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Prêt-à-porter ou coupe sur mesure ?
Liberté et contraintes dans l’interprétation de la Sequenza III de Berio

Philippe Lalitte et Vincent Grepel
octobre 2017

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.829

Résumés   

Résumé

La Sequenza III (1965-1966) pour voix de femme de Luciano Berio est l’une des œuvres phares du répertoire vocal soliste après 1945. L’œuvre constitue l’apogée d’une fructueuse collaboration avec Cathy Berberian qui ne s’interrompit qu’avec la mort de la cantatrice en 1983. Connaissant parfaitement les possibilités vocales de la chanteuse, la Sequenza III a été « non seulement écrite pour Cathy, mais sur Cathy » ainsi que l’affirme le compositeur. Il est alors légitime de se poser la question du devenir de l’œuvre, Sequenza III n’étant nullement réservée, dans l’esprit de Berio, à une interprète unique. Afin de répondre à cette question, cet article s’attache à analyser cinq interprétations enregistrées. L’analyse des données temporelles et sonores a permis d’apporter un éclairage sur l’évolution de l’œuvre au fil de ses occurrences enregistrées, la directionnalité temporelle inférée par telle ou telle performance, la créativité des interprètes et l’influence possible des deux enregistrements historiques de Berberian.

Abstract

Sequenza III (1965-1966) for Female Voice by Luciano Berio is one of the leading pieces in the solo vocal repertoire after 1945. The work is the culmination of a fruitful collaboration with Cathy Berberian, which was interrupted until the singer’s death in 1983. Perfectly knowing the singer’s vocal possibilities, Sequenza III was “not only written for Cathy, but about Cathy”, as the composer asserts. It is then legitimate to ask the question of the fate of the work, since Sequenza III was by no means reserved, in Berio’s mind, to a singular performer. In order to answer this question, this article analyses five recorded performances. Temporal and sound data analysis made it possible to shed light on the evolution of the work through its recorded occurrences, the temporal directionality inferred by this or that performance, the creativity of the performers and the possible influence of Berberian’s two historical recordings.

Index   

Texte intégral   

Introduction

1La Sequenza III (1965-1966) pour voix de femme de Luciano Berio est l’une des œuvres phares du répertoire vocal soliste après 1945. Elle reste l’une des plus interprétées en concert si l’on en juge par les innombrables versions postées sur YouTube. Avec quelques autres, telles que Aria (1958) ou Song Books (1970) de John Cage, Stripsody (1966) de Cathy Berberian, Récitations (1978) de Georges Aperghis ou encore Trois chants sacrés (1982-1990) de François-Bernard Mâche (1935), la Sequenza III constitue la base incontournable du répertoire de toute chanteuse spécialisée en musique contemporaine.
Chacune des quatorze Sequenze provient de la rencontre avec un interprète particulier. Berio se nourrit de ses possibilités techniques et expressives, voire de sa personnalité, pour en établir le portrait musical. La Sequenza III ne déroge pas à la règle puisqu’elle a été écrite pour Cathy Berberian qui fut l’épouse du compositeur de 1950 à 1964. Berio fit connaissance de la cantatrice en 1949 alors que celle-ci vint poursuivre ses études de chant avec Giorgina del Vigo au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan où le jeune compositeur était étudiant en composition et pianiste accompagnateur. Débuta alors une fructueuse collaboration1 dont la Sequenza III fut l’apogée et qui ne s’interrompit qu’avec la mort de la cantatrice en 1983. La voix, la technique, le talent de comédienne, la personnalité de Cathy Berberian ont joué un rôle considérable dans l’élaboration de ces pièces et plus particulièrement de la Sequenza pour voix de femme. Le compositeur l’a d’ailleurs affirmé sans détours : « Sequenza III est non seulement écrite pour Cathy, mais sur Cathy »2. De même, la cantatrice, revenant sur sa collaboration avec Berio lors d’un entretien avec le musicologue Lucio Mancini datant de 1978, a déclaré : « Il sait utiliser parfaitement ma voix car il en connaît très bien les défauts et les qualités. Toutes les pièces qu’il a faites pour moi sont toujours comme les robes faites sur mesure. Et c’est lui le grand couturier »3.
Il est alors légitime de se poser la question du devenir de l’œuvre, Sequenza III n’étant nullement réservée, dans l’esprit de Berio, à une interprète unique. Célestin Deliège avait déjà souligné le paradoxe de cette œuvre : « Les enregistrements de Cathy peuvent servir de modèle, ce modèle a d’ailleurs déjà été repris et non sans un certain succès, mais la question qui se pose est de savoir si c’est utile de le faire et si l’œuvre peut véritablement retrouver un sens, si ce n’est celui de se souvenir de l’interprète d’origine »4. Le modèle d’interprétation proposé par Berberian étouffe-t-il toute tentative d’évolution de l’œuvre ? Les autres interprètes ont-elles gardé, ajusté ou décousu la « robe faite sur mesure » pour la dédicataire et créatrice de l’œuvre ? Ont-elles réussi à insuffler leur propre personnalité ?

2Afin de répondre à ces questions, cet article s’attache à analyser quelques interprétations de la Sequenza III. Il se focalisera presque exclusivement sur la temporalité car aborder d’autres aspects essentiels tels que la vocalité ou la théâtralité nécessiterait des analyses spécifiques qui déborderaient du cadre imparti. Malgré la multitude de versions en concert disponibles sur internet, nous avons limité notre corpus à cinq enregistrements commercialisés dont on dispose des informations précises sur les interprètes et les conditions d’enregistrement.  Trois de ces enregistrements ont été supervisés par le compositeur, ceux de Cathy Berberian (1967 et 1969) et Luisa Castellani (publié en 1998)5, à la différence de ceux d’Isabelle Ganz et de Tony Arnold (les deux publiés en 2006). Signalons encore que Castellani, Ganz et Arnold ont été reconnues par la critique spécialisée comme les « Cathy Berberian » de leur génération.
La présente analyse de l’interprétation se fonde sur une méthodologie empirique à base de collectes de données numériques qui permettent de mesurer les écarts entre les différentes versions de l’œuvre et d’en donner une analyse esthétique. Il ne s’agit en aucun cas d’évaluer ces performances afin de prescrire une version de référence comme le ferait la critique de disque. L’objectif est clairement d’apporter un éclairage sur des questions telles que l’évolution de l’œuvre au fil de ses occurrences enregistrées, la créativité des interprètes, l’influence possible des premières versions enregistrées par Berberian et la directionnalité temporelle inférée par telle ou telle interprétation. Après une présentation succincte de l’œuvre et du corpus d’enregistrements, la démarche menée s’articulera autour de trois grands axes : une analyse de la durée totale et des silences, une analyse des profils temporels et une analyse plus globale fondée sur plusieurs paramètres.

1. Présentation succincte de l’œuvre

3La Sequenza III ayant été abondamment commentée et analysée (voir la bibliographie en fin d’article), nous ne donnerons ici que quelques éléments clés pour offrir au lecteur non familier de l’œuvre quelques repères analytiques. Cette présentation se focalise sur les trois plans imbriqués et combinés avec lesquels l’interprète doit « composer » son interprétation : les gestes vocaux, le texte et les indications expressives.
La Sequenza III poursuit le travail sur la voix entamé depuis Thema Omaggio a Joyce (1958), Circles (1960) et Visage (1961), œuvres liées à la voix de Cathy Berberian, laquelle, estime Berio, est « une sorte de second Studio de phonologie »6. La vocalité, empruntant des routes sinueuses dont les effets ne sont pas sans rappeler parfois certains modes de jeu d’instruments à vent ou à cordes, montre à quel point Berio explore les limites physiques et techniques de son interprète de prédilection. Loin de se contenter des modes d’émission traditionnels, la Sequenza III exploite des comportements vocaux non conventionnels (bouche fermée, chuchotement, sanglots, trille de langue, claquement de bouche, son étouffé avec la main devant la bouche…), des bruits corporels (toux, inspiration, souffle, claquement de doigts ou de lèvres…), ainsi que plusieurs types de rires car, selon le compositeur, celui-ci « est le générateur de beaucoup d’autres  articulations, moins quotidiennes, moins directes, mais plus cultivées, plus complexes… »7. Plusieurs auteurs (Anhalt8, Dalmonte et Frasnedi9, Ramazzotti10) s’accordent sur l’idée que la pièce fonctionne sur l’opposition entre deux systèmes sémiotiques distincts, d’une part des événements chantés/continus (hauteurs déterminées, intervalles classés) et des événements discontinus plus libres sur le plan des hauteurs et des durées constitués de boucles, de traits rapides ascendants ou descendants, d’inflexions vocales entre le parlé et le chanté, de bruits vocaux ou corporels qui sont notés dans la partition avec des symboles spécifiques. De ce point de vue, la parenté de la Sequenza III avec les pièces de musique électronique du compositeur semble évidente. Sequenza III réalise avec la voix seule ce que Berio avait expérimenté dans Thema avec le traitement électronique de la voix et dans Visage avec des sons de synthèse. Quoi qu’il en soit, l’interprète est en présence d’une grande variété de sonorités dont il faudra saisir les potentialités et les connotations sémantiques associées.
Comme le compositeur l’a mentionné dans son introduction à l’œuvre11, pour vérifier ce vaste répertoire de gestes vocaux et corporels, Berio a demandé à Markus Kutter d’écrire un texte court qu’il pouvait déconstruire afin d’en recomposer les fragments en tant qu’unités musicales et non plus linguistiques. Le texte comporte trois phrases, chacune divisée en trois groupes de mots, décomposables eux-mêmes en syllabes, puis en phonèmes : Give me / a few words / for a woman // to sing / a truth / allowing us // to build a house / without worrying / before night comes. Ces fragments sont parsemés par Berio de manière à ce que le sonore prédomine sur la sémantique, ce qui conduit, en dehors de quelques passages où le texte est compréhensible, à une perte ou une ambiguïté de sens. Cependant, cette mise entre parenthèses du sens peut être compensée par le jeu théâtral dont certaines interprètes ne se privent pas de s’emparer. Si le discours est effectivement morcelé, trituré, fragmenté, transformé, la présence de fragments textuels endossant un rôle sémantique imprime à l’œuvre une certaine directionnalité. D’après Janet K. Halfyard12, les mots qui apparaissent en clair dans les passages chantés sur des hauteurs déterminées sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure du déploiement. En outre, il faut remarquer qu’à partir du dixième système, le texte apparaît plus fréquemment sous forme de quasi phrases. Le mouvement général de la pièce conduirait donc à une recomposition progressive du sens.
Les actions vocales et les fragments de textes sont confrontés à un troisième plan constitué d’une trentaine d’indications expressives13 qui se succèdent, se bousculent, se chevauchent presque, s’opposent parfois et réapparaissent, mais toujours associées à un nouveau contexte. Cette facette de l’œuvre illustre une double tendance de Berio à s’échapper de la tradition opératique avec ses airs aux affetti standardisés, comme il a cherché à s’émanciper du carcan des conventions du chant lyrique, en se rapprochant néanmoins de la dimension polyphonique de l’opéra. Ainsi, tout en conservant le statut de la voix comme vecteur privilégié de l’émotion, Berio renouvelle drastiquement la manière de traiter musicalement les états psychologiques. La rapidité et la fugacité des associations entre comportements vocaux, proto-langage/langage et affects place l’interprète dans une tension extrême tout en lui offrant une palette expressive incroyablement riche qu’elle pourra adapter à son tempérament et ses caractéristiques vocales. D’un autre côté, Berio s’émancipe de la monodie pour voix seule en créant en quelque sorte une polyphonie d’affects comme on peut en trouver dans les ensembles à l’opéra. La Sequenza III donne à l’interprète la possibilité de jouer à elle seule différents personnages et de les faire dialoguer. Les affects pourraient donc assumer un ersatz de fonction polyphonique.
Pour conclure cette présentation succincte de la Sequenza III, nous aborderons brièvement la question de la liberté d’interprétation et de la fidélité au texte que posent nombre d’œuvres des XXe et XXIe siècles. La partition de la Sequenza III14 est écrite en notation proportionnelle, procédé déjà employé dans la Sequenza I et que l’on retrouvera dans d’autres œuvres de Berio. Chacune des trois pages est divisée en quatre ou cinq systèmes, eux-mêmes subdivisés en quatre segments de 10 secondes (indiqués par des barres au-dessus des systèmes). Il s’agit de fournir à l’interprète des repères chronométriques à l’intérieur desquels sont notés un nombre plus ou moins grand d’événements.  Ce type de notation offre une grande marge de liberté rythmique à l’interprète et il est intéressant de noter que la Sequenza pour voix seule n’a pas connue de version en notation mesurée, comme ce fût le cas pour les Sequenze I et VII. L’impact de la notation sur l’interprétation a d’ailleurs été mis en évidence par Folio et Brinkman15 pour la Sequenza pour flûte et par Alessandrini16 pour la Sequenza pour hautbois. Le fait qu’il n’ait pas cherché à réécrire la Sequenza III avec une notation plus stricte semblerait indiquer que Berio était satisfait de la notation proportionnelle pour cette pièce. En revanche, nous savons que Berio avait eu la tentation, étant mécontent d’autres interprétations que celle de Berberian, de transcrire la pièce pour deux voix17.

4Enfin, il faut évoquer l’architecture de l’œuvre qui peut engendrer différentes lectures en fonction du point de vue adopté. Certains se fondent sur l’organisation du texte et de l’émergence d’une sémantique, d’autres sur la répartition des gestes vocaux, d’autres encore sur les catégories d’émotions. Un autre élément permet une segmentation de la pièce plus simple et, peut-être, plus conforme à la perception de l’œuvre. Nous avons choisi une segmentation fondée principalement sur la durée et la position des silences (indiqués dans la partition par des crochets), et donc sur la densité globale d’apparition des événements. Bregman18 ou Tenney et Polansky19 considèrent que la proximité temporelle et la similarité sont les deux principaux facteurs de cohésion et de ségrégation impliqués dans la formation de groupements en musique. Par conséquent, deux éléments sonores séparés par un laps de temps relativement grand (un son tenu, un silence, une résonance) produisent une ségrégation perceptive.
Nous pouvons d’emblée constater que la quantité de silences notés est importante dans la partition jusqu’à la moitié du deuxième système de la page 2, alors qu’ensuite les silences notés sont absents. D’autres facteurs viennent renforcer cette segmentation en deux parties : d’une part les occurrences des fragments de textes apparaissant en clair dans les passages chantés sont de plus en plus nombreux à partir de la deuxième moitié du deuxième système de la page 2, d’autre part les événements chantés/continus (hauteurs déterminées, intervalles classés) prennent le pas sur les événements discontinus/bruités à partir du neuvième système. Pour résumer, l’œuvre pourrait être divisée en deux parties plus ou moins égales : la première (A : p. 1, I, 1 à p. 2, II, 2) laissant encore place au silence et durant laquelle très peu de texte est perceptible, la seconde (B : p. 2, II, 3 à p. 3, IV, 4) bien plus dense et sans silence, dans laquelle le texte devient nettement plus perceptible. Ce découpage en deux parties nous servira à comparer les interprétations du point de vue de la temporalité.

2. Corpus des interprétations analysées

5Cathy Berberian, la dédicataire de l’œuvre, a créé la Sequenza III à la radio de Brême en 1966. Un an plus tard, elle réalisa le premier enregistrement au Studio Angelicum de Milan publié en 1967 chez Wergo. Trois ans après, elle enregistra une seconde version au Studio de la RTSI de Lugano, publiée en 1970 chez Philips. Ces deux enregistrements, qui restent encore aujourd’hui une référence, permettront de vérifier dans quelle mesure la cantatrice a fait évoluer son interprétation. Trois enregistrements plus récents, réalisés entre 1994 et 2002, complètent ce corpus (Tableau 1). Luisa Castellani a enregistré sa propre version entre octobre 1994 et juillet 199720 pour la première intégrale des Sequenze (sans la XIVe composée en 2002), avec les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, publiée en 1998 chez Deutsche Grammophon. La quatrième version est celle d’Isabelle Ganz, enregistrée en 1996, pour une deuxième intégrale des Sequenze (avec en plus d’autres pièces solistes) publiée en 2006 chez Mode records. La cinquième version est celle de Tony Arnold enregistrée en 2002, pour une troisième intégrale des Sequenze publiée en 2006 chez Naxos.

Interprète

Références discographiques

Date et lieu d’enregistrement

Ingénieur du son et producteur

Cathy Berberian 1

Luciano Berio ‎– Circles,Sequenza I, III, V. LP Wergo WER6021, 1967 ; CD Wergo 6021-2, 286021-2, 1991.

1967, Studio Angelicum, Milan.

Probablement Thomas Gallia (IS et P)

Cathy Berberian 2

Sequenza III & VII, Différences, Due Pezzi, Chamber Music – Luciano Berio, Cathy Berberian, Heinz Holliger, Julliard Ensemble. LP Philips 426662, 1970 ; CD Philips 426662-2, 1991.

avril 1969, Studio de la RTSI, Lugano.

Hans Muller-Talamona (IS), Diego Fasolis et Frederique Schumacher (remastering)

Isabelle Ganz

Berio : Sequenzas & Solos works, CD Mode records 161-4, 2006.

11 octobre 1996, Lenfell Hall,  Fairleigh Dickinson University (Madison, New-Jersey).

David Avidor (IS), Brian Brandt et Marc Sabat (P)

Luisa Castellani

Berio : Sequenzas, Ensemble Intercontemporain. CD Deutsche Grammophon 477 9565, 1998.

L’une de ces dates 10/1994, 6/1995, 7/1996, 7/1997, IRCAM Studio/Espro

Helmut Burk (P), Jürgen Bulgrin (IS)

Tony Arnold

Berio :Complete Sequenzas, alternate Sequenzas & Solo Works,  CD Naxos 8.557661-63, 2006.

26 janvier 2002, St-John Chrysostom Church, Newmarket, Ontario (Canada).

Norbert Kraft (IS), Bonnie Silver et Norbert Kraft (P)

Tableau 1. Corpus des enregistrements de la Sequenza III par ordre chronologique.

6Les enregistrements de Berberian (1 & 2) et Castellani ont été supervisés par le compositeur. Aucune indication ne laisse penser que Berio ait assisté aux enregistrements de Ganz et d’Arnold. Il faut, en guise de précision, mentionner le fait que trois enregistrements l’ont été en studio (Berberian 1 & 2, Castellani). La version de Ganz a été enregistrée dans une grande salle (Lenfell Hall de l’université Fairleigh Dickinson) et celle d’Arnold dans une église (St-John Chrysostom Church, Newmarket). Ces deux dernières versions ont logiquement les temps de réverbération les plus longs21. La version de Castellani possède une acoustique très sèche sans réverbération artificielle ajoutée. La prise de son montre également des différences notables des micros qui semblent avoir été très proches de la chanteuse pour les versions de Berberian 1 et Castellani, contrairement aux autres où l’ambiance de salle est plus présente. Notons enfin que des effets de panoramique semblent avoir été ajoutés au montage de la première version de Berberian, notamment au début de la pièce où le son se déplace de droite à gauche pour simuler le déplacement de la chanteuse des coulisses à la scène. Cette version est également celle qui pâtit du bruit de fond le plus important.

3. Analyse de la durée globale et de la proportion de silence

7Tout d’abord, nous allons nous intéresser à la durée totale de chaque enregistrement (Tableau 2). Nous pouvons constater que celle des enregistrements de Berberian 1 (526,98 secondes) et Ganz (519,32 secondes) est très proche. Qui plus est, il semble qu’elles ont cherché à se rapprocher de la durée totale suggérée par Berio (520 secondes, soit 8’40). Curieusement, la version de notre corpus qui s’éloigne le plus de la durée théorique est celle de Berberian enregistrée en 1969 avec une durée inférieure de 107 secondes (413,78 secondes).
Concernant le ratio de durée entre les deux parties, les interprètes sont globalement respectueuses des proportions souhaitées par Berio (220 secondes pour la partie A, soit 42,30 % ou 2/5ème), bien qu’elles soient toutes en avance. De ce point de vue, les différences entre les interprétations sont assez faibles, sauf pour Berberian 1 qui possède une partie A beaucoup plus courte et une partie B plus longue que les autres.

Berberian 2

Arnold

Castellani

Ganz

Berberian 1

Partie A

(sec. et %)

162,6 (39,3 %)

189,1 (41,9 %)

209,1 (42,2 %)

209,5 (40,3 %)

193,85 (36,8 %)

Partie B

(sec. et %))

251,1 (60,7 %)

262,1 (58,1 %)

286,2 (57,8 %)

309,9 (59,7 %)

333,13 (63,2 %)

TOTAL

413,78

451,19

495,29

519,32

526,98

Tableau 2 : Proportions temporelles de la pièce par ordre croissant.

8Nous allons maintenant vérifier si la forme bipartite progressive, dont nous avons fait l’hypothèse, transparaît dans les interprétations. Pour ce faire, nous avons extrait manuellement à partir des fichiers audio la quantité de silences22, et calculé le ratio événements chantés/silences. Le tableau 3 présente, pour chaque partie, la durée en secondes de silence et de chant, le pourcentage de silence et la durée du plus long silence. Nous pouvons observer une tendance globale à réduire les passages silencieux dans la seconde partie, conformément à la partition qui comporte plus de silence dans la partie A que dans la partie B. Dans cette dernière, on peut entendre des respirations plus courtes, des tenues chantées plus longues et l’absence totale de pause excédant plus d’une seconde et demie. Si l’on examine le placement des silences, on s’aperçoit que les silences les plus significatifs sont, pour toutes les interprètes, placés aux mêmes endroits, ceux indiqués par des crochets dans la partition. Quelque soit la durée totale de leur enregistrement, les interprètes ont respecté ces silences « structuraux ».
Alors que le pourcentage de silence dans chaque partie varie d’une interprète à l’autre, le pourcentage total rapproche d’une part les deux versions de Berberian (± 7 %), malgré la différence notable de leurs durées respectives (celle de 1967 étant la plus longue de toutes les interprétations de notre corpus, alors que celle de 1969 est la plus courte), et d’autre part celles d’Arnold et Ganz (± 5 %). On aurait pu imaginer que la durée des silences soit imputable, en partie, au temps de réverbération de la salle d’enregistrement. Dans la seconde partie notamment, un temps long de réverbération devrait inciter l’interprète à respecter un certain délai avant d’attaquer une nouvelle phrase afin de ne pas produire de brouillage alors que le son n’est pas totalement absorbé. Mais, il semble qu’il n’en soit rien, les deux versions enregistrées dans des espaces plus réverbérants qu’en studio (Arnold et Ganz), ayant des pourcentages de silence plus courts que celles de Berberian. C’est dans la version de Castellani que le silence est le moins présent. Il ne représente au total que 3,55 % de la durée et dans la partie B seulement 1,55 %. Il est possible que cette interprète possède une grande maîtrise de son flux d’air qui lui permet d’enchaîner plusieurs segments sans respirer. Cette hypothèse semble confirmée si l’on compte le nombre de courts silences dus à une prise d’air ou à une brève césure (Arnold 25, Berberian 1 51, Berberian 2 28, Castellani 20, Ganz 31). Clairement, Castellani est l’interprète qui respire le moins (ou si discrètement que l’enregistrement ne les capte pas) et Ganz celle qui respire le plus souvent. Le nombre important de courts silences dans la version de Berberian 1 est plus problématique. Plutôt qu’aux prises d’air ou aux césures dues à la cantatrice, il semblerait que ces courts silences soient la conséquence de nombreux points de montage. Cet aspect de l’enregistrement pourrait rapprocher cette version d’une esthétique plus « électroacoustique ». En tout cas, la proportion de courts ou de longs silences est un facteur non négligeable qui impacte le style des interprétations en induisant chez l’auditeur un sentiment plus ou moins fort de compacité ou au contraire d’aération.

Interprètes

Position temporelle des parties

Silence (sec.)

Chant

(sec.)

% de silence

Plus long silence

(sec.)

% total de silence

Castellani

A (0'00 - 3'29)

13

196

6,20

2,79

B (3'29- 8'15)

4

282

1,55

1,26

3,55

Arnold

A (0'00 - 3'09)

17

172

8,99

3,57

B (3'09 - 7'31)

7

255

2,67

1,15

5,6

Ganz

A (0'00 - 3'29)

16

194

7,58

3,89

B (3'29 - 8'40)

12

298

3,96

1,12

5,69

Berberian 1

A (0'00 - 3'33)

20

194

9,16

3,44

B (3'33 - 8'46)

16

317

4,77

0,93

7,04

Berberian 2

A (0'00 - 2'42)

17

146

10,17

2,92

B (2'42 - 6'53)

11

240

4,58

1,74

7,2

Tableau 3. Proportion chant/silence.

4. Profil temporel des interprétations

9Après avoir démontré le rôle des silences, nous allons nous pencher sur le rapport de l’interprète à l’ossature temporelle en segments de dix secondes. Une première intuition serait de considérer, à l’aune des pourcentages de durée au sein de chaque partie, assez proches, que les interprètes respectent a priori cette grille temporelle. En effet, aucune d’entre elle ne prend le parti d’étirer le temps de façon conséquente, voire exagérée, par rapport à la durée globale préconisée par le compositeur. Afin de vérifier cette intuition, nous allons nous focaliser sur la durée moyenne d’un segment par interprète (Tableau 4). À la lecture de ce tableau, nous voyons que Ganz (9,99 secondes) et Berberian 1 (10,13 secondes) ont le segment moyen le plus conforme à la durée théorique (10 secondes/segment), la durée totale de leurs enregistrements étant la plus proche de la durée théorique. Mais cette mesure est trompeuse, car on constate des écarts importants chez toutes les interprètes comme le montrent les minima et les maxima, et plus particulièrement pour Ganz dont les durées s’échelonnent de 4,94 secondes à 18,46 secondes. Si l’on en juge par le coefficient de variation (l’écart-type rapporté à la moyenne), c’est la version de Castellani (17,6 %) qui est la plus régulière temporellement. Sa version ne comporte en fait que trois écarts importants aux segments 1 (14,68 secondes), 24 (12,24 secondes) et 52 (14,25 secondes). Ces segments correspondent au début de la pièce, quasiment au début de la partie B et à la fin de la pièce. Il semble donc que Castellani soit l’interprète qui se conforme le plus au cadre temporel imposé par Berio, sauf à ces trois moments clés de la structure. Les versions les plus irrégulières (avec des coefficients de variation élevés) sont celles de Ganz (29,13 %) et Arnold (27,66 %). Rappelons que ce sont les deux versions de notre corpus qui n’ont pas été enregistrées sous la direction du compositeur. Là encore, il est intéressant de montrer la différence entre Berberian 1 et 2 dans la gestion du temps, la seconde étant nettement plus rapide, avec une valeur de segment moyen bien en dessous de Berberian 1 qui elle est la plus lente de toutes les versions, mais aussi la plus proche de la durée théorique d’un segment.

Castellani

Berberian 1

Ganz

Arnold

Berberian 2

Moyenne (sec.)

9,52 (ET 1,68)

10,13 (ET 2,19)

9,99 (ET 2,91)

8,68 (ET 2,40)

7,96 (ET 1,89)

Minimum

6,14

4,70

4,94

4,71

4,91

Maximum

14,68

14,51

18,46

15,74

12,32

Coefficient de variation (%)

17,61

21,62

23,70

27,66

29,13

Tableau 4 : Régularité des segments et conformité à la durée théorique.

10La matrice des corrélations des profils temporels (Tableau 5) nous apporte des informations complémentaires sur le degré de similarité entre les versions. Les deux versions les plus proches sur le plan des variations de durées sont celles de Ganz et Arnold (.764). La version de Ganz, très variée et instable sur le plan temporel, est celle qui manifeste le plus de similarité avec les autres versions, excepté celle de Castellani qui se distingue nettement des autres par sa régularité temporelle. La seule interprétation qui se rapproche de la version de Castellani est celle de Berberian 1967 (.424). Les deux versions de Berberian ne sont que très peu corrélées (.366). Il se pourrait donc que Berberian, en plus d’avoir accéléré et condensé son interprétation, ait changé assez radicalement sa façon de gérer la temporalité de l’œuvre. Cela n’implique pas, bien entendu, que d’autres paramètres d’interprétation aient été conservés d’une version à l’autre. Si l’on en juge par les corrélations, serait-il possible que la version initiale de Berberian, contrairement à la seconde, ait influencé les trois autres interprètes de notre corpus ? Ce ne serait pas absurde, tant la chanteuse, de surcroît dédicataire de cette Sequenza, reste une référence dans son domaine, mais cela reste difficile à prouver sans autres éléments pour appuyer cette hypothèse.

Arnold

Berberian 1

Berberian 2

Castellani

Ganz

Arnold

1

0,566

0,551

0,267

0,764

Berberian 1

0,566

1

0,366

0,424

0,678

Berberian 1

0,551

0,366

1

0,031

0,654

Castellani

0,267

0,424

0,031

1

0,307

Ganz

0,764

0,678

0,654

0,307

1

Les valeurs en gras sont différentes de 0 à un niveau de signification alpha=0.05

Tableau 5 : Matrice des corrélations (Pearson) des profils temporels.

11Dans le dessein de fournir une visualisation plus détaillée et exhaustive de la régularité temporelle des interprètes nous avons établi, à partir des 52 segments et des 13 systèmes, des profils temporels d’interprétation, qui vont permettre de dégager des tendances globales ou des singularités (Figures 1 à 4). À l’aide de ce type de graphique, il est possible de décrire les tendances d’accélération et de ralentissement dans les divers enregistrements. Une première observation de l’ensemble des profils (Figure 1) fait émerger plusieurs tendances : des segments 1 à 34 des oscillations plus ou moins régulières, de 35 à 43 une grande accélération (raccourcissement des durées), puis de 44 à 52 deux grands pics de ralentissements. On peut se demander à quoi ces variations globales de durées correspondent dans la partition et quels niveaux compositionnels sont impliqués. Plus que les niveaux des gestes vocaux et du texte, il semble que ce soit celui des émotions que les interprètes ont privilégié. Que ce soit dans la partie oscillante ou lors des deux ralentissements finaux, les pics de ralentissement correspondent le plus souvent à des indications d’expression peu dynamogéniques et à valence positive telles que distant, dreamy, impassive, relieved, ecstatic, tender, wistful, languorous, noble, serene, whimpering. À l’opposé, les pics de moments d’accélération sont associés à des adjectifs plus dynamogéniques et à valence négative tels que tense, witty, urgent, frantic, apprehensive, extremely tense, incrisingly desperate, anxious. La grande accélération de 35 à 43 correspond d’ailleurs au climax le plus tendu de la pièce avec les sons aigus répétés et l’apparition de phrases compréhensibles. Les deux ralentissements finaux sont quant à eux également associés à l’apparition des phrases les plus compréhensibles. Ainsi, pour privilégier la clarté de la signification, tout en gardant l’aspect de travail phonémique sur la couleur du son, il semble que les interprètes aient tendance à allonger les mots. On peut ajouter encore, pour le dernier segment, la volonté d’effectuer de façon perceptible le fondu vocal de sortie (fading). Il semble donc que les variations de temporalité soient étroitement liées aux indications d’expression et à la signification, ou l’absence de signification, du texte. La courbe de l’écart-type permet d’observer trois passages où les interprètes divergent. Dans le segment 1, ce sont Berberian 2 et Castellani, la première effectuant sa première intervention (des coulisses à la scène) de façon très rapide, la seconde prenant plus de temps. Au segment 32, Berberian 2 exacerbe la tension (extremely tense) en accélérant alors que Ganz au contraire décélère fortement. Enfin, au segment 47 ce sont Ganz et Berberian 1 qui ralentissent beaucoup plus que les autres certainement pour mettre en valeur les mots du texte.

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Figure 1. Profils de durée des segments.

12Nous avons vérifié s’il existe un lien entre les variations de durée des segments avec l’intensité. Nous avons utilisé le descripteur de Loudness extrait des fichiers audio avec Sonic Visualiser23. On voit immédiatement sur la Figure 2 que les profils d’intensité des cinq interprétations sont très proches. Les profils d’intensité les plus corrélés sont, encore une fois, ceux de Ganz et Arnold (.92), les moins corrélés étant ceux de Ganz et Castellani (.76). Concernant les deux versions de Berberian, contrairement aux profils de durée qui sont très dissemblables, nous constatons que leurs profils d’intensité sont très similaires (.87). Pour toutes les interprètes, les profils d’intensité montrent clairement une progression vers deux climax, le premier de 27 à 31 et le second, encore plus tendu, de 38 à 41, puis une chute par paliers jusqu’à la fin de l’œuvre. Il est intéressant de remarquer qu’à partir de la partie B (segment 23), les profils d’intensité des cinq chanteuses sont beaucoup plus liés. La raison de cette différence entre les deux parties provient très certainement du traitement spécifique à chaque chanteuse des nombreux silences de la partie A.  Par contre, nous n’avons pas trouvé de lien significatif entre les profils de durée et d’intensité (coefficient de corrélation -.32). Il semble que les interprètes de notre corpus gèrent les intensités non seulement sur la base des indications d’expression, mais aussi en fonction des hauteurs déterminées (les sons les plus aigus étant généralement exécutés avec une intensité plus forte : 9, 13, 16, 23, 28, 38-39, 50) ou encore du texte perceptible (par ex. 38-39 a few words before, 49-50 allowing before night).

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Figure 2. Profils de Loudness.

13Il s’agit maintenant de décrypter, avec plus de détails, les courbes issues de la figure 1, en épurant le graphique pour ne laisser que certains groupes d’interprètes. Commençons par les deux versions de Berberian (Figure 3). Nous savons déjà qu’elles diffèrent par leur durée totale, la version de 1967 étant la plus longue de tout notre corpus (526,98 secondes) légèrement au-dessus de la durée théorique (520 secondes) et la version de 1969 étant la plus courte (413,78 secondes). On voit nettement que la courbe de Berberian 1 est systématiquement au-dessus de la moyenne des interprétations, alors que c’est l’inverse pour celle de Berberian 2. Dans cette comparaison, il est également possible de constater que Berberian, en 1969, ne reproduit pas le même schéma temporel que sa première version, même si l’on trouve des similitudes lors de certains passages par exemple durant les deux derniers systèmes. Il semble probable que Berberian ait souhaité faire évoluer son interprétation tout en conservant une certaine souplesse temporelle. Peut-être y a-t-il de sa part une volonté de condenser l’œuvre dans sa version de 1969 afin de dramatiser l’expression ?

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Figure 3. Comparaison des profils de durée des deux versions de Cathy Berberian.

14Nous trouvons un profil temporel très similaire chez Arnold et Ganz (Figure 4). Notamment peu après le début de la seconde partie (segment 23) où leurs courbes commencent à devenir presque parallèles. Bien que leurs durées totales soient différentes, Arnold allant sensiblement plus vite que Ganz, les proportions qu’elles accordent à chaque segment sont assez similaires. Leurs écarts de durées sont également les plus élevés des cinq interprétations (coefficient de variation de 27,7 pour Arnold et 29,1 pour Ganz). Les divergences les plus notables entre les deux interprètes se situent lors de trois courts passages où Ganz est systématiquement plus lente qu’Arnold : 21-22 sur les notes graves, 31-32 sur les traits rapides et les échos, 46-47 sur le gémissement et les notes chantées. Avec des courbes temporelles aussi proches, on pourrait se poser la question de l’influence de Ganz sur Arnold puisque la première a enregistré sa version en 1996 et l’autre en 2002. Mais, cela semble improbable puisque mais les deux disques sont sortis en 2006. Il aurait fallu qu’Arnold ait eu accès à l’enregistrement de Ganz avant la sortie du disque ou, éventuellement, qu’elle ait travaillé la pièce avec elle, ce qui semble improbable.

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Figure 4. Comparaison des profils de durées des versions d’Arnold et Ganz.

15Abordons maintenant un dernier exemple : la comparaison des profils de durées de Berberian 1 et Castellani (Figure 5). On peut voir d’emblée qu’ils sont peu similaires, mis à part quelques brefs passages (16-17, 23-25, 32-33, 35-36, 48, 50). Un point particulièrement saillant ressort de cette courbe : la régularité temporelle de Castellani se traduit par un profil avec des écarts beaucoup plus petits que ceux de Berberian 1, mis à part le premier segment. Son interprétation, avec le plus faible coefficient de variation (17,6) est la plus fidèle au cadre temporel fixé par Berio. Une telle régularité soulève la question de la procédure d’enregistrement : A-t-il été réalisé d’une seule traite ? Sinon, comment la pièce a-t-elle été segmentée et montée ? Castellani a-t-elle enregistré avec un chronomètre ? Berio, ayant supervisé l’enregistrement, a-t-il souhaité une version plus régulière que celles produites par Berberian ? Est-ce un choix délibéré de Castellani ? Nous n’avons malheureusement pas les réponses à ces questions.

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Figure 5. Comparaison des profils de durées des versions Berberian 1 et Castellani.

5. Analyse globale

16La dernière analyse que nous avons effectuée cherche à catégoriser les cinq interprétations en fonction de paramètres multiples et à vérifier s’il existe un lien avec les profils temporels tels qu’ils ont été analysés plus haut. Ces paramètres sont au nombre de dix : durée, densité d’événements, taux de fluctuations rythmiques (Fluctuation Peak Magnitude), l’intensité (RMS), temps d’attaque du son, clarté du timbre (Brigthness), irrégularité spectrale, nombre de passages par zéro du signal (Zero Crossing Rate), centroïde tonal, (Chromagram centroid) et degré de changement harmonique (Harmonic Change Detection Function). Ces descripteurs, mis à part la durée qui a été calculée manuellement, ont été extraits avec MIR Toolbox 1.6.124. Les fichiers audio ont été préalablement normalisés à -6 dB afin de réduire la différence inévitable de dynamique entre les enregistrements. Afin d’avoir des séquences plus homogènes du point de vue du phrasé vocal que les segments de 10 secondes indiqués sur la partition, nous avons procédé à une nouvelle segmentation à partir de critères définis précédemment : la proximité temporelle (les silences ou césures produits par les interprètes) et la similarité (des gestes vocaux ou des hauteur). Par conséquent, les séquences ne commencent pas nécessairement avec le début d’un segment, ni ne terminent avec la fin d’un segment. À part la première séquence, les autres comportent de deux à trois segments. Nous avons obtenu 26 séquences (désignées par les lettres de l’alphabet) qui s’échelonnent de 4,14 secondes à 37 secondes, avec une moyenne de 18,57 secondes. Une fois les données obtenues, une analyse factorielle discriminante a été exécutée avec comme variable dépendante qualitative les cinq interprétations et comme variables indépendantes quantitatives les données des 10 descripteurs. L’AFD vise, dans le cas d’une AFD explicative, à vérifier sur un graphique à deux ou trois dimensions si les groupes auxquels appartiennent les observations (ici les séquences de chaque interprète) sont bien distincts et à identifier quelles sont les caractéristiques des groupes sur la base de variables explicatives (ici les données des descripteurs audio). Le total de la variance expliquée est de 87,01 %, le premier facteur représentant 55,68 % de la variance, le second et 31,33 %. La figure 6 représente la contribution des variables quantitatives sur les deux axes de l’AFD25. On constate que le facteur 1 est corrélé positivement avec la clarté du timbre (Brigthness)26, alors que le facteur 2 est corrélé négativement avec le nombre de passages par zéro (ZCR)27 et positivement avec l’irrégularité spectrale28. Les variables les plus discriminantes appartiennent par conséquent au domaine du timbre et plus particulièrement à la clarté de la couleur timbrale. Les variables telles que la durée, la densité d’événements, le taux de fluctuations rythmiques (Fluctuation Peak Magnitude), l’intensité (RMS), le temps d’attaque du son, le centroïde tonal, (Chromagram centroid) et le degré de changement harmonique (Harmonic Change Detection Function) ne jouent qu’un rôle mineur dans la catégorisation des séquences et des interprétations par l’AFC.

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Figure 6. Contribution des variables quantitatives à l’explication de la variance.

17La figure 7 est la représentation de l’AFD qui permet de situer dans un espace à deux dimensions les séquences (par les points) et les interprètes (par les barycentres). L’AFD confirme ce que nous avions déjà constaté avec les profils de durées. Les deux versions de Berberian sont très éloignées l’une de l’autre sur le facteur 1, ce qui signifie que le son de l’enregistrement de Berberian 2 (à la fois le timbre de la chanteuse et la couleur de l’acoustique de la salle) est nettement plus clair que celui de Berberian 1. Les versions de Castellani, Ganz et Arnold se situent au centre de l’axe 1, quasiment à équidistance des deux versions de Berberian. Même si le paramètre de la durée contribue moins que celui de la brillance, il est intéressant de constater que nous retrouvons sur l’axe 1 de l’AFC l’écart de durée constaté précédemment entre les deux versions. Le facteur 2 rapproche les versions de Ganz et Arnold, possiblement sur le plan des sons bruités (bouche fermée, murmures, respirations, claquement de lèvres, toux, frappes du doigt sur les lèvres, etc.) qui semblent plus proéminents relativement aux trois autres versions. Là encore, l’AFD confirme ce que nous avions constaté avec les profils de durée : les interprétations de Ganz et Arnold, non supervisées par Berio, sont proches. La contribution du paramètre irrégularité spectrale au facteur 2 suggère qu’il existe une certaine parenté du point de vue de la vocalité d’une part entre Castellani et Berberian 1 (et dans une moindre mesure avec Berberian 2) et d’autre part entre Ganz et Arnold. Chez ces dernières, la vocalité est généralement plus « lyrique », caractérisée par une voix très timbrée avec un ample vibrato. Cette différence s’entend plus nettement dans les passages chantés à une intensité relativement faible. À titre d’exemple, nous allons examiner la huitième séquence (p. 1, IV, 2 à partir de « distant and dreamy », jusqu’à p. 2, IV, 4). La Figure 8 présente le sonagramme et la courbe d’irrégularité spectrale29 des cinq versions (de haut en bas dans l’ordre alphabétique). Première remarque, l’intonation de la note initiale correspond à peu près à un do4 (en système tempéré 523,25 Hz), conformément à la notation de la partition, avec de légères différences selon les interprètes : Arnold do4 plus haut (527,99 Hz), Berberian 1 do4 très légèrement plus haut (516,73 Hz), Berberian 2 do#4 plus bas (547,52 Hz), Castellani do4 très légèrement plus bas (516, 73 Hz), Ganz si3 très légèrement plus haut (496,21 Hz).  Ensuite, nous pouvons constater que le bruit de toux est plus proéminent et plus long, le timbre est souvent plus riche en harmoniques et l’amplitude du vibrato est plus prononcée (notamment dans la deuxième partie de la séquence sur « we buid for us ») chez Ganz et Arnold. Castellani et Berberian, dans ses deux versions, interprètent l’indication de la partition « distant and dreamy » au sens littéral en produisant un son sans vibrato, mais avec un son plus nasal (à la façon d’un moïto) avec plus d’harmoniques pour la première et une voix presque blanche avec un filet d’air pour la seconde.

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Figure 7. Analyse factorielle discriminante.

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Figure 8. Séquence 8 (p. 1, IV, 2-4 à partir de « distant and dreamy »), sonagramme et courbe d’irrégularité spectrale.

Conclusion

18Nous nous sommes fixés comme objectif d’apporter un éclairage sur la question de l’interprétation de la Sequenza III de Berio sur le plan de la temporalité et de montrer son évolution au fil de ses occurrences enregistrées. Tout d’abord, les analyses d’interprétation ont permis de confirmer notre hypothèse sur une structure globale de l’œuvre en deux parties, la première (A : p. 1, I, 1 à p. 2, II, 2) laissant encore place au silence et durant laquelle très peu de texte est perceptible, la seconde (B : p. 2, II, 3 à p. 3, IV, 4) bien plus dense et sans silence, dans laquelle le texte devient nettement plus compréhensible. Les profils temporels extraits à partir de la durée des segments ont fait émerger plusieurs tendances que ce soit des oscillations d’accélération et de ralentissement plus ou moins régulières au début de l’œuvre, de 35 à 43 une grande accélération, puis deux grands pics de ralentissements à la fin de l’œuvre. Nous avons aussi constaté que dans leur gestion du temps les interprètes ont privilégié le plan des indications d’expression (et dans une moindre mesure celui du texte) sur le plan des gestes vocaux. Ainsi, nous avons observé que les pics de ralentissement correspondent le plus souvent à des indications d’expression peu dynamogéniques et à valence positive, alors que les pics d’accélération sont associés à des adjectifs plus dynamogéniques et à valence négative. Toutes les interprétations se rejoignent sur les profils d’intensité qui montrent clairement une progression vers deux climax, le premier de 27 à 31 et le second, encore plus tendu, de 38 à 41.
Même s’il est clair que toutes les interprètes ont cherché à respecter l’intention et les indications du compositeur, nous avons pu constater des différences notables entre les cinq enregistrements et plus particulièrement entre les trois réalisés en studio sous la supervision de Berio (Berberian 1967 et 1969, Castellani) et les deux autres enregistrées en « autonomie » dans une acoustique naturellement réverbérante. Nous avons constaté que les versions d’Arnold et Ganz sont proches sur de nombreux aspects tels que le profil temporel, le profil d’intensité, la gestion des silences et des sons bruités ou la couleur vocale. Ceci n’enlève rien à l’originalité de ces interprètes qui, dans le détail de la réalisation, ont su insuffler leur propre personnalité. L’interprétation de Castellani semble la plus respectueuse des indications de la partition, particulièrement en ce qui concerne la régularité temporelle. C’est également la version qui laisse le moins de place au silence (césures, respirations), ce qui suggère une grande maîtrise technique. Enregistrée après celles de Berberian, mais toujours sous la supervision de Berio, sa version serait-elle celle qui correspond le plus à l’idée que se faisait Berio de la Sequenza III ? Berberian, quant à elle, a proposé deux versions contrastées en durée globale, la première la plus proche de la durée théorique et la seconde beaucoup contractée temporellement et avec des profils temporels peu corrélés. L’analyse avec les descripteurs audio a par ailleurs montré que la deuxième version possède un son global (timbre de la voix et acoustique de salle) plus clair. Loin de s’être contentée de reproduire son enregistrement initial, Berberian a renouvelé son interprétation tant du point de vue de la gestion de la temporalité que du timbre.
On ne peut cependant échapper à la question de l’influence de la version princeps de Berberian sur les trois autres cantatrices de notre corpus et au-delà. Cathy Berberian incarne sans aucun doute une référence ne serait-ce que par son rôle dans le processus créateur et sa voix qui a servi à Berio de « studio de phonologie ». Pour répondre à la question de Célestin Deliège énoncée dans l’introduction qui se demandait si l’œuvre, interprétée par d’autres chanteuses que Berberian, « peut véritablement retrouver un sens, si ce n’est celui de se souvenir de l’interprète d’origine », nous pouvons affirmer, à l’aune des enregistrements étudiés, que la Sequenza III, bien que « confectionnée » pour sa dédicataire, se laisse adapter par chaque nouvelle interprète et que cette évolution en renouvelle l’intérêt. Si toutes ont « emprunté » quelque chose à la performance de Berberian que ce soit de l’ordre de la théâtralité, de la vocalité ou de l’expressivité, chaque interprète, au travers de sa propre lecture, s’éloigne de l’idée d’une vision unique de l’œuvre.

Bibliographie   

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Notes   

1  Deus meus (1951) pour voix et trois instruments, Quattro canzoni popolari (1946-1952) pour voix de femme et piano, Chamber Music (1953) pour voix de femme, violoncelle, clarinette et harpe, Circles (1960) pour voix de femme, harpe et deux percussions, Thema, Omaggio a Joyce (1958) pour bande magnétique, Visage (1960-1961) pour bande magnétique, Epifanie (1959-1962) pour voix de femme et orchestre, Folk Songs (1964) pour mezzo-soprano et sept instrumentistes, menant à la Sequenza III (1965-1966).

2  Luciano Berio, Entretiens avec Rossana Dalmonte, traduit et présenté par Martin Kaltenecker, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1983, p. 125.

3  Cité par Juliette Garrigues in Universalis éducation (Encyclopædia Universalis en ligne), http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/luciano-berio.

4  Célestin Deliège, Cinquante ans de modernité musicale : de Darmstadt à l’IRCAM, Contribution historiographique à une musicologie critique, Liège, Margada, 2003, p. 483.

5  Berio, qui appréciait son interprétation des Folksongs et de la Sequenza III, créa le rôle d’Ada pour elle dans l’action musicale Outis (1996).

6  Luciano Berio, Entretiens avec Rossana Dalmonte, op. cit., p. 125.

7  Luciano Berio, in Ivanka Stoïanova, Luciano Berio – Chemins en musique, La Revue musicale, numéro triple 375-376—377, 1985, pp. 81-82.

8  Istvan Anhalt, Alternative Voices: Essays on Contemporary Vocal and Choral Composition, Toronto, University of Toronto Press, 1985.

9  Rossana Dalmonte et Fabrizio Frasnedi, « Musica, Analogia, Teatralità. Ancora su Sequenza III », in Rossana Dalmonte, Niva Lorenzini, Loris Azzaroni, Fabrizio Frasnedi (éds.), Il gesto della forma: musica, poesia, teatro nell'opera di Luciano Berio, Bologne, Arcadia Edizione, 1981, pp. 143-170.

10  Marinella Ramazzotti, « Luciano Berio’s Sequenza III: From Electronic Modulation to Extended Vocal Technique », http://www.ex-tempore.org/Sequenza.III.corretta.pdf.

11  Notice de la Sequenza III par Berio (http://www.lucianoberio.org/node/1461?335817619).

12  Halfyard Janet K., « Before Night Comes: Narrative and gesture in Berio’s Sequenza III », UEA Music and Gesture Conference, août 2003 (http://www.seguenza.me.uklSeguenzaweb.htm).

13  Par ordre alphabétique : anxious, apprehensive, bewildered, calm, coy, distant, dreamy, tense, echoing, ecstatic, intense, fading, faintly, frantic, gasping, giddy, impassive, desperate, joyful, languorous, muttering, nervous, noble, open, relieved, serene, subsiding, tender, urgent, excited, whimpering, whining, wistful, witty.

14  Universal Edition, UE13723.

15  Cynthia Folio et Alexander N. Brinkman, « Rhythm and Timing in the two Versions of Berio’s Sequenza I for Flute Solo: Psychological and Musical Differences in Performance », in Janet K. Halfyard (éd.), Berio’s Sequenzas: Essays on Performance, Composition and Analysis, Aldershot-Burlington, Ashgate, 2007, pp. 11-38.

16  Patricia Alessandrini, « A Dress or a Straightjacket? Facing the problems of Structure and Periodicity Posed by the Notation of Berio’s Sequenza VII for Oboe », in Janet K. Halfyard (éd.), Berio’s Sequenzas: Essays on Performance, Composition and Analysis, Aldershot - Burlington, Ashgate, 2007, pp. 67-81.

17  La Leçon de musique, vidéo INA, 1976.

18  Albert S. Bregman, Auditory Scene Analysis, Cambridge, MIT Press, 1990.

19  James Tenney et Larry Polansky, « Temporal gestalt in music », Journal of Music Theory, vol. 24, n° 2, automne 1980, pp. 205-241.

20  La notice du CD ne mentionne que des sessions d’enregistrement, sans préciser la date d’enregistrement de chaque Sequenza.

21  C’est une impression auditive, car il est difficile de mesurer objectivement le temps de réverbération à partir d’un enregistrement.

22  Il faut préciser que la mesure des silences (y compris les temps de respiration) a été réalisée manuellement, à l’écoute de chaque enregistrement.

23  Chris Cannam, Christian Landone, Mark Sandler, « Sonic Visualiser: An Open Source Application for Viewing, Analysing, and Annotating Music Audio Files », in Proceedings of the ACM Multimedia 2010 International Conference [http://dl.acm.org/citation.cfm id=1874248&dl=ACM&coll=DL&CFID=770071324&CFTOKEN=71662642]. Plugin Loudness de Chris Cannam dans la librairie libextrat de Jamie Bullock, window size 1024, window increment 1024.

24  Olivier Lartillot, Petri Toiviainen, « A Matlab Toolbox for Musical Feature Extraction From Audio », International Conference on Digital Audio Effects, Bordeaux, 2007. Les descripteurs ont été calculés avec la commande mirfeatures, mais comme il existe une forte corrélation entre les nombreux descripteurs, nous avons effectué une statistique de multicolinéarité pour ne garder que les 10 descripteurs les plus significatifs.

25  Le test de Box a permis de confirmer que l’on ne peut pas faire l'hypothèse que les matrices de covariance sont identiques pour les 5 classes : F = 1,898, ddl = 220, p < 0,0001. Le test du Lambda de Wilks a confirmé que les vecteurs moyens des 5 classes ne sont pas égaux de façon significative : F = 5,357, ddl 40, p < 0,0001.

26  Ce descripteur mesure la quantité d’énergie dans un spectre au-dessus d’une fréquence de coupure (généralement 15 000 Hz).

27  Le nombre de passages par zéro du signal sert à la segmentation automatique de la parole, les consonnes non voisées (dites sourdes) ayant une valeur élevée de ZCR, les sons voisés ayant une valeur faible de ZCR. On peut donc considérer ce descripteur comme un bon évaluateur de l’aspect bruité du son.

28  L’irrégularité spectrale mesure les écarts d’amplitude des harmoniques par rapport à une enveloppe spectrale globale, elle est par exemple élevée pour la clarinette et le vibraphone et basse pour la trompette.

29  Sonic Visualiser, op. cit., Melodic Range Spectrogram (120-2500 Hz), plugin Irregularrity I de Chris Cannam dans la librairie libextrat de Jamie Bullock.

Citation   

Philippe Lalitte et Vincent Grepel, «Prêt-à-porter ou coupe sur mesure ?
Liberté et contraintes dans l’interprétation de la Sequenza III de Berio», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Vers une éthique de l'interprétation musicale, mis à  jour le : 20/10/2017, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=829.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Philippe Lalitte

Philippe Lalitte est Maître de conférences HDR à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, chercheur Laboratoire d’Étude de l’Apprentissage et du Développement (UMR 5022) et responsable du Master Musicologie de la création et de l’interprétation. Il est également chercheur associé au LABEX GREAM (Université de Strasbourg). Ses recherches portent sur l’analyse, la performance et la perception des musiques savantes des XXe–XXIe siècles. Elles se focalisent particulièrement sur les compositeurs qui tissent des liens avec les sciences (acoustique, psychoacoustique, psychologie de la musique). Elles explorent de nouvelles méthodes d’analyse à l’aide des nouvelles technologies et des outils théoriques de la sémiotique. Il a récemment publié Analyser l’interprétation de la musique du XXe siècle. Une analyse d’interprétations enregistrées des Dix pièces pour quintette à vent de György Ligeti (Hermann, 2015).

Quelques mots à propos de :  Vincent Grepel

Vincent Grepel, étudiant du Master de Musicologie de la création et performance à l’université de Bourgogne Franche-Comté, concentre ses recherches sur l’ontologie et l’analyse sémiotique des relations entre le populaire (pop culture) et le savant, notamment au cœur de la sphère musicale contemporaine, puis au sein de l’univers publicitaire. Par ailleurs, son intérêt englobe également la recherche de nouvelles méthodes analytiques pour une meilleure compréhension des œuvres contemporaines et de leur interprétation.