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Gestes communs et discordants : John Cage et la danse américaine (1938-1970)

Julie Perrin
décembre 2016

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.800

Index   

Texte intégral   

1 Les chercheurs en danse ont pour habitude de présenter l’influence majeure de John Cage sur la danse américaine – celle de Merce Cunningham et des danseurs dit postmodernes – et plus largement le rôle qu’il a pu jouer dans le développement des arts et de la performance à partir des années 1950. Il est plus rare d’envisager la perspective inverse, à savoir la place qu’a occupée la danse dans son parcours1. En quoi l’implication de John Cage auprès de nombreux artistes chorégraphiques a pu retentir sur sa conception de la musique et sur la façon dont son travail s’est déployé ? Une telle question ouvre un projet ambitieux dont cet article ne propose qu’une première esquisse car il nécessiterait en vérité une étude conjointe entre chercheurs en danse et musicologues qui permettrait de définir les différents niveaux d’influence de l’art et de la pratique chorégraphiques sur le compositeur. Une histoire des influences reste ardue, tant il est difficile de démêler le rôle précis des uns et des autres dans une communauté artistique – à la fois professionnelle et amicale, parfois intime – où les idées s’échangent, circulent, s’expérimentent collectivement sans que l’on puisse en identifier a posteriori la source précise. Cage lui-même se méfie de l’idée d’influence : « Il serait plus vrai de dire que chacun s’influence lui-même, même s’il emprunte tout à fait inconsciemment l’idée à autrui ; en le faisant, de par les différences extrêmes que manifeste sa propre manière de travailler, il met quelque chose en action. Je ne suis pas réellement intéressé par la notion d’influence, pas plus que par celle de chef de file […] mais seulement reconnaissant lorsque quelqu’un a une idée nouvelle2».
Il s’agira moins ici d’esquisser une critique des sources que de reconstituer dans un premier temps une chronologie permettant d’établir une ébauche des différents niveaux d’implications de John Cage avec la danse et en particulier avec la Merce Cunningham Dance Company (MCDC). Ce premier temps ouvre donc une perspective tout à la fois biographique et thématique mettant en évidence les différents moments et sujets de rencontre entre Cage et la danse américaine. C’est une façon de commencer d’observer les gestes communs et les écarts ou discordances entre le compositeur et les chorégraphes. Dans un second temps, on concentrera l’analyse sur les points de connivence évidente mais aussi de désaccords à partir d’une comparaison entre la démarche esthétique de Cage et celle de Cunningham, en particulier autour de la conception du temps et de l’interprétation. C’est là interroger le rapport au geste musical et dansé en suivant la piste ouverte par ce colloque : d’un côté la dimension expressive et qualitative du geste dansé ; de l’autre le moment de l’exécution ou de l’énonciation musicale (par opposition à son écriture).

Le rôle de la danse dans l’histoire de John Cage – une chronologie commentée

2Dans la chronologie suivante, on décèle au moins trois niveaux d’implication et de relation de John Cage à la danse : un niveau social et intime renvoyant aux cercles d’amitiés de Cage pour de nombreux danseurs (appartenant principalement à la danse américaine new-yorkaise dite postmoderne) et à sa vie commune avec Merce Cunningham ; un niveau esthétique et théorique lié en particulier aux échanges sur les théories de l’art et aux découvertes de Cage directement issues de ses collaborations avec la danse ; enfin, un niveau relatif à l’organisation du travail de Cage qui concerne donc le temps consacré par Cage à la danse – et par déduction, à la musique. Le temps immense dédié à la MCDC est consacré non seulement à la création mais aussi, sur certaines périodes, à l’administration et la promotion de la compagnie ou à l’écriture de textes pour défendre l’art chorégraphique. Ces trois niveaux sont suffisamment imbriqués dans le temps pour qu’il faille renoncer à une présentation thématisée.
1938-1940. Cage, jeune compositeur, gagne sa vie en accompagnant les cours de danse de Bonnie Bird3 à la Cornish School of the Arts à Seattle. Il demande régulièrement aux danseurs de venir jouer dans l’orchestre de percussions qu’il dirige alors, comme si le geste musical s’accommodait fort bien des compétences des danseurs. C’est là qu’il se lie d’amitié avec Cunningham qui deviendra son compagnon à une date non dévoilée4.
1938
. Cage introduit pour la première fois dans son travail le piano préparé (inventé par Henry Cowell), pour accompagner Bacchanale, une chorégraphie de Syvilla Fort5. La raison invoquée est pragmatique : le piano préparé tient lieu d’orchestre dans les espaces restreints – scènes ou studios – qui accueillent la danse.
C’est également pour la danse – et plus précisément pour les ballets aquatiques de l’université de UCLA (Los Angeles) – qu’il invente le water gong permettant aux danseurs dans l’eau de percevoir des sons associés à leurs mouvements6.
1939
. Première publication de Cage sur la danse, dans Dance Observer : « But, musique nouvelle, danse nouvelle7 ». Dans ce texte, Cage invite à une composition simultanée de la musique et de la danse : la musique doit faire partie intégrante de la danse et le danseur prendre en considération la richesse du matériau dont il dispose, en particulier le rythme.
1942.
Cette année-là, avec les pièces musicales et chorégraphiques également intitulées Credo in us et Totem ancestor débute la collaboration entre Cunningham et Cage qui durera jusqu’à la mort de ce dernier en 1992. Cage encourage Cunningham à devenir chorégraphe et à quitter la compagnie Martha Graham (où il est danseur de 1939 à 1945).
1944
. Cage et Cunningham proposent à New York leur premier programme partagé composé de trois morceaux de Cage et de six solos de Cunningham accompagnés de musiques signées par Cage. Ces programmes communs seront très fréquents par la suite.
Cette même année, Cage publie son deuxième article sur la danse : « Grâce et clarté8 », qui sonne comme un manifeste appelant à une critique du culte de la personnalité dans la modern dance. « La personnalité est un fondement léger sur quoi construire son art ». Cage y rappelle que tous les arts du temps sont structurés rythmiquement et que chaque danse doit créer ses moyens propres pour inventer une clarté rythmique non inféodée au ballet classique. Cage s’adresse bien sûr moins à Cunningham9 qu’aux acteurs de la modern dance.
1948
. À l’université d’été du Black Mountain College où il enseigne, Cage compose non seulement pour Cunningham (Dream, A Diversion et Orestes), mais aussi pour la danseuse Louise Lippold (à qui il a par ailleurs dédié trois pièces entre 1948 et 1952) : In a Landscape est créé pour un solo chorégraphié et interprété par Louise Lippold10.
1951.
Cage et Cunningham rencontrent Earle et Carolyn Brown : le compositeur va rejoindre l’École de New York11 ; la danseuse rejoint Cunningham… pour les vingt années à venir12. Ce couple d’artistes participe des amitiés artistiques et des échanges esthétiques intenses entre musique expérimentale et danse. Cette même année, Cunningham compose pour la première fois une pièce en utilisant l’aléatoire pour tirer au sort l’ordre des neuf émotions permanentes13 dans la philosophie indienne et pour composer les séquences de mouvement du quatuor final. À propos de cette pièce intitulée Sixteen Dances for soloist and company of three, Cage déclare : « C’est avec les Seize Danses que je suis entré – avec confiance – dans le domaine du hasard. En effet, Merce Cunningham […] avait à ce moment-là des idées très semblables à celles que développaient mes Sonates et Interludes. Cela signifiait qu’il voulait une musique qui exprimât des émotions. Alors, j’ai voulu voir si je pouvais répondre à une commande de musique "expressive" en me servant des moyens de hasard14». Cage a créé la même année Music of changes, à partir de tirage au sort avec le I Ching, Traité des mutations. L’indéterminé concerne l’écriture et pas encore le geste musical (ni bien sûr le geste dansé).
Cage est de plus en plus impliqué dans le Zen et les philosophies orientales (d’abord indiennes puis chinoises) mais résiste à l’idée de pratiquer une vie méditative ou des exercices de respirations conscientes malgré la tentative de Cunningham pendant 30 ans de lui enseigner des exercices de yoga ou de simples exercices rudimentaires. C’est à 65 ans seulement qu’il se laissera convaincre. Jusque-là, il considère que la création musicale constitue sa discipline propre, « en utilisant un moyen aussi strict que la position du lotus, c’est-à-dire le recours à des opérations de hasard, et le transfert de ma responsabilité de faire des choix à celle de poser des questions15 ».
1952.
Cunningham crée Excerpts From Symphonie pour un homme seul sur la musique de Schaeffer et Henry. L’impossibilité de se repérer dans la musique concrète où les périodicités font défaut conduit les danseurs à suivre une organisation temporelle (ce que l’on nomme en danse la « musicalité16 ») autonome. Cage en déduit : « La musique avait cessé d’imposer quoi que ce soit à la danse. Cela se passait en 1952 ; depuis, il y a eu, pour Merce et moi, beaucoup d’occasions de renouveler cette expérience. Nous sommes tombés à chaque fois d’accord pour reconnaître à la danse tout comme à la musique le droit à l’espace, ce qui suppose simplement la possibilité d’une simultanéité. Merce Cunningham a de toute façon libéré la danse de son assujettissement à ce qui n’était pas elle17». Le travail de Cunningham permet d’expérimenter et de confirmer l’autonomie des composantes d’un événement et la richesse d’une juxtaposition radicale du sonore et du visible.
En 1952 se tient le fameux happening de Black Mountain College qui déploie ce principe, associant Cage, Cunningham, Robert Rauschenberg, David Tudor, Charles Olson et MC Richards. Ce sont les prémisses de la notion de théâtre pour Cage qui déclarera en 1965: « Le théâtre est quelque chose qui engage à la fois l’œil et l’oreille. […] La raison pour laquelle je tiens à ce que ma définition soit si simple est qu’elle permet de voir la vie de tous les jours elle-même comme un théâtre18. »
1953.
Cage devient le directeur musical de la Merce Cunningham Dance Company tout juste créée. Il participe à presque toutes les tournées. La réception de sa musique lors des représentations est houleuse.
La situation économique de la compagnie est extrêmement précaire : Cage assure le rôle de directeur administratif et de manager allant jusqu’à faire du porte à porte pour rassembler des fonds19. Il consacre des mois entiers à la publicité de la MCDC. Il rédige certains des textes des programmes20.
En 1953, au studio de Merce Cunningham, puis en 1955, Cage donne un atelier de composition en danse.
1955.
Cage organise la première tournée aux USA de la MCDC. La tournée comprend de la pédagogie, neuf représentations de danse, deux concerts, des conférences et séminaires dispensés par Cage. L’organisation est familiale, ne prévoyant ni salaires ni hôtels21. Cage apparaît comme un père pour les jeunes danseuses et aussi un bon vivant qui rendait la vie de la tournée si plaisante : Carolyn Brown décrit son caractère ouvert, franc, prêt à révéler tous ses rêves utopiques, désireux d’être un ami, heureux d’être un gourou ou juste un partenaire de jeux (échec, scrabble, cartes…). Elle rapporte qu’à l’opposé du mutisme de Cunningham décrit comme un être asocial, il était capable de parler aux danseurs comme à des adultes22. Cage comme Cunningham s’endettent pour la MCDC23. En 1958 un second manager est engagé.
1956
. Cunningham et Cage composent chacun une pièce à partir des imperfections d’une feuille de papier, respectivement Suite for Five in Time and Space et Music for Piano (jouée par Tudor), deux pièces destinées à être réunies dans le spectacle Suite for Five. La mesure en danse est complètement abandonnée24.
Cage signe son troisième article sur la danse « En ces temps25 », où il expose que l’indépendance de la musique et de la danse vient de la conviction de Cunningham partagée par lui que « la danse ne repose pas sur la musique, mais sur le danseur lui-même, c’est-à-dire sur ses deux jambes et à l’occasion sur une seule ». Pour décrire les modes de réception de l’art chorégraphique, il n’écrit plus à la première personne du singulier mais du pluriel, confirmant l’accord esthétique entre les deux artistes et l’intrication étroite de leur recherche : « Le sens de ce que nous faisons est déterminé par chacun de ceux qui le voient et l’entendent. »
1957
. Cage publie « 2 pages, 125 mots sur la Musique et la Danse » dans Dance Magazine26.
1958.
Merce Cunningham est le chef d’orchestre du Concert for Piano and Orchestra27 de Cage : il semble bien que le geste dansé ait quelque rôle à jouer pour l’orchestre.
1960-1962.
Cage demande au compositeur Robert Ellis Dunn qui a suivi ses cours à la New School for Social Research (et qui est le mari de Judith Dunn, danseuse de la MCDC), d’ouvrir un cours de composition chorégraphique dans le studio de Merce Cunningham. Cela deviendra le rendez-vous de l’avant-garde new-yorkaise chorégraphique (Simone Forti, Steve Paxton, Yvonne Rainer, Trisha Brown, Alex et Deborah Hay, David Gordon… occasionnellement Robert Rauschenberg, Robert Morris). Cela donnera lieu au Judson Dance Theater (1962-1964) et participe plus largement de la postmodern dance. Dans le cours de Dunn, les partitions de Cage pouvaient être des points de départ à des chorégraphies. Et tout mouvement pouvait être de la danse. L’influence de Cage sur les artistes est évidente. Trisha Brown déclare : « La plus grande leçon venant de John Cage a été pour moi de voir et entendre sa conférence sur l’indéterminé, Indeterminacy, dans laquelle il racontait des anecdotes de durées différentes, des longues et des courtes. Il avait un chronomètre. Chaque histoire devait durer une minute. Il devait donc accélérer ou ralentir son débit en fonction de la quantité de texte à lire. […] Cette relation entre la structure et le contenu était fulgurante, brillante. J’ai compris comment la structure affecte le contenu28». L’admiration pour Cage conduit bien sûr à élargir le cercle d’artistes chorégraphiques côtoyés par Cage.
1961.
Sans l’aide des danseurs29 de Cunningham pour la mise en place complexe du tirage au sort, avant l’introduction de l’ordinateur, Cage n’aurait pas pu composer Atlas Eclipticalis.
1964
. Cette année, le très prolifique Cage ne signe aucune composition. C’est en effet la grande tournée mondiale de la MCDC : « J’ai passé cette année-là à écrire des lettres pour lever des fonds pour la tournée30 », raconte Cage.
À partir de 1964
. En particulier à partir de la multiplication des Events31 après 1964, la fonction de directeur musical de Cage n’est plus pertinente tant David Tudor, Gordon Mumma, puis David Behrman partagent avec lui diverses fonctions à la MCDC32.
1967.
Cage signe sa première pièce composée à l’aide de l’ordinateur (il parle d’un I Ching « ordinateurisé33 ») : HPSCHD. Il faut attendre les années 1990 pour que Cunningham puisse utiliser un logiciel mis au point pour composer des danses, éventuellement de manière aléatoire34.
Années 1970.
Cage s’interroge sur la spécificité d’une musique enregistrée et utilise les potentialités propres au studio d’enregistrement. De son côté, Cunningham réécrit certaines de ses chorégraphies pour la caméra, remettant en jeu l’espace de la chorégraphie (en prenant en compte le cadrage, la multiplication des points de vue, le hors-champ, le gros plan…).
À cette date, les différents niveaux d’intrication – sociale, esthétique, militante – du travail de Cage avec la danse et en particulier la MCDC ont dévoilé toutes leurs facettes. Une étude plus approfondie reste à mener sur les conséquences musicales d’un tel engagement de Cage auprès de la danse de son époque. Cet engagement dévoile la connivence esthétique avec Cunningham (et les postmodernes, mais ce serait l’objet d’un autre article) mais cache néanmoins un certain nombre d’écarts ou discordances.

Cage – Cunnigham : gestes communs et discordants

« Les idées de Merce Cunningham, si elles ne rejoignent pas toujours les miennes, en sont très proches35». John Cage

3De cette intrication des parcours de Cage et Cunningham ressort le partage d’une conception de l’art et de sa réception esthétique : l’œuvre est pensée comme un processus ressaisi par le spectateur venu faire l’expérience de sa perception ; il y a l’idée commune d’une attention non dirigée, d’une sorte de dispersion ou distraction à caractère éventuellement méditatif36. L’usage de l’aléatoire lors du processus de création est une condition de cela et surtout le moyen de libérer l’imagination et de se défaire à la fois des préjugés de goût, des émotions du sujet créateur37 et des « idées préalables d’ordre et d’organisation38 ». L’aléatoire devient le moyen de défaire toute forme de relation et de se détacher de la narration, du rapport au thème ou à l’expression des sentiments... Telle est la position de principe, qui ne sera en réalité pas toujours suivie39. Enfin, « l’indépendance des différents arts est la condition de leur espace40 », rappelle Cage. C’est de là que naît aussi le sentiment de la durée pour le spectateur : comme si cette indépendance produisait une sorte de silence entre les éléments d’une œuvre, silence dont la caractéristique première est bien la durée. Au silence cagien compris comme un élément musical à part entière offrant une nouvelle compréhension des sons et du bruit, répond l’immobilité du geste dansé, importante surtout dans les années 1950, puisque « lorsqu’on est immobile, dit le chorégraphe, […] en réalité on est déjà en mouvement. La sensation est alors constamment celle du mouvement, il n’y a pas de pose41 ». Ces positionnements des deux artistes sont bien connus. Rappelons brièvement comment la relation entre musique et danse se met en place.
La mise en œuvre de l’indépendance de la musique et de la danse – ce que Cage nomme « composition simultanée » – est progressive42. Dans les années 1940, le seul dénominateur commun entre leurs deux arts est le temps mais ordonné à partir de structures temporelles proposées par Cage à Cunningham43 : les deux arts se rejoignent en certains points chronométriques fixés à l’avance, mais dans l’intervalle, on note une indépendance par rapport aux tempi, aux accents, au rythme musical… Le geste n’est plus nécessairement synchronisé avec la note. À la fin des années 1950, la structure se réduit à une durée globale. La métrique et la mesure sont abandonnées dans la danse. Seul le chronomètre peut servir de repère à chacun des deux arts. La pensée et la sensation de la durée deviennent alors centrales avec une attention particulière pour le rythme dans chacun des deux arts.
L’importance accordée aux rapports de durée et au rythme chez Cage plutôt  qu’à l’harmonie signale la distance prise avec Schoenberg dont il a suivi l’enseignement en 1934. Se tourner vers la pratique des percussions est alors une façon de « tendre vers une musique authentiquement atonale44 ». La passion du rythme chez Cunningham vient de Cage mais aussi de son enfance : « Le rythme et le temps sont mon souci principal, sans doute depuis que j’ai commencé les claquettes, dans mon enfance. Je pense qu’en danse, le timing est l’une des choses les plus importantes. Lorsque je travaille avec des étudiants dont le rythme n’est pas très bon, je leur conseille d’écouter Billie Holiday. Non seulement sa voix extraordinaire mais aussi son rythme : il est impossible à saisir, et pourtant il est toujours là45». Qu’est-ce que le timing pour Cunningham ? Cela a à voir avec le geste, avec la dimension expressive et qualitative du geste dansé : c’est une qualité du danseur (mais aussi du chanteur ou musicien – du geste musical) dans son rapport d’une part au rythme, d’autre part à la durée. Du côté du rythme, c’est quelque chose d’insaisissable, dit-il, relevant peut-être d’un chant intérieur libéré d’une métrique qui se manifeste d’une façon kinesthésique en termes de flux (de tonicité musculaire), de logiques respiratoires, de textures de corps, d’accents, de mélodie dansée – un chant tenace et caractéristique chez un interprète, que l’on appelle en danse, non sans ambiguïté, « musicalité ». Le timing c’est aussi un sens kinesthésique de la durée qui fascine particulièrement le compositeur Earle Brown lorsqu’il côtoie la MCDC. Il dit avoir appris comment composer la musique en regardant les danseurs, c’est de là qu’est née sa « time notation ». Brown souhaite que le musicien ait, comme le danseur, une mémoire kinesthésique de la durée46. Il est probable que cela ait aussi marqué Cage et sous-tendu son idée de l’interprétation en musique. Il proposera d’ailleurs une « variation de 4’33’’ issue de [son] temps intérieur47 » mais constatera que la durée de son exécution reste très fluctuante. Les danseurs, de leur côté, ont la capacité à préserver cette durée et d’interpréter une chorégraphie sans être affectés par ce qui les entoure. De même John Cage invite à une grande autonomie dans le geste musical considérant chacun comme un soliste.

4C’est pourtant au niveau de l’interprétation que les deux artistes divergent. Bien que le compositeur et le chorégraphe tiennent un discours assez homogène, il y a des écarts évidents que seul Cage mentionne parfois, s’assurant néanmoins de toujours donner raison et justifier les choix de Cunningham. Le point de discordance concerne précisément le rapport à l’indéterminé dans le geste. Cunningham sera, à quelques rares exceptions (Field Dances en 1963 et Paired en 1964), hostile à l’idée d’indétermination dans l’interprétation48. Dès 1956, avec Suite for Five in Time and Space de Cunningham et Music for Piano de Cage, on voit l’écart qui s’annonce : la danse est identique chaque soir alors que le rythme de Music for Piano est variable et les sonorités différentes selon pianistes et pianos49. Cage lutte contre les répétitions d’un soir sur l’autre et les effets d’habitude en introduisant de l’indéterminé dans l’interprétation (ou geste musical). Cunningham préfère s’assurer d’une permanence dans l’exécution du geste dansé. Il pense que l’indéterminé (tout comme l’improvisation) en danse ramène au confort de ce que l’on sait déjà faire, par habitude, plutôt que de conduire à se confronter à la difficulté d’un geste en quelque sorte extérieur à soi. Tous deux agissent bel et bien au nom d’un rejet de l’habitude mais la solution trouvée pour le geste musical ou le geste dansé diverge, au nom d’une conception opposée du rapport à la mémoire et à la difficulté d’exécution du geste. D’un côté l’habitude du geste musical est à proscrire et doit être bousculée par l’indéterminé, le musicien prenant des décisions dans l’instant et mettant à distance son rapport à la mémoire dans l’exécution50 ; de l’autre le geste dansé préserve son tranchant et son rapport au présent en se confrontant à la difficulté d’exécution d’une chorégraphie51, plutôt qu’en laissant s’introduire de l’indéterminé susceptible de conduire le danseur à des coordinations plus familières (autrement dit à l’habitude)52. Ces solutions relatives restent discutables tant musiciens aussi bien que danseurs, confrontés à la virtuosité ou à l’indéterminé, peuvent mettre à distance l’habitude. Ces solutions constituent alors davantage des partis pris esthétiques et gestes discordants entre Cage et Cunningham, issus pourtant d’une conception commune aux deux artistes. Cage justifie le choix de Cunningham à sa façon : « Vous rencontrez là la différence inéluctable entre danse et musique, entre les mouvements d’un corps humain et la "danse" des sons. […] Si deux sons se cognent, il n’y a pas de problème ; dans le cas d’une chorégraphie, la rencontre un peu violente de deux danseurs peut interdire à l’un d’eux de continuer à danser. […] La musique nous donne un modèle pour une vie dégagée de toute utilité. Tandis que la chorégraphie est un exemple de ce qu’il faut faire pour vivre avec l’utilité53 ».
S’il « faut laisser être les sons54 », le geste du danseur n’est donc pas libre, moins pour des questions de survie soulignées par Cage, que pour des questions de style et d’ordre (quand bien même il serait issu d’un processus aléatoire) à préserver. Le danseur ne dispose pas, comme les musiciens de Cage, d’une partition très ouverte à interpréter. Cage écrit que « le contraste entre la liberté des sons et la non-liberté des danseurs peut donner [au public] l’idée qu’un ballet est une rencontre, un choc, et pas seulement un unisson55». Cette non-liberté du geste du danseur est doublée d’une forme d’effacement au profit du mouvement, défini par le chorégraphe comme expressif au-delà de toute intention56. Le geste dansé chez Cunningham est alors analysé par Hubert Godard comme aussi neutre que possible : c’est d’abord du mouvement, obligeant « le spectateur à voir le signe, la figure, pour ce qu’ils sont57 ». Godard analyse que « la prise de distance entre l’émotion du danseur et ce qu’il produit se rejoue chez le spectateur entre la figure observée et sa propre émotion58 ». Il me semble que si le spectateur n’est pas d’emblée entraîné par la danse, par sa pondéralité, c’est bien du côté d’un rapport à la durée, au timing singulier de chaque danseur, qu’une relation forte se noue. D’autant que ce timing n’est probablement pas régi par le hasard. Car rappelons que malgré le discours officiel, le chorégraphe ne détermine pas tous les éléments de ses pièces au hasard, qu’il avoue aussi utiliser d’autres méthodes de composition, qu’il a pu parfois faire naître un mouvement en décrivant au danseur quoi faire ou en montrant trop vite une séquence à imiter – autant de moyens pour laisser malgré tout l’interprète inventer son geste et affirmer son timing59. Si Cage laisse aller les sons, Cunningham encadre la possibilité du surgissement des gestes mais peut se laisser surprendre par la qualité propre d’un interprète.

5Pour finir, il convient de souligner un dernier écart dont la dimension politique n’est pas sans effet sur le geste musical et dansé. Il s’agit d’une part du rapport à la hiérarchisation des gestes et des sons et d’autre part de la conception de la direction du geste – au sens où l’on parle de direction d’orchestre. Cette conception diffère entre le compositeur et le chorégraphe. Du côté de Cage s’affirme une anarchie60 dont l’effet sur l’organisation du concert est le rejet progressif du chef d’orchestre au profit d’une égalité des places occupées par chacun, ainsi qu’esthétiquement, une dé-hiérarchisation entre les sons. À l’inverse, la hiérarchie est dans les faits maintenue chez Cunningham : hiérarchie entre les gestes61, mais aussi au sein de la compagnie qui porte le nom de son chorégraphe-directeur. Ces deux niveaux ont précisément été dénoncés par les danseurs du Judson Dance Theater (jusqu’à la fin des années 1960) qui ont sur ce sujet préféré prendre modèle sur Cage plutôt que sur Cunningham. Ce dernier a certes déclaré : « Le geste de la danse va du geste quotidien à la virtuosité. Il ne faut se priver de rien. Chaque danse n’utilise pas tout le registre, mais le registre est celui-là62 ». Il préfère néanmoins confronter les danseurs à une difficulté qui maintient le geste dans une forme de vigilance et d’attention au présent. Influencés par les théories et la pratique de Cage, les danseurs du Judson quant à eux utilisent parfois l’aléatoire et inventent également différentes façons de composer la danse, en travaillant sur l’invention de partitions ou programmes d’actions (qui doivent aussi à la façon de travailler d’Anna Halprin). Ces partitions introduisent une large part d’indéterminé dans l’exécution du geste. De plus, ces artistes déhiérarchisent plus radicalement le mouvement que Cunningham ne l’a fait, donnant une large place aux non-danseurs ou travaillant sur une mise en scène et un imaginaire du quotidien qui estompent la virtuosité gestuelle dont ils sont par ailleurs capables (nombre d’entre eux ont été ou seront danseurs chez Cunningham !). Plus proches de l’anarchie politique prônée par Cage, ils ont pu par ailleurs s’organiser en collectif sans directeur ou en réseaux informels sans leader (ainsi du contact improvisation à partir de 1972).
Étrangement, Cage continue de défendre Cunningham coûte que coûte. Il considère qu’un chorégraphe comme Cunningham accaparé par l’entraînement et la direction d’une compagnie de danse n’a pas le loisir de se demander s’il est anarchiste ou pas63. Il soutient également la virtuosité maintenue au sein de la compagnie : « Nos idées communes ont conduit bien des danseurs et chorégraphes plus jeunes à renoncer à la technique vigoureuse que, pour sa part, il maintient à tout prix. Et lorsqu’il voit ce que font ces danseurs et chorégraphes, Merce est souvent tenté de mettre en question la discipline extrême qu’il maintient, jusqu’à présent, dans sa troupe. Eh bien, je crois qu’il est capital qu’il ait tenu à préserver cette discipline – en ce qui le concerne. Pourquoi ? Parce que l’énergie à son plus haut niveau, telle qu’elle peut être exprimée par le mouvement du corps humain, ne jaillira que si les danseurs ont eu le courage de s’entraîner avec une extrême minutie. Cela, il l’a dit et répété. Et il a eu raison64». Face à Cunningham, par une forme d’intrication complexe entre l’intime (l’affect), l’esthétique et le politique, Cage semble parfois oublier les principes qu’il a lui-même posés. Et sans doute le lecteur ne peut répondre à cela que par un grand éclat de rire.

Échange et discussion

6Échange et discussion à propos de l’improvisation chez Cage et chez Cunningham ; de l'indétermination et de l'aléatoire, du refus du jazz, du danseur cunnighamien et de l’interprétation.

7http://193.54.159.132/vod/media/COLLOQUES/MUSIDANSE/musidanse_julie_perrin.mp4

Notes   

1 S’adresser à des musicologues a conduit à envisager cette perspective : une première étape de cette réflexion a en effet été présentée lors de la table ronde intitulée « John Cage e l’avanguardia musicale a New York » (avec Gianmario Borio, Max Noubel, Robert Piencikowsk, Julie Perrin, Veniero Rizzardi, Gianfranco Vinay), 16e colloque international de musicologie de la revue Il Saggiatoremusicale, DAMS,Bologne, Italie, 16 novembre 2012, coordonnée par Gianfranco Vinay. Pour un point de vue musicologique sur la relation entre Cage et Cunningham, nous renvoyons au récent ouvrage : Julia H. Schröder, Cage & Cunningham Collaboration. In- und Interdependez von Musik und Tanz, Hofheim, Wolke, 2011.

2  John Cage, « Entretien avec Jean-Yves Bosseur à Paris, janvier 1973 », in Jean-Yves Bosseur, John Cage, Évreux, Minerve, (1993) 2000, p. 176-177.

3 Bonnie Bird (1914-1995), danseuse puis assistante de la Martha Graham Dance Company, dirigera le département danse de la Cornish School of the Arts à partir de 1937.

4 Cage divorce de sa femme Xenia Andreyevna Kashevaroff en 1945.

5   Syvilla Fort (1917-1975) est une danseuse et chorégraphe afro-américaine.

6   Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 15.

7 Réédité dans la 2e édition de John Cage, Silence, Wesleyan University Press c/o Curtis Brown Limited, 1961 (trad. Monique Fong, Silence. Discours et écrits, Paris, Denoël, « X-trême », 2004, p. 46-47).

8 in Dance Observer, réédité dans Silence. Discours et écrits, op. cit., p. 48-52.

9 Cunningham semble en réalité moins influencé rythmiquement par le ballet classique que par les claquettes et les danses sociales traditionnelles (régulièrement citées dans ses chorégraphies, de manière évidente dans Roaratorio (1983) par exemple où Cage joue aussi de références à la musique traditionnelle irlandaise).

10  Louise Lippold est par ailleurs interprète de la chorégraphie de Cunningham A Diversion présentée dans le même programme. Voir Mary Emma Harris, « John Cage at Black Mountain College by Mary Emma Harris. A Preliminary Thinking », inhttp://www.blackmountainstudiesjournal.org/volume-iv-9-16/mary-emma-harris-john-cage-at-black-mountain-a-preliminary-thinking/ [consultation : juillet 2016]

11 L’« École de New York »  désigne un mouvement en arts plastiques (Franz Kline, Willem De Kooning, Robert Rauschenberg) avant de signifier l’activité musicale de John Cage, Morton Feldman, Earle Brown et Christian Wolff.

12 Voir Carolyn Brown, Chance and circumstance. Twenty years with Cage and Cunningham, New York, Knopf, 2007.

13  Cet intérêt pour les neuf émotions permanentes de la tradition indienne intervient dans l’œuvre de Cage dès 1943 (Amores) et dans les seize sonates et quatre interludes pour piano préparé composés de 1943 à 1948 (Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 22). Les neuf émotions permanentes se répartissent en quatre émotions lumineuses (humour, héroïsme, merveilleux, érotisme) et quatre émotions sombres (colère, chagrin, haine, peur) ; la neuvième est la tranquillité.

14 Propos tenus en 1970, in John Cage, Pour les oiseaux. Entretiens avec Daniel Charles, Paris, L’Herne, 2002 (1ère éd. Belfond, 1976), p. 37.

15  « Entretien avec Bill Womack », in Zero, vol. III, Los Angeles, Zero Press, 1979, p. 70, cite par Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 26.

16 Que l’on pourrait définir comme un sens kinesthésique (ou une transposition en mouvement) du rythme et de la mélodie.

17 in John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., pp. 198-199.

18 John Cage, Michael Kirby, Richard Schechner, « An Interview with John Cage », The Tulane Drama Review, Vol. 10, No. 2 (Winter, 1965), pp. 50-72.

19 Carolyn Brown, Chance and circumstance, op. cit., pp. 92 et 96.

20 Idem, p. 118.

21 Idem, p. 129.

22 Idem, p. 80.

23 Idem, p. 138.

24 Merce Cunningham, « Un processus de collaboration entre la musique et la danse », Revue d’esthétique, Paris, Privat, nouvelle série n° 13-14-15, 1987-1988, trad. Carol Richards (1ère éd. : « A collaborative Process Between Music and Dance », Tri-Quaterly 54, 1982), p. 161.

25 in Dance Observer, réédité dans Silence. Discours et écrits, op. cit., pp. 53-54.

26 Novembre 1957, réédité dans Silence. Discours et écrits, op. cit., pp. 55-56.

27 On trouve une analyse détaillée de cela par William Fetterman, « Merce Cunningham and John Cage: Choreographic Cross-currents », Choreography and Dance. An International Journal, Reading, Harwood academic publishers, vol. 4 – Part 3, 1997, pp. 59-78.

28 In Emmanuelle Huynh, Denise Luccioni, Julie Perrin (eds.),Histoire(s) et lectures :Trisha Brown / Emmanuelle Huynh, Dijon, les presses du réel, 2012, p. 127.

29  Qu’ils soient danseurs à proprement parler importe moins que le fait d’être en nombre et confiants dans la démarche de Cage pour l’aider dans la mise en place de ce tirage au sort.

30 Cage cité par Gordon Mumma, « From Where the Circus Went », Germano Celant (dir.), Merce Cunningham, Milano, Charta, 1999, p. 272 (1ère ed. James Klosty, Merce Cunningham, New York, Saturday Review Press/E. P. Dutton, 1975, pp. 65-73).

31 Les Events sont des soirées composées à partir d’extraits du répertoire actif de la MCDC, combinés aléatoirement, dansés sur une musique en continu et le plus souvent hors du lieu théâtral. Le premier Event a lieu au Musée du XXe siècle à Vienne lors de la tournée de 1964, faute de lieu théâtral disponible.

32 Ibid., pp. 277-278.

33 John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.170.

34 Il s’agit de Life Forms, reposant sur la logique de la lecture du geste par Laban, logiciel dont Cunningham a collaboré à la conception.

35  John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.198.

36 J’ai développé ce point dans le chapitre consacré à Cunningham : Julie Perrin, Figures de l’attention. Cinq essais sur la spatialité en danse, Dijon, les presses du réel, 2012.

37 « Les émotions, tout comme les goûts et la mémoire, sont trop étroitement liées au moi, à l’ego. Les émotions manifestent que nous sommes touchés à l’intérieur de nous-même, et les goûts témoignent de notre façon d’être touchés à l’extérieur. On a fait de l’ego un mur », John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.58.

38 Ibid., p. 44.

39 Pour une analyse critique des écarts entre les déclarations de principe de Cunningham et ses réalisations, voir Julie Perrin, Figures de l’attention, op. cit., pp. 209 et sq.

40 John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p. 198.

41 « [L’énergie] se nourrit du mouvement lui-même et du fait de penser, même lorsqu’on est immobile, qu’en réalité on est déjà en mouvement. La sensation est alors constamment celle du mouvement, il n’y a pas de pose. [Je pense] tous les mouvements en ces termes, c’est-à-dire non pas comme un ensemble d’activité et de repos, mais le repos lui-même étant pensé comme une activité dans l’inactivité». Merce Cunningham, Le Danseur et la danse, Entretiens avec Jacqueline Lesschaeve, Paris, Pierre Belfond, coll. Entretiens, 1988 (1ère éd. 1980), pp. 143-144.

42 Voir la très bonne synthèse par Annie Suquet, « La Collaboration Cage-Cunningham : un processus expérimental », Repères –cahier de danse, n° 20, novembre 2007, pp. 11-16.

43 Richard Kostelanetz (dir.), Conversing with Cage, Routledge, New York, London, 2003 (1ère ed. 1987), p. 204.

44  Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 10.

45 Isabelle Ginot, « Entretien avec Merce Cunningham : montrer et laisser les gens se faire une opinion », Mobiles. Danse et Utopie, Paris, L’Harmattan, « arts 8 », n° 1, 1999, pp. 199-208.

46 Earle Brown, Remy Charlip, Marianne Preger Simon, David Vaughan, « The Forming of an Esthetic: Merce Cunningham and John Cage. A Symposium (1985) », in Richard Kostelanetz (dir.), Merce Cunningham. Dancing in Space and Time, a capella books, Chicago Review Press, 1992, pp. 56-58 (1ère éd. : Ballet Review, New York, 1987).  Cage Bosseur: 50/74

47  John Cage parle aussi d’« horloge intérieure » (1992), cité par Jean-Yves Bosseur, op. cit., p. 50.

48 Seule dans Field Dances (1963) et Paired (1964) la forme de la danse était déterminée spontanément pendant la performance. Pour Story (1963), Scramble (1967), Canfield (1969), Signals (1970), Landrover et TV Rerun (1972) l’ordre des danses pouvait changer mais cela était décidé avant la représentation et le plus souvent répété au préalable. La part d’indéterminé du geste dansé était donc minime. Et Cunningham a pu décider de mettre vite fin à ces expérimentations ; voir Carolyn Brown, Chance and circumstance, op. cit., p. 359 en particulier.

49 Merce Cunningham, « Un processus de collaboration entre la musique et la danse », art. cit., p. 161.

50 « Les émotions, tout comme les goûts et la mémoire, sont trop étroitement liées au moi, à l’ego », John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.58.

51 La danseuse Mariane Simon Preger souligne que la difficulté technique empêche le danseur de penser à autre chose qu’à simplement faire ce qu’il fait. In Earle Brown, Remy Charlip, Marianne Preger Simon, David Vaughan, art. cit., p. 62.

52 « Lorsque vous créez une danse, si vous la faites à partir de données qui ne sont pas familières, aussi bien dans le mouvement que dans les modes de passer d’un mouvement à l’autre, le danseur et le chorégraphe ont l’un et l’autre une chance de découvrir quelque chose. Dès que cela devient connu, familier, la vie se perd. Et si vous êtes danseur, il est vital de vous rendre constamment la danse "difficile" (…) de sorte que lorsque vous y revenez [le mouvement] ait gardé toute sa fraîcheur, sa vivacité. Dès qu’une danse devient connue, elle perd beaucoup de son tranchant». Merce Cunningham, Le Danseur et la danse, op. cit., p. 141.

53 John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.197.

54 Ibid., p.108.

55 Ibid., p.210.

56 Merce Cunningham, Le Danseur et la danse, op. cit., p. 115.

57 Hubert Godard, « Le geste et sa perception », in Marcelle Michelle, Isabelle Ginot, La danse au XXe siècle, Paris, Bordas, 1997, p. 227.

58 Ibid., p. 228.

59 Voir David Vaughan (dir.), « Cunningham and his dancers (1987) », in Richard Kostelanetz (dir.), Merce Cunningham. Dancing in Space and Time, op. cit., p. 101 et sq.

60  Ce positionnement politique est à distinguer de la pratique du hasard qui relève du processus de création et fait appel à une méthode ou discipline rigoureuse.

61 Même si les pièces des années 1960 semblent explorer davantage le geste quotidien, instaurant une forme de dialogue avec la création et les recherches qui se trament alors dans la postmodern dance.

62 Merce Cunningham, « Creuser le mouvement. Entretien avec Pierre Lartigue », art. cit., p. 27. Ou encore : « Mes idées sur la danse ont toujours intégré à une extrémité de l’échelle la possibilité du mouvement simple ; à l’autre celle du mouvement virtuose et de tout ce qui se trouve entre les deux. », Merce Cunningham, Le Danseur et la danse, op. cit., p. 158.

63 Richard Kostelanetz (dir.), Conversing with Cage, op. cit., p. 209.

64 John Cage, Pour les oiseaux, op. cit., p.197.

Citation   

Julie Perrin, «Gestes communs et discordants : John Cage et la danse américaine (1938-1970)», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Gestes et mouvements à l'œuvre : une question danse-musique, XXe-XXIe siècles, Musicalités, mis à  jour le : 05/05/2017, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=800.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Julie Perrin

Julie Perrin appartient au Laboratoire Discours et Pratiques en Danse (MUSIDANSE, E. A. 1572), université Paris 8 Saint-Denis. Membre junior de l’IUF (2016), elle est l’auteure de Projet de la matière – Odile Duboc : Mémoire(s) d’une œuvre chorégraphique (CND/les presses du réel, 2007) et Figures de l’attention. Cinq essais sur la spatialité en danse (les presses du réel, 2012). Articles disponibles : http://www.danse.univ-paris8.fr/chercheur_bibliographie.php?cc_id=4&ch_id=10