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Musique classique instrumentale et récit1

Fred Everett Maus
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.278

Résumés   

Résumé

From the 1970s on, musicologists have explored relationships between classical instrumental music and narrative.  In a first phase of research, musicologists offered positive analogies or identified music as an instance of narrative, in the hope of resolving longstanding questions about musical meaning.  In a second phase, several writers, including Carolyn Abbate, Peter Kivy, and Jean-Jacques Nattiez, objected to this approach.  The present essay suggests that musicologists are in a third phase, beyond the exaggerated optimism and skepticism of the first two, in which the exploration of multiple, non-exclusive analogies between music and narrative can be seen as valuable.  The essay explores in detail classic essays by Marion Guck, Susan McClary, and Anthony Newcomb, and also explores ways that different performances of Beethoven’s Fifth Symphony may suggest different narrative interpretations.

Abstract

From the 1970s on, musicologists have explored relationships between classical instrumental music and narrative. In a first phase of research, musicologists offered positive analogies or identified music as an instance of narrative in the hope of resolving longstanding questions about musical meaning. In a second phase, several writers (including Carolyn Abbate, Peter Kivy, and Jean-Jacques Nattiez) raised a number of objections to this approach. The present essay suggests that musicologists have entered a third phase, beyond the exaggerated optimism and scepticism of the first two, in which the exploration of multiple, non-exclusive analogies between music and narrative can be seen as valuable. The essay offers a detailed examination of classic essays by Marion Guck, Susan McClary, and Anthony Newcomb, and also explores ways in which different performances of Beethoven’s Fifth Symphony suggest different narrative interpretations.

Index   

Texte intégral   

1Depuis les années 1970, nombreux sont les musicologues qui ont exploré les relations entre la musique classique instrumentale et le récit. Ces relations ont été établies depuis longtemps par la musique à programme, notamment la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, une œuvre composite dans laquelle un texte écrit par le compositeur raconte, en quelque sorte, ce que les sons peuvent illustrer2. Cependant, les développements qu’a vu le dernier vingtième siècle musicologique et dont je traite ici s’intéressent à la musique « purement instrumentale », sans programme littéraire explicite provenant du compositeur.

2À leur apogée, certains traitements du sujet suggéraient que la musique instrumentale non programmatique pouvait être une forme de représentation narrative. D’autres exploraient les analogies entre la musique instrumentale et le discours qu’on considère normalement comme un récit. Je préfère la dernière approche : le fait de se demander si un type de musique est une narration se heurte parfois aux questions des propriétés essentielles du récit, qui ne sont pas des préoccupations utiles pour la musicologie.

3Certains musicologues ont vu les liens entre la musique instrumentale non programmatique et le récit comme un nouveau paradigme de recherche, une façon d’aborder les éternels problèmes théoriques de sens [meaning] et les problèmes pratiques du criticisme. L’idée d’associer la musique instrumentale et le récit est une alternative intéressante au discours puriste (tel que celui de Hanslick3) selon lequel la musique instrumentale n’est rien d’autre que des sons structurés de façon agréable. C’est également une alternative aux descriptions étroitement sentimentales qui ont souvent dominé les discussions philosophiques sur la musique.

4Dans ces développements, on peut identifier une première période qui prendrait comme point de départ, par exemple, le livre The Composer’s Voice d’Edward T. Cone4, et qui se rendrait jusqu’au début des années 1990. Au cours de cette période, les discussions sur la musique s’inspirant des analogies avec le récit prennent un ton optimiste, comme si ces nouvelles conceptualisations pouvaient résoudre les problèmes critiques et philosophiques de longue date. Cependant, malgré un optimisme persistant, les textes de cette période ont été étrangement non cumulatifs : plusieurs auteurs, voire plusieurs textes rédigés par un même auteur, semblent recommencer sans cesse à zéro plutôt que de construire sur des réalisations préalables5.

5La seconde étape, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, était sans doute prévisible. Plusieurs musicologues, soutenus par d’autres auteurs, discréditent alors la récente dépendance envers les conceptions narratives pour comprendre la musique, plutôt que d’explorer les échecs analogiques entre musique instrumentale et récit. Certains auteurs suggèrent alors que le récit ne peut être valable pour le criticisme musical et cherchent à décourager davantage de travaux en ce sens.

Problèmes des analogies entre musique et récit

6Certains des nouveaux essais se concentrent, peut-être de façon trop emphatique, sur des affirmations spécifiques. Par exemple : la forme musicale implique généralement la répétition complète d’événements musicaux6 ; la musique n’a pas de temps passé7 ; la musique n’a pas de sujet ou de prédicat8. Ces observations (elles-mêmes un peu bizarres – qui a besoin de se faire dire de telles choses ?) se retrouvent dans des débats contre l’assimilation critique et historique entre musique instrumentale et récit. À la lecture de ces arguments, on peut constater qu’ils partagent une structure simple : identifier une condition nécessaire de représentation narrative, puis affirmer que la musique ne peut pas satisfaire cette condition. Il en découle que la musique n’est pas une forme de représentation narrative9. Donc, par exemple, si la représentation narrative nécessite un quelconque temps passé, mais que cette caractéristique fait toujours, ou à tout le moins normalement, défaut à la musique, alors toute description de la « musique comme récit » est dans l’eau chaude.

7De tels arguments laissaient entrevoir les besoins à combler dans l’articulation des prétentions au sujet de la musique et du récit. Cependant, ils n’ont pas prouvé que les analogies entre musique et récit sont inutiles. D’abord, ces arguments sont d’éloquentes objections aux affirmations selon lesquelles la musique est réellement une forme de narration. Le chercheur s’intéressant aux analogies avec le récit est en mesure de raffiner sa description en réponse à ces arguments, plutôt que d’abandonner la ligne de recherche.

8Admettons que la musique soit effectivement dépourvue d’un procédé remplissant la fonction d’un temps passé, qui permettrait au discours présent de dépeindre des événements passés. Peut-être alors que les auditeurs imaginent les événements d’une intrigue musicale non pas comme racontés dans une voix narrative, mais plutôt comme se déroulant dans le temps présent de la perception, comme les événements d’une pièce de théâtre.

9La forme musicale implique souvent des répétitions complètes, identiques ou variées. Mais la séquence des événements musicaux dans une composition invite néanmoins la comparaison avec le déroulement d’une intrigue narrative. Alors la contribution du matériau concret – la musique et les sons – de l’« intrigue musicale » doit être différente du rôle du matériau concret – les mots et les phrases – du récit littéraire. Pour plusieurs, un modèle comme la forme sonate s’apparente à une histoire, dans laquelle la section finale résout tensions et déséquilibres. La section finale répète en grande partie le matériau du reste de l’œuvre, ce qui a un effet semblable à celui d’un dénouement dans une œuvre littéraire. Cependant, on ne pourrait s’attendre à ce que le dénouement d’une pièce de théâtre ou d’un roman comprenne une répétition complète et littérale des événements ou des phrases antérieurs. Néanmoins, plutôt que d’abandonner l’intuition d’un terrain commun entre le dénouement littéraire et la récapitulation musicale, on peut suggérer que le dénouement musical utilise des moyens spéciaux, parmi lesquels se trouvent les répétitions complètes.

10Si la syntaxe musicale est dépourvue de toute distinction s’apparentant à celle entre sujets et prédicats dans la langue, alors la musique ne peut utiliser de structure sujet – prédicat pour raconter une histoire en nommant des objets (incluant, bien entendu, des personnages) et en leur attribuant des actions ou des qualités. Mais puisque la musique semble parfois, néanmoins, évoquer des actions ou des personnages, on peut se demander comment cela est-ce possible. Pourquoi les auditeurs sont-ils parfois en mesure d’entendre une série de sons musicaux et de les associer à une suite d’actions ou à d’autres événements d’un déroulement dramatique ? Si les auditeurs perçoivent des actions, qui en sont les agents ? Jusqu’à quel point les sons musicaux d’une composition peuvent-ils, en plus de certaines pratiques normatives d’interprétation, offrir de réponses précises à ces questions ? Jusqu’à quel point est-il essentiel à l’imagination créative d’un auditeur d’être en mesure de reconnaître des actions ou des agents spécifiques ? Vers 1990, j’ai suggéré que les auditeurs pouvaient entendre des actions en musique en comprenant les événements musicaux en relation avec des intentions imaginaires ; que les actions musicales partagent des caractéristiques générales avec d’autres actions, tout en ayant des descriptions spécifiquement musicales ; et enfin que les agents, en musique, sont typiquement indéterminés10. D’autres compréhensions des liens entre action musicale et agents sont cependant possibles.

11Il est intéressant de prendre en considération certaines objections générales apportées contre les comparaisons entre musique instrumentale et récit, et d’élaborer des réponses possibles. Cependant, le point le plus encourageant, c’est l’intérêt indéniable que de nombreux auditeurs et critiques ont pour des conceptions narratives de la musique instrumentale. Une bonne façon d’explorer la nature et l’intérêt des analogies narratives consiste à s’éloigner du niveau abstrait de la discussion générale et d’observer les textes académiques et critiques ayant utilisé de telles analogies dans des cas précis. Je me tourne maintenant vers trois essais qui emploient le récit de façon constructive ou optimiste11. Deux de ces textes sont des classiques, rédigés avant que les controverses entourant le récit ne prennent leur essor ; le troisième, soit l’essai de Marion A. Guck publié en 1994, est écrit comme si ces controverses n’avaient pas eu lieu (il a d’abord été esquissé en 1989, à nouveau avant que les visions négatives des liens entre musique et récit ne deviennent monnaie courante). Quand je réfléchis au grand attrait qu’exercent les analogies entre musique et récit, je me retourne toujours vers des textes exploratoires comme ceux-ci, plutôt que vers les essais polémiques qui les attaquent.

Une hauteur immigrante

12Je débute par l’essai de Guck, « Rehabilitating the Incorrigible »12 [Réhabiliter l’incorrigible], en partie à cause de sa clarté méthodologique. Guck y répond à de nombreux essais méthodologiques de la plume du compositeur et théoricien Milton Babbitt. Fort de ses écrits des années 1950 et 1960 ainsi que de ses nombreuses années d’enseignement à Princeton University, Babbitt fut une des influences les plus marquantes de la jeune discipline professionnelle qu’était alors l’analyse musicale. Cette discipline, orientée vers la technique, devint particulièrement cohérente et sophistiquée en Amérique du nord, durant la seconde moitié du vingtième siècle. Traditionnellement, les music theorists13produisaient des analyses musicales et des théories générales complexes, offrant principalement des informations vérifiables dans les partitions des œuvres musicales. L’analyse musicale s’attarde habituellement aux agencements de sons, sans tenir compte du sens ou du contexte historique et culturel. L’austérité de la discipline doit beaucoup aux écrits méthodologiques de Babbitt ; ainsi, en remettant ces textes en questions, Guck trace de nouveaux sentiers, d’une importance cruciale pour l’analyse musicale contemporaine.

13Consterné par le chaos qu’il percevait dans les descriptions et évaluations musicales, Babbitt14 poussa les théoriciens de la musique à se calquer sur les sciences, en en adoptant les objectifs et procédures. Se calquant sur l’intolérance des philosophes positivistes logiques, Babbitt exprime son désarroi face à la prévalence et au pouvoir du discours incorrigible de la critique musicale, dénué de sens et de logique. Alors que les positions de Babbitt semblent cohérentes, Guck identifie diverses branches qui peuvent être évaluées séparément. Par exemple, Babbitt a établi des objectifs pragmatiques pour les descriptions musicales : lorsqu’elles sont réussies, les descriptions peuvent « étendre et enrichir »15 les « pouvoirs perceptifs »16 d’un auditeur, « offrant d’autant plus d’importance [significance] à tous les degrés du phénomène musical »17. De tels objectifs n’impliquent pas l’approche scientifique que Babbitt endosse par ailleurs et sont en conflit avec le langage objectif que les analystes favorisent ; langage qui manque souvent de pertinence claire pour l’auditeur.

14Une bonne partie de l’argumentation de Guck répond à une portion spécifique d’un des essais de Babbitt. Guck identifie astucieusement une subtile incohérence dans une réponse rédigée par Babbitt suite à une description analytique du musicologue Hans David. David identifie une certaine note dans une œuvre de Mozart comme étant « inattendue ». La réfutation de Babbit semble, de prime abord, rejeter cet argument au « statut douteux » ["dubious status"], signifiant probablement pour Babbitt une absence de contenu ; mais par la suite, Babbitt semble argumenter contre cette affirmation, apportant des preuves pour la réfuter, comme se battant contre quelque chose de faux, mais qui serait néanmoins porteur de sens. À partir de cette incohérence, Guck déduit que Babbitt, en fait, comprend comment quelqu’un pourrait soutenir les descriptions musicales qu’il semble réfuter : « Babbitt indique comment des déclarations personnelles peuvent être réhabilitées lorsqu’il apporte des preuves pour réfuter la description de David »18.

15Guck élabore une autre description de la même note du mouvement lent de la Symphonie n°40 de Mozart, puisqu’elle est d’accord avec Babbitt : le terme « inattendue » n’est pas utile. Sa description ressemble à celle de David, puisqu’il s’agit d’un compte-rendu de sa propre expérience plutôt que d’une description impersonnelle des données que contient la partition. Mais contrairement à David, elle appuie son discours avec une description minutieuse de la musique, puisant à l’analyse technique ainsi qu’à d’autres ressources ; ainsi elle espère amener la description de son expérience personnelle plus près des standards de communication préconisés par Babbitt.

16Lorsque le do bémol, la note en question, apparaît à la mesure 53, Guck le trouve d’abord « de mauvais augure » [portentous]. Elle passe ensuite à une description complète des différents rôles des autres occurrences du do bémol à travers le mouvement entier. Elle y combine l’analyse technique, telle que préconisée par Babbitt parce qu’elle donne une teneur vérifiable aux descriptions musicales, avec une description figurative soutenue. Selon elle, la note do bémol, maintenant comprise comme un individu persistant, unifiée à travers ses diverses occurrences passagère, est un « immigrant » par rapport à la tonalité de mi bémol majeur19. Qualifier une hauteur d’« immigrante », c’est la personnifier ; tracer les différents rôles que cette hauteur immigrante peut jouer dans une tonalité éloignée revient à créer une certaine narrativité autour de ce personnage. Le récit trace différentes attitudes et différents rôles de la note, comme par exemple distinguer les occasions où elle « prend sagement sa place » de celles où elle « montre une tendance à attirer l’attention sur elle-même »20. Le moment « solennel » est celui où la hauteur ne résiste plus à son « envie de transformer son environnement »21. Mais l’histoire se termine avec une relation stable entre la hauteur et son contexte, alors que le do bémol est devenu la tonique de sa propre tonalité et que celle-ci a été montrée en relation claire, distincte mais subordonnée, à la tonalité principale. La hauteur « a été, pour ainsi dire, naturalisée, bien que son accent étranger demeure »22.

17Alors que le texte de Guck ne traite pas explicitement de « musique et récit », elle y arrive rapidement lorsqu’elle élabore une alternative aux normes scientifiques de Babbitt en ce qui a trait à la théorie musicale et à l’analyse. Guck souligne que le langage de son histoire au sujet d’un immigrant s’apparente à la métaphore et pourrait être considéré comme figuratif. Elle suggère également qu’on pourrait le comprendre comme fictionnel (suivant Kendall Walton23, elle interprète un tel discours fictionnel comme énonçant le contenu de l’activité imaginative de l’auditeur).

18La comparaison entre le texte de Guck et les autres approches de la musique face au récit sera facilitée par le résumé qui suit. Guck crée un protagoniste défini pour sa narration en personnifiant une hauteur, une note, récurrente. Elle suit ses interactions successives avec son entourage. Ce faisant, elle raconte l’histoire d’un immigrant, dans laquelle des moments d’affirmation de soi mènent à une naturalisation qui permet à l’immigrant d’exercer un certain pouvoir local et de préserver son identité. Guck n’affirme pas que sa narration révèle le sens de l’œuvre. Au contraire, elle présente explicitement le récit comme quelque chose de fabriqué par un auditeur, dans un effort de communiquer comment elle entend et comprend des moments musicaux spécifiques. En communiquant à propos de la musique, comme l’expose l’essai de Guck, un auditeur en particulier explique son expérience aux autres et la construction d’une histoire, d’un récit, peut être une stratégie ad hoc pour faciliter cette communication.

Un piano rebelle

19La partie solo du concerto peut évidemment être associée à un « protagoniste » dans le cadre d’une rencontre dramatique avec l’orchestre ; plusieurs descriptions de concertos s’appuient sur cette possibilité. Selon un essai désormais classique de Donald F. Tovey datant de 1903 :

« Rien dans la vie humaine et dans l’histoire n’est beaucoup plus excitant ou n’est une expérience plus ancienne ou plus universelle que l’antithèse entre l’individu et la foule ; une antithèse qui est familière à tous les degrés, de la simple opposition à la réconciliation harmonieuse, et que l’on retrouve avec une proéminence aussi universelle dans les œuvres d’art que dans la vie. Maintenant, la forme concerto exprime cette antithèse avec toute la force et toute la délicatesse possible »24.

20Chez les musicologues actuels, Joseph Kerman25 a particulièrement mis l’accent sur le potentiel dramatique de la texture du concerto. Un essai de Susan McClary, publié quelques années avant l’avant-gardiste recueil d’essais féministe intitulé Feminine Endings26, apporte une contribution impressionnante à cette branche du criticisme, en prenant au sérieux les aspects politiques de l’interaction entre l’individu et le groupe. McClary veut démontrer que la musique de Mozart, contrairement à certaines idées reçues à son sujet, traite de questions sociales de façon tendue et complexe.

21McClary identifie une succession d’intrigue [plot succession] pour le concerto du dix-huitième siècle, apparentée aux successions récurrentes qu’Anthony Newcomb appelle « archétype d’intrigue » [plot archetype]27 : « la communauté stable [soutient] les aventures et les conflits du soliste, et ils se réconcilient pour coexister dans un bonheur mutuellement bénéfique »28. Dans ce contexte, elle note trois particularités dans le mouvement lent du Concerto en sol, K. 453 de Mozart. D’abord, l’usage récurrent d’un thème [motto theme], étrangement distinct du reste de la pièce. Les deux autres particularités concernent la partie de piano : son affect complexe diffère remarquablement de celui de l’orchestre, et il tend à se déplacer rapidement dans de nombreuses tonalités différentes.

22Dans sa description détaillée du mouvement, McClary identifie trois éléments. Le premier, le thème récurrent de l’orchestre [orchestral motto], avec ses connotations religieuses, laisse la place au second, une musique ostensiblement profane, également à l’orchestre29. Le troisième élément, la partie solo, entre d’une façon qui semble rejeter le thème récurrent orchestral, et qui également « s’attaque au calme offert par le groupe »30. Ce conflit se développe pour former une situation dramatique, se déroulant dans « un monde qui contient des idées transcendantes, un ordre social et une aliénation subjective »31.

23Avant la fin de la première grande section du mouvement (l’exposition), la partie solo est « ré-assimilée », atteignant une « détente provisoire » avec l’orchestre. Mais le développement rouvre le conflit. Finalement, le piano « rejette complètement la tentative d’influence de l’orchestre et dévoile son désespoir »32 ; ce faisant, il arrive à la dominante d’une tonalité très éloignée (do dièse mineur, dans un mouvement en do majeur).

24Cependant, dans un passage extraordinaire, l’orchestre ramène la pièce en do majeur en quelques brèves mesures de mouvement chromatique, une transition que McClary qualifie d’« irrationnelle ». Elle suggère que cette procédure « montre la force autoritaire que les conventions sociales déploient lorsque confrontées à une non-conformité récalcitrante »33. Au retour, le piano fait entendre le thème d’ouverture [motto]. McClary, en en rappelant les caractéristiques religieuses, suggère que le mouvement a dramatisé « la résistance initiale vers l’acceptation finale de certains principes qui transcendent à la fois l’ordre social et la subjectivité individuelle »34. Le reste de la récapitulation maintient la résolution de ces trois éléments. Néanmoins, McClary affirme que dans le mouvement en entier, une tension irrésolue demeure : « le piano est un participant improbable à la célébration de sa propre soumission. L’heureux dénouement [happy ending], l’aboutissement prescrit, est atteint à un prix trop élevé »35.

25Les récits de Guck et de McClary sont similaires du point de vue thématique, prenant la forme d’histoires de séparation et de réconciliation, malgré le fait qu’un auteur prenne comme protagoniste une hauteur de note et l’autre, une partie instrumentale. Épistémologiquement, les essais sont à des pôles opposés. McClary ne demande pas à ses lecteurs de porter intérêt à sa propre expérience musicale en tant que telle, et elle n’attire pas non plus l’attention sur son propre acte de fabrication d’une description narrative. Elle offre plutôt une description confiante du sens [meaning] de la composition de Mozart. Cependant, son interprétation est supportée par l’intérêt de sa propre description de la musique ; ainsi, un peu comme Guck, elle « vous invite à faire correspondre votre écoute avec la mienne ou d’imaginer une nouvelle écoute qui puisse être décrite par vous dans les mêmes termes »36.

Négation et acceptation [Disavowal and Acknowledgment]

26Le long essai d’Anthony Newcomb portant sur la seconde Symphonie de Schumann commence en soulevant une question [puzzle] à propos de la réception de la Symphonie : admirée au dix-neuvième siècle, l’œuvre passe de mode au vingtième. « Ceci suggère que les problèmes que nous avons avec la pièce peuvent provenir des outils d’analyse actuels pour la musique absolue »37. Ainsi Newcomb écrit dans le but de raviver des outils d’interprétation historiquement appropriés. L’essai s’appuie sur différentes ressources pour offrir une description de la composition « comme un roman composé, comme un fil d’idées psychologiquement crédible [true] »38. Ces idées incluent la transformation thématique (ainsi que la suggestion selon laquelle « nous faisons bien de penser les unités thématiques en partie comme des personnages de récit »39) ; de l’information biographique au sujet de Schumann ; des aspects sémiotiques ou expressifs du style musical; et des allusions thématiques à la musique de Bach et de Beethoven. Newcomb propose également que la Symphonie au complet constitue un « archétype d’intrigue » [plot archetype]. Un archétype d’intrigue, selon Newcomb40, est « une série standard d’états mentaux ». Les cinquième et neuvième Symphonies de Beethoven, par exemple, partagent l’archétype d’intrigue d’« une évolution psychologique, telle que la souffrance suivie de la guérison ou de la rédemption »41. Selon Newcomb, les critiques du dix-neuvième siècle comprenaient la deuxième Symphonie de Schumann comme un autre cas de cet archétype42.

27Ainsi, l’interprétation de Newcomb démontre en quoi la deuxième Symphonie incarne cette progression générale. Je vais résumer une portion essentielle de l’interprétation de Newcomb, soit son intéressante compréhension des troisième et quatrième mouvements. Newcomb les décrit en termes de série d’émotions, envers lesquelles il émet des positions subjectives.

28La tristesse du troisième mouvement, se terminant dans « la résignation et près de la stase », laisse soudainement la place à une joie apparente au début du dernier mouvement : « Schumann commence le dernier mouvement avec une disjonction abrupte, juxtaposant la résignation passive et le triomphe actif »43. Mais le contraste est trop sec ; le sentiment de soulagement semble forcé, revenant à un reniement de la réalité de la tristesse précédente [amouting to a denial of the reality of the previous sadness]. Au cours du quatrième mouvement, il y a une tentative d’établir un lien avec le passé, par une reprise de la mélodie d’ouverture du troisième mouvement, révisée pour sonner joyeuse, conformément à l’atmosphère actuelle. Mais cette guillerette révision semble elle aussi forcée, comme une réponse inappropriée au troisième mouvement. Finalement, le quatrième mouvement retourne franchement à l’affect douloureux, non sans le matériau thématique du troisième mouvement, reconnaissant la tristesse précédente avant d’évoluer vers une résolution sobre et satisfaisante. La « vérité psychologique » de ce « fil d’idées » revient à ce que la souffrance doit être reconnue et intégrée. Comprise ainsi, toute la texture musicale semble dépeindre les états successifs d’un seul protagoniste44.

29Le quatrième mouvement a mystifié les commentateurs du vingtième siècle par leur échec à l’assimiler à quelque schéma formel standard de quatrième mouvement (comme un rondo ou une forme sonate). Newcomb explique ce schéma inhabituel comme étant le résultat de son début problématique. C’est en remplaçant son matériau initial, « un grossier cri d’affirmation »45 [« a rush shout of affirmation »], que le mouvement devient une conclusion satisfaisante à la Symphonie dans son entier, grâce à un matériau thématique plus approprié émotionnellement. Mais cet échec peut s’expliquer par des besoins plus primaires d’émotions et d’effet dramatique appropriés46.

30Si Guck et McClary distinguent des agents précis à l’intérieur de la musique, Newcomb identifie plutôt un conflit interne chez un protagoniste global, dont les réponses changeantes au passé créent un quatrième mouvement constitué d’une suite d’événements inhabituelle, d’apparence incohérente lorsque observée en termes formels non dramatiques. Comme Guck, Newcomb préconise un style narratif de description, le faisant contraster avec les ressources limitées de l’analyse technique moderne. Comme McClary, il identifie un schéma d’intrigue général, partagé par plusieurs compositions, et raconte un cas individuel, quelque peu complexe, du schéma. Comme McClary, mais contrairement à Guck, il considère son essai comme une enquête sur le sens [meaning] de la composition ; il fait explicitement intervenir des documents sur l’histoire de la réception pour justifier sa description, ce que McClary ne fait pas. Néanmoins, certains aspects déterminants de son interprétation dépendent, finalement, de la vraisemblance de ses réactions personnelles à la musique. Il ne produit aucun document historique qui supporte le récit de négation et d’acceptation à la base de son interprétation, supposant plutôt que les lecteurs testeront sa théorie dans leur propre expérience musicale.

Poétique de la description musicale

31Ces essais soulèvent plusieurs questions générales. La tension entre deux approches en semble une fondamentale : une approche qui utilise le récit pour communiquer une expérience personnelle de la musique, et une autre qui offre des prétentions historiques et herméneutiques au sujet du sens [meaning] des œuvres musicales. D’excellents travaux récents continuent à démontrer cette différence de point de vue ; je pense à Charles Fisk47 et à sa synthèse personnelle d’années de réflexions intenses au sujet de la musique pour piano de Schubert, et à Richard Will48 et sa description historique de la symphonie « à personnage » [characteristic], qui culmine en lectures riches et savantes de deux symphonies de Beethoven.

32Cependant, tout en soulignant cette différence, il faut faire attention de ne pas mettre en scène des oppositions mélodramatiques simplifiées entre la légère autobiographie et l’histoire impersonnelle et sévère. Premièrement, j’ai déjà souligné que McClary et Newcomb s’appuient, à des moments cruciaux, sur des interprétations personnelles qui ne sont pas soutenues spécifiquement par des documents historiques ; c’est également le cas du livre de Will et peut-être de toute description critique intéressante. D’un autre côté, si on comprend la description de Guck comme une communication ad hoc d’une expérience personnelle, il ne faudrait pas perdre de vue les façons dont son récit est conforme à des habitudes partagées, ce qui n’est pas traité dans son essai. Dans sa personnification d’une hauteur de note importune, même dans sa simple forme narrative, sa description reconnaît et renforce les normes transpersonnelles [transpersonal] de la narration musicale49.

33Je veux examiner, cependant, une autre question au sujet de ces textes. En reprenant le premier essai de McClary, je remarque quelque chose d’intrigant. Les éléments – idéaux transcendantaux, ordre social et aliénation subjective – qui forment sa description du mouvement de Mozart structurent également la représentation qu’elle donne d’elle-même et de son entourage immédiat. McClary écrit par dissension envers la compréhension conventionnelle contemporaine de Mozart, et s’attaque à la placidité avec laquelle les auditeurs contemporains accueillent les œuvres du Viennois. De plus, elle associe le rôle de Mozart dans la culture contemporaine avec la transcendance – en ses propres termes, « on semble encore réticent à laisser aller la musique classique grâce à laquelle nous avons accès (ou l’illusion d’avoir accès) à la vérité transcendantale »50. Le public contemporain, l’image contemporaine de Mozart et McClary forment la même configuration que l’orchestre, le thème récurrent religieux et le soliste dans le concerto de Mozart.

34McClary est consciente de cet isomorphisme : il est à la base d’une intéressante tournure ironique dans son discours. Dans sa description, la musique qui dramatise les tensions entre le transcendantal, le groupe social et l’individu en vient à servir d’emblème du transcendantal à un groupe social conventionnel. Ainsi, « ce qui a commencé comme une critique devient une plate affirmation de ce qu’il tentait précisément de rompre »51. Plus loin, McClary observe que différents auditeurs répondront différemment au déroulement du récit. Elle présente ces différences en termes d’identification, suggérant qu’un « auditeur qui tend à s’identifier à la flamboyance ou au bruit face à l’ordre considérera probablement le soliste comme un sympathique protagoniste »52. De plus, elle n’accorde pas d’attention à la précision du jeu entre sa description de soi explicite et le protagoniste rebelle du concerto. L’essai de McClary associe ensemble les images d’elle-même et du piano-protagoniste dans le mouvement de Mozart, et les situe dans des mondes similaires53.

35Dans l’essai de Newcomb, on trouve également un enchevêtrement entre son exemple musical et ses thématiques musicologiques. Il affirme que les chercheurs en musique ont oublié un mode humaniste d’interprétation, courant au dix-neuvième siècle, en le remplaçant par une analyse structurelle plus mécanique. Pour illustrer cela, il parle d’un finale qui d’abord renie certains états émotifs, puis abandonne les schémas structurels conventionnels pour renouer avec les premiers. La Symphonie de Schumann se joint à Newcomb pour nous prévenir des dangers du déni dans notre vie sentimentale.

36Le conte de l’immigrant de Guck se rapporte à ses visées musicologiques en plusieurs points. Comme il est communément compris, le langage figuratif, dont Guck recommande aux analystes musicaux ayant un goût littéraire, est un langage qui émigre de chez lui, où il est compris littéralement, vers un nouveau contexte, où il prend une nouvelle signification tout en demeurant quelque peu étrange. Guck elle-même, en élaborant son récit, devient un peu immigrante : « En racontant mon histoire, je serai en terrain dangereux, puisque je conçois le do bémol immigrant comme animé et motivé – mais j’ai l’intention d’y rester »54. Plus largement, la volonté de Guck d’aller vers le domaine public du discours professionnel, tout en conservant des références explicites à ses réactions subjectives, ressemble à l’effort déployé par l’immigrant pour trouver sa place tout en conservant son identité.

37Dans un autre essai, Guck pense à son travail professionnel en des termes similaires. Elle parle de ses projets, entrepris par une femme analyste dans un domaine principalement masculin, et résume :

« J’ai dit de mon travail qu’il est différent de l’analyse musicale traditionnelle ou conventionnelle, et j’ai parlé d’être de l’extérieur [outsider]. Je semble peut-être amère, mais je ne pense pas l’être. J’aimerais voir des chemins menant des marges vers le centre, non pas pour remplacer le vieux centre, mais pour créer une analyse musicale plus intégrée et équilibrée, simplement pour raffiner et enrichir ce qu’on peut remarquer et ce en quoi on peut prendre plaisir »55.

38Comme le do bémol de la pièce de Mozart, Guck a « survécu, a même réussi, d’une certaine façon », dans un environnement difficile ; elle s’est parfois retrouvée à « parler comme si mon travail était en opposition à l’analyse traditionnelle », alors que son but principal est d’en « élargir la portée » en ajoutant une voix individuelle, personnelle56.

39Que doit-on comprendre de ces liens entre musicologues et protagonistes musicaux ? On pourrait répondre de façon négative et considérer ces essais comme étant irrémédiablement égocentrique, comme si le supposé contenu musicologique était un genre de protection personnelle. Ce serait réducteur. Le contenu interprétatif de ces essais, autant que des descriptions personnelles de leurs auteurs, tient compte des standards de leur public dans le milieu de la recherche ; sinon les essais n’auraient jamais été pris au sérieux.

40De façon moins punitive, on peut dire que ces essais révèlent une implication personnelle individualisée qui est primordiale au sens musical [meaning] et fournit du contenu aux récits musicaux. Compris ainsi, ils commenceraient à ressembler à certains écrits au sujet de la musique qui mettaient l’accent sur la nature personnelle de la compréhension musicale, parfois avec la création de récits idiosyncratiques. Ce que Guck a écrit au sujet de la description subtile de l’investissement personnel dans l’écriture analytique est utile57. Les chercheurs en études féministes et gay et lesbiennes écrivent parfois avec une subjectivité individuelle, formée en partie par les identités socialement construites, et parfois de tels écrits fournissent des interprétations narratives idiosyncratiques58. Mais les schémas en miroir que j’ai décrits sont différents des déclarations explicites d’une implication personnelle ; ce n’est pas évident de comprendre la différence.

41On pourrait peut-être commencer à développer une poétique d’un certain genre d’essai musicologique, un essai humaniste critique qui se positionne contre les normes déshumanisantes et supporte ses idées par des exemples musicaux privilégiés. Quels effets sont possibles lorsqu’un texte évoque un spécialiste audacieux et individualiste et une composition musicale éloquente, en complémentarité l’un avec l’autre et faisant écho l’un à l’autre ?59 Certainement de tels schémas, suggérant une compréhension mutuelle entre le musicologue et la musique, contribuent à un effet de musicalité dans un essai. Nul doute que cette intimité entre musicologue et œuvre aide également à expliquer pourquoi plusieurs lecteurs, comme moi, sont touchés par de tels écrits.

42Des questions plus générales surgissent, en lien avec ceci. On peut remettre en question, par exemple, l’habitude professionnelle voulant qu’un essai musicologique joigne une affirmation théorique innovatrice, souvent sous une forme programmatique sommaire, avec un seul exemple musical. Partant des difficultés à prouver des idées générales à partir d’un seul exemple, on pourrait croire que ce schéma est peu commun dans la littérature musicologique. Mais il l’est pourtant, et on le trouve également dans la littérature traitant de musique et récit. Comment de telles conjonctions d’exemple et de généralité fonctionnent-elles ? Répriment-elles, en quelque sorte, une pensée théorique soutenue et l’accumulation de connaissances d’un essai à l’autre ? Néanmoins, pourquoi est-ce que les tentatives intelligentes et minutieuses de formuler une théorie générale à propos de la musique et du récit semblent ternes et amusicales, en comparaison ?60

43Dans tous les cas, il semble qu’une considération des questions à propos de la musique et du récit mène facilement à des considérations sur la poétique des textes qui traitent, justement, de musique et de récit. Cette réduction dans l’idéalisation est bienvenue : une conception représentationnelle du discours au sujet de la musique donne lieu à une attention plus concrète aux textes à sujets musicaux dans leurs aspects littéraires et pragmatiques.

Récit et interprétation

44Je vais conclure en indiquant un autre type d’idéalisation qui est omniprésent dans les discussions au sujet de la musique et du récit. Mes questions dans les sections précédentes ne m’empêchent pas de développer le présent argument en me référant à un exemple spécifique, exposant ma propre pensée « narrative » à propos de la musique.

45Tel que souligné par Newcomb, la Cinquième symphonie de Beethoven est un exemple d’un certain type de récit musical. Plusieurs auditeurs ont senti qu’elle racontait une histoire, en quelque sorte, qui s’étendrait sur les quatre mouvements, à travers les paramètres musicaux, sans avoir besoin de l’aide d’un texte littéraire. Cette idée commune vient, en partie, du contraste évident entre le premier et le dernier mouvement, suggérant une intrigue dans laquelle le conflit mène au triomphe (se conformant ainsi à l’archétype d’intrigue de Newcomb). Le retour inhabituel du scherzo au dernier mouvement suggère également une motivation dramatique. À part ces questions à grande échelle, le premier mouvement, avec sa véhémence et ses contrastes, suggère un genre de conflit, impliquant à nouveau une histoire.

46Hector Berlioz a parlé de cette pièce avec passion ; il comprenait cette symphonie comme une description de la « pensée intime » de Beethoven, et dans le premier mouvement, il entendait des « sentiments désordonnés qui bouleversent une grande âme en proie au désespoir », comparable à « la fureur terrible d’Othello recevant de la bouche d’Iago les calomnies empoisonnées qui le persuadent du crime de Desdémona ». Plus spécifiquement, Berlioz souligne les contrastes du mouvement en les interprétant psychologiquement : « C’est tantôt un délire frénétique qui éclate en cris effrayants ; tantôt un abattement excessif qui n’a que des accents de regret et se prend en pitié lui-même ». Selon Berlioz, le mouvement représente les émotions extrêmes qui sont possibles dans une humeur globale de désespoir, allant de la rage violente à la passivité désespérée.

47Pour illustrer ses généralisations, Berlioz décrit un passage spécifique, évidemment, le passage menant à la récapitulation :

« Écoutez ces hoquets de l’orchestre, ces accords dialogués entre les instruments à vent et les instruments à cordes, qui vont et viennent en s’affaiblissant toujours, comme la respiration pénible d’un mourant, puis font place à une phrase pleine de violence, où l’orchestre semble se relever, ranimé par un éclair de fureur ; voyez cette masse frémissante hésiter un instant et se précipiter ensuite tout entière, divisée en deux unissons ardents comme deux ruisseaux de lave ; et dites si ce style passionné n’est pas en dehors et au-dessus de tout ce qu’on avait produit auparavant en musique instrumentale »61.

48Dans sa description, Berlioz identifie quatre sections distinctes du passage, comme si l’expérience du protagoniste passait par trois phases : une faiblesse grandissante, un soudain regain d’énergie colérique, une hésitation momentanée et ensuite un mouvement impétueux, comme un volcan ayant accumulé assez de pression pour exploser, ou comme si la rage du protagoniste surmontait définitivement la fatigue et l’hésitation.

49Le développement dans le premier mouvement du Beethoven comporte deux parties, chacune commençant par une séquence. Chaque séquence contient deux membres similaires suivis par quelque chose qui aurait pu être un troisième membre, mais le troisième passage diverge et devient considérablement plus long que le modèle. La seconde partie du développement part du thème au cor qui ouvre le second groupe, en l’amenant par séquences vers sol majeur puis do majeur. La musique va vers fa mineur et le thème au cor débute à nouveau, mais procède motiviquement vers les deux premières notes du thème au cor, réduisant subséquemment le motif à une seule note. Berlioz décrit les événements à partir de ce passage en fa mineur jusqu’au début de la récapitulation. Il est facile d’entendre, d’abord, les échanges entre vents et cordes ; ensuite, une interjection forte et brusque ; troisièmement, une hésitation momentanée tandis que les échanges entre vents et cordes reviennent, et finalement, le canon puissant qui mène à la récapitulation.

50Mais qu’arrive-t-il si on écoute une interprétation avec la description de Berlioz en tête ? Ça dépend de l’interprétation. C’est bien là mon propos62. (À partir de ce point, le lecteur voulant évaluer ma description devra, tôt ou tard, se tourner vers les enregistrements dont je parle. Cependant, la simple lecture du reste de ce chapitre peut donner une idée des questions qui m’intéressent).

51Règle générale, l’interprétation de Toscanini63 semble bien se conformer à la description de Berlioz. Les passages en accords aux vents et aux cordes sont remarquablement calmes et lents, « s’affaiblissant toujours » comme passant par une perte d’énergie terminale. D’une certaine façon, cependant, il y a un manque subtil de concordance entre la description de Berlioz et l’interprétation de Toscanini. Dans la description de Berlioz, le décisif regain d’énergie semble arriver alors qu’une musique forte interrompt les accords calmes ; le bref retour subséquent des accords calmes est une hésitation momentanée avant que la musique forte ne continue. Mais l’interprétation de Toscanini adoucit la première interruption, comme si le protagoniste ne pouvait se débarrasser complètement de l’atmosphère des accords calmes. Toscanini garde un contraste plus marqué pour le canon puissant qui mène à la récapitulation. Il fait la différence entre les passages en partie par son traitement des accords graves ambigus qui terminent le choral et commencent l’interruption, minimisant le premier et soulignant le second.

52Malgré les différences, il est possible d’apprécier l’interprétation de Toscanini en conservant le sens général du passage selon Berlioz – que l’on a affaire à une dangereuse baisse d’énergie, dans un « abattement excessif » et une brusque guérison par quelque chose comme la rage. Mais il faut changer les détails de l’histoire. Une interprétation différente pourrait se conformer plus précisément à l’histoire de Berlioz, en augmentant l’agressivité de la première interruption orchestrale.

53Alors que la diminution de tempo de Toscanini est très belle et crée un vif effet, elle ne provient d’aucune indication explicite dans la partition de Beethoven. Il est intéressant d’en comparer l’effet avec une lecture plus « littérale » comme celle d’Artur Rodzinski en 194464. Je trouve que la constance de Rodzinski change l’effet de ce passage. L’antiphonie par accords demeure mystérieuse et un certain effet de mouvement décroissant demeure inévitable, à cause du ralentissement du rythme harmonique. Mais la pulsation continue contredit le ralentissement harmonique, créant une tension particulière. La description de Berlioz est moins utile en référence avec cette interprétation, puisque la description ne parvient pas à capturer cette combinaison de stase et de constance. En ce qui a trait à l’interprétation de Rodzinski, plutôt que d’essayer de l’imaginer en termes de fatigue ou de déclin comme le fait Berlioz, je préfère le récit de Scott Burnham, pour qui le passage « constitue quelque chose comme l’œil d’un ouragan ou le répit inconfortable dans une bataille… Ces accords sont comme si on entendait soudainement la respiration de soldats nerveux »65. La référence militaire de Burnham suggère que même ce passage calme peut être entendu comme viril et vigoureux, bien que momentanément retenu.

54L’interprétation de Rodzinski a un autre effet important : l’absence de fluctuation rythmique isole le solo de hautbois dans la récapitulation, laissant le solo agir seul dans le départ saisissant du tempo. Rodzinski augmente cet effet en allant rapidement à la demi-cadence qui précède le solo. La version de Toscanini, déjà très calme après l’énonciation du thème récurrent [motto], ralentit à l’approche du solo de hautbois. Non seulement ceci intègre le solo dans le passage qui précède immédiatement, mais rappelle également le ralentissement du développement. Pensant également comme Berlioz, on peut entendre le débordement d’énergie qui commence la récapitulation de Toscanini comme quelque chose de court, comme un retour presque immédiat à la lassitude.

55L’interprétation de Toscanini datant de 195266 est continuellement tendue et agitée. Bien que toujours rapide, elle montre une incertitude nerveuse quant au tempo exact, qui se manifeste en partie par les imperfections de l’ensemble. Ces caractéristiques sont excitantes, voire angoissantes. La fin du développement n’a que des peu de liens avec le même passage de l’interprétation de 1933. Au début de la section en fa mineur, Toscanini élargit un peu pour les premiers accords, puis accélère le tempo à mesure que les accords diminuent en dynamique. À mesure que la première interruption forte approche, les accords aux vents commencent à anticiper légèrement la pulsation, et le dernier accord aux vents est même crescendo. C’est comme si les accords tendaient vers le passage plus fort, presque comme on tend vers un but.

56À ce moment, de plus amples commentaires analytiques sont utiles aux lecteurs qui peuvent les comprendre. J’ai mentionné que la seconde partie du développement commence avec une séquence, allant de sol majeur à do majeur, puis à fa mineur. Alors que la troisième section, avec ses accords antiphoniques [antiphonal chords], est en rupture par rapport à la séquence motivique, le passage continue néanmoins vers si bémol mineur, maintenant ainsi le cycle de quintes descendant. Ceci pourrait être alarmant ; si le modèle se perpétuait, la musique se retrouverait loin de la tonalité de départ. Mais le cycle de quintes s’arrête alors que les vents amènent plutôt le passage à sol bémol mineur. Alors que cette tonalité pourrait sembler excessivement éloignée de do mineur, Beethoven la traite par enharmonie comme un fa dièse mineur, faisant monter la voix supérieure de do dièse à , atteignant ainsi un V/V. C’est à ce moment que la première interruption intervient.

57Le jeu enharmonique crée une ambiguïté intrigante. Entendu simplement comme un mouvement vers sol bémol mineur, le passage semble dériver ; entendu comme une évasion du modèle séquentiel et se déplaçant vers la possibilité d’un retour à grande échelle, il semble intelligemment déterminé. La version 1933 de Toscanini ne traite pas le passage en accords comme orienté vers un but, mais dans sa version 1952, c’est comme si la musique approchait consciemment un point de résolution.

58L’interprétation de 1989 de Roger Norrington67 est aussi constante que celle de Rodzinski, mais plutôt rapide, avec des échappées saisissantes des bois et des cuivres. Parmi de nombreuses caractéristiques intéressantes, il y a un accent extraordinaire sur l’accord de sol bémol majeur, au moment où la musique s’éloigne de fa mineur. D’une certaine façon, c’est une interprétation absolument charmante. Son énergie et son tempo violent sont à la hauteur de la réputation d’agressivité qu’a ce mouvement, et les bois et les cuivres bruyants rendent la musique exceptionnellement effrayante. Cependant, les doux accords qui amènent la récapitulation semblent presque ordinaires comparés aux autres versions. Leur douce oscillation est plutôt jolie. Ce qui m’a le plus surpris à leur sujet, c’est leur calme relatif et spécialement le bref répit des sons forts soudains.

59Selon mon écoute, le puissant accord de sol bémol dont j’ai parlé a deux effets principaux. Quelque part dans ce passage, il y a une réorientation de la métrique à grande échelle. Au début du passage en fa mineur, les mesures se regroupent par deux, et après l’arrivée des accords de si bémol mineur, la position des temps forts et faibles est inversée. Les accords forts de Norrington invitent l’auditeur à se réorienter à la première opportunité ; les autres versions laissent un groupe ambigu de cinq mesures. (Norrington renforce la nouvelle métrique à grande échelle avec une attaque plutôt lourde de l’accord de si bémol.) L’autre effet de l’accord fort, spécialement à ce tempo vif, est d’associer le premier accord de sol bémol avec l’arrivée subséquente de sol bémol mineur, faisant des accords entre les deux un mouvement à l’intérieur d’une progression harmonique. Ceci crée une structure remarquablement simple de trois longues durées – neuf mesures de fa dièse mineur, seize mesures de sol bémol majeur devenant sol bémol mineur (réinterprété comme fa dièse mineur), et huit mesures de majeur. La réorientation métrique forcée, qui peut sembler indésirable en soit, a du sens en ce qu’elle donne forme à cette longue durée de sol bémol, commençant précisément sur un temps fort.

60Alors que la version impose une lucidité métrique et harmonie qui est absente des autres, elle le fait avec un résultat paradoxal assez plaisant. L’interprétation de Norrington met un accent spécialement fort sur l’harmonie la plus éloignée de la tonique. Son atterrissage d’urgence sur le premier accord de sol bémol sonne un peu arbitraire, comme son absence de rôle harmonique. À première vue, on dirait un accord napolitain inutile, puis un VI en si bémol mineur plus approprié, et enfin comme une harmonie dominante de sa propre durée, disparaissant aussi mystérieusement qu’elle était apparue. Dans cette version, ce passage offre peut-être une brève image de douceur et de calme, démontrée comme insoutenable par une harmonie odieusement éloignée.

61J’ai essayé de montrer un certain mode de pensée, au centre des ma conception des relations entre musique et récit. Parfois, comme le concèdent les musicologues avec qui j’ai discuté auparavant, lorsqu’on dit de la musique qu’elle possède des caractéristiques narratives, ou bien pour raconter une histoire, c’est parce que la musique semble avoir un effet anthropomorphique fort, se déroulant d’une façon qui suggère une succession psychologique ou dramatique d’événements. Ceci peut être un point de départ pour l’interprétation critique des œuvres : on peut peut-être tenter de raconter des histoires dramatiques par des œuvres variées. Mais qu’est-ce qui, par exemple, serait l’histoire du passage de Beethoven dont je viens de traiter ? Plutôt que de se ruer vers l’association d’une histoire unique et d’une œuvre, peut-être serait-il plus exact, et ultimement plus agréable, de reconnaître la diversité des successions dramatiques que différents interprètes peuvent créer, même à partir de la même partition. Ainsi, l’idéalisation que j’ai mentionnée, probablement pas restreinte aux discussions à propos de musique et récit, vient lorsque les critiques tentent de spécifier les significations [meanings] ou, plus modestement, leur expérience personnelle d’œuvres précises, sans tenir compte de la variété amenée par la créativité des interprètes.

Une troisième « étape »

62J’ai recommandé que l’on réfléchisse à diverses interprétations plutôt que d’interpréter une œuvre stable et cohérente de Beethoven. L’attitude principale, favorisant une attention à l’« interprétation » dans son acception générale, forme d’autres parties du présent chapitre. Je recommande que l’on essaie d’appliquer l’analogie entre musique et récit, plutôt que d’affirmer des identités théoriques littérales, et que l’on étudie la poétique des textes portant sur la musique, remarquant les trucs de construction littéraire qui créent les images de la musique et de la subjectivité, plutôt que d’évaluer ces textes comme des représentations pures.

63J’ai d’abord mentionné, avec optimisme, une première étape du travail musicologique sur le récit, dans laquelle le concept de récit semblait promettre la résolution de questions traditionnelles au sujet du sens [meaning] musical et de l’interprétation. Puis j’ai mentionné une seconde étape, plus sceptique, dans laquelle des auteurs importants ont châtié les musicologues qui ont trop associé musique et récit. Je suppose que nous en sommes maintenant à une troisième étape, ou une non-étape, dans laquelle des affirmations exagérées, positives ou négatives, n’existent plus. Selon moi, les analogies avec le récit peuvent montrer leur valeur pour la critique musicale [music criticism] par les idées et les expériences qu’elles produisent, par les relations avec la musique qu’elles permettent de créer. La notion de récit, mise en relation interprétative avec la musique instrumentale, n’est ni héroïque, ni scandaleusement naïve. C’est une chose à essayer, d’une façon ou d’une autre. Je trouve cette non-étape confortable ; elle suppose une approche exploratoire et expérimentale invitante de l’interprétation de la pensée musicale critique68.

Notes   

1  Traduction française: Martine Rheaume.

2  Peter Kivy, Sound and Semblance: Reflections on Musical Representation, Princeton, Princeton University Press, 1984, pp. 159-196.

3  Eduard Hanslick, On the Musically Beautiful: A Contribution Towards the Revision of the Aesthetics of Music, traduction de Geoffrey Payzant, Indianapolis, Hackett, 1986.

4  Edward T. Cone, The Composer’s Voice, Berkeley, University of Californa Press,1974.

5  Les essais de Newcomb marquent par le fait que chacun s’attaque à de nouvelles considérations théoriques (Anthony Newcomb, « Once More “Between Absolute and Program Music” : Schumann’s Second Symphony », 19th-Century Music 7, 1983-1984, pp. 233-250 ; « Schumann and Late Eighteenth-Century Narrative. Strategies », 19th Music n° 11, 1987, pp. 164-174; « Narrative Archetypes and Mahler’s Ninth Symphony », in Steven Paul Scher (éd.), Music and Text: Critical Inquiries, Cambridge, Cambridge University Press, pp. 118-136; « Action and Agency in Mahler’s Ninth Symphony, Second. Movement », in Jennifer Robinson (éd.), Music and Meaning, Ithaca, Cornell University Press, pp. 131-153).

6  Peter Kivy, « A New Music Criticism? », in The Fine Art of Repetitio: Essays in the Philosophy of Music, Cambridge, Cambridge University Press, pp. 296-323.

7  Carolyn Abbate, Unsung Voices:
Opera and Musical Narrative in the Nineteenth Century, Princeton, Princeton University Press, 1991.

8  Jean-Jacques Nattiez, « Can One Speak of Narrativity in Music? », Journal of the Royal Musical Association n° 115, pp. 240-257.

9  La structure s’apparente à un célèbre argument formaliste, soit la tentative par Hanslick (1986) de prouver que la musique ne peut pas représenter d’émotions précises. Toutes les émotions précises sont identifiées par leur lien avec une pensée au sujet d’un objet. Mais la musique ne peut dépeindre une pensée au sujet d’un objet. Ainsi, la musique ne peut pas dépeindre d’émotions précises.

10  C’est-à-dire que les événements musicaux, lorsque compris par l’imagination comme des actions, ont à la fois des descriptions spécifiquement musicales et des descriptions plus générales utilisant un vocabulaire partagé par les actions non musicales. Par exemple, un certain événement peut être une cadence (un certain type d’action musicale) et une fermeture ou une articulation (deux actes qui surviennent également hors de la musique). Au sujet des agents : plusieurs aspects de la musique peuvent être associés par anthropomorphisme comme agents d’une histoire, mais sans pour autant exclure d’autres alternatives. Ainsi, les auditeurs peuvent apprécier l’action musicale sans besoin d’identifier précisément les agents. Ces affirmations permettent de maintenir en contact étroit les aspects dramatiques de la musique et l’analyse musicale traditionnelle, tout en minimisant l’intrusion d’une imagination personnelle souvent aussi arbitraire qu’incorrigible (Fred Everett Maus, « Music as Drama », Music Theory Spectrum n° 10, pp. 56-73, article également diponible in Jennifer Robinson (éd.), op. cit., pp. 105-130 ; Fred Everett Maus, « Music as Narrative », Indiana Theory Review n° 12, 1991, pp. 1-34). En associant de près ma description à une analyse technique peu controversée, je ne parvenais pas à comprendre les façons dont la musique prend son sens chez un auditeur. J’ai corrigé ces apories, pour peu dire, dans un article autobiographique (Fred Everett Maus, « Love Stories », Repercussions, vol. 4 n° 2, pp. 86-96).

11  Ce faisant, j’illustre certains problèmes à travers des exemples plutôt que de généraliser. J’ai donné ailleurs une brève description générale, avec bibliographie (Fred Everett Maus, « Narratology, Narrativity », in Laura Macy (éd.), Grove Music Online, www.grovemusic.com).

12  Marion A. Guck, « Rehabilitating the Incorrigible », In Anthony Pople(éd.), Theory, Analysis and Meaning, Cambridge, Cambridge University Press, 1994, pp. 57-73.

13  ndlt : Les termes « music theory » se rapportent en anglais à une discipline pratiquement identique à l’analyse musicale. Dans ce texte, l’expression « théorie musicale » sera comprise dans ce sens, voulu par l’auteur. Les termes « analyse musicale » seront également utilisés dans le même sens.

14  Milton Babbitt, The Collected Essays of Milton Babbitt, Princeton, Princeton University Press, 2003.

15  Marion A. Guck, op. cit., p. 62.

16  Ibid., p. 64.

17 Ibid., p. 73 (ces trois citations sont extraites de Milton Babbitt, « Review of Felix Salzer, Structural hearing: Tonal coherence in Music »,in The Collected Essays of Milton Babbitt, op. cit., p. 24).

18  Ibid., p. 61.

19  Les théoriciens de la musique font souvent une distinction entre « hauteur » et « classe de hauteurs » [ndlt « pitch » et « pitch classes »]. Une hauteur spécifique, par exemple le do central [ndlt do3], appartient à la classe de hauteurs incluant les do de toutes les octaves. En ce sens, le do bémol de Guck est une classe de hauteurs, non une hauteur ; mais je vais néanmoins conserver le terme informel et familier de « hauteur » afin de minimiser le langage technique.

20  Ibid., p. 69.

21  Ibid., p. 70.

22  Idem.

23  Kendall Walton, Mimesis as Make-Believe: On the Foundations of the Representational Arts, Cambridge, Harvard University Press.

24  Donald Francis Tovey, « The Classical Concerto », in Essays in Musical Analysis, n° 3: Concertos, Oxford, Oxford, University Press, 1935 (1903), p. 7.

25  Joseph Kerman, « Representing a Relationship: Notes on Beethoven Concerto », Representations n° 39, 1992, pp. 80-101; Joseph Kerman, « Concerto Conversations », Cambridge, Harvard University Press, 1999.

26  Susan McClary, Feminine Endings: Music, Gender and Sexuality, Minneapolis, University of Minnesota Press,1991,

27  Voir plus bas.

28  McClary, « A Musical Dialectic from the Enlightenment: Mozart’s Piano Concerto in G Major, K. 453, Movement 2 », Cultural Critique n° 4, 1986, p. 138.

29  Ibid., pp. 142-145.

30  Ibid., p. 146.

31  Ibid., p. 155.

32  Ibid., p. 145.

33  Ibid., p. 151.

34  Ibid., pp. 152-153.

35  Ibid., p. 158.

36  Marion A. Guck, op. cit., p. 63.

37  Anthony Newcomb, « Once More “Between Absolute and Program Music”: Schumann’s Second Symphony », op. cit., p. 233.

38  Ibid., p. 234.

39  Ibid., p. 237.

40  Ibid., p. 234.

41  Il y a une divergence entre les deux formulations que j’ai citées, puisqu’il n’est pas clair que la « guérison » ou la « rédemption » soient des états mentaux.

42  Idem.

43  Ibid., p. 243.

44  La relation entre les thèmes, comme personnages, et la subjectivité unifiée de la texture n’est pas tout à fait claire dans la description de Newcomb.

45  Idem.

46  Newcomb note qu’un finale « joyeux, plutôt pétillant » est une option souvent choisie pour terminer une œuvre à plusieurs mouvements ; il suggère ainsi que ce mouvement passe d’un choix émotionnellement inapproprié, mais stylistiquement plausible à l’alternative, soit le « finale sérieux, lourd, pensif, récapitulatif ». Le changement est nécessaire parce que les mouvements précédents ont déjà évoqué l’archétype d’intrigue dont aura besoin le second type de finale (Anthony Newcomb, « Once More “Between Absolute and Program Music” : Schumann’s Second Symphony », op. cit., p. 243).

47  Charles Fisk, Returning Cycles. Context for the interpretation of Schubert’s Impromptus and Last Sonatas,Berkeley, University of California Press, 2001.

48  Richard Will, Characteristic Symphony in the Age of Haydn and Beethoven, Cambridge, Cambridge University Press, 2002.

49  Mon article « Music as Narrative » (op. cit.) traite de ces considérations.

50  McClary, « A Musical Dialectic from the Enlightenment: Mozart’s Piano Concerto in G Major, K. 453, Movement 2 », op. cit., p. 131.

51  Ibid., p. 162.

52  Ibid., p. 147.

53  En critiquant la description de McClary en de nombreux aspects, Harold Powers termine en en soulignant les qualités personnelles. Il affirme qu’on ne peut se contenter d’un travail qui décrit « les réponses personnelles d’un individu, aussi brillantes et fines qu’elles soient, d’un critique du vingtième siècle motivé par des idéologies sociales », et souligne que « des lectures comme celle de McClary ramènent la musique du passé dans une sensibilité actuelle » (Harold Powers, « Reading Mozart’s Music : Text and Topic, Syntax and Sense », Current. Musicology n° 57, 1995, p. 43). Bien que je sois en désaccord avec son évaluation, je conviens que la description en apparence impersonnelle de McClary implique une représentation de soi et un investissement personnel substantiels ; c’est d’ailleurs en partie ce que j’aime de cet essai.

54  Marion A. Guck, op. cit., p. 68.

55  Marion A. Guck, « A Woman’s (Theoretical) Work », Perspectives of New Music, vol. 32 n° 1, p. 40.

56  Ibid., p. 37.

57  Marion A. Guck, « Analytical Fictions », Music Theory Spectrum, vol. 16 n° 2, pp. 217-230.

58  Virginia Caputo & Karen Pegley, « Growing up Female(s): Retrospective Thoughts on Musical Preferences and Meanings », Philip Brett, Elizabeth Wood & Gary C. Thomas (éds.), Queering the Pitch: The New Lesbian and Gay Musicology,New York, Routledge, 1994, pp. 297-313; Everett Maus, « Love Stories », op. cit.; Philip Brett, « Piano Four-Hands: Schubert and the Performance of Gay Male Desire », 19th-Century Music, vol. 21 n° 2, 1997, pp. 149-176).

59  Le présent chapitre illustre ce schéma avec des exemples « humanistes ». En lien avec cela, on trouve une description d’un essai technique d’Allen Forte dans Fred Everett Maus, « The Disciplined Subject of Music Theory », in Andrew Dell’Antonio (éd.), Beyond Structural Listening ? Postmodern Modes of Hearing, Berkeley, University of California Press, 2004 pp. 13-43.

60  Parmi les excellentes tentatives de travaux généraux dans ce domaine, on retrouve Eero Tarasti, Theory of Musical Semiotics, Bloomington, Indiana University Press, 1994 et Karol Berger, A Theory of Art, Oxford, Oxford University Press, 1999.

61  Hector Berlioz, « Étude critique des symphonies de Beethoven », extrait de À travers chants, disponible via http://www.hberlioz.com/Predecessors/beethsymf.htm#sym5, consulté le 16 mai 2010.

62  En mettant l’accent sur l’apport de l’interprétation, je fais un suivi sur mes idées exposées dans Fred Everett Maus, « Musical Performance as Analytical Communication », in Ivan Gaskell and. Salim Kemal (éds.), Performance and Authenticity in the Arts, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 129-153. L’attention portée à l’interprétation est un développement important de la musicologie récente. C’est l’essai de Taruskin (Richard Taruskin, Text and Act : Essays on Music and Performance, Oxford, Oxford University Press, 1995) qui est, selon moi, le pionnier en la matière. Pour un éventail d’approches, voir Rink (John Rink, The Practice of Performance: Studies in Musical Interpretation, Cambridge, Cambridge University Press, 1995). Nicholas Cook tient une position fort semblable à la mienne; voir par exemple Cook (Nicholas Cook, « Music as Performance », in Martin Clayton, Trevor Herbert and Richard Midleton (éds.), The Cultural Study of Music: A critical introduction, New York, Routledge, 2002, pp. 204-214).

63  Arturo Toscanini, New York Philharmonic Orchestra, Toscanini Concert Edition, 1933, Naxos 8.110801.

64  Arthur Rodzinski, New York Philharmonic Orchestra, The Beethoven Recordings, vol. 2, 1944, Fono Enterprise AB 78 923.

65  Scott Burnham, Beethoven Hero, Princeton, Princeton University Press, 1995, p. 48.

66  Arturo Toscanini, NBC Symphony Orchestra, Ludwig van Beethoven, 9 symphonies, vol. 2, 1952, BMG 74321 55836 2.

67  Roger Norrington, London Classical Players, Ludwig van Beethoven, 9 symphonies, 1989, EMI CDS 7 49852 2.

68  Je suis reconnaissant à James Phelan et Peter Rabinowitz pour leurs excellents commentaires après la première version de ce chapitre. Mes idées montrent l’effet constant d’années de conversations avec Marion Guck et Joseph Dubiel.

Citation   

Fred Everett Maus, «Musique classique instrumentale et récit1», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, New Musicology. Perspectives critiques, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=278.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Fred Everett Maus

Fred Everett Maus teaches music at the University of Virginia. He holds degrees from Cornell University, Oxford University, and Princeton University, where he studied music and philosophy. He was a Visiting Fellow in Music and Popular Music, University of Liverpool, 2002, and in summer 2010 will lead a workshop on aesthetics at the Mannes Institute for Advanced Studies in Music Scholarship. He has been a member of the Board of the Society for Music Theory and the Council of the American Musicological Society. Maus’s research interests include music theory and analysis, gender and sexuality, popular music, aesthetics, and dramatic and narrative aspects of classical instrumental music. Recent publications include “Three Songs about Privacy, by R.E.M”, in the Journal of Popular Music Studies, 2010; “Somaesthetics of Music”, in Action, Theory, and Criticism for Music Education, 2010; “Virile Music by Hector Berlioz,” in Ian Biddle and Kirsten Gibson (eds.), Men Sounding Off: Modernity, Masculinity, and Western Musical Practice, Ashgate, 2009; “Time, Embodiment, and Sexuality in Music Theory”, in Beate Neumeier (ed.), Dichotonies: Music and Gender, Winter Verlag, 2009; and “Genders, sexualité et sens musical”, in Marta Grabocz (ed.), Sens et signification en musique, Éditions Hermann, 2007.