Logo du site de la Revue d'informatique musicale - RFIM - MSH Paris Nord

Olga Neuwirth. Vigilance oblige

Laure Gauthier
septembre 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.532

Index   

Texte intégral   

1Très tôt dans sa carrière, dès l’essai « Music and Peace » rédigé en 1988, la compositrice autrichienne Olga Neuwirth a exprimé son agacement, son allergie même, à tout rapprochement entre musique et politique1. Quand, dans ce texte, elle dénonce l’utilisation de l’art comme moyen de propagande au service du pouvoir politique, elle ne pense pas seulement au passé nazi de son pays d’origine, l’Autriche, ni aux musiques favorites de François Joseph comme la « marche Radetzky », mais aussi à des marches militaires commandées récemment pour rendre hommage au Président de la république autrichienne2. C’est parce qu’il est abstrait que le matériau sonore est à ses yeux « flou » et « indéterminé » et qu’il se prête, plus que tout autre, à la récupération politique et à la manipulation, dès lors qu’on lui associe des contenus idéologiques. Le réquisitoire de Neuwirth s’attaque donc également aux projets musicaux utopiques qui entendent transmettre au public l’idée de la possibilité d’un monde meilleur à l’instar de Frieden auf Erden (op. 13) de Schönberg, qui exprimait en 1907 l’espoir d’une paix éternelle. Dans plusieurs interviews, la compositrice oppose à une musique puissante, porteuse d’utopies ou d’idées politiques, une musique éphémère et fragile dont le contenu ne saurait être réduit à un message précis. « La musique ne doit pas rendre fort »3, telle est la devise de celle qui n’a de cesse d’évoquer à la fois l’évanescence de la musique et sa propre fragilité. Olga Neuwirth refuse la prétention de l’art engagé, tel qu’ont pu l’incarner les écrivains de langue allemande Bertolt Brecht et, plus récemment, Peter Weiss, ou le compositeur Luigi Nono4, à modifier la conscience du récepteur et à le pousser à agir. Ses compositions n’ont pas vocation à faire passer de message politique et, plus généralement, l’œuvre d’art ne doit à aucun moment devenir didactique5 :

« Comme il ne m’est pas possible de transcrire dans ma musique de belles apparences, des buts ou des représentations idéales, je ne peux que mettre en musique l’incapacité à arriver, l’hésitation devant le but, la peur du commencement définitif. Je ne veux imposer de leçon à personne, mais seulement rappeler au travers de ma musique la douleur et la délicatesse qui entourent le monde, ce qui est trouble dans l’espace public, ce qui est vain dans la vie des hommes »6.

2Ce refus d’une œuvre d’art hétéronome, qui aurait son sens en dehors d’elle-même, dans le message politique dont elle serait chargée, ne signifie pas pour autant un « retour » à une conception métaphysique de la musique7 : la musique n’est pour Neuwirth ni un équivalent de la religion qui révèlerait un absolu transcendant, comme L. Tieck, F. Schlegel ou encore E.T.A. Hoffmann ont pu la définir autour de 18008, ni un art élevé au rang de la religion comme on le postule après 1850, dans les théories formalistes qui définissent la forme musicale comme un but en soi.
Si l’art n’a pas vocation à transmettre un message, la compositrice n’exclut pas pour autant totalement que l’écoute d’une œuvre musicale puisse s’accompagner d’un effet social voire politique : au contraire le caractère fragile du matériau sonore est précisément propice à produire un tel effet. Olga Neuwirth se situe dans la continuité de l’esthétique de Theodor W. Adorno : l’art – après Auschwitz – ne doit plus proposer de discours positif, puissant, prétendant dire la totalité et modifier les consciences et le réel9. Dans une conception plus résignée, Adorno n’excluait pas qu’en dévoilant sa propre vulnérabilité, l’œuvre d’art puisse faire prendre conscience à celui qui la reçoit, de la puissance des structures aliénantes. Elle oppose à la transparence des mécanismes de la société des mass-médias, son opacité qui lui confère sa valeur de résistance. Neuwirth qui se définit elle-même comme « dépressionniste »10-, reconnaît que le matériau sonore, parce qu’il disparaît toujours de nouveau, peut – davantage que les arts plastiques, faire prendre conscience au récepteur des « pétrifications » de la société occidentale, des architectures de pensées politiques et sociales figées et limitées que nous imposent celle-ci11. Nous verrons comment, dans la perspective de Neuwirth, l’écoute peut permettre de transgresser, le temps de la confrontation à l’œuvre, des schémas sociaux ou politiques. Par ailleurs, il conviendra de comprendre le caractère hétérogène de ses drames musicaux « fracturés » ( aufgebrochenes Musiktheater ), composées d’éléments hybrides – notamment filmiques, musicaux et poétiques –, reliés les uns aux autres par des « sutures » apparentes, qui doivent offrir à l’auditeur à la fois des espaces de liberté, lui permettant d’échapper à la violence et à l’étroitesse du monde contemporain, et des éléments sémantiques qui l’aideront à discerner les « tendances fascistes » de la société12. Ainsi conçue, l’œuvre d’art musicale pourrait éveiller l’auditeur et le spectateur non pas à un engagement politique, mais à une conscience critique. Nous verrons que le procédé de la « déconstruction » dans son œuvre ainsi que certains moyens relevant de la satire tiennent une place centrale dans la constitution de cette vigilance.
Pour Olga Neuwirth, la seule façon qu’a un artiste d’agir sur le monde qui l’entoure est de faire apparaître l’acte créateur au sein même de l’œuvre13. La valeur autoréférentielle de l’art peut recouvrer un rôle social, dès lors que le récepteur prend conscience de mécanismes sociaux ou politiques en regardant ou écoutant une œuvre. Pour ce faire, la compositrice associe sa démarche créatrice à l’architecture déconstructiviste. C’est dans les années 1980, en visitant à Santa Monica la première réalisation déconstructiviste, la maison de Franck Gehry, qu’elle prit conscience de la parenté entre ses propres expérimentations avec le matériau sonore et celles des architectes du mouvement déconstructiviste. En prenant appui sur la déconstruction telle que Derrida l’avait définie pour la philosophie et la littérature, un groupe d’architectes réuni autour de Frank Gehry, Marc Wighley et Philip Johnson, s’est appliqué dès 1988, à remettre en question les lois de la tectonique14. Il ne s’agit pas d’une simple application de la théorie de Derrida à l’architecture, mais davantage d’une poursuite du geste analytique et subversif du philosophe. Si celui-ci voulait amener le lecteur à effectuer des jeux de comparaisons entre des textes pour « déconstruire » des systèmes de pensées figés et révéler certaines contradictions, il entendait, ensuite, permettre de recomposer des œuvres, délivrées de l’emprise de l’auteur et des normes établies. En architecture, il s’agissait, par analogie, d’ouvrir l’espace à des réflexions nouvelles en identifiant les dilemmes ou les contradictions non seulement inhérentes aux lois de l’architecture, mais aussi à celles de la société et de la culture dans lesquelles un bâtiment doit s’inscrire. Pour ce faire, il ne convenait pas de confronter entre eux deux ou trois bâtiments à la manière dont on compare des textes pour déconstruire un discours, mais bien plutôt de remettre en question des gestes fondateurs de l’architecture, inscrits depuis des siècles dans des discours esthétiques et des enseignements pratiques et de déconstruire des couples de notions antithétiques comme par exemple l’examen de la poussée et de la portée. Les oppositions classiques sont abolies, les rapports hiérarchiques déhiérarchisés. Un mur ne doit plus nécessairement procurer la sensation d’être porteur, pas plus qu’il ne doit avoir pour fonction de séparer le familier de l’étranger, l’extérieur de l’intérieur. Plus généralement, c’est la notion de clôture ou de frontière qui est ainsi déconstruite. En choisissant de construire des murs à la fois non porteurs et non fermés, des architectes comme Rem Koolhaas, Daniel Liebeskind ou encore Frank Gehry ont ensuite libéré une énergie dans l’espace qui permet d’investir celui-ci différemment. Le moment de déconstruction vise à isoler et à rendre visibles les différents éléments architecturaux pour les libérer du corset idéologique qui les agglomère en des architectures figées. Mais le but étant de re-construire d’autres espaces selon des schémas inédits, il semble préférable de parler d’un geste a-tectonique15. Ce geste est aussi radicalement anti-métaphysique en ce qu’il refuse l’idée de hiérarchie ou de subordination des éléments les uns aux autres que suppose la métaphysique16. Ainsi, en faisait voler en éclat les cristallisations esthétiques ou idéologiques, ces réalisations répondant à de nouveaux principes de construction permettent à l’usager ou au visiteur de prendre conscience de ceux-ci. Prenant modèle sur Frank Gehry, Olga Neuwirth définit la composition musicale comme une déconstruction de formes et de structures musicales préétablies. C’est en isolant celles-ci, en les interrogeant qu’on peut arriver, ensuite, à construire des architectures sonores inédites, qui ne correspondent pas aux lois esthétiques et morales de la société occidentale actuelle :

« La déconstruction de corps bien ordonnancés, stables et simples était une démarche proche de la mienne. La déviance des valeurs d’harmonie, d’unité ou de stabilité est découplée de la structure elle-même. Il en ressort alors un tout constitué de parties hétérogènes. C’est là que s’inscrit l’architecture déconstructiviste et c’est là, à ce point de pensée que je voulais alors inscrire mes compositions : en pénétrant le plus possible la structure même d’une composition, afin d’en capter l’instabilité et la rendre visible »17.

3Chacune des œuvres de Neuwirth renferme une forte valeur autoréférentielle : la compositrice y interroge les formes héritées de la tradition en faisant exploser les limites et les hiérarchies établies et tente ensuite de proposer de nouvelles façons de faire vivre et d’organiser le matériau sonore. Toutes ses œuvres renferment des moments d’instabilité, voire d’incertitude structurelle, des déformations et des ruptures. En érodant les sons et les formes, en préparant les instruments pour en tirer un matériau hybride, elle arrache des espaces aux lois de l’harmonie ou de l’unité qu’elle rejette comme idéologiquement dangereuses. Dans la composition de ses quatuors à cordes, notamment Akroate Hadal (1995) et Settori (1999), elle mène au sein même de l’œuvre une réflexion radicale sur la « forme quatuor » qu’il s’agit, d’abord, de débarrasser de ses frontières traditionnelles – organisation en mouvement, conventions rythmiques, etc. – avant de suggérer de nouveaux agencements possibles. Le titre du quatuor à corde de 1995 renferme une allusion à un monstre marin appelé « vampyrotheutis infernalis » inventé par les deux philosophes de la culture Vilém Flusser et de Louis Bec. Cette pieuvre fabuleuse devient une métaphore représentant la partition du quatuor. Invertébré, mobile à l’extrême, le mollusque sous-marin se caractérise également par sa voracité. Il incarne chez Neuwirth une musique qui s’enroule et évolue par mouvements ondulatoires, rapides et insaisissables, il « aspire à nouveau la musique qu’il a produite et qui semble littéralement l’engloutir »18. En reprenant en grande partie le matériau sonore de Akroate Hadal dans un nouveau quatuor, Settori, Neuwirth offre un commentaire musical de l’œuvre de 1995 et permet à l’auditeur de pénétrer les secrets du geste créateur, en lui proposant de nouvelles façons de disposer le même matériau sonore. Dans le premier cas, elle prépare les cordes avec des pinces à papier et des trombones pour créer des sonorités hybrides et plonger dans les profondeurs de l’instrument, explorer et faire exploser son intériorité, tandis que le deuxième morceau, qui comporte de nombreux « extraits » (« settori ») du premier, est fondé sur un flux tourbillonnant de sons qui rappellent, autrement qu’en 1995, le mouvement ondulatoire du monstre marin. Refusant de traiter le matériau sonore selon des schémas traditionnels, voulant abolir les hiérarchies des sons et les segmentations conventionnelles, la compositrice part à la recherche d’architectures autres, issues de la biologie ou de la zoologie, comme ici le monstre aquatique. Sa qualité d’invertébré le prédispose à devenir une architecture alternative à la pensée classique du quatuor. Il reflète en effet une autre organisation de l’espace et du temps musicaux, qui respecte la diversité, le caractère proliférant et à la fois transitoire du matériau sonore. Le corps mou qui se meut par ondulation représente une musique qui ne segmente pas le temps et n’établit pas de rapports de force entre une partie ou l’autre. Par ailleurs, en choisissant un animal des profondeurs aquatiques, la compositrice exprime en filigrane le souhait que l’oreille humaine plonge véritablement dans d’autres espaces musicaux, aussi peu fréquentés que les fonds marins. L’expérience sous-marine devient une expérience sonore qui submerge l’ouïe de l’auditeur et le force à percevoir différemment à la fois ce qu’il perçoit « en immersion » et les sons émergés, c’est donc une façon d’abolir les frontières communément établies entre le haut et le bas, l’intérieur et l’extérieur ou encore le connu et l’inconnu19. Dans Akroate Hadal comme plus tard dans Settori, Neuwirth interroge une forme musicale cristallisée par la tradition, fait exploser la structure pour en extraire le matériau brut et recompose, enfin, l’espace sonore différemment, sans tenir compte des formes hiérarchiques imposées par la société, ici à partir d’un lien linguistique, la métaphore sous-marine, tout en imposant un nouveau rapport au temps, ondulatoire.
Olga Neuwirth s’est par ailleurs attaquée à la forme musicale la plus contestée du XXe siècle : l’opéra. Dans plusieurs essais et différentes réalisations, notamment Bählamms Fest (1999) et Lost Highway (2002-2003), elle a cherché à déconstruire l’opéra en mettant à plat ses différentes composantes pour proposer finalement des façons inédites de relier les arts entre eux. Son projet vise une véritable déhiérarchisation entre les arts, qui ne débouche donc ni sur la domination de la musique vis-à-vis du livret ni, inversement, sur le primat du texte : elle rompt avec tous les débats suscités par l’injonction du prima la musica poi le parole et refuse catégoriquement l’esthétique de l’œuvre d’art total qui, depuis l’antiquité, mais plus encore depuis Wagner (Gesamtkunstwerk ), vise à une alliance des arts dans le but de produire un effet global. C’est toute la tradition post-wagnérienne, qui postulait une convergence des arts, que refuse Neuwirth. Comme avant elle Walter Benjamin, elle rejette la portée métaphysique, philosophique et même politique du Gesamtkunstwerk. Car, comme Benjamin le dénonçait dès 1935 dans L’œuvre d’art à l’ère de la reproductibilité technique,l’utopie du Gesamtkunstwerk peut être récupérée pour asseoir une esthétisation de la politique20 contre laquelle Neuwirth s’érige. L’utilisation simultanée de différents médiums artistiques ne doit donc pas déboucher sur la production d’une forme réactualisée de Gesamtkunstwerk, comme John Cage avait pu le faire dans le cadre du collège du Black Mountain. L’union des arts visant une potentialisation de l’effet produit sur le spectateur peut a priori conduire à des manipulations et doit pour cette raison être proscrite. À ce titre, on peut dire que son projet de « théâtre musical fracturé » (aufgebrochenes Musiktheater )21 est dirigé contre l’idée d’œuvre d’art total. Refusant l’idée d’une unité de l’œuvre et de la vie, elle choisit de faire coexister dans l’œuvre les différents arts, de les laisser interagir tout en conservant leurs différences, afin qu’ils restent perceptibles et identifiables par le public, dès lors susceptible de comprendre leur pouvoir et la séduction qu’ils peuvent exercer :

« La méthode qui m’intéresse consiste à déconstruire les images et les sons / la musique par un discours de la perception, afin de montrer qu’il s’agit d’images et de sons qui fonctionnent selon une certaine logique et sont également manipulables »22.

4À une liaison utopique et homogène entre les arts telle que l’incarnait le Gesamtkunstwerk, Neuwirth oppose le principe de « suture » tel que l’a forgé Waltraud Lehner alias Valie Export, artiste autrichienne engagée, qui réalise notamment des performances et des vidéos23. Olga Neuwirth applique ce principe de composition à Lost Highway. Le travail de déconstruction passe d’abord par une mise à plat des formes et des structures. Ensuite, son travail consiste à opérer des sutures entre les éléments constitutifs. Comme le terme l’indique, ce sont des coutures à gros traits qui doivent demeurer visibles afin de ne pas illusionner le spectateur qui doit percevoir l’hétérogénéité de l’ensemble.
Dans Lost Highway, l’artiste autrichienne a véritablement fait subir un interrogatoire à la forme opératique et proposé une façon inédite de relier les uns aux autres les matériaux visuels, audiovisuels et linguistiques. On peut dire que Lost Highway est à l’opéra ce que le musée Guggenheim de Bilbao construit par Franck Gehry est à l’architecture muséale classique. L’œuvre de Neuwirth dont le livret – écrit par Elfriede Jelinek – est inspiré du film éponyme de David Lynch, fait coexister texte, vidéo et musique24. Ce drame musical, qui reprend dans ses grands traits le scénario du film de 1997, raconte l’histoire de Fred Madison, un saxophoniste de Los Angeles qui soupçonne sa femme Renée de le tromper. Le film offre une réflexion sur les moyens filmiques en interrogeant en image l’intériorité des personnages, en créant de nouveaux espaces hybrides à mi-chemin entre rêve et réalité25. Lynch filme la façon dont le doute s’immisce dans l’esprit de Fred à mesure qu’il reçoit par la poste des vidéos filmées par un inconnu qui montrent l’intérieur et l’extérieur de son appartement, puis, une autre fois, le corps de sa femme assassinée. Accusé du meurtre de Renée, Fred est condamné à la peine capitale et attend dans le « couloir de la mort » l’exécution de la sentence lorsqu’il est délivré par un inconnu, Mystery Man : le jeune homme se retrouve à l’extérieur de la prison dans la peau d’un jeune garagiste. Il vit dès lors comme dans un rêve et voit resurgir des éléments de son passé, mais sous une autre forme où, sous l’influence de l’homme mystérieux et de son œil-caméra, métaphore de la narration, différents points de vue se mêlent. Le film comporte de fortes tensions entre la représentation d’espaces intérieurs et extérieurs, entre les états de veille et ceux qui sont fantasmés, enfin entre la violence verbale et la violence sexuelle. Adapter ce film qui pousse à l’extrême la réflexion sur la notion d’espace et d’image et interroge les limites de la narration filmique – distordant la temporalité, mélangeant les points de vue de caméra objective et subjective et portant les alternances de lieux jusqu’à leur paroxysme – poussa Olga Neuwirth à interroger à son tour les possibilités des matériaux employés – texte, musique électronique, voix, vidéos – afin de ne pas être redondante par rapport à son modèle. Elle pouvait ainsi proposer de montrer ce qu’un drame en musique peut dire autrement que le cinéma tout en déconstruisant la forme opéra. En reliant entre eux les éléments par des sutures visibles, l’artiste autrichienne expose les différents modes de perception et d’expression et laisse émerger des tensions entre images et musique ou entre musique et texte26. Elle choisit non pas de masquer mais bien plutôt d’exhiber les raccords non parfaits entre les parties de l’œuvre pour jouer sur les discordances comme a pu le faire, avant elle, Jean-Luc Godard dès Pierrot le fou. L’acte artistique de Neuwirth dans Lost Highway ne consiste pas à supprimer les aspérités ou les contradictions, mais au contraire à faire cohabiter les éléments disparates et à signaler au public les tensions entre la musique électronique et la musique jouée en off, l’espace scénique et celui des vidéos projetées sur des écrans sur scène, ou encore entre le texte et le silence.

5Olga Neuwirth a conçu les vidéos comme des éléments autonomes qui obéissent à des impératifs propres et ne se soumettent pas à la musique, pas plus que la musique ne doit être réduite à la fonction d’illustration ou de commentaire des images montrées sur scène. Chaque discipline est interrogée dans son rapport au temps et à l’espace. Sur les écrans disposés sur scène, sont projetées en alternance des images figurant des espaces intérieurs et extérieurs pour rendre poreuse la frontière entre ces deux mondes. Aucune fonction narrative n’est assignée aux écrans, ils sont des surfaces de projection de fantasmes et de peurs : « Les vidéos pourraient thématiser le “lieu originel”, d’une part ce qui est perdu, mais d’autre part également ce à quoi l’on rêve, l’idéal inaccessible »27.

6La capacité de la vidéo à suggérer des espaces proches du fantasme ou du rêve s’incarne dans la personne de Mystery Man, qui, dans le film de Lynch, surveille à la fois les pensées et les faits et gestes du couple avec son œil-caméra28. Dans le projet de la compositrice autrichienne, comme chez D. Lynch, il est un strict point de vue filmique, un point of view shot, autrement dit une caméra subjective. Neuwirth reprend ce procédé, fréquemment utilisé dans les films d’horreur ou les thrillers, qui donne au spectateur l’impression que la caméra adopte le point de vue d’un personnage sans toutefois que l’identité de celui-ci ne soit forcément révélée, suscitant ainsi l’angoisse du spectateur. À d’autres moments, il est une voix sans visage, à mi-chemin entre récitation et chant, et en cela proche du Sprechgesang29. L’angoisse que provoque ce regard inquisiteur plane quelque 90 minutes durant sur scène. La vidéo donne corps à un espace subjectif quasi fantomatique.
Afin de refuser la subordination d’un art à l’autre, les écrans restent en permanence allumés et n’obéissent pas à la temporalité de la musique. Quand la musique s’arrête, ils ne s’éteignent pas. Ils projettent alors des lumières ou des couleurs et subsistent non plus sous la forme d’images mais en tant que texture, encore chargée de force évocatrice. Entre les écrans et la musique, des réseaux de sens s’élaborent, un dialogue s’instaure qui n’a pas pour but d’aplanir ou d’harmoniser le rapport entre les matériaux. Quand les écrans ne projettent que des lumières, on assiste ainsi à un phénomène d’expansion acoustique : tous les amplificateurs de la salle où sont assis les spectateurs sont allumés. En revanche, quand ils projettent des images continues, l’espace acoustique se rétracte, sans pour autant disparaître, et seuls les amplificateurs disposés sur scène fonctionnent. Neuwirth ne procède pas à des coupures, des arrêts, mais à des mouvements d’expansion et de rétraction qui permettent de conserver la force évocatrice du matériau acoustique et du matériau visuel, et, d’autre part, d’alerter le spectateur en lui permettant de discriminer les éléments constitutifs de l’œuvre.
La compositrice se comporte de la même façon vis-à-vis de la relation entre le texte dialogique d’Elfriede Jelinek et sa propre partition. Elle crée des ponts entre le livret et son matériau sonore qui soulignent des instants de convergence et des réseaux de sens tout en conservant les tensions entre les deux arts. Cette entreprise a été facilitée par le fait que Jelinek, musicienne confirmée, poursuit dans différents essais une réflexion critique sur la musique et le pouvoir de celle-ci30. À l’instar des raccords entre images et sons qui ne débouchent jamais ni sur un rapport hiérarchique ni sur un effet global de type Gesamtkunstwerk, le texte et la musique agissent en même temps mais de façon distincte. Cette disparité est particulièrement marquée dans la première partie de Lost Highway. Elle est tout d’abord un lieu d’expansion de la musique sans voix jusqu’à ce que l’annonce de la mort de Dick Laurent retentisse via un interphone. Puis le livret exprime la vie quotidienne figée du couple constitué par Fred et Renée. Fred est angoissé par le passé de Renée qu’il ne connaît pas ; il redoute de ne pouvoir posséder celle qu’il réduit par son amour possessif au rang de fétiche. Le langage inquisiteur de Fred s’oppose à celui de Renée qui présente une accumulation de faux fuyants constitués la plupart du temps de monosyllabes31.Jelinek montre la capacité du langage à mentir. Au cours de cette longue scène d’exposition, les voix ne chantent pas. Elles soupirent, s’exclament, se taisent. Neuwirth entend ne pas se soumettre à la prééminence de la voix à l’opéra. Le chant est une possibilité du théâtre musical, non une obligation. La musique, jouée au cours de ce premier tableau en live, est projetée dans tout l’espace, elle encercle le spectateur et plane comme une épée de Damoclès.
Dans la deuxième partie, alors que Fred Madison s’est métamorphosé en Pete Dayton, la musique et le texte disent la violence du langage. Dans le garage d’Arnies, M. Eddy (il s’avère qu’il n’est autre que le Dick Laurent de la première partie), qui est, comme dans le film, un producteur de films pornographiques, entre dans une colère inouïe pour une raison apparemment futile : il aperçoit un homme en train de fumer dans le garage malgré l’interdiction signalée par un panneau. Tandis que la scène de violence dans le film prenait la forme d’une course-poursuite en voiture – M. Eddy coursait un homme conduisant trop vite avant de le rouer de coups en lui rappelant le code de la route, Jelinek fait ici exploser le langage pour dénoncer le caractère irrationnel de la violence. M. Eddy s’acharne bien plus longtemps que dans le film à énoncer l’interdit et à proférer des mises en garde à l’égard de toute désobéissance aux règles32. Àl’homme qui avoue avoir vu le panneau d’interdiction sans pour autant renoncer à fumer, il éructe un rappel à l’ordre avant de le rouer de coups :

« You can see the signs, but you ignore them intentionally. Listen, for the very last time, won’t you finally get it through your head that rules are there to be obeyed? We gotta deal with people like you – once and for all. If we ever have an opportunity to consider a moral renewal, people like you already. We’re gonna settle with people like you once and for all. Let’s get things in order right now »33.

7Jelinek souligne le caractère arbitraire des règles sociales génératrices de violence. Neuwirth, elle, accompagne les mots prononcés par M. Eddy de loops qui accentuent le caractère lancinant de ces paroles et en font une sorte de machine inflexible et par là inhumaine. À cet instant, la musique et le texte se rencontrent un instant pour exposer la violence, mais on est en présence ici d’un moment d’affinité et non d’une harmonisation de deux disciplines artistiques qui aurait pour but de conférer une homogénéité à l’œuvre.
Le refus exprimé par Olga Neuwirth de relier les matériaux sonores, visuels et/ou linguistiques en harmonisant leurs propriétés réciproques ou en établissant des rapports hiérarchiques entre eux est un acte de subversion à la fois esthétique et éthique. Les formes musicales, comme plus généralement les formes artistiques, étant le reflet des architectures philosophiques et politiques transmises par la société, elle fait acte de résistance en les refusant et incite l’auditeur à cette même désobéissance en lui montrant qu’il est possible de déjouer les mécanismes complexes de domination intellectuelle, artistique et sociale.
Pour rendre compte de la complexité du vivant et respecter le potentiel expressif de chaque élément constitutif de l’œuvre sans établir de prévalence ou de rapports de force, Olga Neuwirth a cherché ailleurs que dans les schémas sociaux et les modèles de pensées dominants des façons d’organiser le matériau sonore. Elle a travaillé à multiplier les sources d’inspiration, prenant également modèle sur la végétation, en particulier le rhizome. La forme rhizomatique, comparable à celle du tubercule, permet en effet une prolifération horizontale qui exclut le rapport hiérarchique en arborescence. Olga Neuwirth adopte ce principe d’écriture musicale notamment en 1999 pour les Morphologische Fragmente qu’elle écrit à Venise, à partir de la Morphologie et de la Zoologie de Goethe, consacrées à l’étude des végétaux et organismes vivant et du principe de régénération et de prolifération34. La compositrice fait également écho à la notion de rhizome telle que Gilles Deleuze et Félix Guattari l’ont définie dans un essai, « Rhizome » (1976), publié ensuite en introduction de Mille plateaux35. Prenant pour modèle le rhizome, partie souterraine et parfois subaquatique de la tige, qui peut se ramifier en n’importe quel point, Deleuze et Guattari ont défini un nouveau modèle descriptif et épistémologique dans lequel l’organisation des éléments ne suivrait pas une ligne de subordination hiérarchique, mais où tout élément peut affecter ou influencer tout autre à tout moment. Les deux philosophes opposent ainsi un modèle rhizomatique, sans centre ni hiérarchie, à une architecture hiérarchique, constituée en arborescence36. La structure en rhizome, horizontale, comprend une nouvelle façon de (dé)territorialiser la pensée et d’organiser les connaissances en constituant non seulement des lignes de fuite mais aussi des lignes de solidité autour de concepts affines. Les deux philosophes ont même montré la proximité évidente entre cette pensée fondée sur la multiplicité, la ligne et la prolifération, et la musique contemporaine, désignant notamment le jeu de Glenn Gould qui refusait les césures et les ponctuations trop marquées, comme un exemple de musique rhizomatique37 ou renvoyant à Pierre Boulez qui, dans sa musique, « fait rhizome » en se fondant sur la ligne de fuite, l’expansion et la prolifération38.
Olga Neuwirth, tout comme Wolfgang Rhim39 ou encore Pascal Dusapin40, ont su tirer partie de cette nouvelle façon d’organiser la forme musicale. L’artiste autrichienne est consciente à la fois des nouvelles possibilités qu’offre cette forme proliférante, et de la nécessité de ne pas ériger ce principe en nouveau dogme :

« On peut produire une texture – de façon souterraine, des structures proliférantes. C’est ce que je fais aussi lorsque j’écris des notes. Mais ce processus peut devenir autonome. On peut poursuivre sans fin ce processus. On pourrait assister à des proliférations ininterrompues. La question qui se pose est : où est le point, où prend fin la prolifération. Je suis le système de prolifération que j’ai moi-même forgé, et qui change à chaque fois. Je ne travaille pas en effet avec un système préfabriqué. Quand puis-je couper ce qui prolifère ? Et que se passe-t-il après cette coupe ? Cela constitue des processus qui m’intéressent tout simplement »41.

8Tandis que Deleuze et Guattari avaient érigé en système le « principe de rupture asignifiante », interdisant les coupures trop marquées qui séparent les structures42, Olga Neuwirth parle, elle, de la nécessité de trancher le matériau proliférant ( abschneiden ) et elle le fait dans ses œuvres, à diverses reprises et de façon toujours différente : ainsi, sépare-t-elle les 13 tableaux de Bählamms Fest par des césures radicales, des blackouts, où la scène est plongée dans le noir, que Jelinek compare à des « îles de glace »43, ou bien encore, dans Hommage à Klaus Nomi, les différents songs sont interrompus par le son de la cloche qu’actionne un personnage à la capitaine Achab que l’on voit ensuite à l’écran alors que la musique se tait44. La compositrice autrichienne montre là sa volonté de ne jamais figer la pensée musicale, aussi mouvante fût-elle. Elle juge qu’elle doit toujours à nouveau se poser la question de l’endiguement, de l’interruption. L’acte de coupure apparaît comme un acte de vigilance artistique mais aussi politique qui se situe dans le prolongement des deux philosophes français, sans toutefois s’y restreindre. Neuwirth cherche à reconnaître les sédimentations des pensées imposées, les éléments fascistes ou totalitaires qui émergent et figent les discours45. Mais afin de ne pas à son tour faire du rhizome un totem, quand bien même serait-il allongé, la compositrice cherche partout de nouvelles formes d’organisation du matériau sonore qui ne comprennent pas de structure hiérarchique et procèdent de la prolifération : c’est ainsi qu’elle construit ses œuvres en prenant modèle parfois sur le monde zoologique – le mollusque de Akroate Hadal, sur les pathologies – comme l’ulcère dans La Vie ulcérante46, ou bien encore botanique – avec la plante carnivore de Leonicera Caprifolium47.
Si l’adoption de métaphores non arborescentes constitue un refus des hiérarchies sociales, le jeu entre la prolifération de l’espace et les césures marquées permet aussi l’exploration d’espaces derrière l’espace, et la construction de « bulles » qui sont autant de refuges contre les violences et les limitations de l’espace-temps que nous impose la société. Par ailleurs, l’espace sonore, semblable à un organisme vivant, s’étend et se rétracte, autour, devant ou au-dessus du spectateur, qui trouve donc dans les nouvelles architectures musicales un modèle de résistance contre le modèle philosophique, social et politique dominant, mais aussi un refuge, une « maison de musique et d’espace » (Musik-Raum-Haus )48.
Olga Neuwirth refuse certes de mettre son art au service d’une cause et entend limiter son engagement à l’exhibition du potentiel critique inhérent à l’œuvre musicale, mais son origine autrichienne l’a exposée à des problèmes sociaux et politiques spécifiques à son pays natal qui l’ont contrainte à plusieurs reprises à sortir de sa réserve habituelle et à prendre publiquement position : d’une part contre la montée de l’extrême droite xénophobe du FPÖ à partir de 2000, d’autre part contre les attaques en règle dont ont pu faire l’objet les artistes, critiques du pouvoir politique en place. Devant le succès remporté aux élections fédérales le 3 octobre 1999 par le FPÖ mené par Jörg Haider, la compositrice décida de s’associer à des mouvements de protestations organisés à Vienne : une première fois, le 4 février 2000, elle participa à un concert organisé par Pierre Boulez au Konzerthaus de Vienne, au cours duquel le chef d’orchestre français dirigea les Trois Pièces de la Suite lyrique d’Alban Berg, transcrites pour orchestres à cordes, la Sixième Symphonie de Gustav Mahler et Clinamen / Nodus d’Olga Neuwirth. Une deuxième fois, le 19 février 2000, Olga Neuwirth prononça un discours, « Je ne me laisserai pas évincer à coup de jodles » (Ich lasse mich nicht wegjodeln)49, sur les marches de l’opéra de Vienne. L’arrivée en deuxième position du Parti PopulaireAutrichien(ÖVP, conservateur) aux élections fédérales et la diffusion de discours hostiles aux étrangers, aux femmes et aux artistes poussa la compositrice à se poser publiquement la question de l’engagement : « Ai-je la possibilité de protester en tant que compositrice avec ma musique en restant sur mon terrain ? Cependant, je ne veux pas me taire alors que l’on agit »50.
Par ailleurs, dans ce discours, Olga Neuwirth expose les problèmes qu’elle juge comme étant spécifiquement autrichiens : d’une part la volonté des gouvernements successifs d’oublier les crimes du passé nazi en refusant toute responsabilité, d’autre part les attaques violentes à l’encontre d’artistes qui ont osé rappeler les crimes passés et dénoncer la complaisance des gouvernements en place envers les anciens nazis. Ces artistes, tout particulièrement Thomas Bernhard51 et Elfriede Jelinek52, ont en effet dû subir des campagnes de diffamation et se sont vus accusés d’être des « dénigreurs » de la patrie autrichienne, ce qu’on appelle en allemand des « souilleurs de nid » (Nestbeschmutzer), parce qu’ils entacheraient la réputation de l’Autriche en lui imputant des crimes passés pour lesquels elle aurait déjà payé ou dont, en tant que victime de l’annexion allemande en 1938, elle ne serait pas responsable53.
Le bref pamphlet de Neuwirth, contrairement à la façon dont il a été reçu lors de sa publication, ne marque pas de rupture dans la définition du statut de l’œuvre d’art54 mais il a pour fonction de tracer un chemin praticable qui permettrait à l’artiste de manifester son désaccord de façon ponctuelle sans pour autant aliéner l’œuvre d’art en la liant à un discours politique. La circonstance – l’opposition publique à la coalition FPÖ/ÖVP – n’entre pas en contradiction avec son discours sur l’art : la politique ne doit pas infléchir l’écriture d’une œuvre pas plus que l’œuvre ne doit espérer influencer la société :

« À une époque où l’artiste – mais plus encore le compositeur en tant qu’il représente une forme d’existence niée par la société – est perçu comme étant inutile, comme une simple curiosité, l’art ne peut plus représenter le problème moral du héros, ni les idéaux qu’il proclame à la fin, il ne peut qu’essayer d’exprimer les mesures prises par l’artiste lui-même… Dire ces mesures est la seule réaction possible, la seule qui reste à l’artiste confronté à la crise, au chaos, à la violation des droits de l’homme, à des temps d’incertitude. Donc : sa seule possibilité de réagir à son environnement est de dire la dimension constructive de son travail, les moyens qu’il choisit pour empoigner l’auditeur, exercer une tension, employer de façon conscience des principes d’expression et de construction ainsi que de faire prendre conscience au public de l’acte de création artistique »55.

9Il apparaît clairement que la participation d’Olga Neuwirth au mouvement de protestation contre la montée de l’extrême-droite n’a pas transformé radicalement la façon dont l’artiste autrichienne conçoit le rapport entre l’art et la société, contrairement aux interprétations qui ont pu être données de son engagement. Néanmoins, la compositrice souligne dès lors sa solidarité avec les artistes que les nazis avaient qualifiés de « dégénérés » et avec ceux qui étaient considérés comme des « dénigreurs » de l’Autriche contemporaine. Si Boulez souligne cette solidarité de Neuwirth avec les victimes des nazis en la programmant à la suite de deux artistes « maudits » par le régime nazi, Berg et Mahler, elle-même clôt son texte sur une formule d’Hanns Eisler56, compositeur de lieder considéré par les nazis comme « dégénéré », qui rappelle la nécessité de « rester vigilant et encore vigilant »57.
Sans donc engager son art, Olga Neuwirth résiste et protège le geste créateur des automatismes et des dogmatismes sociaux et politiques. En exposant la fragilité du matériau sonore et celle des êtres, en figurant la menace et en raillant les mécanismes de domination, sa musique et ses œuvres théâtrales se constituent en autant d’appels à la vigilance :

Notes   

1  Olga Neuwirth, « Music and Peace » (Juin 1988), in Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen. A twilight-song auf der Suche nach dem fernen Klang, Salzburg/Wien/München, Anton Pustet, 2008, pp. 107-112. Voir aussi le site de l’artiste  http://www.olganeuwirth.com/fset1.html

2  Ibid., p. 107.

3  « Welche Musik macht Sie stark? O.N.: Keine. Musik soll nicht stark machen » (« Elf Fragen an Olga Neuwirth », in Neue Musikzeitung, 51 (2002), Heft 10, p. 2).

4  Nono travailla avec Peter Weiss et composa une musique pour « Die Ermittlung » (1965). Olga Neuwirth parle souvent de Luigi Nono comme d’un modèle, mais explique également qu’elle ne croit plus possible une musique qui dénonce des états de faits politique et s’engage. Voir Reinhard Kager, « Ausgefranste Ränder, stiebende Partikelchen. Gespräch mit Olga Neuwirth », 1995, in Ibid., p. 48).

5  Ibid., p. 110.

6  Ibid., p. 108.

7  Concernant la rupture entre Olga Neuwirth et la tradition de la musique absolue et de la « religion de l’art », voir Laure Gauthier, « Anti-kunstreligiöse Züge in den Opern von Olga Neuwirth und Wolfgang Mitterer », in Albert Meier, Alessandro Costazza, Gérard Laudin (eds.), Kunstreligion um 2000, Berlin / New-York, De Gruyter, 2012(à paraître).

8  Voir notamment Carl Dahlhaus, « Instrumentalmusik und Kunstreligion », in Die Idee der absoluten Musik, Kassel, Bärenreiter, 3. Auflage, 1994, p. 63; Heinrich Detering, « Kunstreligion und Künstlerkult. Anmerkungen zu einem Konflikt von Schleiermacher bis zur Moderne », op. cit., p. 194.

9  Voir « Engagement », in Theodor W. Adorno, Noten zur Literatur III, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1965, réed. 1971, p. 109-136. Voir aussi: « Rede über Lyrik und Gesellschaft », in ibid., p. 73-105.

10  « Et en fin de compte, je ne peux pas nier que, dans tout ce que je pense et ce que je fais, je suis un “dépressionniste autrichien” » (Olga Neuwirth, « Gedankensplitter zu ‚Lonicera Caprifolium’ (1993) », in Zwischen den Stühlen, op. cit., p. 31).

11  Voir la description de l’effet social possible de la musique : « […] Erstarrtes aufzuzeigen und den desolaten Zustandvon Gesellschaft und Politik sichtbar zumachen ». (Olga Neuwirth, « ‚Ich lasse mich nicht wegjodeln’. Rede bei der Großdemonstration in Wien am 19. Februar 2000 gegen die Regierungsbeteiligung der FPÖ », in ibid., p. 128).

12  « Gewisse faschistische Tendenzen » (« Auf dem Weg zu Lost Highway (2002/03). Stefan Drees und Olga Neuwirth im Gespräch », ibid., p. 178).

13  Ibid., p. 107.

14  Mark Wigley, Architektur und Dekonstruktion. Derridas Phantom, Birkhäuser, Basel, 1994; Andreas C. Papadakis, Dekonstruktivismus – eine Anthologie, Stuttgart, Klett-Cotta, 1989; Mattheo Zambelli, Techniche di invenzione in architettura. Gli anni del decostruttivismo, Venezia, Marsilio, 2007.

15  Ernst Seidl, « Zerstörungsphänomene in der Baukunst: Atektonik statt Dekonstruktion », in Bettina Paust (ed.), Aufbauen – Zerstören. Phänomene und Prozesse der Kunst, Oberhausen, Athena-Verlag, 2007. Voir aussi Darió Corbeira (ed.), ¿Construir… o deconstruir ?, Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2000.

16  Peter Eisenman, Aura und Exzess. Zur Überwindung der Metaphysik in der Architektur, édité par Ullrich Schwarz et Martina Kögl, Wien, Passagen, 1995.

17  Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen, op. cit., p. 262.

18  Voir Stefan Drees, « De l’érodage des sons. Notes sur la musique de chambre d’Olga Neuwirth », in Olga Neuwirth, Akroate hadal, Quasare/Pulsare,?risonanze!…, … ad auras… in memoriam H., incidento/fluido, settori, CD. Kairos, Arditti String Quartet, livret, p. 9.

19  Voir la prééminence des métaphores naturelles et animales chez Neuwirth : Karin Hochradl, Olga Neuwirths und Elfriede Jelineks gemeinsames Musiktheaterschaffen, Bern, Peter Lang, 2010, p. 219.

20  Walter Benjamin, « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit », in Gesammelte Schriften, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1971, p. 467. Voir aussi Odo Marquard, « Gesamtkunstwerk und Identitätssystem. Überlegungen im Anschluss an Hegels Schellingskritik », in Harald Szeemann (ed.), Der Hang zum Gesamtkunstwerk, Frankfurt am Main, Sauerländer Verlag, 1983, pp. 40-49.

21  C’est le terme qu’emploie Olga Neuwirth pour désigner les pièces qu’elle écrit et qui rassemble des éléments musicaux, textuels et visuels comme Bählamm’s Fest, Lost Highway ou encore ! ? Dialogues suffisants ! ? Sur cette notion, voir : « Surrealismus und „aufgebrochenes Musiktheater“ (1998) », in Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen, op. cit., pp. 98-105 ; Stefan Drees, « Komponieren der visuellen Dimension. Zum Video- und Filmgebrauch in Werken Olga Neuwirths (2007) », in ibid., pp. 209-215.

22  Olga Neuwirth, « Nachgedanken zu „Lost Highway“ (2002-2003). Warten auf Godot der Leidenschaft und Nähe. Eine Versuchsanordnung der Vergeblichkeit (2003) », in ibid., p. 203.

23  Idem. Sur les performances multimédiales de l’artiste, voir notamment Anita Prammer, Valie Export. Eine multimediale Künstlerin, Wien, Wiener Frauenverlag, 1988.

24  Voir Karin Hochradl, op. cit., pp. 533-657.

25  Sur l’invention de nouveaux espaces dans les films de David Lynch, voir Oliver H. Schmidt, Leben in gestörten Welten. Der filmische Raum in David Lynchs „Eraserhead“, „Blue Velvet“, „Lost Highway“ et „Inland Empire“, Stuttgart, Ibidem Verlag, 2008 ; Anne Jerslev, David Lynch : Mentale Landschaften, traduction de Lise V. Smidth, Vienne, Passagen-Verlag, 2006 ; « Un “film installation” : modulation de la perception », in Julien Achemchame, « Lost Highway ». David Lynch : Errance dans le labyrinthe de la modernité cinématographique, Paris, Publibook, 2010, pp. 45-49.

26  Voir Olga Neuwirth, « Nachgedanken zu „Lost Highway“ (2002-2003) », in Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen, op. cit., pp. 203-208.

27  Ibid., p. 205.

28  Cet « homme mystérieux » représente dans le film le narrateur omniscient qui sait tout des personnages et manipule ses personnages.

29  Respectant le principe du film, il parle dans l’interphone du couple, envoie des cassettes vidéo etc. Il rencontre Fred à la scène I, lors de la fête organisée par Andy et lui parle. Voir Olga Neuwrith, Lost Highway, Klangforum Wien, 2 CD, Kairos, 2006, livret p. 6.

30  Maîtrisant très jeune plusieurs instruments dont le piano, organiste diplômée d’État, E. Jelinek prend ses distances avec la musique et réfléchit au danger du matériau sonore qui peut être récupéré et devenir aliénant. Voir Roland Koberg & Verena Mayer, Elfriede Jelinek. Ein Porträt, Hamburg, Rowohlt, 2006 (Elfriede Jelinek. Un portrait, Paris, Seuil, 2009, traduction de Laurent Cassagnau), pp. 11-53. Voir aussi Bernard Banoun, « Euterpe en pure perte. De la musique chez Elfriede Jelinek », in Bernard Banoun, Yasmine Hoffmann, Klaus Zeyringer (eds.), Dossier Elfriede Jelinek, Europe, 933/934, janvier-février 2007, pp. 425-437.

31  Voir par exemple: « Were you reading the other night? / What night? / When you didn’t come to the club? / Oh. Oh yeah. No », in Olga Neuwrith, Lost Highway, Klangforum Wien, 2 CD, Kairos, 2006, livret p. 5.

32  Ibid, pp. 8-10.

33  Ibid., p. 9.

34  Sur la source goethéenne des « Morphologische Fragmente », voir Björn Gottstein, « Olga Neuwirth. Morphologische Fragmente », http://www.beckmesser.de/komponisten/neuwirth/fragmente.html

35  Voir : « Introduction : Rhizome », in Gilles Deleuze & Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980, pp. 9-37.

36  Voir ibid., p. 18.

37  Ibid., p 15.

38  Sur Pierre Boulez : Ibid., p. 19. Deleuze et Guattari renvoient en outre (note 7, p. 19) à l’essai de Pierre Boulez, Par volonté et par hasard. Entretiens avec Célestin Deliège (Paris, Seuil, 1975, p. 14 ; 89) où celui-ci compare la musique à la mauvaise herbe qui prolifère. Sur les œuvres de Boulez possiblement influencées par le concept de rhizome tel que les deux philosophes l’ont conçu, voir notamment Notation pour orchestre (1980 ; 1998), Sur incises (1996-1998).

39  Sur la forme rhizomatique dans les quatuors de Rhim, voir : Joachim Brügge, Wolfgang Rihms Streichquartette. Aspekte zu Analyse, Ästhetik und Gattungstheorie des modernen Streichquartetts, Saarbrücken, 2004, p. 79-81.

40  Voir notamment la collaboration entre Pascal Dusapin et le poète Olivier Cadiot : Danielle Cohen-Levinas, « Vox, vocis. Les rhétoriques de l’écriture dramatique », in Georgie Durosoir (ed.), Parler, dire, chanter : trois actes pour un même projet, Paris, PUPS, 2000, p. 34. Voir aussi l’entretien entre Pascal Dusapin et Daniel Cohen-Levinas publié dans Le Présent de l’opéra au XXe siècle. Chemins vers les nouvelles utopies, Paris, Kimé, 2006, p. 286.

41  Olga Neuwirth im Gespräch mit Bjön Gottstein, http://www.beckmesser.de/komponisten/neuwirth/fragmente.html Cité également dans Karin Hochradl, op. cit., p. 207.

42  Voir Gilles Deleuze & Félix Guattari, op. cit., pp. 6-18. Deleuze et Guattari montrent que le rhizome, même rompu en un endroit, reprend suivant une de ces lignes ou d’autres, et qu’une partie peut être détruite sans qu’il cesse de se reconstituer.

43  « Eis/Schnee-Inseln ». Voir Elfriede Jelinek, « Musik und Furcht. (einige Überlegungen zu Instrumental-Inseln von Olga Neuwirth) », in Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen. A twilight-song auf der Suche nach dem fernen Klang, op. cit., p. 120.

44  Dans les Morphologische Fragmente, elle tenta aussi d’interroger la césure, en plongeant pour ainsi dire dans le « point » et en l’interrogeant. Voir Bjön Gottstein, op. cit.

45  Deuleuze et Guattari avaient eux aussi évoqué le risque de trouver des organisations qui re-stratifient l’ensemble : « Les groupes et les individus contiennent des micro-fascismes qui ne demandent qu’à se cristalliser. Oui, le chiendent est aussi rhizome. Le bon et le mauvais ne peuvent être que le produit d’une sélection active et temporaire, à recommencer » (op. cit., p. 17).

46  Voir Bernhard Günther, « Olga Neuwirth: La vie… ulcérant(e) (1995) » (1998), in Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen, op. cit., pp. 38-41.

47  Voir Olga Neuwirth, « Gedankensplitter zu Leonicera Caprifolium (1993) », in ibid. pp. 28-32.

48  « Das in seiner Mitte sitzende Publikum wird mit seinem unablässigen Wandel von Räumen konfrontiert: ein Musik-Raum-Haus » (Ibid., p. 263).

49  Olga Neuwirth, « ‚Ich lasse mich nicht wegjodeln’. Rede bei der Großdemonstration in Wien am 19. Februar 2000 gegen die Regierungsbeteiligung der FPÖ », op. cit., pp. 128-129).

50  Ibid., p. 128.

51  Une grande partie de l’œuvre de Bernhard est traversée par le spectre du passé nazi et met en scène le retour du refoulé, que ce soit sous la forme de cadavres de soldats polonais retrouvé dans la forêt (Der Italiener, récit fragmentaire, 1972) ou de l’évocation de la Place des Héros à Vienne où Hitler proclama l’annexion de l’Autriche devant une foule enthousiaste (Heldenplatz, 1988).

52  Sur les attaques dont Jelinek a été l’objet, voir notamment Pia Janke (ed.), Die Nestbeschmutzerin. Jelinek & Österreich, Salzburg Jung und Jung, 2002.

53  AutorInnenkollektiv für Nestbeschmutzung, Schweigepflicht. Eine Reportage. Der Fall Schneider und andere Versuche, nationalsozialistische Kontinuitäten in der Wissenschaftsgeschichte aufzudecken, Münster, Unrast Verlag, 1996.

54  Voir Corinne Holtz, « Ich lasse mich nicht wegjodeln ». Die österreichische Komponistin Olga Neuwirth und ihre Musik, Neue Zürcher Zeitung, 14. 8. 2000, p. 23; Nicholas Till, « Crossing the Border », The Wire, n° 241, 2004, pp. 22-23.

55  Olga Neuwirth, Zwischen den Stühlen, op. cit., p. 107.

56  Olga Neuwirth fait allusion ici à la musique que cet élève de Schönberg a écrite pour accompagner le lied de B. Brecht « Vorwärts und nicht vergessen die Solidarität » pour le film Kuhle Wampe.

57  « Was ich von der „entarteten Kunst“ lernen konnte, ist wachsam bleiben und nochmals wachsam bleiben » (Ibid, p. 129).

58  « Ausnahmezustand und Überhöhung. Stefan Drees und Olga Neuwirth im Gespräch über das Film-Musik-Projekt „The Long Rain“ (1999/2000) » (Ibid., p. 136).

Citation   

Laure Gauthier, «Olga Neuwirth. Vigilance oblige», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, La responsabilité de l'artiste, La responsabilité de l'artiste, mis à  jour le : 25/10/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=532.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Laure Gauthier

Laure Gauthier est maître de conférences en études germaniques à l’université de Reims-Champagne-Ardennes. Ses recherches portent sur l’histoire culturelle du monde germanique à l’époque moderne, sur les liens entre politique, religion et philosophie dans l’œuvre d’Arnold Schönberg ainsi que sur l’opéra contemporain de langue allemande. Parmi ses publications les plus récentes on compte L’opéra à Hambourg. Essor d’une ville, naissance d’un genre et Les Grands Centres musicaux dans l’espace germanique (XVIIe-XIXe s.).