) ou encore de Le Riche de La Pouplinière, qui favorisent les extraits d’œuvres (décontextualisés) et les airs de cour. Puis, bien entendu, le Concert Spirituel où les actrices-chanteuses de l’Opéra interprètent régulièrement des extraits d’opéras anciens et contemporains, des motets ou encore de cantates, genres dont les styles diffèrent sensiblement. Parfois, cette institution représente même l’occasion d’une première apparition sur une scène de la région parisienne, comme c’est le cas pour Marie Fel17 en 1734.
L’interprétation de ces genres lyriques là, exemptée du support de la représentation scénique comme à l’ARM, et réalisée face à un public plus restreint, oblige de fait les chanteurs à développer une technique vocale élargie – c’est-à-dire diversifier les capacités vocales (emploi des ornements, utilisation des registres) et entretenir une présence sur scène différente. En réaction, la fonction d’interprète en tant qu’artiste dans son acception moderne est alors en voie d’autonomisation. Elle donne progressivement, depuis la fin du XVIIe siècle, la part belle à l’individu : celui-ci récolte à son propre titre les effets de la réception de son art.
Au XVIIIe siècle, la troupe de l’Académie s’impose ainsi dans toute sa diversité et complexité : elle est un agglomérat plus ou moins soudés de personnalités distinctes, au talent non homogène, qui évolue séparément sur l’ensemble des scènes lyriques. Après Lully, aucun compositeur ne cumulera plus la fonction de créateur attitré et de directeur de l’établissement18. Les auteurs devront donc adapter au mieux leur œuvre vis-à-vis de cette troupe formée au préalable – sans leur avis – et dont les particularismes entrent nécessairement en compte dès le travail d’écriture. Ce travail d’adaptation est absolument crucial en ce qu’il révèle non seulement l’accompagnement du compositeur dans la formation de l’artiste (temps de répétition), mais encore l’inscription possible du signe vocal de celui-ci au sein de la partition (temps en amont de la création de l’œuvre). On relève ainsi que certains compositeurs prennent le temps de former eux-mêmes les interprètes de leurs œuvres, en particulier Destouches19.

1.2.2. Le « grain » de la voix : se différencier par l’application du savoir-faire transalpin

14Le début du XVIIIe opère une première forme de rupture avec le monologue lulliste de style archaïque. Si le compositeur est toujours loué pour ses œuvres, les nombreuses recréations qui ponctuent le siècle des Lumières font majoritairement l’objet de retouches qui remettent certains airs et récitatifs au goût du jour. Ces dernières mettent en lumière une certaine influence de la musique italienne en raison de la place faite à une plus grande virtuosité vocale. Les compositeurs tenteraient ainsi « [d’adoucir] le récitatif tant qu’ils peuvent et […] mettraient volontiers tout en airs. »20
Nous avançons que les évolutions plus ou moins subtiles des rôles d’opéras relèvent d’une évolution génétique plus large dans laquelle l’interprète a toute sa place. Chaque individu s’inscrit dans un système pédagogique qui transmet certes un savoir-faire, mais fait également acte de propositions personnelles – ne serait-ce que parce que sa voix et/ou son physique apportent sur scène quelque chose de différent et d’apprécié. C’est particulièrement le cas pour Mlle Fel dont l’aura brille de manière inédite dans les milieux sociaux gravitant autour de l’opéra : reconnue tant pour ses talents scéniques que pour sa délicatesse mondaine, Mlle Fel jouit d’un statut de diva des temps modernes avant l’heure, couplant reconnaissance sociale et richesse financière. Cependant, il ne s’agit pas d’un phénomène isolé et spontané. On peut en effet tenter de retracer l’existence de quelques chanteuses de générations précédentes qui ont en commun de trancher en terme de vocalité avec leurs contemporaines, notamment en ce qu’elles investissent une certaine technicité d’origine italienne.
Cette tendance est nettement visible dès les années 1690 avec, par exemple, Mlle Dun21 à la Musique du roi et Mlles Gherardi et Touvenelle au Théâtre-Italien. Barbara Nestola relève différents airs italiens écrits ou réarrangés par des compositeurs français (Lully, Campra, etc.) et insérés dans des œuvres jouées devant la cour et/ou à l’ARM. Elle écrit :

« Les airs da capo semblent avoir eu la préférence des chanteurs français de cette période, vraisemblablement parce que leur style était justement éloigné de l’écriture musicale des théâtres lyriques français. L’interprétation d’airs mélismatiques, usant d’une forme ternaire pouvait démarquer les chanteurs en raison de leur caractère “exotique“ ».22 

15Le succès de chanteuses telles que celles-ci souligne l’importance des échanges entre les différentes formes d’arts vocaux. Tournée vers la théâtralité en France et plutôt vers un goût de l’effet purement vocal en Italie, les tendances nationales n’évoluent absolument pas de manière isolée et hermétique l’une à l’autre. Si les goûts et les identités nationales se développent par confrontation, ceux-ci naissent aussi par imitation23, au contact d’interprètes24 – modèles vocaux vivants –, et ce, grâce aux récits de voyageurs et à la diffusion du répertoire dans les cercles italianisants (Théâtre-Italien puis Concert-Spirituel).
Les genres lyriques créés à l’ARM ne peuvent pas ne pas enregistrer de telles influences, surtout lorsqu’elles sont plébiscitées par le public ; les français maîtrisent certes mal la langue de leur voisin, mais apprécient nettement les traits vocaux qui sont importés depuis l’Italie. Or, le cas de Mlle Fel met nettement en lumière les éléments concrets de ce mélange et leur répercussion sur les rôles interprétés.

2. Marie Fel, actrice-chanteuse héritière et novatrice

16Marie Fel dessine l’une des progressions les plus extraordinaires à l’ARM. Entrée avec un salaire de 400 livres en 1733, elle en gagne 800 en 1736 puis 2.000 en 1740 ainsi que 100 livres de pain et de vin qui furent portés à 400 en 1749, dix ans avant sa retraite. Sa tessiture de « dessus » lui fait d’abord endosser des rôles secondaires légers (notamment dans les prologues et les divertissements) auxquels s’ajoutent par la suite quelques premiers rôles de ballets. Après le départ de ses aînées Mlles Pélissier et Lemaure, on lui attribue le poste d’interprète en chef des rôles tendres et touchants de princesses de tragédies.
En étudiant les spécificités de sa voix et la technique qu’elle développe, nous nous appliquerons à analyser deux choses : d’une part les éléments concrets requis pour jouer ces rôles, d’autre part, l’évolution concrète de ces derniers (soit d’un personnage à un autre au sein d’un même genre lyrique, soit à l’échelle d’un même personnage, d’une production à une autre).

2.1. Marie Fel à la croisée des influences de jeu française et italienne

2.1.1. Conquérir le public parisien : un timbre riche et brillant, un gosier agile

17Née à Bordeaux en 1713, Marie Fel est initiée par son père organiste avant d’être formée, à Paris, par la cantatrice italienne Van Loo. Son initiation à un savoir-faire hybride – à la fois au bon goût français ainsi qu’à une technique vocale italienne – marque directement ses contemporains. Ils reconnaissent la singularité de l’éducation qu’elle reçut, qui s’implanterait avec d’autant plus de facilités au regard des qualités innées de la chanteuse :

« Cette manière originale […] Mlle Fel la doit à son organe, le plus singulier et le plus égal que je connaisse. C’est avec une voix partout également franche et légère qu’elle parcourt deux gammes et demie ».25 

18Ses débuts, marqués par une très franche acclamation de la critique, mettent en avant ses connaissances musicales techniques, en surcroît d’un timbre riche et plein (notamment vers l’aigu). Ainsi, sa « voix douce et harmonieuse »26, associée à sa capacité d’ornementer souplement aux cadences transportait son auditoire :

« Le nom de Mlle Fel inspire une joie secrète. On se représente sur le champ une actrice merveilleuse. On se dit avec satisfaction, la voix de Mlle Fel est d’une précision admirable, et d’une légèreté singulière. On fait plus, on vole à l’Opéra lorsqu’elle y chante ; on la trouve toujours nouvelle, toujours brillante, c’est, dira M. l’Abbé de La Porte, auteur des vers que vous allez lire : c’est un timbre d’argent, elle chante l’Italien, et le prononce comme Mlle Faustine quand elle était bonne ».27

19Sa « voix légère et sonore »28 est décrite dans de nombreux poèmes qui, en raison de leur format, permettent de se représenter de manière imagée l’effet que Marie Fel pouvait faire sur scène. Ses contemporains insistent d’ailleurs beaucoup sur la figure du rossignol29 ; celle-ci suppose en filigrane une voix capable d’une grande variété d’effets, d’une souplesse et d’une légèreté incomparable dans l’aigu.

2.1.2. Une actrice-chanteuse « singulière » : le bon goût français rehaussé d’une virtuosité toute italienne

20C’est donc sa maîtrise de l’ornementation et de la vocalise, tels qu’instruits par Van Loo, qui marquent les débuts de la réception de ses performances auprès du public. Cette virtuosité singulière vient même au secours de rôles parfois un peu vides d’un point de vue théâtral ou que la scénographie de l’époque ne valorise pas :

« Le jeu de Mlle Fel, dans Aréthuse [dans Proserpine, reprise de 1741], n’a pu remédier à la froideur de son rôle ; mais sa voix brillante et légère a toujours un charme nouveau ».30

21Lors de sa première apparition à Paris au Concert Spirituel, un passage en particulier du motet Exurgat Deus fait le récit pur et simple de l’action même du chant. Les vocalises qui soulignent les mots « cantate » et surtout « psallite » émerveillèrent le public à la voix de la chanteuse naissante dont le jeu vocal « charmant » est ainsi mis en abyme :

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Exemple 1. Récit « Regna, regna terrae… », extrait du grand motet de Lalande, Exurgat Deus (S.71), 5e mvt

22Cette singularité – qu’elle partage avec certaines chanteuses avant elle, comme nous l’avons vu – est reconnue et très appréciée du public du fait d’une émulation sociale sans précédent :

« On peut cependant désirer encore quelque chose, c’est d’entendre l’incomparable Mademoiselle Fel chanter l’Italien. Au gosier le plus brillant, aux éclats les plus sonores, cette inimitable Actrice unit une justesse, et une précision qui n’appartiennent qu’à elle. Les étrangers ne connaissent qu’elle, et la regardent comme la première chanteuse de France ».31

23Ou encore :

« Mlle Fel [est l’]une des meilleurs actrices de l’opéra pour les rôles tendres et légers, et l’une des plus agréables chanteuses du Concert Spirituel [elle] vit dans une société d’amis distingués, dont elle est chérie et estimée ».32 

24Sa présence dans des cercles restreints, composés du même public que celui des habitués de l’ARM, multiplie son temps effectif de performance et l’érige rapidement en modèle vocal privilégié du fait de sa spécificité de jeu italianisante :

« Mais ce n’est pas assez que d’enchanter Paris ; Elle a forcé la jalouse Italie
À lui céder la couronne et le prix De l’art divin que les Lullis [sic] Ont échauffé de leur génie ».33

25Mlle Fel bénéficie tôt de mécènes d’importance, qui reconnaissent très tôt son talent et encouragent sa présence sur diverses scènes. Comme pour la majorité des actrices solistes, certains deviennent quelques fois ses amants (comme Le Riche de La Pouplinière), renforçant ainsi de manière ambiguë les raisons de son succès.

2.2. Expressivité théâtrale et vocale ou comment cultiver variété et contrastes

2.2.1. Quelles qualités théâtrales au service du drame lyrique ?

26L’agilité vocale de Mlle Fel est soutenue par une certaine vivacité et simplicité théâtrale, qualités alors louées par l’influent couple Favart, par exemple. Celles-ci sont notamment mises en avant dans les esquisses et tableaux de Quentin de La Tour. Sur son portrait daté de 175734, on la voit, tête de face, portant sans doute un élément de costume35, le cou légèrement penché sur la droite ; ses yeux et son demi-sourire sont saisissants d’expressivité. Ses habits, marque de sa profession, rappellent les raisons de son succès (les qualités appréciées du rôle joué) et soulignent la gamme d’émotion particulière de ce genre de personnage qu’elle réussit à transmettre avec justesse au public.
Il est difficile de déceler si le jeu théâtral de la chanteuse équivalait décemment sa technicité vocale. L’un de ses rares détracteurs, Charles Collé, insistant sur le caractère italianisant de ses performances, tente, dans un parti-pris au ton nationaliste, de décrédibiliser sa justesse théâtrale36. De fait, les débuts de la chanteuse semblent opérer d’un « [contraste] » entre « la finesse et la légèreté de [sa] voix » et « la froide pesanteur de sa figure »37. Cependant sa voix franche, brillante et légère, était capable de rendre le texte avec une grande précision :

« J’ose assurer que je sais un peu ce que c’est que de déclamer en musique et je viens d’entendre au Concert le plus beau morceau de déclamation qui existe. C’est le récit Venite adoremus chanté et déclamé par Mlle Fel d’une manière sublime et céleste c’est-à-dire convenable au pathétique que l’auteur lui a donné ».38

27Les genres vocaux plus intimistes, tels que l’air de cour ou encore la cantate, réclament d’ailleurs de la part de la chanteuse une subtilité dans la déclamation différente des rôles joués à l’ARM. Or, les témoignages laissent plutôt penser que Mlle Fel se serait appropriée une vraie sensibilité de jeu, dosée à travers ses gestes et sa voix. Elle aurait ainsi su rendre compte de l’expressivité nécessaire à l’interprétation des partitions qu’on lui donna, grâce à des détails de déclamation ou à son timbre en général.
Marie Fel ne fut sans doute pas une mauvaise actrice dans l’ensemble. Par ailleurs, les genres comiques lyriques en pleine effervescence, réclamant des qualités théâtrales certaines, marquèrent sa carrière. Cependant, les remarques de certains contemporains soulignent que l’effet vocal prenait le dessus sur le reste de son jeu ; il nous faut donc conclure que Mlle Fel fut une chanteuse avant que d’être une actrice, soulignant l’évolution esthétique qui s’opère au XVIIIe, au regard des débuts de l’opéra français.

2.2.2. Briller dans les rôles « légers » et varier les « styles ». Analyse de la particularité des rôles d’Altisidore et de La Folie

28La vocalise et l’art virtuose de l’ornementation en général mettent en jeu une relation spécifique entre son et sens (littéral et figuré). Les ariettes s’attachent à un nombre de mots limités, des images ou des idées simples voire symboliques. On constate une surabondance de mots-clés qui ressassent un topos poétique de l’amour usité, tels que « flamme », « volez », etc. 39. Ces types d’airs sont souvent trouvés dans la bouche de personnages secondaires comme des rôles anonymes issus de choryphées, principalement à l’occasion des moments de divertissements.
On peut cependant les retrouver auprès de quelques personnages de plus grande importance ; ce choix procède alors d’une stratégie compositionnelle toute particulière. Deux personnages furent créés sur mesure pour Marie Fel et reposent ouvertement sur un niveau de difficulté vocale élevé : Altisidore dans Don Quichotte chez la Duchesse (Boismortier & Favart) créé à l’ARM en musique en février 1743 ainsi que le rôle de La Folie dans Platée (Rameau, Autreau & Le Valois d’Orville) créé en mars 1745 dans le grand manège couvert de Versailles. Ceux-ci font montre d’une variété d’effets due à leurs caractères respectifs et proprement signifiante : elle est le reflet des masques créés par les charmes trompeurs d’Altisidore (trouble des sens) et l’essence même de la Folie (trouble de l’esprit40). La voix de Fel précédant de fait la création, elle nous oblige à considérer la finalité de ces rôles comme procédant en grande partie de la mise en valeur pure et simple de son talent.
En ce qui concerne le rôle de La Folie, le texte exprime très clairement cette stratégie en l’assimilant au divin Apollon, dieu-artiste présidant aux Muses :

« La Folie : C’est moi, c’est la Folie,/Qui vient de dérober la lyre d’Apollon. […] Je veux que les transports de son âme enchantée,/S’expriment par mes chants divers. Admirez tout mon art célèbre./Faisons d’une image funèbre/Une allégresse par mes chants. […] Le chœur : Honneur, honneur à la Folie,/Elle surpasse Polymnie ;/Honneur à ses divins accents ».41

29D’autre part, le sous-texte, faisant allusion aux amours anecdotiques des chanteuses de l’opéra qui défraient la chronique de l’époque, donne un piquant tout particulier à la mélodie très difficile de l’air à reprise « Aux langueurs d’Apollon… » (II, 5) :

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Exemple 2. Platée, air de La Folie « Aux langueurs d’Apollon… » (II, 5), mes. 257-277

30Altisidore, elle, doit enchaîner à la fin de l’acte II deux airs au caractère sensiblement différent, mais procédant d’une même virtuosité. Tout d’abord, « L’air pour charmer » qui développe une longue vocalise dont le mélisme souligne le sens direct de « voler » :

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Exemple 3. Don Quichotte chez la Duchesse, « L’air pour charmer » d’Altisidore (II, 3), mes. 99-104

31Puis un air plus moral et sérieux, mais techniquement tout aussi difficile du fait des sauts d’intervalles et des éléments ornementaux que supposent les contours mélodiques (mordants, trilles) :

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Exemple 4. Don Quichotte chez la Duchesse, idem (II, 3), mes. 122-139

32Lui-même sera suivi plus loin, après les refus répétés de Don Quichotte aux charmes de la magicienne, d’un « Air de la colère » (« C’en est assez, ingrat, insulte à ma tendresse. Mais crains ma fureur… »), variant une 3e fois le ton en une seule et même scène (II, 3).
Ces exemples attestent de la mise à l’épreuve volontaire de la voix de Mlle Fel qui rend possible la naissance de ces rôles dans ces deux œuvres, acclamés du public. Surtout, ils invitent à penser une certaine forme de transfert vocal entre les personnages secondaires que Marie Fel interprète à ses débuts vers des personnages plus étoffés qu’on lui donne d’abord dans les genres comiques/légers puis dans les tragédies lyriques.

3. L’empreinte des qualités et du jeu l’écriture ou la réécriture de certains rôles féminins au XVIIIe siècle

33Sur le long terme, l’évolution remarquable de certains emplois féminins nous invite à mettre en regard les attributs des interprètes qui les endossent et, tout particulièrement, d’interroger la possible inscription de talents singuliers tel que celui de Mlle Fel. Bien que douée, cette chanteuse au talent précoce souffre néanmoins des codes administratifs stricts de l’Académie. Elle doit attendre les années 1739-1740 avant de pouvoir prétendre accéder aux rôles dignes du niveau de reconnaissance déjà acquis auprès du public : soit, les premiers rôles galants des opéras-ballets et pastorales héroïques ainsi que les rôles tendres et touchants des princesses de tragédie dits « à mouchoir »42. Elle interprète ainsi Sangaride en 1738 (Atys), Proserpine en 1741 (Proserpine), Télaïre en 1754 (Castor & Pollux) ou encore Aricie en 1757 (Hippolyte & Aricie).
Nous pouvons tirer deux conclusions majeures de la forme de cette carrière, que voici.

3.1. La marque de la virtuosité des chanteuses « légères » sur les emplois subalternes

34Tout d’abord, Marie Fel marqua de son empreinte indélébile les emplois qui lui furent proposés en majorité à ses débuts: c’est-à-dire les rôles secondaires anonymes, dans les prologues ou les divertissements. Ainsi, avant d’accéder en 1744 au premier « rang » de l’emploi des rôles « à mouchoirs », elle ne crée pas moins de 15 rôles subalternes43 et en reprend 10 de nature identique dans des recréations à peu près à cette même période44.
Au cours du XVIIIe, on observe que la dramaturgie attribue à ces rôles une place grandissante. L’espace de danse et de célébration qui leur est spécifique se développe : il finit généralement en grandes pompes les tragédies ou les entrées de ballets. D’autre part, une même chanteuse peut interpréter au sein d’une seule œuvre plusieurs rôles de la sorte, décuplant ainsi sa présence sur scène. Or, la place attribuée à ces rôles ne cesse de croître en même temps que la reconnaissance par le public des chanteuses qui les endossent : comme Mlle Petitpas (qui meurt prématurément en 1739) mais aussi et surtout Marie Fel.
À ce titre, l’exemple le plus frappant est celui d’Hippolyte & Aricie où Pélissier et Fel interprètent, respectivement en 1733 et en 1742, pas moins de 4 rôles : la Grande Prêtresse de Diane, une Matelote, une Chasseresse ainsi qu’une Bergère. On pourra également citer Achille et Déidamie (Campra, Danchet) où Mlle Fel crée en 1735 les rôles d’une Sirène, d’une Chasseresse et d’une Bergère italienne ; ou encore Dardanus (Rameau, Le Clerc de la Bruère) où elle crée pour la première version (1739) les rôles de deux Phrygiennes et d’un Plaisir.
De même, avant que d’être nommée au premier rang des rôles « à mouchoir », on lui attribue certains personnages mineurs de ballets (genre encore malléable qui valorise l’esprit de variété) ou dans des tragédies (principalement lors des prologues ou des rôles de confidentes dans le récit principal45). Entres autres rôles, elle crée de très nombreuses fois le rôle de l’Amour46, dont l’un des lieux communs, lié au thème de l’amour qu’il incarne, consiste en une certaine légèreté vocale. À l’occasion du Ballet des sens (1751), le Mercure écrit ainsi :

« Le public est content de la manière dont les différents rôles sont remplis : on les a trouvés bien distribués, joués et chantés avec goût. Celui de l’Amour attire la principale attention : Mlle Fel y a mis tout le goût, toute la précision et tout le brillant dont elle est susceptible ».47

35De manière générale, les rôles galants des divertissements sont des éléments constitutifs d’un cosmos proprement opératique, parcouru d’effets spectaculaires (certes visuels mais aussi vocalement virtuoses) et en symbiose avec l’univers de la danse (esthétisation extrême des rapports galants codés de la bonne société). Ainsi, au sein de cet univers, la voix de Marie Fel ne pouvait manquer d’inciter les compositeurs du XVIIIe à développer des airs plus vocalisants, comme certaines chanteuses avant elles.

3.2. Transferts de vocalité vers les premiers rôles tendres et touchants

36D’autre part, mise au premier rang des emplois tendres et touchants après la retraite successive de Mlles Pélissier et Lemaure (respectivement en 1741 puis 1744), Mlle Fel invite nécessairement à prendre en compte l’idée d’une forme de transfert vocal, de ses premiers rôles anonymes « à roulades » jusqu’aux ethos plus fournis des princesses et bergères héroïques. Ces faits se confirment à l’étude des premières tragédies lyriques de Rameau : Hippolyte & Aricie (1735), Castor & Pollux (1737) et Dardanus (1739).
En effet, ces œuvres se terminent toutes conventionnellement par un grand moment de divertissement, rassemblant personnages principaux, chœurs et ballets, accompagnés d’effets scéniques spectaculaires. Si les ariettes finales sont originellement données à des personnages secondaires lors des premières versions, la distribution change par la suite et les rôles principaux les supplantent. Ainsi, l’ariette « Rossignols amoureux » de la Bergère48 est par la suite attribuée à Aricie. Dans l’extrait suivant (mesures 12 à 27), on remarque de les contours mélodiques très difficiles de la voix sont relevés et imités aux violons : l’ensemble des instruments cherchent à imiter le gazouillement de l’oiseau porteur du message d’amour et la voix se confronte au niveau technique de l’agilité des cordes.

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Exemple 5. Hippolyte & Aricie, air de la Bergère « Rossignols amoureux » (V, der)

37De même, l’air d’Iphise qui apparaît à la clôture de la 2e version de Dardanus (« Vole Hymen, l’amour t’appelle… ») est conçu comme pour une ariette finale de personnage de divertissement, tant par rapport aux paroles qu’à la musique elle-même. Dans Castor & Pollux, l’ariette finale de la Planète49 (« Brillez, brillez astres nouveaux… ») disparaît purement et simplement, remplacé par les airs des deux personnages masculins et ceux de Télaïre auparavant.
Or, dans ces trois œuvres, les personnages secondaires lors des créations puis les premiers personnages féminins lors des reprises, sont respectivement interprétés par Marie Fel. La disparition des rôles anonymes créés par la chanteuse se monnaie par l’échange de leurs airs avec les princesses, également joués par Mlle Fel. En les plaçant dans la bouche de rôles à l’ethos fondamentalement différent de ceux des divertissements, on relie ainsi artificiellement les airs au caractère fondamental des personnages qui les chantent dans la seule optique de leur faire jouer un moment vocalique virtuose. La raison est bel et bien liée aux aptitudes techniques de Fel, capable de soutenir la création de ces rôles aux lignes mélodiques vocalisante etappréciée pour cela précisément par le public de l’ARM.
De fait, les qualités vocales de Mlle Fel s’appliquent aussi bien pour des airs attribués à des personnages mineurs que pour certains premiers rôles bien précis. C’est la carrière même de Marie Fel qui dessine ces transferts et nous renseigne non seulement sur l’évolution des genres opératiques mais encore sur les éléments concrets nécessaires pour rendre compte de ces subtilités. Qu’il s’agisse de rôles dans leur ensemble (comme ceux d’Altisidore ou de La Folie, comme nous l’avons vu) ou de certaines parties de rôles réécrites spécialement en fonction de celle qui l’endosse, l’étude de voix incarnées nous permet de déceler les raisons réelles de ces changements et les clefs pour leur interprétation.

3.3. Une tradition de rôles plus vocalisants que d’autres ?

38Si certains rôles étaient conçus, dès le XVIIe siècle, pour faire entendre des airs plus brillants et agiles que les récitatifs des premiers personnages de la diégèse, on remarque que les compositeurs systématisent une répartition de l’écriture de leurs airs et récit non seulement en fonction des rôles mais encore selon les genres lyriques adoptés. Le transfert effectué par Mlle Fel se situe en même temps qu’une nouvelle vague d’écritures de pastorales héroïques50, s’inscrivant dans le sillage des succès prolifiques de ballets dont la forme est nouvellement expérimentée depuis la fin du XVIIe. Les premiers rôles féminins de ces genres-là tendent vers une épuration de l’héritage théâtral qu’accusait l’opéra depuis sa création (pas de traitement « tragique » du drame et simplification des caractères) ; dans le même temps, l’esthétique vocale propre à ces personnages se fait de plus en plus vocalisante.
En effet, certains rôles, où qu’ils puissent se trouver, incarnent une forme de virtuosité vocale liée à leur caractère. C’est notamment souvent le cas du rôle de l’Amour qu’endossa de nombreuse fois Mlle Fel, comme nous l’avons vu, aussi bien dans le cadre d’opéras-ballets que de tragédies lyriques. Or, on retrouve certains rôles vocalisants de manière privilégiée au sein des genres moins « sérieux » (l’opéra-ballet et la pastorale héroïque) qui font souvent la part belle à un univers pastoral galant. Ainsi, Fel crée dans diverses œuvres de nombreux rôles de bergères : Céphise51, Charite52, Doris53, Florise54, Lucile55 ou encore Lucie56. Son camarade Jélyotte invente même pour elle des rôles sur-mesure très légers à l’occasion d’une petite comédie-ballet de circonstance, mêlée de divertissements (Zélisca, en mars 1746 sur un livret de La Noue)57.
On pourra également se pencher sur le rôle léger d’Iphise dans Les Fêtes d’Hébé (2e entrée : « La musique ») qui se termine sur l’air brillant « Éclatante trompette », entraînant les autres personnages et tout le chœur après elle. Le personnage tendre et galant ordonne ici les jeux, suivi par l’air de la Lacédémonienne (« Voltigez, Ris et jeux… ») encore plus virtuose. La vocalise finale se construit sur pas moins de cinq mesures qui varient rythmes et types d’ornements et développent des mélismes dans le registre aigu et très aigu qui est le même que celui d’Iphise (ré3-la4). Ces éléments, en l’absence de distribution qui nous soit parvenue, supposent que ce fut sans doute Mlle Fel qui joua les deux lors de la version de 1739 (ce que confirme la seconde) ; elle brouille là encore la frontière entre les deux types de rôles, réunis sous la même bannière de la virtuosité vocale.

Conclusion

« L’art de l’acteur apparaît […] comme un jeu en mutation permanente, qui se métamorphose au gré des nouveaux règlements, imposant une traduction scénique et personnelle de ceux-ci ».58

39Le moment de l’interprétation (événement sonore et visuel éphémère) ne constitue pas un élément historique périphérique à l’œuvre musicale. Il n’est pas seulement l’illustration de certains aspects de celles-ci mais en fait partie intégrante en ce qu’il l’actualise face à un public et lui donne corps. L’interprète, même s’il se conforme à une technique et un bon goût datés, fait aboutir le geste du compositeur et du librettiste, au sein d’un complexe scénographique lui-même en évolution. C’est pourquoi, nous affirmons avec Valéry que l’interprète entre dans un jeu complexe de création et de réception des œuvres auxquelles il participe, marquant plus ou moins profondément la partition et le livret – a priori ou a posteriori de l’acte de représentation même.

« Chacun de ces êtres qui créent, à demi certain, à demi incertain de ses forces, se sent un connu et un inconnu dont les rapports incessants et les échanges inattendus donnent enfin naissance à quelque produit ».59

40L’étude est difficile car il nous faut peindre un geste ancien avec nos moyens et notre mémoire culturelle du XXIe siècle, sans pour autant effriter le frisson de nouveauté de celui-ci en son temps. Pourtant, restituer les dimensions sonores et animées d’actrices-chanteuses aussi importantes que Mlle Fel permet non seulement d’instruire plus efficacement des artistes actuels qui souhaitent reprendre ces répertoires lyriques baroques, mais affine également l’appréhension musicologique de ces œuvres d’une manière inédite car proprement concrète.
Les évolutions combinées des rôles ainsi que de l’horizon d’attente du public sont révélatrices l’une de l’autre et mettent en exergue le poids des qualités propres aux interprètes qui préexistent aux rôles. Il y a ainsi une forme d’héritage technique (notamment pour des rôle déjà créés et non réécrits), véhiculés par des textes, des images et des modèles vivants (interprètes) qui se trouve modulée par les singularités d’individus marquants – telle que Mlle Fel. L’interprétation sur la scène de l’opéra, où certains genres lyriques se cherchent encore au début du XVIIIe, est tout particulièrement soumise à une certaine forme de réappropriation personnelle et contingente, que cristallise la notion balbutiante de « style », telle que peut la défendre des pionniers de la dramaturgie moderne comme Diderot :

« […] il y a des endroits qu’il faudrait presque abandonner à l’acteur. C’est à lui à disposer de la scène écrite, à répéter certains mots, à revenir sur certaines idées, à en retrancher quelques-unes, et à en ajouter d’autres. Dans les cantabile, le musicien laisse à un grand chanteur un libre exercice de son goût et de son talent ; il se contente de lui marquer les intervalles principaux d’un beau chant. Le poète en devrait faire autant, quand il connaît bien son acteur ».60

41Sans doute aucun, le goût pour la singularité du jeu de Mlle Fel eut une répercussion réelle sur la mise en valeur des personnages incarnés et, à plus grande échelle, sur le récit au sein duquel ils prennent place. Alors que le XVIIIe siècle voit s’affronter les théoriciens des essences nationales, des qualités langagières entre France et Italie et du pouvoir du chant, Marie Fel offre une puissante synthèse entre les savoir-faire issus des deux côtés des Alpes.

Notes   

1  « L’extraordinaire intérêt manifesté par le public des deux dernières décennies de ce siècle pour la musique baroque – attisé par la découverte, au concert et par le disque, de pans entiers du répertoire musical des XVIIe et XVIIIe siècles – a suscité (notamment en France) plus de débats sur l’interprétation de ces œuvres que de réflexions sur leur forme et leur contenu. Il y avait là un monde sonore à conquérir : de nouveaux timbres, de nouveaux instruments, de nouveaux modes de jeu naissaient paradoxalement de cette quête d’une esthétique ancienne », Raphaëlle Legrand, « Quelques aspects de l’analyse de la musique baroque » in Musurgia, 4/2, Baroque : diversité des analyses, 1997, p. 7.

2  Lesley Ferris, Acting Women: image of women in theater, Prologue, Basingstoke : Macmillan, 1990 ; notre traduction.

3  Aurore Évain, L’apparition des actrices professionnelles en Europe, Paris : L’Harmattan, 2001, p. 10.

4  Quoique notre étude se concentre sur les éléments proprement techniques de l’interprétation féminine, cette dimension politique et sociale de l’actrice-chantante devra toujours être gardée en tête, afin de considérer l’influence effective de l’interprète au-delà des seules planches de l’Opéra, dans le cercle mouvant de la Cour, des Salons et d’autres théâtres privés.

5  M. P. de Montéclair, Principes de musique, 1736, p. 77.

6  J. Blanchet, L’Art, ou les principes philosophiques du chant, Paris, 2e éd., 1756, xl-xlj.

7  J.-L. de Grimarest, Traité de l’art du récitatif, 1707, chap. VII : « De la déclamation », p. 133.

8  J.-Ph. Rameau, Code de musique pratique, 1760, « plan de l’ouvrage », p. x-xi.

9  Journal de Trévoux, « Réflexions historiques et critiques sur les différents théâtres de l’Europe, avec les pensées sur la déclamation, par Louis Riccoboni », mars 1740, p. 437-438. À cette même période, Riccoboni réclame la construction d’écoles de déclamation afin d’unifier et de rendre plus performant l’apprentissage de l’art théâtral et vocal.

10  Rameau, Code de musique pratique, Paris, imprimerie royale, 1760, chapitre III : « Méthode pour former la voix », p. 12-13.

11  Le Père Yves-Marie André, Essai sur le Beau, 1741 (Amsterdam, Schneider, 1760), p. 98.

12  Les lettres-patentes de 1713 font état d’une École de Chant du Magasin (car installée à l’endroit où l’administration faisait créer les décors), rue Saint-Nicaise : « Pour parvenir à élever des Sujets propres à remplir ceux qui manqueront, sera établi une école de Musique, une de Danse, et une d’Instruments, et ceux qui y auront été admis, y seront enseignés gratuitement. » (article 2). Son niveau est néanmoins déplorable ; elle ne sera vraiment rénovée qu’en 1766 par Rebel et Francœur, avant de disparaître en 1784, remplacée par l’École Royale de Chant à l’Hôtel des Menus-Plaisirs.

13  P. A. Gaillard de la Bataille, Pensées diverses sur les filles de l’Opéra, à la suite des Mémoires pour servir de suite à l’histoire de Mademoiselle Cronel dite Fretillon (c’est-à-dire Mlle Clairon), 1750, p. 170.

14  Ces maîtrises représentent en réalité une formation assez peu adaptée à l’Opéra en particulier, mais relèvent en revanche d’une organisation très décentralisée sur le territoire français. Elles seront fermées en 1792 sans être remplacées – du moins de manière immédiate – par un système aussi ramifié et étendu.

15  « Nuls acteurs ou actrices ne seront admis s’ils ne savent assez de musique pour pouvoir étudier seuls les rôles et parties qui leur seront confiés, à moins que ce ne soit des sujets de grande espérance, et en ce cas ils seront obligés, ainsi que ceux et celles qui servent actuellement, d’acquérir dans un an ce degré de capacité, à faute de quoi ils seront renvoyés », Règlement de 1714, article XIX.

16 Jahiel Ruffier-Meray-Coucourde, Les institutions théâtrales et lyriques en Provence et leurs rapports avec les théâtres privilégiés de Paris sous l’Ancien Régime et pendant la Révolution 1669-1799, thèse soutenue en décembre 2009, p. 324.

17  « Le premier novembre, Fête de la Toussaint, il y eut Concert Spirituel au Château des Tuileries : on y chanta l’Exurgat Deus, Motet de M. de Lalande, dans lequel la Demoiselle Feld [sic] chanta pour la première fois différents récits avec beaucoup d’applaudissements, de même que la Demoiselle Petitpas et le Sr Jélyotte dans un autre motet à deux voix. », Mercure de France, novembre 1734, p. 2521.

18  Il pouvait alors, selon les lettres patentes de 1672, composer son établissement « de tel nombre et quantité de personnes qu’il avisera bon de l’être… »

19  Le Journal de la Cour et de Paris, depuis le 28 novembre 1732 jusques au 30 novembre 1733, relève par exemple que Chassé se rend auprès de lui pour travailler le rôle d’Alcide dans Omphale (bibli. Bouhier, p. 52-53).

20  Bonnier et Bourdelot, Histoire de la musique et de ses effets depuis son origine jusqu’à présent, Francfort, aux dépens de la compagnie, 1743.

21  Barbara Nestola procède à un inventaire des airs italiens (forme Da Capo) chantés par Mlle Dun au sein de différents opéras dans son article « Italian music, French singers. Reception and performance practice on the Parisian stage at the beginning of the eighteenth century » in Damien Colas et Alessandro Di Profio, D’une scène à l’autre, l’opéra italien en Europe, vol. 1, Mardaga, 2009, p. 259-260.

22  Barbara Nestola, ibid., p. 260 ; nous traduisons.

23  « Dans le domaine vocal, l’Italie restait le modèle de référence qui avait prévalu durant tout le XVIIIe siècle. », EMMANUEL HONDRÉ, Le Conservatoire de Paris et le renouveau du « chant français », in Romantisme, 1996, no 93, p. 85.

24  Le Mercure se fait régulièrement l’écho de l’actualité d’autres scènes européennes comme en janvier 1726, où la revue fait ainsi état des principales étoiles italiennes de l’époque (p. 93-95), citant La Margarita de Bologne, Anne-Marie Manarini (« fameuse par sa belle voix, sa belle taille, et sa beauté personnelle »), et remontant jusqu’à Adriana Mantouana, chanteuse de l’époque de Monteverdi et « miracle de son temps ».

25  F. M. Grimm in Mercure de France, mai 1752, p. 187.

26  Mercure de France, novembre 1734, p. 2053.

27  D’Aquin de Château-Lyon, Siècle littéraire de Louis XV ou Lettres sur les hommes célèbres, Amsterdam, Duchesne, t. 1, 1754, p. 174.

28  Idem.

29  « Croirait-on te vanter beaucoup, en comparant tes accords à ceux de Philomèle ? Non ; les sons uniformes et inarticulés du tendre Rossignol, ont-ils l’expression, l’âme et la vie des tiens ? Toujours belle, toujours séduisante, chaque son que tu fais éclore, est un sentiment qui pénètre le cœur et qui captive les sens », D’Aquin de Château-Lyon, Siècle littéraire de Louis XV…, éd. citée, t. 1, p. 175.

30  E. G. J. Grégoir, Les Gloires de l’Opéra et la musique à Paris, Bruxelles : Schott, 1880, t. 2, p. 212.

31  D’Aquin de Château-Lyon, Siècle littéraire de Louis XV…, éd. citée, t. 1, p. 208.

32  J. de La Porte et J.-M. Bernard, Anecdotes dramatiques, Paris : Veuve Duchesne, t. 3, 1775, p. 189.

33  J.-B. Guis in Mercure de France, décembre 1752, p. 104-105.

34  M. Q. de La Tour, Marie Fel, 1757, pastel sur papier, 32 x 24 cm, Saint-Quentin : Musée Antoine-Lécuyer.

35  Sans doute cette petite toque orientale de gaze bleue ornée d’un galon d’or est-elle celle d’Amélite dans Zoroastre, rôle qu’elle créé en 1749.

36  « Mlle Chevalier et Mlle Felsont bien éloignées d’être des actrices, surtout la dernière, dont la voix, légère et parfaite en ce genre, n’est bonne que pour des ariettes. », C. Collé, Journal et mémoires…, Paris : Firmin Didot Frères, fils et Cie, 1868, t. 1, p. 51, « février 1749 ».

37  Lettres de Thérèse par Bridard de La Garde, éd. citée, t. 3, Lettre XIX (vers 1738), p. 77.

38  F. M. Grimm, Correspondance littéraire, philosophique et critique, t. 15, Paris, p. 312.

39  « [...] un roulement sur le mot chaîne, représente les anneaux d’une chaîne ; sur le mot foudre, l’éclat et la chute de la foudre ; sur le mot voler, le mouvement d’un vol, sur le mot descendre, les degrés d’une décente etc. Et cette représentation de l’objet matériel est plus ou moins nécessaire, selon l’occasion ; mais est toujours supportable c’est toujours une image », Le Cerf de la Viéville, Comparaison…, p. 203.

40  Pour le représenter à la scène 5 de l’acte II, Momus et la Folie sont suivis par des personnages de ballet cristallisant cette ambivalence de caractère : des personnages gais (en habits de pompons) et d’autres sérieux (en habits de philosophes grecs).

41  Platée, II, 5.

42  Cet emploi est considéré comme le plus élevé avec celui des rôles dits « à baguette » (reines et magiciennes) qui se présentent généralement comme le miroir sombre de la condition féminine telle que représentée sur scène (charme, magie, hubris au regard de la douceur larmoyante et chaste des princesses).

43  Une Sirène, une Chasseresse et une Bergère italienne dans Achille & Déidamie, 1735 (Campra et Danchet) ; une Sybarite dans la 2e Entrée des Grâces, 1735 (Mouret et Roy) ; une Africaine et un Masque dans les 3e et 4e entrées des Génies, 1736 (Mlle Duval et Fleury) ; une Thébaine dans la 3e entrée du Triomphe de l’Harmonie, 1737 (Grenet et Le Franc) ; une Jeune Esclave dans la 1re entrée des Fêtes d’Hébé, mars 1739 et à sa reprise au mois de juin (Rameau et Montdorge) ; une Phrygienne, une autre Phrygienne et un Plaisir dans Dardanus, nov. 1739 (Rameau et La Bruère) ; une Bohémienne dans Les Fêtes Vénitiennes, 1740 (Campra et Danchet) ; un Génie des Arts Agréables, une Nymphe et une autre Bergère dans les 2e et 3e intermèdes de Zélisca, 1746 (Jélyotte et De La Noue).

44  Une Matelote dans Médée & Jason, 1736 (Salomon et Pellegrin) ; une Matelote dans la 1re Entrée des Amours des Dieux, reprise de 1737 (Mouret et Fuzelier) ; une Assyrienne, une Bergère et une Africaine dans Pyrame & Thisbé, reprise de 1740 (Rebel et Francoeur) ; une Matelote, une Bergère et une Prêtresse dans Hippolyte & Aricie, reprise de 1742 (Rameau et Pellegrin) ; une Matelote dans la 1re entrée des Indes Galantes, 1743 (Rameau et Fuzelier) ; une Phrygienne dans Dardanus, reprise de 1744 (Rameau et La Bruère).

45  Elle interprète les rôles vocalisants d’Élise (Jephté, reprises de 1738, 1740 et 1744) et de Mélisse (Atys, reprise de 1738) ainsi que le rôle de Vénus dans le prologue de Dardanus (reprise de 1744).

46  C’est le cas dans Les Grâces (1735), Les Romans et Les Génies (1736), le Triomphe de l’Harmonie (1737), Castor & Pollux (1737), Les Fêtes d’Hébé (1739 et à sa reprise de 1747), ainsi que pour des reprises de Cadmus & Hermione (1737), de Dardanus (1744) et du Ballet des sens (1751).

47  Mercure de France, juin 1751, p. 150.

48  J.-P. Rameau, Hippolyte & Aricie, acte V, scène dernière.

49  J.-P. Rameau, Castor & Pollux, acte V, scène dernière.

50  Amorcée avec Isbé de Mondonville (1742) et marquée par les créations de Rameau : Zaïs (1748), Naïs (1749), Acanthe & Céphise (1751).

51  Lors de la reprise de L’Europe galante (1re entrée : « La France »), opéra-ballet de Campra (1736 à l’ARM) et de celles d’Alceste, tragédie lyrique de Lully et Quinault (1739 et 1757 à l’ARM) ; dans Le Pouvoir de l’Amour, opéra-ballet de Royer et Voisenon (1re entrée), créé en 1743 à l’ARM ; dans Acanthe & Céphise, pastorale héroïque de Rameau et Marmontel, créée en 1751 à l’ARM.

52  Dans Isbé, pastorale héroïque de Mondonville et Rivière, créé en 1742 à l’ARM.

53  Dans Le Triomphe de l’Harmonie (2e entrée : « Hilas »), opéra-ballet de Grenet et Franc, créé en 1737 à l’ARM ; dans Les Caractères de l’Amour, opéra-ballet de Blamont, Ferrand, Tanevot et Pellegrin (1re entrée : « L’Amour volage »), créé en 1738 à l’ARM ; ou encore pour la reprise d’Issé, divertissement de Destouches et La Motte, en 1741 au Palais Royal.

54  Dans Les Caractères de la Folie, opéra-ballet de Bury et Pinot-Duclos (1re entrée : « L’Astrologie »), créé en 1743 à l’ARM.

55  Dans Les Voyages de l’Amour (2e entrée : « La ville »), opéra-ballet de Boismortier et Le Clerc de La Bruère, créé en 1736 à l’ARM.

56  Lors de la reprise des Fêtes Vénitiennes (3e entrée), opéra-ballet de Campra, en 1740 à l’ARM.

57  Un Génie des Arts Agréables (1er intermède), une Nymphe (2e intermède), une autre Bergère (3e intermède).

58  Sabine Chaouche, « Naissance de l’interprétation de l’opéra-comique sur les scènes des Lumières », in Agnès Terrier & Alexandre Dratwicki (dir.), L’invention des genres lyriques français et leur redécouverte au XIXe siècle, Symétrie et Palazzetto Bru Zane, 2010, p. 182.

59  Paul Valéry, Au sujet d’Adonis, XIV.

60  D. Diderot, Entretiens sur le Fils Naturel in Œuvres complètes de Diderot, Paris, 1819 (2e éd.), t. 6, p. 372.

Citation   

Lola Salem, «Une voix incarnée à l’épreuve des sources : Marie Fel ou l’héritage renouvelé du jeu lyrique à l’époque ramiste», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Vers une éthique de l'interprétation musicale, mis à  jour le : 30/04/2018, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=849.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Lola Salem

Élève normalienne, Lola Salem a engagé un cursus transdisciplinaire, avec un master en Musicologie (ENS de Lyon) et un second en Esthétique et Philosophie de l’Art (Paris-Sorbonne), enrichis par des cours à l’ENS de Paris ainsi qu’une année à l’Université d’Oxford.
Sa recherche sur l’opéra des XVIIe et XVIIIe siècles, son histoire et ses enjeux esthétiques et politiques, est traversée par l’envie de conjuguer travaux théoriques et pratiques, héritage de ses engagements dans la jeune création théâtrale, de sa pratique musicale et de son activité de critique (I/O Gazette). Elle s’intéresse aux agents de la création et plus particulièrement de genre féminin, ainsi qu’à l’évolution des figures archétypales qui leurs sont associés, depuis les bergères et tendres princesses jusqu’aux magiciennes et monstres issus de la Bible, des mythes antiques ou créés par un merveilleux plus proprement baroque.