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D'effet lisière à flux
Retour sur cinq années de composition

Jean-Luc Hervé
juin 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.381

Résumés   

Résumé

« À l’occasion d’une résidence d’artiste, j’ai séjourné quatre mois à Kyoto. Parti pourtant avec beaucoup de méfiance vis-à-vis de l’orientalisme, la rencontre de la culture traditionnelle japonaise a été une expérience fondatrice qui annonça un tournant dans mon travail. Ce qui me frappa dans cette culture, celle des jardins en particulier, fut le rapport très étroit qu’entretient l’art avec la nature. Deux idées eurent une importance primordiale pour mes œuvres ultérieures.
D’abord le fait que le jardin intègre dans sa construction la nature environnante. Un jardin japonais n’est en effet jamais pensé sans sa relation avec son environnement. Son agencement rigoureux, où chaque élément jusqu’au plus petit a sa place dans la composition visuelle, s’inscrit dans le contexte naturel. […]La seconde idée […] est celle de seuil, comme lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur. Cette idée est centrale dans toute la culture traditionnelle japonaise, aussi bien dans la conception de l’habitat où une marche marque la limite entre le dedans et le dehors, que dans les jardins qui font la transition vers la nature environnante ».

Abstract

On the occasion of an artist residency, I spent four months in Kyoto. Having departed with a great deal of mistrust for ‘orientalism’, the encounter with traditional Japanese culture was a fundamental experience that heralded a turning point in my work. What struck me in this culture, particularly in garden culture, was the extremely close relationship art has with nature. Two ideas were of primordial importance for my later works. First was the fact that the garden integrates the surrounding natural environment in its construction. A Japanese garden is never conceived without considering its relationship to its environs. Its rigorous arrangement, in which each element including the smallest has its place in the visual composition, is inscribed into a natural context […]. The second idea is the notion of the threshold as a passage between interior and exterior. This idea is central in all traditional Japanese culture – in the conception of homes, where a step marks the boundary between inside and outside, as well as in gardens, which form a transition to the surrounding nature.

Index   

Texte intégral   

1À l’occasion d’une résidence d’artiste, j’ai séjourné quatre mois à Kyoto. Parti pourtant avec beaucoup de méfiance vis-à-vis de l’orientalisme, la rencontre de la culture traditionnelle japonaise a été une expérience fondatrice qui annonça un tournant dans mon travail. Ce qui me frappa dans cette culture, celle des jardins en particulier, fut le rapport très étroit qu’entretient l’art avec la nature. Deux idées eurent une importance primordiale pour mes œuvres ultérieures.

2D’abord le fait que le jardin intègre dans sa construction la nature environnante. Un jardin japonais n’est en effet jamais pensé sans sa relation avec son environnement. Son agencement rigoureux, où chaque élément jusqu’au plus petit a sa place dans la composition visuelle, s’inscrit dans le contexte naturel. Le paysage (forêts, montagnes …) que l’on peut voir souvent en fond, est cadré par la construction du jardin. La végétation du jardin masque les éléments indésirables du paysage et laisse visible ceux qui répondront à sa composition. Bien souvent, la ligne de crête ou la couleur des forêts que l’on voit au loin, trouvent un écho dans la disposition des buissons et des pierres du jardin. Non seulement le jardin est toujours situé dans l’environnement, mais il entretient une relation dynamique avec celui-ci, et de ce fait sa présence s’en trouve renforcée. Sa construction artificielle, du fait de la continuité qu’elle entretient avec le monde qui l’entoure, acquiert une densité (une intensité) qu’elle n’aurait pas sinon.

3La seconde idée qui fut importante pour moi est celle de seuil, comme lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur. Cette idée est centrale dans toute la culture traditionnelle japonaise, aussi bien dans la conception de l’habitat où une marche marque la limite entre le dedans et le dehors, que dans les jardins qui font la transition vers la nature environnante. Dans les temples et sanctuaires, cette idée prend même une dimension mystique. Dans le shintoïsme en effet, la nature est peuplée par les esprits, chaque pierre, chaque arbre cache une divinité, et le seuil du temple, duquel on observe le jardin avec le paysage en fond est un lieu entre deux mondes. Il matérialise le contact avec le divin.

4A la suite de cette expérience japonaise, composer ne consistait plus seulement à écrire des partitions pour le concert mais devait tenter de mettre en relation, à travers l’œuvre, l’auditeur et le monde environnant, inscrire l’œuvre musicale dans son contexte, mettre à jour des seuils et des transitions.

5Effet lisière est la première œuvre née de cette expérience japonaise. Elle a été réalisée en collaboration avec l’artiste visuelle Natacha Nisic pour le jardin Hakusasonso de Kyoto. En biologie, on parle d’effet lisière pour les biotopes situés entre deux milieux différents qui présentent de par cette situation une plus grande richesse en faune et en flore, la lisière étant le lieu d’échanges biologiques intenses entre les espèces forestières et les espèces de plaine. En art, et en musique en particulier, il m’a toujours semblé que les œuvres qui explorent les lisières perceptives (par exemple les zones de transition sonore entre bruit et son, harmonie et timbre ou rythme et arythmie) possèdent une plus grande richesse de sens car elles sont le point de recouvrement de plusieurs perceptions opposées.

6Le jardin japonais, en tant que lieu de transition, était propice à ce projet. Pour allier la symbolique du jardin et la musique, l’œuvre a été pensée dans son déroulement et sa topographie suivant l’agencement du jardin. Le jardin Hakusasonso de Kyoto est construit autour d’un pavillon central ouvert sur l’extérieur, à partir duquel on peut observer sa composition. Deux espaces sont délimités : celui du bâtiment et celui du jardin, l’habitude pour le visiteur étant de s’asseoir sur le seuil du pavillon pour observer le jardin. C’est ce découpage de l’espace qui à été utilisé.

7Dans la première partie de l’œuvre, qui se déroulait dans le jardin, on pouvait entendre une musique électro-acoustique diffusée à travers un réseau de haut-parleurs. Elle était constituée de séquences musicales construites à partir des sons entendus dans l’environnement, qui se métamorphosaient peu à peu en sons des instruments entendus dans la seconde partie. Durant cette première partie, les spectateurs déambulaient à leur gré à travers les allées du jardin.

8La seconde partie se déroulait dans le pavillon central. Les spectateurs s’asseyaient et écoutaient une musique écrite pour deux violons et électronique. L’heure du concert était choisie pour coïncider exactement avec le coucher du soleil, si bien que la seconde partie débutait avec le jour et finissait dans l’obscurité. Ainsi, la transition sonore de l’œuvre (sons naturels/sons instrumentaux) associée à celle de la topographie (Jardin/pavillon) était doublée par la transition entre le jour et la nuit.

9Effet lisière est une œuvre qui traitait avant tout du passage entre deux milieux. Le jardin, à l’extérieur, où les spectateurs se déplacent pour écouter une musique diffusée sur haut-parleurs, à la manière d’une installation sonore, et le pavillon, délimitant un espace intérieur, restant néanmoins ouvert sur l’extérieur, en contact avec le jardin, dans lequel les spectateurs assis, se trouvent dans un dispositif proche de celui d’un concert de musique instrumentale. Sa dynamique avait sa source dans le passage entre ces deux espaces. Mais cette œuvre a aussi été à l’origine d’un questionnement. Car, dès lors que l’on délaisse la salle de concert, beaucoup de problèmes surgissent. La question du cadre spatial et temporel se trouve remis en cause en premier lieu. Où interpréter la musique ? À quel moment et sur quelle durée ? Dans Effet lisière, le dispositif topographique et temporel découlait naturellement de l’agencement et de la symbolique du jardin, lieu du concert. Un autre problème se pose alors, celui de la reproductibilité de l’œuvre : lorsqu’une œuvre est conçue pour un lieu, peut-on l’écouter ailleurs ? Avec Effet lisière m’est venue l’idée de séries : une œuvre ne serait plus unique mais pourrait donner lieu à une série de pièces, réécrite en partie pour s’adapter au contexte de son interprétation. Effet lisière a donné lieu à d’autres versions dérivées de l’œuvre originelle. Sur lisière est la transposition radiophonique d’Effet lisière. Il s’agit d’un hörspiel en cinq parties, chacune diffusée un jour de la semaine, qui mène l’auditeur de l’environnement sonore d’une forêt japonaise vers une pièce instrumentale pour deux violons. Son matériau reprenait celui d’Effet lisière agencé différemment. L’idée de transition entre l’extérieur et l’intérieur prenait ici une signification particulière car, pour l’auditeur qui entend la pièce à la radio, elle représentait aussi un parcours entre deux types d’émissions radiophonique : un documentaire sonore dans une forêt japonaise, et la retransmission d’un concert de musique de chambre.

10Dans Amplification/résonance, pour trois solistes, deux ensembles instrumentaux et électroniques, le lieu fût aussi à l’origine de l’idée de l’œuvre. La pièce a été conçue pour le Musée de la communication de Berlin. L’acoustique très résonnante du lieu, la signification du musée (communication, transmission) ont donné des préalables à l’écriture de la pièce. Mais sa forme architecturale est à l’origine du projet. Le plan au sol du bâtiment, un triangle dont un coté est en demi-cercle, évoque la forme d’un haut-parleur ou d’un mégaphone. Le projet de la pièce était de transformer métaphoriquement le musée en un gigantesque haut-parleur dont le son traverserait la ville pour aller résonner à quelques centaines de mètres du musée, dans la direction de diffusion du haut-parleur (métaphorique) dessiné par le plan du bâtiment, à l’intérieur d’un immeuble de bureaux disposant d’un grand hall parcouru par quatre étages de galeries. La pièce était donc en deux parties données dans ces deux lieux de la ville : une première partie dans le Musée de la communication, pour solistes, deux ensembles et électronique, jouée à la fin du programme d’un concert, suivie d’une installation électro-acoustique réalisée dans le hall de l’immeuble de bureaux. À la fin du concert, le public sortait du musée et se dirigeait vers l’immeuble de bureaux pour écouter la seconde partie de l’œuvre.

11Le matériau musical de la première partie était lui aussi élaboré selon l’idée d’amplification, à plusieurs niveaux de l’architecture musicale. Le geste initial de la partition, développé sur toute la durée de l’œuvre, consistait en une note tenue animée d’un simple crescendo ; il résumait à lui seul l’idée de la pièce. La disposition des musiciens en concert suivait aussi l’idée d’amplification par un haut-parleur. La partie des trois solistes (flûte, contrebasse, percussion), disposés au centre face au public, était développée et « amplifiée » par deux ensembles identiques (trio à corde et harpe) qui se répondaient en écho. La disposition des musiciens des deux ensembles placés sur une ligne oblique de part et d’autre des solistes, dessinait un triangle évoquant à nouveau un haut-parleur où les solistes jouaient le rôle de l’électro-aimant, l’endroit de la formation de signal sonore, et où les deux ensembles représentaient la membrane du haut-parleur, amplifiant le signal des solistes. Le dispositif de concert était complété par un système de diffusion stéréo placé derrière le public, qui, reproduisant le son des musiciens dans les silences de la partition, donnait l’impression que la musique était projetée à l’extérieur du bâtiment.

12Le dispositif de diffusion de la seconde partie était constitué de huit haut-parleurs disposés sur les quatre étages de galeries du hall de l’immeuble de bureaux. La musique reprenait des sons de la pièce instrumentale dans des dimensions spatiales et temporelles que seule permet l’électronique.

13Amplification/résonance nous montre qu’un lieu qui n’est pas prévu a priori pour le concert, avec une forme inhabituelle et une « mauvaise » acoustique n’est pas forcément un handicap pour un projet musical. Dans le projet de l’œuvre, ce sont justement les défauts de l’acoustique (trop de réverbération) et la forme du bâtiment (triangle) qui ont été à l’origine de l’idée musicale, et la singularité du lieu donnait au contraire à la musique une dimension qu’elle n’aurait pas eue dans une salle de concert ordinaire.

14Notons également que comme dans Effet lisière, Amplification/résonance tend à dissocier le haut-parleur de l’instrument. À l’opposé d’une démarche qui veut rapprocher électro-acoustique et instrumental, mon orientation est au contraire d’émanciper le haut-parleur afin de le libérer des contingences liées au concert d’orchestre. Peut-être par un besoin de reconnaissance et pour montrer que la musique électro-acoustique n’était pas seulement un bricolage inventé par quelques farfelus mais était aussi capable d’accéder à la salle de concert classique, on a inventé « l’orchestre de haut-parleurs ». Mais pourquoi inféoder le haut-parleur à la salle de concert, alors qu’il est possible de le placer là où le musicien ne peut aller ? Pourquoi limiter sa durée d’émission à la durée d’un concert alors qu’il est possible d’étirer un propos sonore sur des durées inhabituelles pour un instrument ? Enfermer le haut-parleur dans la salle de concert, c’est brider ses potentialités, alors qu’utiliser ses qualités d’ubiquité spatiales et temporelles c’est se donner la possibilité de déployer la musique vers d’autres dimensions avec lesquelles la forme habituelle du concert peut dialoguer.

15Comme pour Effet lisière, Amplification/résonance a été déclinée en plusieurs versions pour s’adapter à d’autres contextes. Écrite pour le village de Rümlingen en Suisse, Amplification/propagation reprend la première partie de la pièce originale, pour trois solistes et deux ensembles. La réécriture a consisté, à « déboîter » la partie soliste de celle des ensembles, à les éloigner dans le temps et l’espace, puis à recomposer les interstices. Le résultat est une œuvre en trois mouvements, joués à trois endroits du village. La première et la troisième partie constituent deux variations de la pièce originale qui en reprennent chacun une partie et la complétant par un matériau électro-acoustique ou instrumental. Ces deux mouvements sont joués à deux endroits du village. Entre les deux, La seconde partie joue un rôle de conduit à la fois musicalement – elle fait le lien entre la première et la troisième partie – et topographiquement – puisqu’elle conduit les spectateurs dans le village entre les deux emplacements.

16Mémoire/spirale pour 19 musiciens et électronique, suit le plan en deux parties d’une pièce de concert suivie d’une installation électro-acoustique à l’extérieur. Le site, l’Abbaye de Royaumont, offrait deux espaces propices au projet : la salle de l’ancien réfectoire, pour la pièce de concert, et le cloître pour l’installation.

17Une des particularités de la pièce instrumentale est qu’elle fonde son matériau sur cinq modèles de sons de notre environnement quotidien : frappe d’un marteau sur des tubes de métal (bruits de chantier), sonnette de vélo, cloche, allées et venues du bruit des pneus sur le pavé, et bruit d’un avion traversant lentement le ciel. L’analyse de ces sons m’a permis d’imaginer cinq gestes à l’orchestre qui sont développés tout au long de la pièce. L’idée formelle de l’œuvre est conçue comme une trajectoire en spirale qui répète plusieurs fois les mêmes éléments, à chaque fois dans un temps plus court. À la fin de la pièce instrumentale, le processus d’accélération/répétition arrivé à son terme, la musique instrumentale passe dans la dimension électro-acoustique, comme si le mouvement de spirale par son accélération permettait de s’échapper de la gravitation de l’intérieur de la salle de concert et de projeter la musique vers l’extérieur, en apesanteur. La seconde partie, électro-acoustique était diffusée dans le cloître. Elle faisait passer les sonorités entendues durant le concert vers l’environnement. Elle « capturait » les derniers sons entendus dans la salle du réfectoire et les projetait dans l’espace ouvert du cloître, comme si cet espace conservait leur mémoire. Les sons instrumentaux, « lâchés dans la nature », retrouvaient peu à peu, au cours de leurs traitements électro-acoustiques, leurs aspects originels, et révélaient ainsi les cinq modèles qui avaient servi à la composition musicale. Elle fait en quelque sorte le parcours inverse de la composition.

18Utilisé depuis toujours dans la musique et formalisé par les compositeurs du courant spectral, le modèle acoustique prend dans Mémoire/spirale une signification particulière : il inscrit dans le matériau musical de l’œuvre l’idée de relation entre extérieur et intérieur et participe à cette échelle au projet de l’œuvre dans son ensemble. En effet, lorsque le compositeur s’appuie sur son environnement sonore pour construire le matériau musical, à l’opposé de l’élaboration d’un système abstrait, il inscrit son travail dans le monde sonore, un peu comme dans la relation entre le jardin japonais avec le paysage. Et c’est seulement lorsque cette relation va au delà de l’imitation ou de la citation, quand le son naturel est seulement un modèle, vecteur pour l’imagination sonore, que cette relation devient dynamique.

19Mémoire/spirale conduisait l’auditeur des sons de l’orchestre vers les sons naturels. Dans Flux pour dix-sept musiciens et électronique le mouvement inverse est proposé. La ville est un lieu d’énergie. Cette énergie est manifeste dans le mouvement des bruits de la ville. Le projet de l’œuvre était de capter cette énergie et de la transmettre à la musique. La pièce a été conçue à l’origine pour la Cité de la musique à Paris, dont l’architecture évoque une gigantesque oreille à l’écoute de la ville en même temps qu’un instrument de musique. La salle de concert devient métaphoriquement un organe à métaboliser les sons dont l’orchestre est le principe actif. Des sons urbains de l’extérieur sont transmutés en musique par l’orchestre à l’intérieur. La pièce commence par une séquence enregistrée, le bruit du mouvement de la circulation. La musique naît de ces bruits en mouvement, puis constitue son propre matériau. L’orchestre qui commence dans la frange bruitée du spectre sonore va vers une coloration progressive de la matière sonore. Le rythme et la morphologie de ces sons de circulation serviront de modèle au matériau de l’œuvre. Cette transformation des bruits de la circulation en musique s’accompagne d’un changement dans l’espace sonore de l’auditeur. Car, l’orchestre qui est traité au début comme une masse sonore globale s’individualise progressivement pour faire entendre à la fin des instruments solistes. En fin de compte une des idées principales de l’œuvre est de changer l’espace de l’écoute. Au début, l’intrusion des sons extérieurs dans la salle de concert donnent l’illusion d’entendre par-delà les murs de la salle de concert, puis au cours de la pièce, par modification de l’écriture, le champ d’écoute se rapproche pour se focaliser à la fin sur quelques musiciens de l’ensemble.

20Flux met ainsi à jour une conséquence corrélée à l’idée de transition entre extérieur et intérieur que l’on retrouve dans toutes les pièces dont je viens de parler. Dans Effet lisière déjà, le passage du jour à l’obscurité qui focalisait le regard du jardin vers les musiciens, produisait en même temps un resserrement de l’écoute. Et cette focalisation rapprochait notre conscience du lieu où nous nous trouvions. Finalement, ce mouvement entre espace ouvert et clos renforce notre conscience du lieu.

21Un certain nombre de caractéristiques communes se retrouve dans toutes ces œuvres. Toutes les pièces ont un découpage en deux parties, qui traduit dans leur forme l’idée de relation entre intérieur et extérieur. Les deux parties sont généralement données dans deux endroits différents qui amènent les spectateurs à se déplacer durant l’œuvre, à arpenter le lieu du concert comme pour mieux mesurer ce mouvement entre ces deux espaces. Dans la plupart des cas, le lieu est à l’origine de l’idée musicale, que ce soit du point de vue de son acoustique, de sa topographie, de sa forme ou de sa signification. Et cette relation entre le projet musical et le lieu implique la réécriture partielle de l’œuvre à chaque nouvelle interprétation. Une œuvre n’est plus unique mais engendre une série de pièces qui correspondent à l’adaptation du projet aux différents contextes de ses représentations.

22Dans un monde où la virtualité associée à la vitesse des flux d’information tendent à nous faire perdre la conscience de notre entourage immédiat, ces œuvres tentent d’être une contribution pour requalifier les lieux.

Citation   

Jean-Luc Hervé, «D'effet lisière à flux», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Nouvelles sensibilités, mis à  jour le : 08/12/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=381.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Jean-Luc Hervé

Jean-Luc Hervé est né en 1960. Il fait ses études au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris où sa rencontre avec Gérard Grisey sera déterminante. Il y obtient un premier prix de composition. Sa thèse de doctorat d’esthétique ainsi qu’une recherche menée à l’IRCAM seront l’occasion d’une réflexion théorique sur son travail de compositeur. Sa résidence à la Villa Kujoyama de Kyoto a été un grand choc esthétique et un tournant décisif dans son œuvre. Sa pièce pour orchestre Ciels a obtenu le prix Goffredo Petrassi en 1997. En 2003 il est invité en résidence à Berlin par le DAAD. Son disque monographique enregistré par l’ensemble Sillages à reçu le coup de cœur de l’Académie Charles Cros.