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Ecriture musicale et interprétation : compte-rendu d’un engagement musicologique
Le programme « Prose musicale et geste instrumental »

Jean Paul Olive et Álvaro Oviedo
mai 2016

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.764

Résumés   

Résumé

L’article rend compte d’un programme de recherche déposé par Jean-Paul Olive et Alvaro Oviedo dans le cadre de l’Université Paris VIII. Il présente la conviction des auteurs que la transmission musicale la plus exigeante participe à l’édification du Commun, évitant la réification des œuvres, trop souvent considérées comme « biens culturels », pour en révéler la puissance vitale. Le travail sur l’interprétation, rendu accessible par les moyens conjoints du film, du livre et de l’enseignement sous toutes ses formes, met en effet à jour le processus vivant qui anime la chaîne de transmission d’une œuvre d’art. Elle contribue ainsi à l’édification d’une communauté humaine, donnant en partage – compositeur, interprètes, auditeurs réunis - une expérience d’être-au-monde qui suppose la rencontre avec l’inconnu, l’inédit, l’inouï mais qui les subsume grâce au « geste musical, tout autant spirituel que physique, tout autant symbolique que corporel ».

Abstract

This article reports a research program hosted by Jean-Paul Olive and Alvaro Oviedo within the framework of the University of Paris VIII. It presents the conviction of the authors that the most demanding musical transmission participates to the building of the Common, avoiding the reification of the works, too often considered as "cultural goods", to reveal their vital power. The work on the performance, made accessible by the combination of the movie, the book and the teaching under all its forms, opens to view the alive process that drives the transmission chain of a work of art. It shows the living process that allows the transmission chain of a work of art, thus contributing to building a human community, sharing -composer, interpreters, listeners gathered- an experience of being-in-the-world which supposes the encounter with the unknown, the unseen, , the unheard but that subsumes thanks to the "musical gesture, both spiritual and physical, both symbolic and corporal".

Extracto

El presente artículo expone un programa de investigación presentado por Jean-Paul Olive y Álvaro Oviedo en el marco de la Universidad de París VIII. Presenta la convicción de los autores que la transmisión musical más exigente coadyuva a la edificación del Común, evitando la reificación de las obras, demasiado a menudo consideradas como "bienes culturales", para revelar su potencia vital. El trabajo sobre la interpretación, accesible gracias la conjunción de diferentes medios: el audiovisual, el libro y la enseñanza bajo todas sus formas, evidencia el proceso vivo que permite la cadena de transmisión de una obra de arte, contribuyendo así a la edificación de una comunidad humana que comparte- compositor, intérpretes, auditores reunidos- una experiencia de vida que supone el encuentro con lo desconocido, lo inédito, lo inaudito pero que los subsume gracias al " gesto musical, tanto espiritual como físico, tanto simbólico como corporal".

Index   

Texte intégral   

Le programme « Prose musicale et geste instrumental »

1Le programme « Prose musicale et geste instrumental » a commencé en 2012 et se terminera en décembre 2015. Il est pour l’instant constitué de deux étapes : la première — celle dont il est question dans ce compte-rendu — concernait l’étude des Six Bagatelles pour quatuor à cordes d’Anton Webern ; la deuxième, qui est en cours d’achèvement, est centrée sur l’étude du Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg.
Le programme a eu pour objet d’étude principal la catégorie de geste musical dans sa relation avec la partition dans l’acte d’interprétation ; dans le sens le plus concret du terme, il s’agissait pour nous de réfléchir le mouvement physique du musicien en lien avec la résistance de l’instrument, de donner à voir et à comprendre l’énergie déployée qui produit le son dans sa diversité, de saisir l’enchaînement et la conjugaison de ces mouvements singuliers. Cependant, en tant que mouvement empli d’intentions, d’expression et de temporalité, il était évident pour nous que le geste musical est tout autant spirituel que physique, tout autant symbolique que corporel, tout autant sémantique que sensitif. En tant qu’acte d’interprétation, il est relié à la compréhension fine et à la transcription des signes de la partition, une dimension complexe qui est indiquée dans le titre du programme par la référence à la « prose musicale » à laquelle le geste est ici associé.
Acte non seulement pragmatique et acoustique, mais aussi et surtout d’essence profondément artistique, le geste instrumental prend donc place dans une chaîne de transmission d’une complexité et d’un raffinement extrêmes, constituée de moments distincts et pourtant solidaires, interdépendants. Il nous importait particulièrement de montrer comment s’articule cette chaîne : composition et écriture, lecture et interprétation, répétitions et exécution, audition et réception formant les étapes d’un processus qui met en jeu un nombre important de mécanismes culturels, cognitifs, sensitifs, émotionnels, corporels.

2Nous avons donc cherché à expérimenter un certain nombre de démarches à la fois analytiques et pratiques dans le but de mieux comprendre (mais aussi favoriser) l’interaction entre ces moments profondément corrélés au sein d’une logique artistique singulière ; nous l’avons fait à partir d’un certain nombre de postulats qui ont formé le socle méthodologique de notre travail :
- le geste musical devant s’étudier dans la chaîne entière de la transmission, la recherche devait donc comprendre un certain nombre d’étapes : analyse musicale de la partition et étude des sources, échanges et travail avec les musiciens en répétition pour les questions d’interprétation, interrogations sur la transmission de l’expérience sous plusieurs formes (concert, ouvrage écrit, film)
- dans ce but, le programme se devait de créer des liens intimes entre la démarche théorique de la musicologie analytique et la pratique de l’interprétation musicale (trop souvent séparées scientifiquement et institutionnellement). Le but était d’agir sur la chaîne de transmission afin d’explorer en profondeur les dimensions cristallisées dans un geste musical authentique et éloquent.
- la méthode, tout en respectant la démarche musicologique traditionnelle, devait chercher à étudier le modèle singulier du comportement artistique en l’incorporant à la méthode ainsi qu’à la transmission de l’expérience ; en effet, concernant des dimensions aussi complexes et particulières que la mimesis et l’expression, inhérentes à l’interprétation et au geste musical, les modes d’expérimentation et de représentation sont eux-mêmes partie prenante de la recherche. Pour cette raison, le travail pratique d’interprétation et la captation cinématographique se sont révélés essentiels pour l’étude.

3Le titre du programme — Prose musicale et geste instrumental — a été choisi de manière à mettre en avant deux dimensions pour nous essentielles dans l’acte interprétatif :
- dans son acception moderne, telle que Schoenberg l’avait définie, la prose musicale libre constitue un idéal de phrasé et de construction musicale qui renonce à tout élément prédéfini de la composition — carrures régulières, cadences normées, articulations et hiérarchies conventionnelles du discours. Dans cet idéal à la fois musical et poétique, et bien que des fonctions diversifiées demeurent présentes dans la musique, tout ce qui est « dit » se doit d’être également proche du centre, soumis à la même nécessité expressive ; c’est donc devant une intense exigence vis-à-vis du langage poétique et musical que nous place un tel idéal ; cela est d’autant plus vrai que les œuvres choisies pour le programme — Seconde Ecole de Vienne, les années 1910 — marquées par un matériau atonal et un caractère expressionniste, abandonnent de ce fait, logiquement, les matériaux préfabriqués conventionnels hérités de la tradition tonale.
- le geste instrumental, lui, s’est différencié au cours de la modernité musicale et s’est complexifié, à la fois sous l’impact de la spécialisation (des tâches mais aussi des paramètres musicaux) et pour répondre à de nouvelles exigences d’articulation et d’expression. La multiplication des modes de jeux et la diversification des sonorités produites tendent aussi bien, et avec autant d’intensité, vers l’éclatement de la forme à cause des impulsions multiples et souvent violentes, que vers une précision de l’articulation qui rend encore plus apparente la cohérence. De là l’importance de penser cette catégorie comme engagée dans une dialectique  complexe avec celle de la prose musicale.

4En ce qui concerne le corpus, le programme entendait effectuer une relecture nécessaire des œuvres de la Seconde Ecole de Vienne (Bagatelles pour quatuor à cordes d’Anton Webern, Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg), qui présente un corpus particulièrement adapté aux catégories de la chaîne de transmission qui nous intéressaient :
- l’exécution et la réception, du fait de l’importance accordée par ces compositeurs à l’interprétation concrète, au geste musical et à son intelligence (il suffit de penser à la création en 1918 de la « Société d’exécution musicale privée » qui visait à transformer les rapports entre compositeurs, interprètes et public).
- la composition et l’articulation formelle, à travers une conception de la musique tournée vers l’innovation (nombreuses dimensions explorées avec succès par ces compositeurs) et cependant attachée au sauvetage de dimensions traditionnelles modifiées en profondeur (place centrale du contrepoint, de l’expression et du geste).

5Le choix des Bagatelles pour quatuor à cordes de Webern pour la première étape du projet s’explique à plus d’un titre. D’un point de vue strictement pratique, la brièveté des six pièces qui composent l’oeuvre, tout en posant dès le départ un certain nombre de questions intéressantes, rendait possible la réalisation d’un documentaire en moyen-métrage sans amputation de sections de l’œuvre. Par ailleurs, la densité musicale et poétique de ces pièces concentrait l’ensemble des problématiques du programme ; brèves, intenses, réputées difficiles à jouer et à écouter, elles sont incroyablement lyriques et sensuelles, extraordinairement articulées. Schoenberg, dans une préface à l’œuvre, les a décrites avec la plus grande justesse en qualifiant ainsi l’écriture de Webern : « Mais avoir su enfermer tout un roman dans un simple geste, exprimer tout son bonheur dans une seule exhalaison de souffle, voilà qui implique une concentration d’esprit ignorée de ceux qui se complaisent à épancher leurs émotions1 ». La remarque, comme les pièces qu’elle décrit, n’a rien perdu de son actualité : le type de langage musical (atonalité libre), la cohérence compositionnelle et la compétence instrumentale, les qualités techniques engagées dans ces six aphorismes musicaux continuent de faire de cette œuvre un sommet de poésie lyrique instrumentale.

Objectifs  du projet

a) Objectif musical : pour une musicologie active, en relation avec l’interprétation

6 Résolument tourné vers une musicologie active et en dialogue avec les acteurs du monde musical, le programme visait à promouvoir l’intégration du savoir musicologique au sein des classes d’interprétation. Ce travail, qui a été parfois relativement bien accompli en ce qui concerne certains pans de la musique baroque — la recherche d’éléments fondamentaux pour une juste interprétation — est trop souvent laissé de côté en ce qui concerne le répertoire du XXe siècle qui exige pourtant tout autant de connaissances des contenus techniques et spirituels transmis dans des formes d’écriture musicale qui sortent des sentiers battus. De ce point de vue, les prémisses du programme ont été clairement établies :
- un compositeur ne compose pas seulement avec des notes et autres éléments « matériels ou solfégiques », mais aussi et sans doute surtout avec des gestes qui cristallisent des idées, des intentions, des émotions, des sensations. Ce sont ces « gestes » complexes qu’il s’agit de reconstituer par l’acte de recherche, de comprendre et de transmettre à l’interprète et à l’auditeur ; les contenus esthétiques et spirituels ne sont pas des éléments « en plus » de la technique musicale, mais sont le cœur même de celle-ci ; ce sont eux qui déterminent la matérialité même de la texture musicale, son articulation et ses caractères. Qu’ils viennent à manquer, et l’œuvre se voit frappée de mutisme, sa dimension expressive se trouvant alors mutilée ;
- l’échange entre la musicologie et l’interprétation est véritablement à double sens ; si le musicologue apporte de nombreuses informations de type analytique, historique et esthétique, le travail avec l’interprète permet de son côté de confronter la théorie à la pratique gestuelle ; dans ce contexte, il est  particulièrement intéressant d’étudier comment des éléments qui transitent par des circuits de type intellectuel acquièrent, au cours des répétitions et de l’exécution, une présence et une densité corporelles et émotionnelles en trouvant le cheminement gestuel juste qui produira la sonorité ou le phrasé correspondant à la teneur de l’œuvre. Seul un travail régulier dans la durée peut permettre une telle expérimentation.
- dans le contexte industriel et commercial actuel de reproduction mécanique et souvent réifiée de la musique, il est urgent et important de transmettre une conception différente de la reproduction, c’est-à-dire de promouvoir l’idée que la musique n’est pas un objet, un produit, mais un processus vivant et ouvert d’un bout à l’autre de la chaîne de transmission..

b) Objectif interdisciplinaire : la relation entre musique et images, penser un medium cinématographique

7Pour chaque œuvre du programme, un film documentaire a été prévu, la relation entre musique et images étant l’un des aspects centraux du projet. Les fonctions du film documentaire se sont révélées multiples au sein du programme :
- le film permet la synthèse des informations musicologiques transmissible sous une forme dynamique et sa mise en contact avec les performances de l’interprétation par le montage et la réflexion sur cette opération.
- il permet de confronter les étudiants interprètes à un fonctionnement artistique d’un type différent, propre à interroger certains comportements habituels grâce à la nouvelle situation et l’observation objectivée des moments de répétition et d’exécution.
- il propose un nouveau modèle d’expérimentation pour la réflexion théorique, par un support particulièrement adapté à la problématique du geste musical.

8On a fait ici le pari que, inversant la relation conventionnelle et trop fréquente entre les deux médias, l’image, ici au service de l’oreille, devait pouvoir participer de manière active et critique à transformer la perception de la musique, à faire évoluer sa transmission en permettant un approfondissement progressif, par paliers en quelque sorte, de la perception auditive. L’image, par différents procédés qu’il s’est agi de développer et d’adapter à l’œuvre, a été dès le départ conçue comme une potentialité de ralentissement des processus d’incorporation du texte musical, ou, si l’on préfère, comme une sorte de « microscope » de l’écriture au moment de son assimilation gestuelle par les interprètes. Sa deuxième fonction a été de rendre le plus fluides possibles les frontières entre les aspects théoriques de l’apprentissage et les processus pratiques de l’exécution.

c) Objectif pédagogique et méthodologique

9Si la transmission musicale était au cœur du programme de recherche, ceci induisait que soient respectées, à toutes les étapes du travail, les qualités et dimensions du comportement artistique qui lui sont immanentes ; plus précisément, les caractères de ce comportement nécessitaient un positionnement de la recherche et une méthodologie particulière qui correspondent à des principes spécifiques, différents de ceux d’autres secteurs de la recherche. On citera parmi les plus importants :
- une approche rationnelle, certes indispensable, mais qui laisse sa juste place au versant mimétique et intuitif tout aussi indispensable à l’activité artistique, tant dans la compréhension des processus que dans leur présentation.
- une compréhension des données culturelles et sociales intégrées dans les œuvres artistiques qui, cependant, ne cherche aucunement à réduire ces dernières à un message par une approche sociologique ou anthropologique car les oeuvres dépassent cette dimension du fait même de la créativité propre à l’art.
- une attention particulière à la spécificité de la relation entre l’écriture musicale – un système de signes très particulier – et l’oralité, ou plutôt la gestualité, propre à l’interprétation musicale ; il s’agit là d’une dimension trop souvent laissée de côté à cause de la technicité propre à la musique, une dimension que le programme place au centre de la recherche, de même que la nécessité de trouver les formes adéquates pour transmettre cette relation.
- la prise en compte de l’impossibilité, dans le domaine de l’art, de séparer le contenu de la forme, phénomène que la méthode de recherche (et sa présentation) se devait d’intégrer, faute de quoi elle aurait menacé d’assécher une part fondamentale de la teneur artistique.

10Ces principes impliquaient que le programme fasse une large place, dans toutes ses étapes, à une réflexion sur les supports et les modes de transmission, tant textuels que filmiques, visant à développer une méthode d’approche musicologique conçue moins comme une connaissance abstraite plaquée sur son objet que comme une méthode d’auscultation des processus artistiques, apte à transcrire les tensions vivantes qui habitent les œuvres et se communiquent lors des interprétations réussies.

d) Objectif institutionnel : constitution d’un cadre de recherche et de didactique au sein du Pôle supérieur de musique 93

11Créé depuis 2009 dans le cadre de la transformation des diplômes du ministère de la Culture en diplômes d’enseignement supérieur, le Pôle supérieur de musique 93 réunit un certain nombre d’institutions ayant pour but la formation de haut niveau d’interprètes musiciens professionnels : Conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers-La Courneuve, Université Paris 8 (département de musique), CeFEdeM d’Ile-de-France. Un projet pédagogique fort a, dès le départ,  lié l’université et le CRR, projet dont l’un des enjeux est l’alliance de l’apprentissage instrumental et de la musicologie afin de constituer une formation la plus complète et complémentaire possible des étudiants interprètes. Cette formation de trois ans octroie aux étudiants à la fois un diplôme d’interprète de haut niveau, une licence de musicologie, et dans certains cas un Diplôme d’Enseignement de l’instrument.
C’est dans ce cadre institutionnel et pédagogique – un cadre voué à une évolution importante, tant en ce qui concerne sa structure interne (création d’un EPCC) que sa place dans le paysage universitaire et culturel – que prend place le programme proposé ; il est pensé comme un prototype associant la recherche, la formation et la diffusion pour des projets qui pourraient constituer un versant de la méthodologie pédagogique associant véritablement la formation à l’interprétation, la connaissance musicologique et la transmission de la musique.

Déroulement du projet

12Les étapes du projet ont été les suivantes :
- a) analyse approfondie de la partition, lecture et travail sur les sources bibliographiques diverses, repérages nécessaires pour les prises de vue.
- b) écriture du scénario précis et début de l’élaboration du projet avec les divers partenaires — musicologues, interprètes, équipe de tournage. Parallèlement, des conférences et séances de travail sur l’œuvre et l’écriture de Webern ont été organisées durant cette période en direction des participants non musicologues du projet (interprètes, réalisateur et étudiants prenant en charge la partie technique). Dans la deuxième étape de projet, sur le Pierrot lunaire, les conférences, insuffisantes, ont été remplacées par un séminaire semestriel pour les étudiants du Pôle Sup 93 qui participent au projet, séminaire ouvert aux étudiants de licence.
- c) tournage et montage du film, puis étalonnage et mixage.
- d) écriture de l’ouvrage scientifique qui rassemble toutes les données travaillées lors du programme et qui place au centre de sa problématique la relation entre l’interprète, son geste et la partition.

Résultats du projet

13Les résultats du programme sont aujourd’hui consignés dans un ouvrage paru au Presses Universitaires de Rennes2, ouvrage hybride constitué de trois parties distinctes :
- la première partie, qui comprend la traduction du texte d’Adorno sur les Bagatelles, est caractérisée par une approche de type esthétique et plutôt générale sur l’écriture de Webern. Après une introduction au texte d’Adorno et sa traduction elle-même, suivent un texte sur les relations entre l’écriture de Webern et la peinture de Klee et un texte sur la dimension utopique du lyrisme webernien. Cette première moitié de l’ouvrage se termine avec un texte sur la prose musicale chez Schoenberg à travers une étude sur les Six petites pièces pour piano opus 19, puis, pour finir, un texte plus spécifiquement consacré à la place du geste dans les Six bagatelles opus 9.
- la deuxième partie est entièrement dédiée à l’étude approfondie des six bagatelles, l’angle d’attaque étant résolument analytique et tourné plus particulièrement sur les relations entre composition et interprétation, entre le monde des signes écrits sur la partition  et la dimension des gestes instrumentaux.
- la troisième partie, on l’a compris, suppose un changement de médium et s’approche grâce à l’image cinématographique au plus près du geste et du processus d’interprétation. Le film documentaire réalisé par Stéphane Gatti nous invite à pénétrer au sein  d’une expérience esthétique où la séparation entre théorie et pratique n’a plus cours car, précisément, la profondeur de l’expérience esthétique implique que les multiples strates qui la constituent, dont certaines paraissent contradictoires, entrent dans un processus d’interaction. Si l’œuvre, comme le disait Adorno, est un champ de tensions, c’est bien parce qu’elle fait jouer entre elles toutes les forces qui la composent. Dans ce sens, interpréter une œuvre veut bien dire en saisir les forces et tensions en tant qu’écriture et les transcrire dans les gestes musicaux qui vont résonner. C’est volontairement qu’on a repoussé dans le film tout commentaire analytique en voix off, refusant par là même le ton souvent doctoral et statique qui l’accompagne. La mise en contact des séquences de travail, des lectures et des commentaires exprimés par les musiciens constitue le processus dynamique grâce auquel une connaissance sensible fait son chemin chez le spectateur jusqu’à la séquence finale. Là, le microscope s’éteint, l’image recule, laissant la place au temps de l’oeuvre ; l’image écoute le quatuor Van Kuijk, le quatuor de jeunes artistes qui ont accepté de participer au projet, interprétant l’intégralité fugace des Bagatelles pour quatuor à cordes d’Anton Webern.

Notes   

1  A. Schoenberg, Le style et l’idée, Buchet-Chastel, Paris, 1977, p. 381.

2  Jean Paul Olive et Álvaro Oviedo,  Prose musicale et geste instrumental, les Six Bagatelles pour quatuor à cordes op.9 d’Anton Webern, Presses Universitaires de Rennes, 2015.

Citation   

Jean Paul Olive et Álvaro Oviedo, «Ecriture musicale et interprétation : compte-rendu d’un engagement musicologique», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Edifier le commun, II, Pour des universités ouvertes, mis à  jour le : 18/05/2016, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=764.

Auteur   

Jean Paul OliveÁlvaro Oviedo