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Éditorial

Makis Solomos
janvier 2012

Index   

1En 2010-11 s’est déroulé un séminaire « nomade » sur Gilles Deleuze et la musique. Co-dirigé par Pascale Criton, Jean-Marc Chouvel et Anne Sauvagnargues, ce séminaire, partant du Cdmc1 et passant par les universités Paris 82, de Saint-Étienne3 et Paris 44 pour se terminer à l’université Paris 15, a réuni un nombre important de chercheurs (notamment musicologues et philosophes). Notre revue s’est associée à ce projet en publiant un appel à communication sur Deleuze et la musique. Elle a reçu un peu plus d’une vingtaine de propositions – émanant principalement de l’étranger – dont dix ont été retenues par un comité de lecture composé de Pascale Criton, Danielle Lories, Nick Nesbitt, Carmen Pardo, Andrea Vestrucci ainsi que des membres du comité de rédaction de la revue. À ces textes se sont ajoutés deux articles de « deleuziens » notoires, Pascale Criton et François Decarsin.

2L’appel à communication était simplement composé d’une longue citation extraite de Mille plateaux :

« Or quelle est l’affaire de la musique, quel est son contenu indissociable de l’expression sonore ? C’est difficile à dire, mais c’est quelque chose comme : un enfant meurt, un oiseau arrive, un oiseau s’en va. Nous voulons dire qu’il n’y a pas là des thèmes accidentels de la musique, même si l’on peut en multiplier les exemples, encore moins des exercices imitatifs, mais quelque chose d’essentiel. Pourquoi un enfant, une femme, un oiseau ? C’est parce que l’expression musicale est inséparable d’un devenir-femme, d’un devenir-enfant, d’un devenir-animal qui constituent son contenu. Pourquoi l’enfant meurt-il, ou l’oiseau tombe-t-il, comme percé d’une flèche ? En raison même du “danger” propre à toute ligne qui s’échappe, à toute ligne de fuite ou de déterritorialisation créatrice : tourner en destruction, en abolition. Mélisande, une femme-enfant, un secret, meurt deux fois (“c’est au tour maintenant de la pauvre petite”). La musique n’est jamais tragique, la musique est joie. Mais il arrive nécessairement qu’elle nous donne le goût de mourir, moins de bonheur que mourir avec bonheur, s’éteindre. Non pas en vertu d’un instinct de mort qu’elle soulèverait en nous, mais d’une dimension propre à son agencement sonore, à sa machine sonore, le moment qu’il faut affronter, où la transversale tourne en ligne d’abolition. Paix et exaspération. La musique a soif de destruction, tous les genres de destruction, extinction, cassage, dislocation. N’est-ce pas son “fascisme” potentiel ? Mais chaque fois qu’un musicien écrit In memoriam, il s’agit non pas d’un motif d’inspiration, non pas d’un souvenir, mais au contraire d’un devenir qui n’a fait qu’affronter son propre danger, quitte à tomber pour en renaître : un devenir-enfant, un devenir-femme, un devenir-animal, en tant qu’ils sont le contenu même de la musique et vont jusqu’à la mort »6.

3Les articles publiés, eux, proposent plusieurs types de réflexion, qui reflètent la variété des recherches « musico-deleuziennes ». En guise d’introduction à ces recherches, on trouvera l’article de Pascale Criton qui, avec Deleuze, pose la question : en quoi la musique peut-elle nous aider à penser ? François Decarsin, partant des premières pages du chapitre de Mille plateaux explicitement consacré à la musique, interroge le rapport « milieux/chaos/rythmes ». Le texte de Martin Zenck se livre à une lecture de Différence et répétition pour souligner la différence dans et à travers la répétition de la musique et de la peinture. Silvio Ferraz développe une formalisation symbolique du concept de ritournelle dans le but de le rendre opérationnel pour la composition et l’analyse musicale. L’article suivant, de Paulo de Assis, parvient à relier Lachenmann à Deleuze, qui, tous deux, en appellent à de nouveaux modes de perception, de sensation et de pensée. Philippe Gonin se penche sur la musque de film et lui applique les concepts deleuziens de territoire ou de ritournelle. Les deux auteurs suivants, Dilek Sarmis et Nicolas Elias s’inspirent de Deleuze pour déchiffrer le sens des musiques qu’ils analysent, lesquelles proviennent des plateaux turcs. Vient ensuite un texte de Gudalupe Lucero qui s’intéresse au rapport musique-peinture à propos de la question de l’imitation avant de délimiter, avec Deleuze et Guattari, une esthétique musicale en termes de « partage de temps ». Avec Lluís Nacenta, nous pénétrons dans une œuvre de Feldman, son second quatuor à cordes, en croisant le Deleuze de Différence et répétition avec un ouvrage de Daniel Charles, La musique et l’oubli. Le texte de Brad Osborn se livre lui aussi à des lectures croisées, afin, notamment à travers Richard Rorty, d’inventer une « musicologie pragmatique deleuzo-guatarienne ».L’article de Peter Shelley interroge Deleuze et Guattari pour récuser l’idée de la musique comme langage. Enfin, Justin Yang part du concept deleuzien de « virtuel » pour proposer le modèle d’une « musique virtuelle ».

Notes   

1  Gilles Deleuze : les enjeux d’une pensée-musique, coordination Pascale Criton, 16 novembre 2010.

2  Analyser la musique avec Gilles Deleuze, coordination Jean-Paul Olive, 18 janvier 2011 et Sens et sensible : d’une logique à l’autre, coordination Antronia Soulez, 19 janvier 2011.

3  Rythmes, flux, plis, coordination Béatrice Ramaut-Chevassus et Anne Sauvagnargues.

4  Steppes : la voix et le territoire, coordination Jérôme Cler.

5  L’esthétique intensive, coordination Costin Mireanu et Jean-Marc Chouvel.

6  Gilles Deleuze & Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 367.

Citation   

Makis Solomos, «Éditorial», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Deleuze et la musique, mis à  jour le : 23/01/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=441.

Auteur   

Makis Solomos