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De l’hétérodoxie d’IXOR :
à propos d’une partition de Giacinto Scelsi
« pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche »

Pierre Albert Castanet
juillet 2012

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.501

Résumés   

Résumé

Dans cette article, Pierre Albert Castanet part de l’hétérodoxie d’IXOR (1956) de Giacinto Scelsi afin d’envisager les divers visages possibles de cette partition écrite « pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche ». Après une introduction générale portant sur la personnalité atypique du maestro italien, l’étude traite des vertus de la clarinette, de la poétique des pièces solistes pour instrument à vent et de l’ouverture timbrique… pour finalement aboutir à quelques pistes analytiques de l’œuvre créée en son temps par le clarinettiste Bill Smith.

Index   

Texte intégral   

« Ne pas écouter par l’oreille, mais par l’esprit.
Ne pas écouter par l’esprit, mais par le souffle. »
Tchouang Tseu, Pensées

Giacinto Scelsi, générateur de flux

« L’artiste creuse son moi profond pour appréhender l’ultime
réalité qui se dissimule derrière l’apparence des choses. »
Giacinto Scelsi, Art et satanisme

1De descendance noble, Giacinto Scelsi (1905-1988) demeure un être de légendes exceptionnel, et de surcroît énigmatique1. C’est grâce à son action détachée de toute visibilité primaire et à son influence toujours plus accrue sur les jeunes générations que l’histoire de la musique du XXème siècle a dû finalement être revisitée, et même réécrite.

2Contemporain d’André Jolivet ou de Dimitri Chostakovitch, engagé dans la spiritualité comme Georges Migot ou Olivier Messiaen, Giacinto Scelsi nous a légué un riche catalogue multi-stylistique, allant du solo instrumental (ou vocal) aux partitions mixtes (avec bande magnétique), du quatuor à cordes expérimental aux larges fresques pour chœur, orgue et orchestre. Louvoyant entre la prière monocorde et le poème lyrique concertant, l’œuvre (somme toute fatale car intégralement ressentie) de ce musicien né à La Spezia se fonde le plus souvent sur une vision transcendantale de données impulsives (à teneur fondamentalement philosophique2). « Il existe une section orientale et une autre occidentale, une d’inspiration espagnole, une d’inspiration tibétaine, une autre enfin qui s’inspire de l’Amérique centrale. On peut trouver une ligne qui va d’un point à un autre, comme on peut aussi ne pas en trouver. Aux musicologues de rechercher ces liens3», tenait à préciser Scelsi. Après des essais plus ou moins étourdissants (élaborés notamment à partir de la technique dodécaphonique schönbergienne), il s’est mis petit à petit à gérer viscéralement les conduites d’une temporalité dilatée, engendrant tantôt une épaisse texture orchestrale (révélant des facteurs de haute densité feuilletée), tantôt une trame instrumentale ou vocale d’aura inouïe (digne des inspirations mystiques les plus insolites).

3Plurielles dans leurs prodromes, les compositions de Giacinto Scelsi ont alors délaissé le ludus divertissant de la musique occidentale convenue pour illuminer les reflets ascétiques d’un profond entendement. Dans ce cadre, considéré par Morton Feldman comme le « Charles Ives d’Italie4», le musicien improvisateur a inventé un type de musique personnelle, planante, parfois statique, parfois volubile, le tout souvent réalisé avec une grande économie de moyens. À terme, abolissant la pulsation binaire du prototype académique pour libérer une écriture énergisante de « flux de vibrations continu5», le gestus scelsien a mis en œuvre une esthétique singulière – tantôt religieuse, tantôt profane –, virtuellement arc-boutée sur les notions dématérialisées de temps lisse et d’espace stratifié. En fait, insistant sans équivoque sur la continuité spatio-temporelle, Giacinto Scelsi a rejoint inconsciemment la pensée d’Ernst Kurth qui, déjà en 1931 dans Musikpsychologie, parlait de « flux de forces » parcourant la matière acoustique et de « traits sonores fusionnés » pouvant être déchirés par « des lignes qui ressortent6».

De l’émancipation de la clarinette

« Seul
J’avance
ombre et image »
Giacinto Scelsi, L’Archipel nocturne

4Il appert qu’au centre de la famille des instruments à vent, les compositions avec clarinette de Giacinto Scelsi se sont montrées nombreuses, avec notamment aux extrêmes de la production, la Suite de 1953 pour flûte et clarinette et Ko-Lho de 1966 pour la même formation. Grâce, entre autres, au clarinettiste Bill Smith qui a créé IXOR (solo de 19567) à Rome, cet instrument à anche simple – qui a tellement ébloui Wolfgang Amadeus Mozart ou Johannes Brahms, et qui était considéré par Hector Berlioz comme l’archétype sonore de la « féminité »8 – a profondément séduit l’auteur de Kya. En effet, écrite en 1959, cette pièce scelsienne pour clarinette solo et septuor original (cor anglais, clarinette basse, trompette, cor, trombone, alto et violoncelle) montre, sur plus d’un quart d’heure, une grande recherche dans le domaine spécifique de la couleur sonore soliste (haute potentialité spectrale, poly-timbralité des registres de l’instrument d’ébène9) ou tuttiste (rôles de différentes sourdines de type Cup ou Wa-Wa… pour les trompette et trombone et de petite et grande sourdines à l’usage des cordes frottées).

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Kya de Giacinto Scelsi  pour clarinette et sept instruments

Quarts et trois quarts de ton au service d’une coloration clairement tramée, irisée par l’emploi des tessitures aigues des instruments en présence10

© Éditions Salabert – Paris, France

5Les orchestrateurs savent que Jacques Ibert11 aimait rappeler dans ses cours magistraux que « la clarinette est de tous les instruments à vent, celui qui, par son étendue, son agilité, sa souplesse, ses différentes sonorités, offre au compositeur les ressources les plus variées et les plus précieuses12 ». Au niveau d’un style concertant ou à l’échelon d’un rôle soliste accompagné, cet instrument à anche a su, enthousiasmer au XXème siècle – toutes générations confondues – autant Claude Debussy que Léonard Bernstein, Igor Stravinsky que Steve Reich, Artie Shaw qu’Elliott Carter, Witold Lutoslawski que Dominique Lemaître, Jean-Claude Risset que Claude Ledoux, Lalo Schifrin qu’Helen Grime, Alain Louvier que Yann Robin, Magnus Lindberg qu’Enno Poppe… (cette « clarinette magique, aiguë, grave, ronde, mélodieuse, rauque, coulée et profonde » sachant animer « la nature et les corps à égalité », confessait à sa manière Philippe Sollers13). Il faut dire qu’hormis le répertoire pour ensemble ou orchestre, et en dehors du corpus particulier des « études 14» en tous genres, bon nombre d’opus ont, dans le domaine secret de la stricte solitude instrumentale, paré les récitals des plus aventuriers15.  

D’un solipsisme ambigu

« L’attraction démoniaque des ombres
ravage le plaisir drapé dans les ailes folles »
Giacinto Scelsi, Le Poids net

6L’Un figure l’idée du centre cosmique, ontologique et mystique, d’où rayonne l’Esprit glorieux16. Face à cette notion fondamentale d’ab ovo rappelant le contexte de la solitude originelle, Giacinto Scelsi semble prendre un malin plaisir à dédoubler à loisir cette unicité apparente du souffle spirituel. Car, à l’instar des pièces pour violon seul de Jean-Sébastien Bach ou pour flûte seule de Georg Philip Telemann, le solo scelsien tente le plus souvent de se présenter comme un leurre poético-polyphonique. Examinez par exemple – à l’image du cycle des (futures) Sequenza de Luciano Berio17 (débuté en 1958 et achevé en 2002) –, la longue Preghiera per un’ombra scelsienne (« Prière pour une ombre » de 1954)qui semble faire entendre une ligne de basse brisée et appogiaturée, placée en contrepoint avec un jeu de crêtes piquées, logées dans le médium aigu. Tout au long de cette déploration virtuose qui n’offre jamais de répit, le monophoniste doit alors prendre conscience qu’il devient soudainement joueur de bicinium. Ici, « instrument des rituels dionysiaques, la clarinette suscite l’exaltation joyeuse. Son chant se perd dans l’enthousiasme et dans l’extase d’une écriture paradoxalement bifide18», a remarqué Aurélie Allain.

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Preghiera per un’ombra pour clarinette Si b seule de Giacinto Scelsi 

Vivacité et fluidité, complexité et virtuosité mises au service de la dynamique du langage musical19.

© Éditions Salabert – Paris, France

7De même, dans IXOR20, le graphisme peut montrer une écriture relativement disjointe (écrite parfois sur deux plans), les figures de notes arborant sporadiquement des hampes supérieures et inférieures : En l’occurrence, dans l’exemple de la portée 16 – comme les divers « personnages » entrevus par Olivier Messiaen dans ses conférences des années 195021 –, les Mi doivent être tenus dans une nuance piano (symbole supposé de l’ombre figée ?22) tandis que les brefs Fa et Fa # sont à interpréter de plus en plus fort (2ème mesure de la portée 16 : de mp à mf, triples croches piquées et accentuées puis doubles croches juste appuyées, matérialisées par un tiret). Comme l’écrivait Gaston Bachelard, « l’instant poétique est une relation harmonique de deux contraires23».

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IXOR de Giacinto Scelsi

Portée 16, une écriture soliste notée à deux voix.

© Éditions Salabert – Paris, France

8Dans cet ordre d’idée, relevons que Giacinto Scelsi a indiqué « à Beate Zelinsky et à David Smeyers qu’ils devaient, lorsqu’ils jouaient [IXOR], se représenter un faune poursuivant de ses assiduités une nymphe24». Tenant de la fabula25, ce genre de « programme » contextuel peut en effet exister dans d’autres productions du maître italien, comme par exemple dans les Quattro Illustrazioni (1953), partition pensée en tant que « Quatre illustrations sur la Métamorphose de Vishnu »,dans Yamaon (1954-1958), personnagequi « prophétise au peuple la conquête et ladestruction de la ville d’Ur »,dans la Trilogy (1956-1965)qui envisage « Les trois stades de l’homme »,dans Hurqualia (1960)quidésire évoquer « Un royaume différent »,dansAiôn (1961)rappelant « Quatre épisodes d’une journée de Brahma »,dans Khoom (1962) figurant « Sept épisodes d’une histoire d’amour et de mort non écrite dans un pays lointain 26»,dans Anagamin (1965) qui invoque « Celui qui choisit de revenir ou pas »,dansOhoi (1966), partition qui tente de cerner « Les principes créatifs »,dans Uaxuctum (1966) sous-titré « La légende de la cité Maya, détruite par eux-mêmes pourdes raisons religieuses », dans Ko-Tha (1967) présenté comme « Trois Danses de Shiva » ou même dans Okanagon (1968)« considéré comme un rite et, sil’on veut, comme le battement de cœur de la Terre »…

9En fait, dans ce genre de « représentation » d’ordre global (et d’aura historico-légendaire), le pseudo-programme textuel scelsien ne renseigne aucunement sur le déroulement spatio-temporel ou sur la pertinence du matériau sonore. Au reste, comme l’a remarqué George Steiner, « le vortex humain a du mal à discriminer et à recombiner des stimuli totalement distincts, autonomes », même si, dans l’histoire de la musique occidentale, il peut exister « des morceaux de musique qui visent à mimer, à accompagner des thèmes verbaux et figuratifs 27». Dès lors, théâtre de l’imaginaire libertaire, la partition éditée d’IXOR laisse ainsi toute la liberté de se souvenir, par exemple, des notions d’immobilité et de méditation, de murmure et de suffocation, de souffle et d’inspiration… autant de lexies et d’images évoquées par Stéphane Mallarmé dans son poème culte, intitulé Le Faune (célèbre texte au demeurant qui inspira tant Claude Debussy pour l’écriture orchestrale du Prélude à l’après midi d’un faune) :

« Que non ! par l’immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte
Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant
Qu’il disperse le son dans une pluie aride
C’est, à l’horizon pas remué d’une ride
Le visible et serein souffle artificiel
De l’inspiration, qui regagne le ciel. »
Stéphane Mallarmé, Le Faune

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Nymphe et faune (vers 1886) d’Auguste Rodin

(source : Musée d’Orsay, Paris)

10En outre, à contempler ce bronze d’Auguste Rodin baptisé précisément Nymphe et faune, le spectateur peut vite prendre conscience que l’imposante sculpture sombre et luisante expose l’enlacement de deux corps qui par endroits se fondent et se confondent. Cette intention osmotique se rencontre également dans IXOR (écrit 70 ans plus tard), partition qui fait tantôt entendre deux voix interprétées par le même instrumentiste (portées 6, 9, 16…), tantôt une seule et même proposition monodirectionnelle (portées 1, 4, 5, 24…).  A certains égards, ne pourrions-nous pas dire que ce solo couronne savamment « les antipodes rassemblés dans une contrariété paroxysée 28» ? Afin de compléter le réseau complexe d’effets qui donne l’illusion de passer sporadiquement du monologue au dialogue, il faudrait aussi alléguer tout l’appareil d’appogiatures qui, à lui seul, active tout au long de la pièce le relief mouvementé d’une seconde voix en crêtes, virtuelle et légère, fougueuse et parsemée. Comme le pensait Gaston Bachelard, « l’imagination dynamique ne propose vraiment que des images d’impulsion, d’élan, d’essor, bref des images où le mouvement produit a le sens de la force imaginée activement. 29»

11En conséquence, qu’il écrive pour duo (Rucke di Guck – 1957 – pour flûte piccolo et hautbois, Arc-en-ciel – 1973 – pour deux violons, Kshara – 1975 – pour deux contrebasses…) ou pour solo, le compositeur ultramontain désire atteindre les fondements symboliques du manichéisme (religieux) ou de la dualité30 (profane), éclairant concurremment les « principes créatifs » de conjonction ou de disjonction qui entérinent paradoxalement l’antagonisme et la communion, la rivalité et la réciprocité. Énigmatiquement, cette ambiguïté est née du fait que l’esprit du duo chez Scelsi est souvent traité comme un solo (polarisé couramment sur une seule note axiale nimbée de battements31 scintillants) et que, par ailleurs, certains soli incarnent la présence de deux voix (ou deux timbres pertinents ou deux registres différents)32. Au reste, prenant le soin nécessaire à toute lisibilité immédiate, le maestro remarquait qu’« une partition de musique, même pour piano seul, se compose de milliers de signes : notes, signes de liaison, signes de couleur, signes d’expression, etc., sans oublier le temps nécessaire à coordonner et à aligner les rythmes et les écritures des différentes parties.33» De plus, la clarinettiste et compositrice Carol Robinson, qui a travaillé avec le maître romain, nous a confié qu’« au-delà de la nécessité de jouer en respectant le texte, l’interprète doit produire des vibrations qui donnent à l’œuvre une autre dimension. Pour y parvenir, Scelsi insistait sur une sensibilité et subtilité sans limites pour sculpter chaque note et dépasser l’interprète. Il insistait également sur les appuis musicaux comme superstructure.34»

12Pour Giacinto Scelsi, embrassant constamment l’idée d’une relativité conceptuelle et perceptive, la sphère de la musique soliste a inlassablement tenu du concept fictif. Cette investigation a été en partie cernée par Emmanuel Levinas quand il désirait arpenter à sa manière le champ de l’imaginaire poétique. Car pour le philosophe, « l’utopie était non pas le rêve et le lot d’une maudite errance mais la clairière où l’homme se montre35». Dans les années d’après-guerre36, provenant certes d’improvisations solitaires jouées sur une ondiola (pouvant produire avec bonheur des micro-intervalles) et enregistrées dans le secret de son cabinet de méditation, tout un contingent de soli a ainsi voulu montrer (et démontrer) – notamment au beau milieu des années 1950 – l’autosuffisance et la polyvalence des instruments monodiques37 : dans ce jardin des solitudes musicales, on compte par exemple Pwyll (1954) pour flûte, Tre Studi (1954) pour clarinette en Mi b, Tre Pezzi (1956) pour trompette basse, Quattro Pezzi (1956) pour trompette, Quattro Pezzi (1956) pour cor, Three Pieces (1956) pour trombone…

La joie du souffle rythmique et poétique

« Solitaire intermittence
d’une durée sur la dernière »
Giacinto Scelsi, Poèmes incombustibles

13« L’œuvre de Scelsi est fondée sur l’énergie du souffle de vie ; par nature, tout processus – de création – mental, diachronique, lui est étranger. Il faut, pour pénétrer la musique de ce mage du son, créer en soi un état de réceptivité non gouverné par la pensée, car elle agit fortement sur les énergies de l’auditeur qu’elle éveille et conduit vers des plans transcendantaux38», écrivait la compositrice Solange Ancona. Mutatis mutandis, proche à bien des égards des termes cosmogoniques de l’anima des anciens, la musique solipsiste pour instrument à vent de Giacinto Scelsi sacre en fait l’esprit de la « joie du souffle39» analysé par Gaston Bachelard à la fin de L’Air et les songes. Tout en soulignant l’« incroyable pluralité des souffles poétiques », le philosophe français a alors tenu à insister sur la dichotomie existant entre la force et la douceur ou encore entre la colère et la tendresse sensible40.  Pour Giacinto Scelsi, « si « le son est le premier mouvement de l’immobile », il faut en libérer l’énergie dans un souffle, une vibration, comme forme vide de l’expérience sonore41», a encore relevé Fabrice Duclos. A l’instar du vaste projet stockhausenien42, le compositeur italien qui œuvrait à la découverte de la « connaissance » et de la « transcendance 43» voulait également atteindre les rives plus ou moins embrumées de la « transfiguration » : « Explorer les voies qui communiquent avec l’univers entier, organiser l’attention sur un minimum d’espace, cela dépend du souffle44», spéculait-il.

14Rejoignant à n’en point douter « l’assoupissante asphyxie45» décrite par Scelsi lui-même, l’idée métaphorique de la dyspnée s’entrevoit du reste dès le début d’IXOR où la conception de la pure et pleine fluidité (du type de legato ininterrompu) semble passablement empêchée. En effet, l’oreille assiste à tâtons à la naissance du son. Dans ce petit « prélude » où la prise de contact avec le matériau est nécessaire à la bienséance du jeu global (comme les alaps restent primordiaux au début des ragas de l’Inde), l’instrumentiste à vent libère par petites bribes spasmodiques les prémices balbutiantes de la vie du son à venir. En tout état de cause, l’agencement des objets sonores peut faire penser au concept de « continuité de la non-continuité » prôné en son temps par John Cage : « Je voulais éviter l’aspect mélodique, parce que, dès qu’il y a mélodie, il y a volonté et désir de plier les sons à cette volonté. Cependant, je ne refuse pas la mélodie. Je le refuse d’autant moins qu’elle se produit d’elle-même. 46» Dans IXOR, durant l’introduction, l’oreille ne peut, en aucune manière, prévoir l’orientation mélodique du devenir sonore de la pièce. « Comment vivre sans inconnu devant soi ? 47», questionnait René Char dans Le Poème pulvérisé.

15Écoutez donc, dès les premières portées, ce Ré b écrit48 qui est ciselé par intermittence. Ici, le compositeur formule à sa manière un type de bégayement poétique. Avec une légère et timide insistance et au travers de la métaphore sonore d’un quasi sentiment de pudicité, il laisse ainsi respirer par à-coups le débit recto tono du soliloque. « La respiration est le berceau du rythme », écrivait Katharina Kippenberg dans son beau livre sur Rainer Maria Rilke.49 Ici, quarts de soupir, soupirs et virgules de respiration ou d’expression montrent autant d’agréments qui, de concert, favorisent le halètement du matériau minimaliste (il faut peut-être remarquer que, symboliquement, la pièce démarre et se termine sur un silence expressément noté).50 Dissertant sur l’ineffable, Vladimir Jankélévitch constatait : « La musique tranche sur le silence, et elle a besoin de ce silence comme la vie a besoin de la mort et comme la pensée, selon le Sophiste de Platon, a besoin du non-être. 51»

16Corollairement, le compositeur tient aussi à donner, dès le début de sa partition, un tour salutaire dans l’ordre d’une élévation spirituelle – somme toute mallarméenne – : La première longue et faible tenue « mourante » se fera sur un Do, note principale n’apparaissant seulement qu’au début de la quatrième portée. Dans Art et connaissance, Scelsi ne comparait-il pas les universaux de la « note » et de la « pause » au « vide » et au « plein »52 ? Des études récentes sur le symbolisme archétypal ont du reste exposé que « l’inspiration divine, du latin inspirare, « souffler », peut alors prendre la forme d’un soudain flux d’amour, de courage, de colère, de divination ou d’intelligence supérieure.53»

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IXOR de Giacinto Scelsi

Le début sur Ré b et sa résolution sur la note-pôle Do.

© Éditions Salabert – Paris, France

17Ainsi que le remarquait Vladimir Jankélévitch, « d’une certaine manière, l’irréversibilité est un flux immobile : dans l’innombrable et grouillante succession des fluxions infinitésimales qui forment ce flux et composent la continuité de sa continuation, l’immobilité se résout en mouvement. La continuité selon Bergson n’est-elle pas discontinue à l’infini ?54», demandait alors ingénument le philosophe. Semblant se soumettre au Qi-yun de la pensée chinoise55, cette phénoménologie d’un début d’œuvre coiffé par une scansion rythmique répétitive sur une note unique est relativement courante chez Giacinto Scelsi. Au niveau instrumental, elle se trouve par exemple dans l’ouverture de la Suite (1953) pour flûte et clarinette, dans la courte dernière pièce des Quattro Pezzi (1956) pour trompette en Do ou dans Okanagon (1968), partition dans laquelle « la répétition d’un son » est « toujours semblable mais jamais le même56», tenait à préciser l’auteur. Ici, le maestro s’oppose aux vœux d’Arnold Schoenberg. En effet, ce théoricien autrichien n’avait-il pas confié à son élève John Cage que « le principe de variation représentait seulement des répétitions de quelque chose d’identique » 57?

18Dans le répertoire scelsien destiné à la voix, on peut aussi, et sans équivoque aucune, étudier le même type de manifestation fondé sur la répétition et ses multiples modes de variation. Comme l’analysait Vladimir Jankelevitch, « c’est entre la première fois et la deuxième, un intervalle de temps s’est écoulé qui rend l’itération novatrice, qui fait de l’insistance une incantation, de la monotonie une magie, de la répétition stationnaire un progrès. 58» Écoutez par exemple le début de (1960), recueil monodique qui regroupe cinq vocalises pour voix de femme. L’introduction de la première vocalise est ici ancrée sur un Fa omniprésent, pôle fortement coloré et attaqué (varié) notamment par différentes voyelles ou consonnes (plus ou moins combinées entre elles)59.

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pour voix de femme de Giacinto Scelsi 

Les trois premières portées polarisées sur un Fa insistant60

© Éditions Salabert – Paris, France

19Rappelons que dans le quatorzième chapitre de Boutès intitulé « Scelsi », Pascal Quignard a noté : « Je pose que la répétition sonore remplit la fonction de contenant à l’intérieur du temps. 61» En l’occurrence, comme le montre l’exemple du manuscrit inédit reproduit ci-après62, le tout début d’IXOR I pour clarinette basse de Giacinto Scelsi est, une fois de plus, fondé sur un Fa # habillé de différentes intensités, appogiaturé ou brodé à loisir, légèrement interrompu par la parasitose de courts silences, telles des accroches consonantiques blanches et silencieuses. « Or, les consonnes sont les interruptions de la voix. La rupture, l’arrêt, la bifurcation de ce flux – a expliqué Michel Serres. Oui, les consonnes sont parasitaires. Elles bloquent le souffle, le coupent, l’interdisent, le ferment, le propulsent, l’aident, le modulent. Elles sont des obstacles et des adjuvants, comme des parasites ordinaires 63».

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IXOR I pour clarinette basse de Giacinto Scelsi 

Le début mesuré de la partition restée inédite.

© Éditions Salabert – Paris, France

20Par ailleurs, le poète André Pieyre de Mandiargues n’écrivait-il pas à propos du « concert céleste » scelsien :

« Monotone sublime en variantes
Quand autour de la note unique elle enroule
Puis déroule pour enrouler de nouveau
Des bruissements particules de temps
Projetées dans l’accélérateur
À des fins qui vont à l’infini ».
André Pieyre de Mandiargues, Scelsi64

21Ces perforations rythmées de l’espace-temps musical, ces « lambeaux d’horizon65» convulsifs se perçoivent également dans la première des Three Pieces (1956) pour trombone solo dont la partie initiale est bâtie sur l’itération plus ou moins accentuée d’un La b, monotone mais pas monochrome66, solitaire et statique, aux aguets ou à peine vivant (audible). « Le Son, pour ainsi dire « en veille », est sphérique – expliquait encore Scelsi – mais dynamique dans son essence, il peut prendre n’importe quelle forme.67»

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Three Pieces pour trombone solo de Giacinto Scelsi

Concentration répétitive et déploiement agogique sur la note-pôle La b68.

© Éditions Salabert – Paris, France

22Dans Son et musique, Giacinto Scelsi avouait : « Puisque le son opère par des lois de correspondance avec les éléments humains et que, d’autre part, il est prouvé que la répétition d’une formule produit un résultat particulier : physique, moral ou spirituel (d’où la simple théorie de Coué sur la répétition d’une phrase pour l’amélioration de la santé et, naturellement, toute la doctrine du japa hindou, qui est basée sur cette répétition et entraîne des réalisations absolument spirituelles), la musique, par la répétition d’un son ou d’une forme sonore, par sa correspondance avec les éléments fondamentaux de l’homme, tend à produire, et à reproduire, certaines modifications dans leurs rapports d’équilibre69» ? Il est alors sans doute symptomatique de lire à la septième portée d’IXOR que Scelsi fait répéter le pôle de Do dans une nuance très douce (note agrémentée de saut de septième majeure et de bruits de clefs – « bruissements particules de temps » – notés Battendo sulle chiavi). Notons de plus que tout ce passage est auréolé de la mention générale : Senza affrettare (signifiant « sans presser »).

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IXOR de Giacinto Scelsi

Les portées 7, 8 et 9 offrant une palette d’effets tant dynamiques que timbriques.

© Éditions Salabert – Paris, France

23Comme le remarque Jacques Rancière, « la rencontre des hétérogènes ne vise plus à provoquer un choc critique ni à jouer sur l’indécidabilité de ce choc 70». Dès lors, les quatre coups de clefs métalliques d’IXOR (d’abord légèrement espacés puis rapprochés) exhibent autant de signaux composites qui, d’un point de vue de la réception, surprennent un brin l’auditeur et, au niveau compositionnel, réalisent un très bref contrepoint percussif. Sans brusquerie, cette effet de surprise71 tend à galvaniser une mini-scène dramatique qui rappelle, par place, des passages d’Hyxos (1955) pour flûte en Sol et percussion, certaines pièces des Canti del Capricorno (1962-1972) pour voix seule (chant I accompagné par un gong ou chant XIV demandant une percussion de peau frappée), quelques mesures d’Olehö (1963), solo pour voix et gongs ou d’Ogloudoglou (1969), solo pour voix d’homme ou de femme accompagné de percussion (la pièce ne demandant en l’occurrence qu’un seul exécutant).

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Hyxos de Giacinto Scelsi : un vrai duo

Pour un flûtiste accompagné d’un percussionniste (ici muni de deux gongs)72.

© Éditions Salabert – Paris, France

La forte éventualité d’une clarinette

« Étreinte de la sonorité
ineffaçable de milliers
d’années d’ombres »
Giacinto Scelsi, L’Ordre de ma vie

24 À l’instar des Fantasiestücke (1849) de Robert Schumann qui s’interprètent tantôt à l’alto, tantôt à la clarinette, du Trio opus 120 (1922-1923) de Gabriel Fauré où la partie de violon peut être interprétée à la clarinette, de la Pastorale (1940) d’Elliott Carter étudiée pour cor anglais (ou alto ou clarinette) et piano, du Solo (1957-1958) de basson de John Cage (extrait du Concert for piano and orchestra) qui est prévu aussi pour saxophone baryton, des Ascèses (1967) d’André Jolivet qui existent pour clarinette ou pour flûte traversière, de Modèle réduit (1975) d’Henri Pousseur agencé pour clarinette basse (ou violoncelle) et piano, d’Aulodie (1983) de François-Bernard Mâche conçu pour hautbois ou saxophone soprano ou clarinette piccolo, de Anubis et Nout (1983) de Gérard Grisey pensés pour saxophone basse ou pour clarinette contrebasse, d’Op. cit. (1983-1993) de Philippe Hurel agencé pour saxophone ténor ou pour clarinette, du Cirque (1986) de Marc Monnet écrit pour clarinette contrebasse ou pour saxophone contrebasse, d’Animismus (1992) pour saxophone alto ou clarinette basse, flûte, violon et violoncelle de Giovanni Verrando, de Derwischtanz (1993-2001) de Peter Eötvös prévu pour clarinette seule ou trois clarinettes, du Trio Rombach (1997) de Pascal Dusapin pour piano, violon (ou clarinette) et violoncelle… la partition d’IXOR (1956) de Giacinto Scelsi jouerait-elle sur la notion – somme toute assez vague – de similitude de timbre (voire de tessiture semblable73) ? Car, hétérodoxe à l’envi et moderne dans son libellé, elle est écrite « pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche74».

25En effet, dans le registre de l’ossia et de l’adaptation circonstanciée, à consulter le répertoire étendu de Giacinto Scelsi (plus de 150 opus mis à jour à l’heure actuelle), il est aisé de constater tout un contingent de partitions où l’hétéronomie timbrique est franchement de mise : par exemple, voyez Quays (1954) pour flûte contralto ou flûte en Do, Tre Pezzi (1956) pour saxophone soprano ou ténor, Three Latin Prayers (1970) pour voix seule ou chœur à l’unisson, Maknongan (1976) pour instrument grave ou voix de basse75…  Au regard des opus incertains (où un des paramètres – ou plus – est laissé à l’appréciation de l’instrumentiste), cette entreprise compositionnelle entre de fait dans le vaste domaine de l’« œuvre ouverte ».76 Arrimée à une structure figée, attachée à une forme fermée, la proposition instrumentale de la partition fait déboucher sur des catégories finies de « mondes possibles »77 au niveau timbrique (le poète et cinéaste Armand Gatti prônait pour sa part un « théâtre des possibles » pour lequel la dramaturgie pouvait générer plusieurs dimensions d’ordre spatio-temporel). Parlant de « la figuration d’un possible », Marcel Duchamp écrivait que « le possible est seulement un « mordant » physique  [genre vitriol] brûlant toute esthétique ou callistique 78».

26En dépit d’une palette de jeux restreinte (comme on « tire les jeux » d’un orgue, d’un harmonium, voire d’une onde Martenot pour en sélectionner le timbre adéquat et optimal), si IXOR est interprété par un saxophone sopranino, un cor anglais, un cor de basset, une clarinette basse ou un contrebasson…79, l’œuvre changera fondamentalement d’allure physionomique (externe comme interne)80. En dehors d’affects sélectifs propres à chaque auditeur81, elle retentira autrement, même si pour Scelsi, « le principal, c’est que la musique ne produise pas un son confus. Il y aurait beaucoup à dire sur ces concepts de confusion et d’ordre, disons plutôt de son juste. […] C’est le son qui compte, bien plus que son organisation.82» Alors, si pour Ludwig Wittgenstein le « jeu de langage » peut s’apparenter à des éléments probants de « forme de vie 83», pour Giacinto Scelsi, le choix ouvert du « jeu de timbre » doit sans conteste faire partie des libertés « logico-philosophiques » à assumer pleinement.

27Nous avons – semble-t-il – créé la version d’IXOR à la clarinette basse, lors d’un concert de musique de chambre à la Hochschule für Musik und Theater de Hanovre, le 2 novembre 198784, en tentant de laisser vibrer une tendre sensation de torpeur un brin dégourdie – étant peut-être plus séduit (inconsciemment) par l’appareil dynamique que par le processus proprement mélodique. « Suivre une phrase musicale en la comprenant, en quoi cela consiste-t-il ?85», demandait benoitement le philosophe Ludwig Wittgenstein. Une des réponses possibles pourrait être celle d’Emil Michel Cioran pour qui « le doute s’insinue partout, avec cependant une exception de taille : il n’y a pas de musique septique86» Dans ce genre de coordination, entre faisabilité et réalisation, entre réceptivité et appréciation, le confort de l’instrumentiste comme de l’auditeur doit certainement être pris en compte. Ainsi, Charles Rosen déclare : « Comprendre la musique signifie, dans une large mesure, « se sentir bien » avec elle. 87» Pour sa part, Vladimir Jankélévitch professait : « Déchiffrer dans le sensible je ne sais quel message cryptique, ausculter dans et derrière le cantique quelque chose d’autre, percevoir dans les chants une allusion à autre chose, interpréter la chose entendue comme l’allégorie d’un sens inouï et secret, – ce sont là les traits permanents de toute herméneutique, et ils s’appliquent d’abord à l’interprétation du langage : celui qui lit entre les lignes ou croit comprendre à demi-mot se propose lui aussi de pénétrer dans les arrière-pensées et les arrière-intentions. 88»

28Néanmoins, dégagée de tout esprit lié aux principes d’une « science exacte », la musique scelsienne requiert paradoxalement concentration et sollicitude, libération et inquiétude, la part de la maïeutique devant sans doute être confusément présente dans l’esprit dialectique du musicien soufflant. « Il est vrai qu’il y a aussi une autre musique, de caractère transcendantal, qui échappe à toute analyse d’organisation, comme elle échappe à toute compréhension humaine89», rétorquait Giacinto Scelsi qui, à l’instar d’Edgard Varèse, détestait la pratique gratuite et austère de l’analyse musicale.

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Programme de la création d’IXOR dans la version pour clarinette basse, en 1987.

29Ici, s’agissant du médium interprétatif, « un sens tremblé, et non pas un sens fermé90» doit être indubitablement privilégié. Concentrée sur l’unique solo d’anche(s)91, la formulation d’IXOR apporte son petit lot de versions à ouïr, même si pour le compositeur, « les interprètes ne sont que des instruments de transmission (tout comme moi) de quelque chose qui a été et qui est plus grand qu’eux.92» Car si le rapport à la couleur sonore n’est pas foncièrement appelé, privilégié, favorisé, désiré, seul le trait dynamico-rythmique du dessin suggestif comme le galbe nerveux de la mélodie importent et semblent ici immuables. Philosophe (parfois proche de certaines idées cartésiennes93), Giacinto Scelsi affirmait que « la mélodie n’est pas concevable sans un rythme, tout comme l’affectivité sans la vie »94.

30Endossant les tenues d’apparat du caméléon, la valeur esthétique d’IXOR donne finalement dans la souplesse et la pluralité de l’offrande musicale (symptomatique). Comme pour les diverses « séries » colorées d’un même sujet (on songe par exemple à la duplication répétitive95 d’un unique portrait par Andy Warhol mais avec des coloris différents), les figures de fond comme les effets de surface de la partition musicale restent identiques, seul le timbre instrumental général reste optionnel (comme dans certaines partitions de musique baroque pour « instrument de dessus », au timbre non précisé). « Inévitables dans le temps et l’espace parce que liés à leur caractère matériel et étendu, ces incessants changements d’identité (spécifique) nous obligent donc à un constat que l’on peut formuler sous cette forme : ces œuvres uniques sont plurielles 96», conclut à sa manière Gérard Genette.

31Il est vrai que dans de multiples exemples (et notamment pour des pièces issues de l’École de New-York97), « le timbre n’est souvent qu’un ingrédient auxiliaire de la musique, extrinsèque à la structure musicale et utilisé surtout à des fins cosmétiques. Bien des musiques ont été composées « pour divers instruments », sans plus de précision 98», écrivait Jean-Claude Risset, en 1997. En dehors des divers degrés d’intelligence de l’interprétation formelle, la « sensibilité auditive99» de l’auditeur100 d’IXOR est alors attirée par la pertinence de quelque équation différentielle, à propos de la correspondance des soi-disant « analogies de timbre » (à savoir le choix de telle sonorité nasillarde ou telle catégorie de registre plus pastoral…). « Au fond – observait Umberto Eco, en 1962 – une forme est esthétiquement valable justement dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, où elle manifeste une grande variété d’aspects et de résonances sans jamais cesser d’être elle-même.101»

32Néanmoins, Hector Berlioz remarquait dans De l’instrumentation (1841-1842) que les clarinettes possèdent « dans le médium, une voix plus limpide, plus pleine, plus pure et plus douce que celle des instruments à anche double, dont le son n’est jamais exempt d’une certaine aigreur ou âpreté, dissimulées jusqu’à un certain point par le talent des exécutants. Les sons aigus de la dernière octave, à partir de l’ut au-dessus des portées, participent seuls de l’aigreur des sons forts du hautbois, pendant que le caractère menaçant des sons graves du chalumeau se rapproche, mais seulement par la rudesse des vibrations, de celui de certaines notes du basson.102» Comme dans la Sonate pour deux clarinettes (1918), court duo pour un instrument en Si bémol et l’autre en La de Francis Poulenc103, l’amateur reconnaîtra cette « saveur acide qui agace délicieusement l’oreille104 » venue tout droit de l’univers stravinskien. Tout d’abord, il faut noter que cette page n’est pas écrite pour deux instruments égaux (au sens baroque du terme), l’idée d’une plénitude altérée venant de l’alliage de deux sonorités absolument différentes. Ainsi, selon Charles Kœchlin, la clarinette en Si bémol reste « expressive et lumineuse » alors que la clarinette en La105 fait entendre une sonorité « plus douce, plus veloutée106 ». De même, pour Jacques Ibert, la première est « plus brillante », alors que la seconde est « plus suave107 ». Et si Hector Berlioz regrettait la « pureté de sons108» dans le médium de la clarinette en La, Charles-Marie Widor tenait quant à lui à louer « la noblesse du son, la douceur, la plénitude109» de cet instrument transpositeur, au corps d’ébène légèrement plus long que celui normalisé de son homonyme en Si b110. Alors, entre médium de la fluidité venteuse et instrument de la dynamique infime, la clarinette en Si b d’IXOR reste – pour paraphraser Umberto Eco111 – le possible objet d’une expérience acoustique mais aussi l’objet acoustique d’une expérience possible.

IXOR : quelques pistes analytiques

« L’homme confond la lutte
et le rêve vaincu ».
Giacinto Scelsi, Sommet du feu

33Agencée en deux grandes parties enchaînées (Sostenuto = noire à 58 et Meno sostenuto = noire à 66), la partition d’IXOR publiée par la maison Salabert à Paris comporte un luxe d’indications visant principalement les attaques des sons et les nuances circonstanciées. Au cours de sa progression rythmiquement imprédictible, le discours s’appuie sur quelques notes-pôles stabilisatrices qui agissent en alternance comme autant de teneurs attractives locales, à savoir : Do dès la deuxième portée (avec préparation du Ré b introductif, tel un macro-procédé jouant le rôle de méga-appogiature), Fa à la cinquième portée112, à nouveau Do à la septième portée, Fa au Meno sostenuto de la douzième portée, puis Do à la dix-septième portée… Vladimir Jankélévitch observait au début des années 1960 que la « musique contemporaine » devait être « à l’image de la vie, qui est jaillissement spontané et progrès imprévisible 113».

34Que ce soit au niveau de la macro-forme (retour symptomatique de notes-pôles) ou du micro-détail (répétition de motifs ou de cellules brèves), le geste archétypique de l’itération est, dans IXOR, plus que prégnant114. Ne pouvant passer inaperçu, ce geste d’insistance semble peut-être rappeler de loin la fantasmagorie poétique d’« échos-monde révélateurs115» rêvés par Scelsi (en l’occurrence les « assiduités » du faune). Enfin, étalée sur les quatre dernières mesures, la coda renoue avec la couleur entendue dès le début de la pièce, se focalisant sur le Ré b initial pour passer subrepticement par le Fa (cette fois très brièvement accentué) et aboutir sur l’axe de référence figuré par la note principale Do. Telle une section conservée d’une longue improvisation, la courte pièce se boucle en ayant effectué une révolution complète. A propos des pièces brèves de ses ainés, Pierre Boulez écrivait : « Ce fragment est certes fermé sur lui-même, mais il est ouvert à la fois sur tout et sur rien ; il ne demande pas à être précédé ou suivi d’un autre, il existe seul, ne demande pas de correspondances formelles pour prendre toute sa valeur. Il est là comme un aphorisme plus ou moins long, indépendant, mais pouvant être rattaché, éventuellement, à d’autres aphorismes de même nature. 116»

35Analysez la dernière mesure d’IXOR et repérez une fois encore le jeu des nuances enrichissant cette note-pôle principale incarnée par un Do : long et enflé dans le grave (crescendo-decrescendo) et enfin, appogiaturé et piqué dans le médium (telle une dernière révérence burlesque qui tiendrait de la pirouette faunesque).

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IXOR de Giacinto Scelsi

Les dernières mesures montrant un retour symbolique sur la note-pôle Do.

© Éditions Salabert – Paris, France

36Par ailleurs, dans ses Poèmes incombustibles, Giacinto Scelsi transcrivait ainsi ses visions de l’état onirique : « tout recommence parmi les ombres où les portes s’ouvrent à l’envers, jusqu’au nouveau déséquilibre, et encore…117» Entre ordre polarisant (teneur principale gouvernant chaque sous-partie) et désordre apparent (appareil rythmique complexe ressenti comme « propulsion physique primordiale118»), le musicien improvisateur désirait disposer d’une palette complète de variations très fines au niveau paramétrique (hauteur, consonance, dissonance, registre relatif, intensité, durée, rythme, agogique, timbre, espace). « La musique est aussi notre vie, avec ses harmonies, ses dysharmonies, ses accents, forts, doux, variés, ses andantes et ses allégros. Des tempos méditatifs, rythmiques, vitaux. Il y a les formes fixes, les formes intuitives ou encore improvisées. Tout cela aussi est musique, non ? 119», questionnait l’ondioliste.

37À l’écoute donc du plus petit « point central 120», de la moindre interférence de type fréquentiel et organisationnel, Giacinto Scelsi était extrêmement conscient de la potentialité des micro-détails en présence : crescendo ou decrescendo quasi aperceptifs, mini-glissando micro-tonal (comme dans Kya), détails articulatoires très précis (points, tirets, accents, liaisons, sforzandi…), rythmes irrationnels contrariant à dessein les repères de la métrique classique – il n’y a pas du tout de mesure en tête de la partition –, chromatisme retourné, trille noté… La reproduction des portées 18 et 19 présentée ci-après indique bien le regroupement de quelques uns de ces effets d’aura minimaliste :

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IXOR de Giacinto Scelsi : portées 18 et 19.

© Éditions Salabert – Paris, France

38Dans cet exemple, remarquons encore un jeu probant portant sur la note-pôle DO (et son associée Ré b), tantôt sous la forme de broderie (ou de trille legato au demi-ton), tantôt par un geste d’extension à l’octave supérieure (comme dans le sextolet neumatique dont l’allure de profil palindromique peut s’apparenter au concept de « rythme non rétrogradable » cher à Olivier Messiaen que Scelsi a rencontré plusieurs fois à Paris et à Rome121).

39Par ailleurs, en dehors de l’énergie alternée d’intervalles fixes – consonants et dissonants (en grande partie dans IXOR : cristallisation d’un champ de septièmes majeures ascendantes122, présence de tierces majeures et d’octaves mais aussi de demi-tons, tons et tritons) – et hormis quelques passages usant de la micro-intervallité (quarts de ton sporadiques), la musique est émaillée d’un petit glissando, d’un réseau généralisé d’appogiatures simples ou doubles, conjointes ou disjointes (comme dans les Trois pièces pour clarinette seule – 1919 – d’Igor Stravinsky123), de quelques bruits de clefs (comme dans Densité 21,5 pour flûte seule – 1936 – d’Edgard Varèse124) et de forts contrastes dynamiques125.

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Début d’IXOR III pour clarinette de Giacinto Scelsi (partition restée inédite)

Un luxe d’indications expressives126 allant du decrescendo morendo au trille molto veloce.

© Éditions Salabert – Paris, France

40Comme dans la poétique agogique d’IXOR III127, une gradation constante irise un esprit de mobilité intime128, car la palette du nuancier d’IXOR (partition Salabert) qui se cantonne plutôt dans le registre « molto piano », va du pppp au FF. Les fins de phrase se terminent le plus souvent « en mourant » (morendo, ou plus rarement poco ritardando) ou sont balisées par une figuration de pur silence. Ici, le geste d’équivocité du compositeur exhibe une pleine adéquation entre le vide et le plein. Car ces « portions d’espace mesurées par le temps129» – comme l’expliquait Scelsi – semblent présentes pour conforter une unité de sens linéaire du rythme général impulsé. A ce titre, évoquons peut-être cette idée de flot cadentiel venant du grec ancien rheîn qui signifie « couler ». Elle peut sans doute induire le concept d’écoulement d’un flux continu ajusté par des phases d’amplitude plus ou moins repérables. Ici, habitées et tendues, les figures de silence se comportent comme des données acoustiques à gérer dans la continuité temporelle, « une phrase130» muette s’enchainant à une autre plus sonore, et ainsi de suite. A l’époque de la composition d’IXOR, Luc Ferrari consignait dans son journal cette pensée dialectique : « Le mouvement du temps est l’aspect rituel de l’espace131». Cette conjonction mutante se retrouve peu ou prou dans l’écoute attentive du solo d’IXOR pour instrument à anche (simple ou double).   

41Faut-il néanmoins rappeler que la clarinette est « celui de tous les instruments à vent, qui peut le mieux faire naître, enfler, diminuer et perdre le son. De là la faculté précieuse de produire le lointain, l’écho de l’écho, le son crépusculaire », remarquait Hector Berlioz dans son Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes132, paru en 1843-1844. Cet instrument légendaire a permis ainsi « de parvenir à des pianissimi presque imperceptibles et parfaitement doux, aussi bien qu’à des sons d’un relief très intense133», ont enchéri Casella et Mortari, en 1950. Carol Robinson134 raconte à nouveau une de ses entrevues dans la capitale italienne avec Giacinto Scelsi : « Contrairement aux habitudes d’interprétation, pour lui, le trait ou tenuto ne devait pas être seulement appuyé, mais véritablement articulé. Il aimait bien venir au pupitre avec un crayon rouge pour souligner tous les traits ou accents, et ceci pour que le rythme virevolte et ne soit jamais carré. Sans ces points forts, sa musique reste docile et sage, parce que sans tension.135»

42Écrite en demi-teinte comme venant d’un impromptu habituel, la partition d’IXOR n’est en réalité pas très virtuose. Cependant, pensée à l’origine pour clarinette en Si b, elle ne profite aucunement de la profondeur et de la chaleur des graves comme de la stridence et de la luminosité des aigus ou des suraigus136 ; car à partir du Mi grave noté sous la portée en clé de Sol, la clarinette peut offrir bien plus de trois octaves (l’intégralité de cette palette sera visitée plus tard par Scelsi pour l’élaboration et la réalisation de Kya). En revanche, pour IXOR, l’ensemble des paramètres est lové dans un réseau de critères exclusivement médians : hauteurs plutôt centrées sur le registre de chalumeau, nuance générale piano rehaussée de quelques pics forte afin de nourrir promptement les effets nécessaires de tension, tempo neutralisé, assez lent et soutenu (entre 58 et 66 à la noire) juste assorti d’un rare ritardando expressif… Dès lors, la concentration générale du matériau semble correspondre plus au résultat d’une introspection due à la méditation137 (telle que Scelsi la pratiquait quotidiennement) qu’au fruit d’une nonchalance à teneur simplement gestuelle (il n’aimait guère les projets négligés). Au cœur des Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau observait : « Plus un contemplateur a l’âme sensible, plus il se livre aux extases qu’excite en lui cet accord. 138» Dans un sillage d’ordre improvisateur où la musique semble sourdre d’une « cosmogonie 139» intimiste, d’un songe éveillé (ce que le compositeur nommait volontiers « un état de passivité lucide 140»), Giacinto Scelsi déclarait : « l’idée créatrice est un élan intuitif où toute l’œuvre est contenue virtuellement.141» Cette idée de représentation semble du reste assez proche de cet « élan originel de la vie 142» circonscrit par Henri Bergson en 1907, dans son ouvrage portant sur L’Évolution créatrice.

43In fine, même si les voies mystérieuses de la musique scelsienne restent le plus souvent impénétrables, retenons qu’à l’analyse d’IXOR, une des principales données provient d’une belle leçon d’émancipation, de type mallarméen : un gage réel de poétique sonore et de modernité non artificielle mis au service d’une définition implicite de la clarinette « contemporaine » (faisant référence à la période avant-gardiste du second après-guerre). Ainsi, à travers ce monologue intérieur pour instrument à vent, l’amateur éclairé peut facilement voir se concrétiser les fondements d’une dialectique singulière (cernant notamment le couple forme/matériau) qui s’épanouira par la suite dans l’écriture de type concertant (Kya – 1959) et dans la conception chambriste de « vrais-faux unissons » (Ko-Lho – 1966 – pour flûte et clarinette143). « Il arrive un moment où on imite plus que soi 144», remarquait Cioran au cœur de ses écrits fragmentaires, c’est un peu ce que l’on découvre en approfondissant de jour en jour les écrits poético-littéraires et les réalisations musicales de Giacinto Scelsi.

Annexes   

Liste non exhaustive d’œuvres de « musique contemporaine » écrites en 1956
Œil de fumée pour chant et piano de Gilbert Amy
Sonate pour flûte et piano de Luis Andriessen
Alleluia I pour orchestre en six groupes de Luciano Berio
Étude 1 pour bande magnétique d’André Boucourechliev
Musique de scène pour l’Orestie d’Eschyle de Pierre Boulez
Four More pour clavier d’Earle Brown
Radio Music pour 1 à 8 interprètes munis chacun d’une radio de John Cage
Deux éclats en réflexion pour violon et piano de Friedrich Cerha
Sixième quatuor à cordes de Dimitri Chostakovitch
Six T.S. Elliot Songs pour voix et orchestre de Jani Christou
Concertino in forma di variazioni pour orchestre de chambre d’Aldo Clementi
Tartiniana seconda pour violon, piano et orchestra de Luigi Dallapiccola
Comentarios a dos textos de Gerardo Diego pour voix et trio de Luis de Pablo
Sérénade d’Henri Dutilleux
Three Pieces for String Quartet de Morton Feldman
Symphonie n°2 de Roberto Gerhard
Die Phazelie (cycle vocal) de Sofia Goubaïdoulina
Haut-voltage pour bande magnétique de Pierre Henry
Drei Sinfonische Etüden de Hans Werner Henze
Inventionen und Choral pour orchestre de Klaus Huber
Sonate à trois de Betsy Jolas
Sérénade pour deux guitares d’André Jolivet
Aforismos de Apollinaire pour clarinette et piano de Mauricio Kagel
Fünf Variationen über ein Thema von Franz Schubert pour piano de Helmut Lachenmann
Variations concertantes pour 18 instruments deGyörgy Ligeti
Duo pour violon et piano de François-Bernard Mâche
Notturno pour bande magnétique de Bruno Maderna  
Oiseaux exotiques d’Olivier Messiaen
Il canto sospeso de Luigi Nono
Prométhée (musique de ballet) de Maurice Ohana
Sonata in one movement pour piano de Per Norgard
Tre miniature pour clarinette et piano de Krzystof Penderecki
Exercices pour piano de Henri Pousseur
Compositio pour orchestre de Dieter Schnebel
Symphonie d’Alfred Schnittke
Klavierstücke VI  et IX de Karlheinz Stockhausen
Vocalism A-I pour bande magnétique de Toru Takemitsu
Pithoprakta pour orchestre de Iannis Xenakis
Perspektiven pour deux pianos de Bernd Alois Zimmermann

Quelques partitions pour clarinette seule écrites au XXème siècle
Trois pièces (1919) d’Igor Stravinsky, Sonata opus 110 (1925) de Siegfried Karg-Elert, Sonata (1933) de John Cage, L’Abime des oiseaux (1941)145 d’Olivier Messiaen, Monologues (1956) d’Ernst Krenek, Solo (1957-1958) de John Cage, Madrigal III (1958) d’Henri Pousseur, Involutive (1959) de Paul Méfano, Sonatine attique (1966) d’Henri Tomasi, Solfeggietto (1968) de Claude Ballif, Domaines (1969) de Pierre Boulez, Dal niente – Interieur III (1970) d’Helmut Lachenmann, Time and Motion Study (1971-1977) de Brian Ferneyhough, Sonate (1972) d’Edison Denisov, Nuit ouverte (1972-73) de Max Pinchard, The Seven Brightnesses (1974) de Peter Maxwell Davies, E Anela l’alba (1974-1975) de Jacques Lenot, Harlekin (1975) de Karlheinz Stockhausen, Piri (1976) d’Isang Yun, Crossing Over (1978) de James Dillon, Sequenza IXa (1980) de Luciano Berio, Clair (1980) de Franco Donatoni, The Inner Time (1982) d’Horatiu Radulescu, Bouts-rimés burinés (1983) de Jean-Marc Singier, Monlog (1983) d’Isang Yun, If (1984) de Pascal Dusapin, Windex (1985) d’Ivan Fedele, Prélude (1987) de Krzystof Penderecki, Bavardage (1991) de Patrick Burgan, GRA (1993) d’Elliott Carter, Ipso (1994) de Pascal Dusapin, Simulacre IV (1995) de Georges Aperghis, Interference (1996-2000) de Richard Barrett, Bug (1998) de Bruno Mantovani, Vier Male (2000) de Wolfgang Rihm…

Notes   

1  Alex Ross va jusqu’à dire que Giacinto Scelsi est un « excentrique » (Alex Ross, A l’écoute du XXème siècle, la modernité en musique, The Rest is Noise, Arles, Actes sud, 2010, p. 627).

2  « Tous les philosophes que j’ai connus étaient sans exception des impulsifs », écrivait Emil Michel Cioran dans Aveux et Anathèmes (Paris, Gallimard, 1987, p. 22).

3  Giacinto Scelsi, Les Anges sont ailleurs (sous la dir. de Sh. Kanach), Arles, Actes Sud, 2006, p. 171.

4  Roger Heaton, « The contemporary Clarinet », The Cambridge Companion to the Clarinet (Ed. by C. Lawson), Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 168. La référence provient en fait d’une interview de Mario Bortolotto avec Morton Feldman (cf. Lo spettatore musicale n°1, 1969, p. 12).

5  Giacinto Scelsi, « Unité et égalité des arts », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 234.

6  Cf.Ernst Kurth, Selected Writings (sous la dir. de I. Bent), Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

7  À titre environnemental, prière de lire en annexe 1 les quelques reflets non exhaustifs de la production musicale de l’année 1956.

8  Hector Berlioz, De l’instrumentation, Pantin, Le Castor Astral, 1994, p. 56-57.

9  « On sait, en effet, que la clarinette doit son timbre particulier, entre autres conséquences, à des phénomènes de non-linéarité dans ses harmoniques et dans la projection sans cesse différente du son hors de la perce », notait encore Éric Daubresse (cf. livret du CD Adda 581189, Paris, coll. « Salabert trajectoires », 1990, p. 2).

10  Extrait du premier mouvement de la partition de Kya de Giacinto Scelsi (Paris, Salabert, E.A.S. 18308, 1987, p. 12).

11  Ce compositeur, Premier grand prix de Rome, fut directeur de la Villa Médicis à Rome de 1936 à 1960 (avec une interruption entre 1940 et 1946).

12  Jacques Ibert, Cours d’instrumentation et d’orchestration, Paris, École Universelle par correspondance, s.d., p. 86.

13  Philippe Sollers, Mystérieux Mozart, Paris, Gallimard, 2001, p. 260.

14  Cf. 10 ans avec la clarinette, Paris, Cité de la musique, 2003.

15  Cf. Prière de consulter en annexe 2, la liste de quelques partitions pour clarinette seule écrites exclusivement durant le XXème siècle.

16  Cf. Pierre Albert Castanet, « Ambivalence et ambiguïté de l’œuvre en duo de Scelsi », Giacinto Scelsi : Viaggio al centro del suono – livre écrit en collaboration avec Nicola Cisternino –, La Spezia, Lunaeditore, 1993 (2e éd. augmentée en 2001 avec CD). Cet article est ensuite paru en français dans : Giacinto Scelsi, aujourd’hui (sous la dir. de P.A. Castanet),  Paris, CDMC – Centre de Documentation de la Musique Contemporaine  –, 2008, p. 105.

17  Luciano Berio disait que « les Sequenza proposent une écoute de type polyphonique, basée en partie sur la transition rapide entre différents caractères et sur leur interaction simultanée. » (cf. Ivanka Stoïanova, Luciano Berio – Chemins en musique, La Revue Musicale n°375-377, Paris, Richard-Masse, 1985, p. 393).

18  Aurélie Allain, « Giacinto Scelsi, une méditation rituelle du son », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 80.

19  Paris, Éditons Salabert (E.A.S. 18281), 1988 (exemple montrant ici quelques mesures extraites de la page 8).

20  En fait, il s’agit probablement de IXOR II que la maison Salabert a édité sous le simple titre d’IXOR (dans cet article IXOR – écrit sans numéro – fera toujours référence à cette version publiée à Paris). Selon toute vraisemblance, IXOR I est pour clarinette basse, IXOR III pour clarinette en Si b – œuvre posthume confiée à Carol Robinson –, et IXOR IV pour clarinette Si b (cf. Sharon Kanach, « Chronologie et discographie des œuvres musicales de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 372 et 380). Néanmoins, Wolfgang Thein a tenu à classer les différentes partitions indépendantes d’IXOR autrement (cf. le texte du livret du CD Giacinto Scelsi, The Complete Works for Clarinet, Georgsmarienhütte, CPO 999 266-2, 1997, p. 30).

21  Cf. Olivier Messiaen, Conférence de Bruxelles (1958), Paris, Leduc, 1960, p. 4.

22  Cf. Pierre Albert Castanet, « Les passeurs d’ombre de la musique contemporaine », La Manière noire, Paris, Michel de Maule, 2002 (avec des photographies de Marthe Lemesle).

23  Gaston Bachelard, L’Intuition de l’instant, Paris, Stock, 1992, p. 104.

24  Wolfgang Thein, texte du livret du CD Giacinto Scelsi, The Complete Works for Clarinet, op. cit., p. 29.

25  « La fabula, c’est le schéma fondamental de la narration, la logique des actions et la syntaxe des personnages, le cours des événements ordonné temporellement », tient à rappeler Umberto Eco dans : Lector in fabula – Le rôle du lecteur (Paris, Grasset, 1985, p. 130 – pour l’édition en langue française).

26  Nous avons osé comparer (une fois n’est pas coutume) le déroulement de cette pièce pour soprano et sextuor avec  les différents épisodes qui jalonnent la légende de Tristan et Isolde (cf. « Le souffle de la vie et de la mort dans l’œuvre de Giacinto Scelsi », Voce come soffio, Voce come gesto – Omaggio a Michiko Hirayama, actes de l’Università degli studi di Roma La Sapienza, Roma, Arcane, 2008. p. 179).

27  George Steiner, Poésie de la pensée, Paris, Gallimard, 2011, p. 20.

28  Expressions extraites d’Histoire de poésie écritespar Michel Deguy, parues dans Orphée Studio – Poésie d’aujourd’hui à voix haute (Paris, Gallimard, 1999, p. 198).

29  Gaston Bachelard, L’Air et les songes, Paris, Librairie José Corti, 1943, p. 110.

30  Du catalogue scelsien, Michael Raster a décomposé Xnoybis (1964) – à l’origine pour violon solo – pour réaliser une nouvelle partition pour flûte et clarinette (CD de l’Ebony Duo, Col legno WWE 1 CD 20035) alors que Carol Robinson a transposé les Three Latin Prayers (1970) pour voix à la clarinette (Music for High WindsGiacinto Scelsi 3, New-York, CD Mode 102). D’autre part, avec l’accord de Giacinto Scelsi, Aldo Brizzi a arrangé, en 1988, les Riti : I funerali d’Alessandro Magno (323 av. J.-C.) – primitivement écrits (en 1962) pour orgue électrique, contrebasson, trombone, contrebasse et percussion – pour saxophones basse et contrebasse, contrebasson, contrebasse et percussion (CD INA – Mémoire vive 262009). En outre, Fernando Grillo a adapté le Duo (1965) pour violon et violoncelle en pièce pour violon et contrebasse tandis que Frances-Marie Uitti a converti, en 1978, Ko-Tha (1967) pour guitare traitée comme instrument de percussion en solo de violoncelle à 6 cordes (CD Etcetera KTC 1136).  À noter que Fernando Grillo l’avait précédée en donnant au festival de Royan, en 1973, une version pour contrebasse réalisée en 1972. À propos de Xnoybis, Scelsi était fier de cette pièce pour « un violon qui joue une seule note pendant seize minutes, avec bien sûr, des quarts de ton […] Il s’agissait de peindre avec peu de couleurs ». Cf. Giacinto Scelsi, Il Sogno 101 (sous la dir. de Sh. Kanach, L. Martinis et A.C Pelligrini), Arles, Actes Sud, 2009, p. 154.

31  Pour mémoire, dans la seconde partie d’Il Sogno 101, Giacinto Scelsi questionne ainsi : « Ou bien c’est le battement des cils de Dieu ? » (op. cit., p. 305).

32  Cf. Pierre Albert Castanet, « Ambivalence et ambiguïté du son de Giacinto Scelsi »,  Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 105-106. Cette idée se retrouve quelque peu dans la notion de « solo » que Pascal Dusapin a donnée à un cycle de pièces pour orchestre écrit entre 1992 et 2009. A propos du court solo n°1 intitulé Go, le compositeur français écrit : « Chanter à l’unisson est la décision que choisit d’emblée l’orchestre. A lui seul, ce commencement univoque est le programme et la raison du sous-titre « solo » » (cf. livret du double CD Naïve, Seven solos for orchestra, n° MO782180, 2010, p. 6). En outre, cette idée d’unisson orchestral n’est-elle pas déjà annoncée par les Quattro pezzi su una nota sola pour orchestre (« Quatre pièces sur une seule note ») que Scelsi composa en 1959 ?

33  Giacinto Scelsi, « Remarques sur la composition », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 175.

34  Carol Robinson, livret du CD Giacinto Scelsi 3, op. cit., p. 7.

35  Emmanuel Levinas, Paul Celan, de l’être à l’autre, Paris, Fata Morgana, 2002, p. 28.

36  Après des œuvres de jeunesse mises en chantier par Scelsi dès 1929, Sharon Kanach fait commencer une « seconde phase créative » en 1952, puis une « troisième » en 1959 (cf. Sharon Kanach, « Chronologie et discographie des œuvres musicales de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 371 et 374).

37  En dehors des pièces solistes vocales ( – 1960, Wo-Ma – 1960, Cinq mélodies – 1960, Taiagarù – 1962, Lilitu – 1962, Canti del Capricorno – 1962-72, Kövirügivogerü –1967, Le Grand Sanctuaire – 1970…), il faut également évoquer les divers soli destinés au piano, à l’orgue, ou aux instruments à cordes frottées ou pincées (cf. Hans Rudolf Zeller, « Das Ensemble der Soli », Giacinto Scelsi, München, Musik-Konzepte n°31, Mai 1983, p. 24-66).

38  Solange Ancona, « Les Chants du Capricorne », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 171.

39  Cf. Pierre Albert Castanet, « Le souffle de la vie et de la mort dans l’œuvre de Giacinto Scelsi », Voce come soffio, Voce come gesto Omaggio a Michiko Hirayama, op. cit., p. 173-183. Prière de lire également du même auteur : « L’esprit de l’ouïe. Le souffle, la prière et le rituel, bases de la « religion flottante » de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 83-99.

40  Gaston Bachelard, L’Air et les songes, op. cit., p. 271.

41  Fabrice Duclos, « Aiôn : méditation sur une lecture de l’éternel… », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p. 101.

42  À ce propos, voir notamment les grandioses réalisations d’Inori ou de Licht de Karlheinz Stockhausen.

43  Cf. Nicola Cisternino, « Giacinto Scelsi… de la Trascendenza in musica. Quattro pensieri dall’Octologo »,  Giacinto Scelsi Viaggio al centro del suono, op  cit., p. 66-82.

44  Giacinto Scelsi, « Cercles », L’Homme du son (sous la dir. de Sh. Kanach et L. Martinis), Arles, Actes Sud, 2006, p. 211.

45  Giacinto Scelsi, « Sommet du feu », L’Homme du son, op. cit., p. 116.

46  John Cage, « Deuxième entretien », Pour les oiseaux, entretiens avec Daniel Charles, Paris, L’Herne, 2002, p. 96.

47  René Char, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, p. 247.

48  Le Ré b peut offrir en fait l’esprit d’une appogiature de la polarité de Do à venir. Ce Do va s’installer dès la deuxième portée de la partition. Par ailleurs, remarquons que le Ré b sonnera comme un Si (à la clarinette en Si b), comme un Si b (à la clarinette en La), comme un Mi (à la petite clarinette)… A noter que c’est grâce à l’ambitus général relativement restreint (une octave et demie) qu’IXOR peut être joué par quelques instruments à anche (la note la plus basse étant un Si noté au dessous de la portée en clef de Sol).    

49  Citation extraite de Rainer Maria Rilke – Un témoignage (Paris, Plon, 1942) et symboliquement placée en exergue du chapitre XII de L’Air et les songes de Gaston Bachelard (op. cit., p. 271).

50  L’auteur des Quattro pezzi su una nota sola pour orchestre déclarait : « J’utilise peu de moyens, très peu de notes, parfois même une seule » (cf. Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 132).

51  Vladimir Jankelevitch, La Musique et l’ineffable, Paris, Seuil, 1983, p. 163.

52  Giacinto Scelsi, Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 209.

53  Cf. Le Livre des symboles – Réflexions sur des images archétypales (Ed. K. Martin), Köln, Taschen, 2011, p. 16.

54  Vladimir Jankélévitch, « L’irrévocable », L’Irréversible et la nostalgie, Paris, Flammarion, 1974, p. 279.

55  Le Qi-yun est une des six règles établies par Xie He au début du VIème siècle dans le contexte de l’art pictural chinois, en matière de « souffle rythmique »  (cf. François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Paris, Albin Michel, 2008, p. 117). Sur le rapport de Scelsi avec l’au-delà des frontières européennes, prière de consulter : Pierre Albert Castanet, « Giacinto Scelsi et l'Orient : vers une archéologie du sonore », Musique et globalisation : musicologie ethnomusicologie (sous la dir. de J. Bouët et M. Solomos), Paris, L'Harmattan, 2011.

56  Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 200.

57  John Cage, Pour les oiseaux, entretiens avec Daniel Charles, Paris, L’Herne, 2002, p. 42.

58  Vladimir Jankelevitch, La Musique et l’ineffable, op. cit., p. 32.

59  Le 4 encerclé et accompagné du signe + ou – signifie qu’il faut chanter un quart de ton plus haut ou plus bas ; le g entouré voulant indiquer le retour à l’intonation normale.

60  Extrait de la première vocalise (Paris, Salabert, 1989, p. 2).

61  « C’est ainsi que la musique est l’îlot temporel pathétique au milieu du surgissement du temps et du ressassement de l’Histoire », poursuit l’écrivain musicien (Pascal Quignard, Boutès, Paris, Galilée, 2008, p. 77-78).

62  Manuscrit appartenant à Carol Robinson que nous remercions vivement pour l’aimable prêt.

63  Michel Serres, Le Parasite, Paris, Grasset, 1980, p. 253.

64  Poème intégré au recueil intitulé Gris de perle (Paris, Gallimard, 1993, p. 34).

65  Expression poétique de Giacinto Scelsi parue dans son recueil intitulé Le Poids net (cf. L’Homme du son, op. cit., p. 80).

66  En dehors des diverses durées, prière de repérer les différentes couleurs dues aux multiples changements d’intensité (le nuancier allant du pianississimo à la nuance forte).

67  Giacinto Scelsi, « La puissance cosmique du son », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 150.

68  Début de la pièce I (New York, Schirmer, 1979, p. 2).

69  Giacinto Scelsi, « Son et musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 135.

70  Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Paris, Galilée, 2004, p. 77.

71  « La composition se doit de receler à chaque moment une surprise », déclarait Boulez (Pierre Boulez, « Aléa », Relevés d’apprenti, Paris, Seuil, 1966, p. 45). Au sujet de l’accident comme nécessité dans l’art, voir : Rudolf Arnheim, Vers une psychologie de l’art, Paris, Seghers, 1973 (pour la version en français).

72  Extrait du premier mouvement d’Hyxos (Paris, Salabert, 1987, p. 4).

73  Comme pour l’Hydre à 5 têtes (1975) d’Alain Louvier, une partition écrite pour clarinette et piano, ou basson, ou cor, ou saxophone alto ou trombone. Dans cette pièce pédagogique, le compositeur n’a utilisé que 9 notes de la tessiture commune des 5 instruments choisis (cf. Pierre Albert Castanet, Louvier… les claviers de lumière, Notre-Dame de Bliquetuit, Millénaire III, 2002, p. 170-171).

74  La partition d’IXOR est éditée chez Salabert à Paris (E.A.S. 18 099). Les exemples d’IXOR (sans mention de chiffre I, II, III ou IV) consignés dans cet article proviennent de cette seule édition.

75  La discographie en CD présente des versions pour flûte basse, clarinette basse, saxophone baryton, basson, trombone basse, contrebasse à cordes et voix de basse… (cf. Sharon Kanach, « Chronologie et discographie des œuvres musicales de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p.380).

76  Le lecteur aura soin de ne pas confondre « œuvre ouverte » et « forme ouverte » (cf. Pierre Albert Castanet, « Dans l’arène du jeu musical savant : L’œuvre ouverte », Paris, L’Éducation Musicale n° 501-502, mars / avril 2003).

77  Cf. Ugo Volli, « Mondi possibili, logica, semiotica », VS n° 19/20, 1978. En outre, comme l’analysait Umberto Eco, « un monde possible est une construction culturelle » (Umberto Eco, Lector in fabula – Le rôle du lecteur, op. cit., p. 167).

78  Marcel Duchamp, Duchamp du signe : écrits, Paris, Flammarion, 1994, p. 104.

79  Cf. entre autres, l’enregistrement d’IXOR par Jean-Pierre Arnaud au cor anglais (CD Adda 581189, coll. Salabert trajectoires, 1990) ou par Claude Delangle au saxophone soprano (CD Bis The Solitary Saxophone, BIS CD 640, 1994).

80  Cf. Sharon Kanach, « Chronologie et discographie des œuvres musicales de Giacinto Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui, op. cit., p.372.

81  Cf. Leonard B. Meyer, Émotion et signification en musique, Arles, Actes Sud, 2011, p. 302.

82  Giacinto Scelsi, « Prologue », Il Sogno 101, op. cit., p. 22.

83  Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard,1961, p. 125, § 23.

84  Puis nous avons régulièrement placé cette pièce au programme lors de concerts chambristes donnés à Rome, La Spezia, Acqui Terme, Montepulciano, Matera, Bologne, Venise, Paris, Rouen, Tours…

85  Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées, Paris, Flammarion, 2002, p. 115.

86  Emil Michel Cioran, Aveux et Anathèmes, op. cit., p. 112.

87  Charles Rosen, Aux confins du sens – Propos sur la musique, Paris, Seuil, 1998, p. 20.

88  Vladimir Jankelevitch, La Musique et l’ineffable, op. cit., p. 18-19.

89  Giacinto Scelsi, « Son et musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 137.

90  Expression de Roland Barthes parue dans l’avant-propos de Sur Racine (Paris, Seuil, 1963, p. 7).

91  A-t-on déjà pensé jouer IXOR à l’accordéon ?

92  Giacinto Scelsi, « Réflexion manuscrite », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 179.

93  En effet, comme pour Descartes, l’arbre de la philosophie de Scelsi s’enracine parfois dans un sol métaphysique (cf. René Descartes, Principes de la philosophie, Paris, Vrin, 2002, p. 36).

94  Giacinto Scelsi, « Sens de la musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 91.

95  Au sein du catalogue scelsien, nous avons déjà mis en évidence la concordance de certaines pièces pour solo instrumental avec certaines partitions pour voix seule (par exemple la pièce III des Three Pieces for trombone solo de 1956 correspond à la pièce IV de Wo-Ma pour voix de basse de 1960, ou la musique de la pièce I des Quattro pezzi per corno in Fa de 1956 figure celle de la pièce II de Taiagarù – Cinque invocazioni per voce sola de 1962). Pour de plus amples renseignements, prière de lire : Pierre Albert Castanet, « Ambivalence et ambiguïté de l’œuvre en duo de Scelsi », Giacinto Scelsi, aujourd’hui,  Paris, CDMC, 2008, p. 116-118.

96  Gérard Genette, « L’œuvre plurielle », L’Œuvre de l’art, Paris, Seuil, 1994, p. 265, t. 1.

97  John Cage, Earle Brown, Morton Feldman, Christian Wolff… Terry Riley, La Monte Young… mais il nous faut citer également des partitions européennes de Jean-Yves Bosseur, Pierre Albert Castanet, Marius Constant, Luc Ferrari, Lukas Foss, Vinko Globokar, Roman Haubenstock-Ramati, Klaus Huber, Zoltan Jeney, Mauricio Kagel, Anestis Logothetis, Costin Miereanu, Henri Pousseur, Karlheinz Stockhausen, Laszlo Vidovsky…

98  Jean-Claude Risset, « Triptyque pour clarinette et orchestre », livret du CD Sonpact SPT97020, 1997.

99  Au travers de cette catégorie de l’entendement, Giacinto Scelsi a reconnu quatre degrés : l’audition « physiologique », « affective », « psychique » et « intellectuelle » (cf. « Unité et égalité des arts », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 241).

100  Sont ici en jeu les éléments de références, acquis, cultures, goûts, préjugés… « Évidemment, on peut continuer à écouter de la musique, à l’aimer ou non, la comprendre et l’interpréter indépendamment de sa signification profonde », écrivait par ailleurs Giacinto Scelsi (cf. « Sens de la musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 95).

101  Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965, p. 17 (pour l’édition en langue française).

102  Hector Berlioz, De l’instrumentation, op. cit., p. 55-56.

103  Cet opus 5 a été écrit au printemps 1918, à Boulogne sur Seine puis révisé en 1945 (cf. Pierre Albert Castanet, « La clarinette dans les sonates de Francis Poulenc », In Memoriam Francis Poulenc, Rouen/Tours, Les Cahiers du CIREM n°49-51, décembre 2004).

104  Henri Hell, Francis Poulenc, Paris, Fayard, 1978, p. 37.

105  Nous avons-nous-même écrit en 1984 un solo pour clarinette intitulé Algol, « pour clarinette en La (ou autres) ».

106  Charles Kœchlin, Traité de l’orchestration, Paris, Max Eschig, 1954, p. 30.

107  Jacques Ibert, Cours d’instrumentation et d’orchestration, op. cit., p. 86.

108  Hector Berlioz, De l’instrumentation, op. cit., p. 60.

109  Charles-Marie Widor, Technique de l’orchestre moderne faisant suite au Traité d’instrumentation et d’orchestration d’H. Berlioz, Paris, Lemoine, 1925, p. 35.

110  Cf. David Smeyers, « The clarinet », The open-minded clarinetist, November-December 1988, p. 18-21.

111  Cf. Umberto Eco, Lector in fabula – Le rôle du lecteur, op. cit., p. 51.

112  Bien que réel, acoustiquement parlant, cet enchaînement Do/Fa ne suppose aucunement un rapport fonctionnel de dominante à tonique.

113  Vladimir Jankelevitch, La Musique et l’ineffable, op. cit., p. 31.

114  Dans le troisième mouvement de Kya, il y a même une reprise textuelle de 26 mesures, matérialisée classiquement par des doubles barres de renvoi ornées des deux points habituels.

115  Termes utilisés par Édouard Glissant qui conclut : « La pensée fait de la musique. » (Édouard Glissant, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990,p. 107).

116  Pierre Boulez, « L’œuvre : tout ou fragment », Leçons de musique, Paris, Bourgois, 2005, p. 675.

117  Giacinto Scelsi, « Poèmes incombustibles », L’Homme du son, op. cit., p. 246.

118  Giacinto Scelsi, « Sens de la musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 91.

119  Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 194.

120  « Ou peut-être celui-là est seulement une petite vibration de la pensée de Dieu qui met tout en mouvement ? », demandait le compositeur dans la seconde partie d’Il Sogno 101 (op. cit., p. 301).

121  Giacinto Scelsi, Il Sogno 101, op. cit., p. 151.

122  Selon les parties, au couple Do/Si correspond celui de Fa/Mi.

123  Giacinto Scelsi a relevé que le rythme d’Igor Stravinsky se manifestait « par des brisures et cassures métriques continuelles, par la projection constante de fragments, par une célérité de langage extraordinaire et bouillonnante ». (cf. « Évolution du rythme », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 113). A noter que dans les  Trois pièces pour clarinette seule de Stravinsky (créées par Edmond Allegra à Lausanne), les deux premières sont de préférence pour clarinette en La alors que la dernière est pour clarinette Si b. Le compositeur précise que l’interprète doit respecter toutes les respirations, les accents et le mouvement métronomique. A propos de ce solo virtuose, André Boucourechliev a écrit : « C’est un petit chef-d’œuvre qui, privé de dimension verticale (accords) et limité aux variétés de timbres de l’instrument lui-même, s’appuie sur un rapport mélodie-timbre plus fort et plus tendu que jamais, le rythme et la mélodie étant, à double sens, et indissociablement, formateurs l’un de l’autre. » (André Boucourechliev, Igor Stravinsky, Paris, Fayard, 1982, p. 174).

124  À noter que Giacinto Scelsi reconnaissait avoir « quelques affinités » avec Edgard Varèse (cf. Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 169).

125  Repérez les sforzandi subits (diamétralement opposés au geste atypique de la Sonata pour clarinette solo – 1933 – de John Cage qui, elle, est curieusement écrite sans la moindre idée de nuance).

126  Contrairement à l’écriture d’IXOR (partition Salabert), notons ici la mesure à trois temps indiquée entre parenthèses dès le début du manuscrit.

127  Manuscrit obligeamment prêté par Carol Robinson.

128  À ce propos, d’une part, John Cage (ami de Giacinto Scelsi) était aussi convaincu que « la beauté demeure toujours dans l’intime » (John Cage, « Confessions d’un compositeur », TACET no1, Mulhouse, Festival météo, 2011, p. 185, pour l’édition en français). D’autre part, Roland Barthes écrivait: « en se déconstruisant, l’écoute s’extériorise, elle oblige le sujet à renoncer à son « intimité » » (Roland Barthes, « Écoute », L’Obvie et l’obtus, Paris, Seuil, 1982, p. 230).

129  Giacinto Scelsi, « Évolution du rythme », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 115.

130  « Le silence est une phrase » remarquait à sa manière Jean-François Lyotard (Le Différend, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 10).

131  Cf. Luc Ferrari, « manuscrit – 1956-57», http://www.lucferrari.org

132  Kassel, Bärenreiter Verlag, 2004.

133  Alfredo Casella et Virgilio Mortari, La Technique de l’orchestre contemporain [1950], Paris, Ricordi, 1958, p. 37 (pour l’édition en français).

134  Pour plus de renseignements, voir également l’interview de la clarinettiste consultable sous la forme d’une vidéo de 25 minutes à la Fondazione Isabella Scelsi à Rome.

135  Carol Robinson, livret de son CD Giacinto Scelsi 3, ibid.

136  En revanche, si la pièce est jouée par un hautbois, un cor anglais, un basson ou un saxophone, le musicien devra automatiquement faire valoir les couleurs sombres de l’extrême grave de son instrument (la dernière note de ces quatre « bois » étant un Si b).  

137  Giacinto Scelsi parlait même du « Yoga du Son » (cf. « Son et musique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 128-129). Par ailleurs, Emil Michel Cioran remarquait que « la méditation est un état d’éveil entretenu par un trouble obscur, qui est tout à la fois ravage et bénédiction » (Aveux et Anathèmes, op. cit., p. 133).

138 Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, t. 1, p. 1062.

139  « Le rêve est une cosmogonie d’un soir », disait Gaston Bachelard (L’Air et les songes, op. cit., p. 225).

140  Giacinto Scelsi, « Autoquestionnaire », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 142.

141  Giacinto Scelsi, « Deux considérations sur la création artistique », Les Anges sont ailleurs, op. cit., p. 245.

142  Élan qui génère, selon le philosophe français, une « cause profonde de variations » (Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 88).

143 Cf. Michele Biasutti, « La poetica del suono di Giacinto Scelsi – Analisi di Ko-Lho per flauto e clarinetto », Zeta no14-16, Udine, Campanotto, 1991.

144  Emil Michel Cioran, Aveux et Anathèmes, op. cit., p. 139.

145  Troisième pièce intégrée au Quatuor pour la fin du temps (qui en comporte huit).

Citation   

Pierre Albert Castanet, «De l’hétérodoxie d’IXOR :
à propos d’une partition de Giacinto Scelsi
« pour clarinette en Si b ou tout autre instrument à anche »», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Scelsi incombustible, mis à  jour le : 05/07/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=501.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Pierre Albert Castanet

Compositeur, musicologue et performeur, Pierre Albert Castanet est professeur à l’Université de Rouen, professeur associé au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Directeur du département des Métiers de la Culture (université de Rouen), il est aussi directeur de collection musicologique pour les éditions Michel de Maule, Basalte, Ina-GRM, Millénaire III, Les Cahiers du CIREM. Par ailleurs, il enseigne, depuis 2004, dans le cadre du Collège de la Musique Contemporaine de la Cité de la Musique (Paris). Spécialisé dans la musique contemporaine, il est auteur de nombreux livres et articles (sur Scelsi, Messiaen, Dutilleux, Denisov, Xenakis, Stockhausen, Penderecki, Dufourt, Levinas, Murail, Grisey, Tessier, Louvier, Martin, Lemaître...).