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Expressivité, modernité et musicologie critique
La modernité musicale au-delà des discours formalistes

Frédérick Duhautpas
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.276

Résumés   

Résumé

La modernité s’est parfois parée de discours formalistes cherchant à mettre en valeur les questions de technique souvent au détriment de celles du contenu— une approche qui a souvent favorisé l’image d’une musique intellectualiste, froide, inexpressive et coupée de tout lien social. Mais derrière ces apparences les choses ne sont pas aussi simples. Ce type de discours n’est nullement représentatif de toute la musique contemporaine. Par ailleurs, le formalisme n’a souvent été qu’un discours de surface chez certains musiciens des années 1950-60. En réalité, les questions expressives restent bien présentes dans ce type de musique. Mais elles sont souvent abordées de façon différente au regard des pratiques tonales traditionnelles. Les musiques post-tonales s’éloignent à divers degrés des codifications expressives sur lesquelles reposait la musique tonale. Cet article se propose d’examiner quelques pistes de réflexion pour rendre compte des différentes approches expressives dans ces musiques, tout en éclairant certaines implications psychologiques, politiques et sociales qui sous-tendent ces démarches.

Abstract

Modernity has sometimes used formalist discourses to emphasize questions of technique to the detriment of content – an approach that has often fostered the image of a cold, intellectualizing, inexpressive music cut off from any form of social relation. Yet the reality is not quite as simple. This type of discourse is in no way representative of contemporary music as a whole. Formalism was often merely a superficial discourse among musicians of the 1950s and 1960s, and questions of expression and expressivity remained deeply significant. Yet they were often addressed differently in comparison with traditional tonal practices. Post-tonal musicdeparts to varying degrees from the expressive codifications on which tonal music was founded. The object of this article is to examine some avenues to account for the different expressive approaches in these types of music, and to highlight some of the psychological, political and social implications that subtend these approaches.

Index   

Texte intégral   

1L’apport de disciplines extra-musicologiques dans l’analyse et la réflexion musicale, tels que la sémiotique, la narrativité, l’herméneutique, la psychologie, la sociologie, la zoomusicologie, les apports de la théorie critique de l’école de Frankfort, ainsi que les approches de la New Musicology ont indéniablement permis d’éclairer la musique sous un nouveau jour, en dépassant les simples questions historiographiques et techniques pour s’intéresser aux questions du contenu, du sens, de l’expressivité. Pourtant ces aspects semblent occuper une place relativement restreinte dans les études consacrées aux musiques post-tonales. Peu de travaux semblent avoir abordé la question. Comme le remarquent David Beard et Kenneth Gloag, bon nombre d’ouvrages consacrés à l’avant-garde se concentrent essentiellement sur les techniques de composition1. Selon eux, ces ouvrages renforcent par là-même un discours d’objectivité, de progrès et d’abstraction2 – discours que des auteurs comme Susan McClary déplorent car ils tendent à occulter toute la dimension du sens3. Il serait toutefois faux de dire que la question du sens ou même de l’expressivité a totalement été occultée. Elle était déjàprésente dans les écrits de Theodor Adorno et de Hanns Eisler, pour ne prendre que deux exemples du passé4. Plus récemment d’autres auteurs ont également abordé certains aspects de la question ou proposé certaines lignes directrices de réflexion. On pourrait citer Michel Imberty, Márta Grabócz, Françoise Escal, Michel Chion, Alaister Williams, Raphaël Brunner, Elina Packalén, François-Bernard Mâche, Geniève Mathon, Christian Hauer5 parmi d’autres. Des auteurs comme Peter Kivy, Diana Raffman, Joseph Swain, mais aussi des tenants de la New Musicology américaine comme Richard Taruskin ou Susan McClary6 ont également abordé ces questions, mais d’un point de vue critique, du moins sceptique7. Mais malgré ces contributions, le sujet semble relativement peu abordé dans la réflexion sur les musiques avant-gardistes.

2Il faut dire que cette musique se heurte non seulement à l’hostilité d’une partie du monde de la musique et de la musicologie, mais elle porte aussi souvent le fardeau de certains discours formalistes et élitistes des années 1950-60 qui, en cultivant une certaine « mystique de la difficulté »8, ont parfois brouillé l’abord de la question. Il nous apparaît donc intéressant de revenir sur ces aspects. On interprète souvent la musique contemporaine comme une musique froide, austère, intellectualiste, formaliste. Mais est-elle vraiment formaliste ? Est-elle vraiment dépourvue de sens ? Dans le cas contraire, peut-on malgré tout parler d’une dimension expressive à propos de cette musique alors qu’elle a souvent cherché à rompre les ponts avec la plupart des usages traditionnels ? Comment rendre compte de ces approches ? Comment se situent-t-elles par rapport à la dimension humaine et socio-historique ? Comme le remarquait Susan McClary, il y aurait beaucoup à gagner à prendre en compte « la dimension humaine (c’est-à-dire expressive, sociale, politique, etc…) de cette musique. […] On pourrait expliquer à de nombreux niveaux comment la musique est signifiante autrement qu’en des termes quasi-mathématiques »9. Cet article se propose donc de réunir les éléments d’une réflexion autour de certains de ces aspects et plus particulièrement celui de l’expressivité dans ces musiques. On cherchera à déterminer dans quelle mesure cette dimension a été abordée dans ces musiques tout en la mettant en perspective par rapport à certaines implications psychologiques, politiques et sociales.

Formalisme et avant-garde

3Les questions sur l’expressivité ont parfois été mises à mal par certaines approches formalistes en vogue dans les années 1950-60. Par « formalisme », on entend, ici, qu’un certain nombre de compositeurs de cette époque mettaient l’accent sur des considérations d’ordre technique et technologique tout en se distanciant des approches expressives traditionnelles. « La musique est un art non-signifiant » disait Boulez10. Ce type d’approche moderne a donc pu parfois donner une image aride et intellectualiste à la musique contemporaine, une image qui d’ailleurs continue encore parfois de lui coller à la peau. Cette image fut d’autant plus renforcée qu’elle s’accompagnait d’une volonté de s’éloigner du grand public et de la culture populaire ou, du moins, de la culture commerciale. Milton Babbitt, dans son fameux article « Who cares If You Listen » préconisait, par exemple, de ne s’adresser qu’à un public de spécialistes et d’élites capables de saisir ses approches compositionnelles et techniques11. De telles attitudes ont donc largement conforté l’idée que la musique avant-gardiste évacuait toute considération expressive pour se réduire à de simples procédures technico-techniciennes déconnectées de toute réalité et incompatibles avec toute approche expressive12. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Comme le souligne Makis Solomos :

« Le formalisme a été, et continue parfois à être une caractéristique incontrôlée du discours de et sur la musique contemporaine, mais il n’en est aucunement une caractéristique générale ni encore moins une caractéristique endémique. Qualifier de formalistes les œuvres musicales les plus réussies, de Pithoprakta (Xenakis, 1954-55) ou du Marteau sans maître (Boulez, 1953-55) à Atem (Vaggione, 2003), constituerait un contresens. Les réflexions formelles au niveau musical cachent une multiplicité de sens »13.

4Déjà ces approches formalistes ne constituent qu’un cas particulier dans une période bien précise, principalement les années 1950-60. Ensuite, il serait faux de croire que toutes les tendances modernistes se rattachent forcément à une esthétique formaliste. Des compositeurs un peu plus jeunes comme François-Bernard Mâche, par exemple, se sont démarqués dès le début, des approches techniciennes et formalistes de l’époque. Mais on a vu aussi des compositeurs attachés au départ au sérialisme comme Stockhausen, Berio ou Nono mettre en avant les questions d’expressivité dans leur musique. Enfin, malgré les apparences et les discours techniques et formalistes de certains compositeurs de cette époque, leur musique n’en est pas forcément épurée de tout élément expressif. Tous ces propos mettant l’emphase sur la technique n’ont parfois été que des discours de surface. On a souvent pris Boulez comme l’archétype du compositeur intellectuel, technicien et formaliste, mais il faut rappeler que celui-ci s’est beaucoup intéressé aux musiques extra-européennes14 dans sa jeunesse, notamment celles d’Afrique et d’Extrême-Orient15. Or bon nombre de ses œuvres, parmi lesquelles le Marteau sans maître, restent encore marquées par ces références extra-européenes, même si c’est de façon cryptée. Comme le souligne Rosângela Pereira de Tugny :

« Si l’on trouve l’utilisation d’instruments africains, latino-américains ou asiatiques dans presque toutes ses œuvres qui succèdent à la composition du Marteau sans maître, si l’on découvre l’évocation du marmonnement d’un vieillard africain initiant ses cadets et du violon chinois dans Figures Doubles Prismes, ou de la macumba et de son jeu de la terreur dans une esquisse de l’Orestie, cette dimension de son œuvre demeure assez secrète, ayant fait l’objet de peu de commentaires directs, ces sources étant traitées avec assez de délicatesse pour qu’elles demeurent à la fois présentes et contrôlées. Il n’en demeure pas moins que toutes ses œuvres adoptent ce ton de gravité imprégné de l’observation des cérémonies qui l’ont tant intéressé – et qu’André Schaeffner lui a fait découvrir – laissant transparaître une des ambiguïtés du compositeur : au-delà de la ferme volonté de n’admettre l’utilisation des instruments exotiques qu’en leur assurant une parfaite intégration acoustique et structurelle, il ne cesse de s’intéresser aux aspects les plus profonds de leurs cultures originelles, où la musique est directement attachée aux rites »16.

5D’ailleurs au sortir de la guerre, les questions expressives étaient encore très vives. En fait, c’est seulement au tout début des années cinquante, qu’un vent d’abstraction et de formalisation souffle et balaie ces références extramusicales. Mais celles-ci ne disparaissent pas vraiment. Elles deviennent simplement sous-jacentes. Enfin, la musique contemporaine ne se réduit pas forcément aux seules tendances du sérialisme intégral, ni aux déclarations parfois tapageuses de certains tenants de ce type d’écriture. Nous croyons bon de le souligner, car on note que nombre d’auteurs qui ont axé leurs critiques de la modernité à travers la question de l’expressivité, se sont concentrés presque exclusivement sur le cas du dodécaphonisme et du sérialisme intégral, comme si la modernité se réduisait à ces seules tendances.

Nouvelles approches expressives

Nature de la signification musicale

6Avant d’aborder les caractéristiques expressives de ces musiques, il convient de préciser certains points quant à la nature et la spécificité de la signification musicale. L’idée selon laquelle la musique serait porteuse de significations a souvent favorisé certaines comparaisons avec le langage verbal qui ne sont pas sans poser problème dans certains cas. Si on peut effectivement relever de nombreux points communs entre les deux, il serait trompeur d’envisager la musique comme un langage au sens strictement linguistique. À de nombreux égards, la musique s’éloigne de ce modèle. Le cadre de cet article ne permet pas de rentrer dans une comparaison détaillée des différences, on se contentera ici de préciser brièvement quelques points quant à cette question. Comme l’ont souligné de nombreux auteurs17, la musique occidentale s’appuie rarement sur des significations proprement littérales comme dans le langage verbal – encore que celui-ci ne se réduit pas non plus à la littéralité de ses significations. Si certaines formes de figuralisme peuvent parfois acquérir un caractère essentiellement dénotatif, le discours musical reste, pour sa grande part, essentiellement connotatif, ambiguë, polysémique. Alastair Robin McGlashan, remarquait à ce propos :

« Le problème avec la musique, ou plutôt sa force, c’est que ce n’est pas tout à fait comme une langue. […] [S]es unités disparates n’ont pas de sens universel ou fixé sur lequel tous pourraient s’accorder. Mais le fait qu’elle n’ait pas de sens établi n’implique pas qu’elle n’ait de sens du tout ; cela implique seulement qu’elle est un véhicule de significations qui ne peuvent s’exprimer d’aucune autre façon. Cela rend la musique essentiellement ambiguë et capable de grande subtilité, ce qui fait que chaque auditeur jouit d’une grande marge de liberté dans sa réponse »18.

7La musique suggère plus qu’elle n’explicite. Elle semble souvent vague et imprécise comparée à la littéralité des significations du langage verbal19. Par ailleurs, comme l’évoquait Françoise Escal, on ne peut la traduire, la résumer ou la paraphraser verbalement sans perdre une partie de son essence. Comme l’expliquaient des auteurs comme Imberty20 et Nattiez21, le sens musical est irréductible aux explicitations linguistiques qu’on pourrait en donner. La musique déploie des réseaux de connotations qui ne peuvent se réduire à une lecture univoque. Et ce point s’applique non seulement à la musique tonale, mais aussi aux musiques post-tonales. De fait, de par son ambigüité, sa polysémie, la musique sollicite souvent une réponse interprétative de la part de l’auditeur. Comme le remarque Imberty :

« D’une façon plus générale, le sens n’est jamais celui d’une réalité dénotée, mais il est toujours celui de cette réalité rapportée au vécu de celui qui la perçoit, il est présence irrécusable pour-soi dans une chaîne indéfinie d’interprétation »22.

Spécificité expressive des musiques post-tonales

8Malgré ce caractère polysémique, la musique tonale a pourtant souvent cherché à dire, à expliciter. À cet égard, elle a tenté de se rapprocher, à divers degrés, du modèle langagier, à travers son caractère linéaire et discursif, son phrasé, ses respirations, ses ponctuations. Et surtout elle a développé un large vocabulaire de formules codifiées, de topiques, favorisant la transmission interpersonnelle de certaines intentions expressives. Ces formules expressives permettaient dans une certaine mesure de circonscrire une partie de la prolifération des connotations et de limiter la pluralité des interprétations personnelles. Mais cette approche langagière a parfois été vue comme un enfermement aux yeux des compositeurs modernes. La tradition tendait à réduire ces figures à des rôles expressifs stéréotypés et prédéterminés par certaines conventions socioculturelles qui poussaient souvent le compositeur à s’y conformer pour pouvoir communiquer certaines de ses intentions. Bon nombre de musiques post-tonales ont cherché, au contraire, à remettre en cause cette approche pour libérer le matériau musical de ces codifications et en extérioriser un nouveau potentiel expressif. Xenakis expliquait à ce propos :

« Au XIXe siècle il y avait un langage formé, codifié. Un rythme signifiait la gaité. Un rythme de pas cadencé avec chœur, c’était un hymne funèbre pour Victor Hugo, etc. Il y avait des conventions sociales, ces conventions ont sauté, elles n’ont pas été remplacées. Par conséquent la sensibilité n’a plus de conventions pour s’exprimer. Elle s’exprime d’une autre façon, et elle est sensible puisqu’elle s’exprime »23.

9Toutefois ces conventions n’ont pas toujours été totalement évacuées. Dans certains cas, cette remise en cause se traduit plutôt par une rupture avec un usage ritualisé de certaines conventions expressives en vue de les libérer des stylisations propres aux formules tonales pour en révéler et décupler leur potentiel expressif. C’est le cas de l’école de Vienne par exemple. Celle-ci conserve le rôle traditionnel attaché à la dissonance, mais en décuple la violence en la libérant des conventions et des mécanismes tonals24. Il faut également noter que les musiques comme le dodécaphonisme et ou le sérialisme préservent aussi une certaine approche discursive et linéaire qui les rapproche encore du modèle langagier. D’autres musiques, en revanche, ont rompu de façon plus radicale avec ce modèle. Elles cherchent à déjouer les stratégies discursives et téléologiques du déroulement musical au profit d’une approche spatiale, fragmentée, multidirectionnelle qui neutralise toute lecture linéaire qui apparenterait la musique à un discours ou à un récit. Plutôt que de se présenter comme un discours, elles cherchent à immerger l’auditeur dans une expérience du sensible. Elles se soustraient à cette approche quasi-lexicale en employant des matériaux étrangers aux codifications tonales (le bruit, la synthèse du son, les micro-intervalles, la recherche de textures ou encore l’exploration de la dimension du timbre). Dans d’autres cas elle tend à déjouer les relations signifiantes traditionnelles à travers de nouvelles organisations sonores (Emploi de nouvelles techniques d’écriture, pulvérisation de la matière sonore, spatialisation, emploi de structures harmoniques non classées).

10C’est cette remise en cause des codifications établies qui a certainement favorisé l’image d’une musique formaliste et anti-expressive. On a souvent essayé d’appréhender la dimension expressive de ces musiques à la lumière des repères traditionnels. Or une telle démarche conduit fatalement à conclure que ces musiques sont incompréhensibles. Face à cette incompréhension, certains auteurs traditionnalistes comme Deryck Cooke25 ou Peter Kivy26 ont, entre autres, émis l’hypothèse que certaines de ces musiques réinstauraient peut-être de nouveaux codes ou un nouveau vocabulaire qui échappait encore au public. Il n’en est rien. La démarche de ces musiques procède rarement d’une volonté de remettre en cause des codes pour en établir de nouveaux, mais bien de libérer le sens de la codification pour favoriser une lecture intuitive et sensible. Pour ces musiques, la libération des codes a permis de redéployer le sens dans toute sa pluralité, renforçant ainsi le potentiel multidirectionnel des lectures. Ces musiques instaurent une plus grande interaction avec l’auditeur dans l’interprétation des métaphores musicales. Les œuvres contemporaines se présentent souvent comme des énigmes, comme des hiéroglyphes porteurs d’un sens réel mais qui, en même temps, se dérobe aux lectures univoques. C’est en cela qu’une grande partie de la musique contemporaine s’écarte de la logique langagière basée sur des conventions quasi-lexicales. Pour Xenakis, par exemple,

« La musique n’est pas une langue. Toute pièce musicale est comme un rocher de forme complexe avec des stries et des dessins gravés dessus et dedans que les hommes peuvent déchiffrer de mille manières sans qu’aucune soit la meilleure ou la plus vraie. En vertu de cette multiple exégèse, la musique suscite toutes sortes de fantasmagories, tel un cristal catalyseur »27.

Perspectives d’approche

11Afin d’aborder les particularités de leur approche expressive, on proposera ici d’examiner la démarche de ces musiques par rapport aux questions du descriptivisme, de l’expression des affects, ainsi que de la dimension sociale et politique. Précisons que la diversité de ces esthétiques musicales ne permet pas de rendre compte de façon exhaustive de toutes les approches expressives. On essaiera simplement de dégager quelques aspects caractéristiques.

Descriptivisme traditionnel et nouveau naturalisme

12L’approche descriptiviste s’est plutôt raréfiée dans la musique contemporaine. Les procédés traditionnels qui y ont recours sont souvent jugés superficiels, peu réalistes et par trop limitatifs. On aurait pourtant pu croire que les musiques concrète et électroacoustique allaient justement révolutionner l’approche descriptiviste et ouvrir de nouvelles perspectives, au vu de l’essor des techniques d’enregistrement qui permettent désormais de reproduire fidèlement des sons du réel28. De tels moyens auraient virtuellement permis de dépasser la pratique traditionnelle des imitations figuratives : avec des reproductions directes, de telles musiques auraient pu générer des œuvres avec un réalisme inégalé en utilisant directement les sons empruntés à la nature. Pourtant dans la pratique, ce fut peu le cas. Comme on le sait, dès ses débuts, la musique concrète et électroacoustique s’est employée, au contraire, à se distancier le plus souvent du contexte d’où elle puisait son matériau29. Bien qu’il y ait pu avoir un certain nombre de tentatives cherchant à créer des œuvres descriptives à partir de sons directement empruntés (exemple la fameuse série des Presque rien ou Music Promenade de Luc Ferrari) une telle approche est, somme toute, plutôt rare. Les sons par eux-mêmes sont peu indicatifs du cadre dans lesquels ils ont été recueillis. Comme le soulignait Michel Chion, un son spécifique ne peut reproduire à lui seul l’ensemble d’une scène visualisée.

« Le son d’un événement raconte mal ce dernier, ou de manière confuse, illisible et peu expressive. Même les bruits de phénomènes naturels élémentaires comme la mer ou le vent, réduits à eux-mêmes et écoutés après coup par la membrane d’un haut-parleur, ne transmettent pas grand chose de ce qu’on a cru qu’ils pouvaient exprimer lorsqu’on était présent à la circonstance de leur enregistrement, avec sous les yeux le décor où ils résonnaient »30.

13Aussi est-il plutôt rare que des compositeurs utilisent des reproductions directes pour renvoyer à leurs sources. En revanche, certains ont pu écrire des pièces avec un argument plus ou moins descriptif mais en s’appuyant sur des sons retravaillés qui ne sont plus identifiables par rapport à leur sources mais pour leur texture et autres qualités sonores ou synthétiques. Michel Chion remarque :

« Les sons “éoliens” ou “telluriques” qu’on entend en effet dans les œuvres de Pierre Henry (Le Voyage, 1962), de Bernard Parmegiani, né en 1927 (Capture éphémère, 1969 ; L’Enfer de la Divine Comédie, 1972), de François Bayle, né en 1932 (Aéroformes, 1985), de Patrick Ascione, d’Annette Vande Gorne ou de Christian Zanési (Profil Désir, 1990), ne sont pratiquement jamais issus d’enregistrements d’un vent ou d’un tremblement de terre « réels ». Quel est alors, dans le champ du tableau musical, la supériorité de la musique concrète sur les techniques traditionnelles ? Elle est de permettre au compositeur de contrôler, en les fixant, les moindres détails du son, au niveau de sa micro-texture et de ses plus fines évolutions, celles qui donnent le grain du concret et la sensation de la vie »31.

14Il est vrai qu’un grand nombre d’exemples attestent encore de nos jours d’un recours à un certain descriptivisme dans le domaine de la musique électroacoustique notamment, des figures comme Pierre Henry, François Bayle ou Chion lui-même, en sont de parfaits exemples. Mais le descriptivisme dans son sens traditionnel semble une stratégie expressive qui s’est largement raréfiée au sein de la musique contemporaine. C’est peut-être un des aspects qui a été le plus rejeté. Mais cela ne veut pas pour autant dire que les références naturalistes ont été évacuées dans la musique, bien au contraire.

15Bon nombre de musiques (Varèse, Xenakis, Mâche, Ligeti, Stockhausen, Grisey notamment) vont s’orienter vers un naturalisme d’une nouvelle sorte qui tend à dépasser et redéfinir la notion classique d’expressivité. Cette approche se distancie, en effet, de toute logique de langage, de communication d’un message, mais développe au contraire une conception d’une expressivité plus directe, non médiate. Pour comprendre cette approche, il faut d’abord examiner la démarche compositionnelle dans laquelle elle s’inscrit. Ces musiques tendent à redéfinir la façon d’aborder ces modèles d’inspiration (la nature, le cosmos, les phénomènes physiques, le son, etc…). Plutôt que de chercher à renvoyer à ces modèles à travers divers artifices figuralistes inspirés de la perception des sens, la musique va chercher à les intégrer directement dans son système d’écriture, dans sa structure. Des compositeurs comme Xenakis ou Mâche, par exemple, ne partent pas d’un langage harmonique prédéterminé, leur technique de composition s’organise directement à partir de ces référents naturels, physiques32. Plutôt que de renvoyer à une représentation par un processus indirect, la musique intègre en elle les structures auxquelles elle se réfère. C’est le modèle naturel qui va directement servir de « grammaire » compositionnelle. Ce type d’écriture prend pour modèle les modes d’organisation naturels pour structurer sa forme et par là-même son contenu musical. En d’autres termes, il s’opère ici une fusion entre l’œuvre musicale et la nature dont elle s’inspire.

16La musique tonale abordait la description de la nature un peu à la façon dont la conscience appréhende le monde environnant à travers l’expérience des sens visuel et auditif (l’image d’une scène, le chant d’animaux, le mouvement des vagues, les différents types d’ondoiement). Dans le cas de ces musiques, au contraire, il ne s’agit plus de se référer à des détails anecdotiques. Ces musiques s’intéressent à ces modèles dans leur essence, dans leurs schémas opératoires, leurs processus d’organisation, d’évolution, de répartition, de densité – des aspects qui ne sont pas toujours directement accessibles aux sens. Ces musiques abordent la nature sous l’angle de l’abstraction, souvent à travers la théorie des probabilités, certaines lois de la physique ou encore à travers l’observation de certains comportements zoologiques. Elle n’invite pas à se représenter intellectuellement une scène, elle fait vivre la nature directement en immergeant l’auditeur dans ses processus et son essence. L’apparent figuralisme ne vise donc pas à représenter un phénomène naturel dont il s’inspire. Outre le but esthétique qui vise à déduire de nouvelles structures, il y a une volonté de révéler musicalement non le phénomène naturel lui-même, mais l’essence de ce phénomène dans toute son universalité et d’immerger l’auditeur. C’est un aspect tout particulièrement caractéristique de Xenakis. Comme l’explique Makis Solomos :

« L’apparence figuraliste, descriptive, que peuvent prendre ses œuvres musicales —ici, des cigales, là, des tempêtes— n’est qu’un prétexte : comme dans le baroque (Vivaldi), le compositeur feint d’imiter pour en fait inventer des sonorités nouvelles. De la sorte, l’accent est mis non sur le référent, sur la chose absente, mais sur une totale présence : les sonorités xenakiennes s’adressent aux sens, même si, pour ce faire, elles passent par le semblant d’évocation. La musique de Xenakis fait éclater les cadres de la représentation. De nombreux auditeurs ont une réaction pudique face à ses œuvres, réaction qu’ils occultent en les décrétant simplistes parce qu’elles “évoqueraient” trop facilement des phénomènes naturels. Or, cette gêne provient précisément du fait que ceux-ci ne sont pas évoqués, figurés, représentés, mais que, d’une manière incongrue, ils ont, en quelque sorte, fait irruption dans la musique ! »33

Expression des affects et au-delà

17L’expression d’états affectifs a aussi été relativement mise à mal dans la musique contemporaine. Cette attitude s’explique par une volonté de se distancier de certaines tendances subjectivistes du Romantisme, qui plaçaient le compositeur en tant qu’orateur délivrant un message d’inspiration métaphysique34. Le compositeur André Boucourechliev est d’ailleurs sans appel sur cette question : « Que nous importent les affects du compositeur (qui, comme dirait Barthes, n’est jamais qu’un “monsieur”) ? » Selon lui, le vécu d’un sentiment est une expérience vécue par tout à chacun, il ne lui paraît pas utile de s’intéresser à ceux d’un compositeur, à moins de considérer les sentiments de ces compositeurs comme supérieurs, « ce qui peut mener, en toute innocence, à un fascisme esthétique, dit-il, du moins à un culte de la personnalité qui, en tout cas, n’a rien à voir avec le musical »35.

18Mais la dimension affective n’a pas forcément été entièrement écartée en réalité. L’expressionnisme, par exemple, est directement descendant des conceptions du Romantisme. À cet égard, l’expression des affects est même souvent un élément essentiel dans ce type de musique. Toutefois cette musique se distancie de certaines conceptions tonales de l’émotion. Bien que ce type de musique préserve encore une part de tradition à travers le rôle expressif joué par la dissonance et le chromatisme, il y a un rejet de la tendance tonale à styliser l’émotion et à diluer la force des émotions exprimées, en les subordonnants à des conventions strictes36. Ce qui différencie ce type de musique dans la démarche, c’est qu’elle libère son matériau de la mesure imposée par le fonctionnalisme tonal : l’émotion n’est plus tenue de s’assujettir aux ponctuations de la grammaire tonale, ni aux résolutions des dissonances sur une consonance « apaisée » – comme si l’émotion se devait d’être contenue, conformément à une certaine idée de la noblesse du sentiment. Au contraire, cette libération permet, selon Adorno et Eisler, de plus grandes nuances dans l’expression des affects37.

19Chez Schönberg, par exemple, le côté morbide, violent et angoissé de sa musique, ne doit-il pas pour beaucoup à l’émancipation de la dissonance dans le discours musical ? Dissonance qui, traditionnellement, a pour fonction expressive d’évoquer tension, souffrance, tourment, etc… La différence par rapport à la musique tonale c’est que les règles de la « bienséance » tonale exigent généralement que la dite tension soit apaisée sur une consonance. Mais c’est exactement là que Schönberg, obtient ses effets, en rejetant la résolution de la dissonance. Il ne fait que « surdramatiser » le rôle de la dissonance, conformément à la fonction qu’elle occupait dans le système tonal, qui, si elle n’est pas apaisée, en devient plus violente. Comme le remarquent Adorno et Eisler :

 « Si pour sa part la musique classique garde toujours une certaine mesure dans l’expression de la tristesse, de la souffrance et de la peur, le nouveau style, lui tend à la démesure. À la tristesse peut s’y muer en désespoir atroce, le calme en rigidité de glace, la peur en panique. D’un autre côté la nouvelle musique est apte également à exprimer l’inexpressivité, le calme, l’indifférence et l’apathie, et cela d’une manière dont la musique traditionnelle est incapable »38.

20On retrouve aussi cette dimension de la souffrance, de l’angoisse, de la plainte chez de nombreux autres compositeurs modernes. Le caractère violent ou lugubre des clusters dans certaines pièces orchestrales de Xenakis, de Penderecki, de Ligeti ou encore les gémissements des voix dans les pièces comme Nuits de Xenakis ou Ricorda Cosa Ti Hanno Fatto in Auschwitz de Nono, par exemple, comportent indéniablement une part d’affect lié à l’angoisse, à la peur, à l’horreur, à la souffrance. Cette dimension de l’affect ne se présente plus forcement comme l’expression d’un ressenti, d’un message ou d’une vision métaphysique de la part du compositeur. Elle cherche d’une façon plus générale à faire écho à une part de la condition tragique de l’être humain. À cet égard, c’est moins la dimension affective, que la perspective subjectiviste par laquelle elle est abordée dans la musique traditionnelle qui est évacuée. Chez Xenakis, cette dimension humaine passe par le filtre d’une abstraction qui la rattache à la nature. Cette violence, selon lui, fait parti de notre quotidien et est, d’une façon plus générale, une composante de la nature39.

21En somme, quand la musique contemporaine aborde l’expression d’émotions, elle cherche généralement à s’écarter des formules qui tendent à l’enfermer dans une expression stylisée et convenue pour en libérer une expression crue, indomptée. L’émotion n’est plus présentée à travers le vernis social, elle est mise à nue. Pour Adorno, l’expression doit être « le visage plaintif de l’art »40. Elle doit être l’extériorisation de la souffrance de l’individu broyé par la société41. Ceci dit certains ont pu aussi aborder l’expression sous un angle plus hédonique à l’instar d’une pièce comme Sequenza III de Berio ou Le marteau sans maître de Boulez. À cet égard, on note la façon dont ces tendances renouvellent l’approche expressive des émotions à travers la voix. Si la musique contemporaine s’est souvent distanciée de l’approche langagière, la parole humaine dans sa dimension paralinguistique reste, en revanche, un des modèles privilégiés dans le domaine expressif. Dans de nombreuses œuvres de musiques contemporaines que ce soit chez Schönberg, Berio, Nono, Xenakis, Mâche, Varèse, Scelsi, Henry, Dusapin, Ligeti, Ohana ou encore Grisey. L’utilisation du modèle intonatif de la voix à des fins expressives n’est pas nouvelle en soi. On sait quel impact ce modèle a pu avoir dans les théories de la Camerata de Bardi, par exemple. Mais là où la musique traditionnelle exploitait principalement les dimensions du contour mélodique, du rythme ou encore des articulations, la musique contemporaine va aussi exploiter un certain nombre d’aspects de la voix jusqu’à lors relativement ignorés, notamment tous les paramètres « parasites » de la voix comme les claquements, les cris, les raclements de la langue, mais aussi les différents types de résonance de la voix. Là, où la musique traditionnelle exploitait exclusivement le caractère « noble » de la voix, la musique va exploiter la crudité vocale de la parole. Cette dimension renvoie à une part primaire de la composante affective dans son extériorisation comportementale – une dimension qui n’est pas encore domptée par les conventions sociales. À certains égards, le modèle de la voix et de la dimension infralinguistique en tant que matériau musical n’est jamais rien d’autre qu’une façon d’invoquer le cri animal primal de l’homme. Si des compositeurs comme Mâche, prennent la parole et les langues comme modèle c’est qu’ils invoquent à travers elle la part animale et naturelle qui subsiste à travers elles42. En ce sens, ce type d’approche dépasse le clivage traditionnel entre descriptivisme et sentimentalisme.

22On pourrait aussi aborder la question de l’affect dans ces musiques sous un angle psychanalytique. On l’a dit, ces musiques, lorsqu’elles abordent les affects, tendent souvent à rejeter une certaine bienséance, une certaine idée de noblesse et de retenue, pour les présenter dans ses aspects les plus crus. Cette libération peut être interprétée à certains égards comme l’extériorisation d’aspects plus profonds, de l’ordre de l’inconscient. On évoquait précédemment qu’une partie non négligeable de la musique contemporaine était souvent centrée sur l’expression de caractères violents, angoissés, paniques, morbides en tant qu’aspects récurrents. L’expression de ces affects semble assumer ici une fonction cathartique au sens psychanalytique du terme comme le suggère Adorno :

« L’aspect véritablement nouveau, c’est le changement de fonction de l’expression musicale. Il ne s’agit plus de passions feintes, mais on enregistre dans le médium de la musique, des mouvements de l’inconscient réels et non déguisés, des chocs, des traumas. Ils attaquent les tabous de la forme, qui soumettent de tels mouvements à leur censure, les rationalisent et les transposent en image. Les innovations formelles de Schönberg étaient apparentées au changement du contenu expressif dont elles servent à faire percer la réalité. Les premières œuvres atonales sont des procès-verbaux, au sens où en psychanalyse on parlerait de procès verbaux de rêves […] Les vestiges de cette révolution sont ces taches qui se fixent au même titre en peinture qu’en musique contre la volonté de l’auteur, comme autant de messagers du ça, troublant la surface sans pouvoir être effacées »43.

23Afin de clarifier notre propos ici, peut-être convient-il de rappeler certains éléments de la pensée freudienne. On sait que Freud dans sa seconde topique (1920-23) distingue dans l’appareil psychique trois instances le ça, le moi, le surmoi. Le ça est le pôle pulsionnel de la personnalité et le réservoir premier de l’énergie psychique. Son but est l’assouvissement des pulsions. C’est aussi en quelque sorte un chaudron où bouillonnent tous les désirs refoulés. Le surmoi, ou idéal du moi, est l’instance qui internalise les lois morales et joue plus ou moins le rôle de juge et de censeur à l’égard du moi. Le surmoi peut rentrer en conflit avec le ça, s’il juge les pulsions inacceptables qui en émanent, au regard des valeurs et lois morales intégrées44.

24Le moi est l’instance de la personnalité qui se pose en représentant des intérêts de la totalité de la personne et fonctionne en tant que médiateur entre les impératifs du monde extérieur, mais aussi ceux du ça et du surmoi. Néanmoins le moi prend généralement le parti du surmoi. Il met en jeu un certain nombre de mécanismes de défense motivés par la perception d’affects déplaisants. Lorsque des pulsions ou des traumas, ainsi que les affects qui y sont liés, sont jugés inacceptables et/ou sources d’anxiété, elles font l’objet d’une censure et sont refoulés dans l’inconscient45. Si le refoulé reste dans l’inconscient, il continue à manifester des signes à travers les lapsus, les actes manqués, les rêves et les conduites pathologiques. Un des processus sur lequel s’appuie la psychanalyse est le principe de catharsis qui permet de se libérer de ces troubles à travers un retour en conscience du refoulé. Les affects qui n’ont pas trouvé la voix de la décharge restent en quelque sorte « coincés » et exercent des effets pathogènes. La catharsis se présente donc comme un phénomène thérapeutique qui amène à la décharge des affects pathogènes46. Il semble que quand la musique s’est affranchie de la tonalité, elle a fait sauter une barrière qui a permis d’extérioriser certains affects refoulés dans l’inconscient. Elle extériorise des affects liés à des traumas ou à des pulsions refoulées liées notamment à Thanatos47. On rejoint d’une certaine façon ce que David Lidov observait à propos de l’expressionisme viennois :

« Les harmonies flottantes et irrationnelles ont la forme et le tempo des associations libres, au sens psychanalytique, ces images subliminales d’une part inconsciente qui ne sont accessibles que lorsque nous sommes en condition de relâchement des inhibitions du contrôle rationnel »48.

25On pourrait rapprocher aussi nos remarques de ce que Jean-Paul Olive évoquait :

« Tout un pan de la musique moderne semble avoir résolument voulu mettre sa technique virtuose au service d’un son déchirant, c’est-à-dire qui, littéralement, déchire les codes les plus élémentaires de ce qui bâtissait le discours langagier, comme attiré par les couches anciennes ensevelies, un souvenir d’une nature refoulée »49.

26Il ne s’agit plus d’affects simulés, dans le sens où la musique appliquait, d’autres figures affectives archétypales prédéfinies. Ces affects exprimés dans la musique sont les réminiscences directes d’états affectifs réels. C’est ce qu’Adorno observait à propos de Schönberg :

« Les conflits instinctuels – la musique de Schönberg ne laisse pas de doute sur le caractère sexuel de leur genèse – ont acquis dans la musique protocolaire une puissance qui lui interdit de les amortir dans le réconfort. Dans l’expression de l’angoisse, « comme pressentiment », la musique de la phase expressionniste de Schönberg rend compte de l’impuissance. L’héroïne du monodrame Erwartung, c’est une femme qui, la nuit, en proie à l’épouvante des ténèbres, cherche son amant, pour finalement le trouver assassiné. Elle est livrée à la musique en quelque sorte comme une patiente à un traitement psychanalytique. On lui arrache l’aveu de sa haine, de son désir, de sa jalousie et du pardon qu’elle accorde, et par surcroît, tout le symbolisme de l’inconscient »50.

27C’est peut-être une des raisons pour lesquelles la musique contemporaine peut parfois apparaître comme un univers autistique renfermé sur lui-même. Cette musique n’apparaît pas comme une expression vers autrui, elle renvoie plutôt chez chacun à une dimension narcissique enfouie. C’est en ce sens que l’expressivité musicale n’est pas envisagée comme un moyen de communication, comme un medium délivrant un message, mais plutôt comme un moyen d’exprimer, de révéler des traumas. Le fait que la musique puisse se révéler sous un angle cathartique ne veut pas dire qu’elle se désolidarise de toute considération esthétique ou artistique.

28Imberty considère aussi que la désintégration de la fonction linéaire et narrative du temps dans la modernité est liée à Thanatos, c’est-à-dire aux pulsions de mort dans la théorie freudienne. C’est-à-dire une catégorie de pulsions qui concourent contre les pulsions de vie (Eros) et qui tendent à la réduction complète des tensions psychiques. Il s’agit de pulsions de destruction (qui peuvent être dirigées contre soi (se manifestent par la mélancolie, l’anxiété ou un sentiment de culpabilité) ou contre autrui (pulsions d’agressivité)51. Il oppose cette conception du temps à celui du romantisme qui favorise au contraire la linéarité et le devenir, et constitue l’expression des pulsions d’Eros.

« Le vouloir vivre schopenhauerien comme le temps musical wagnérien sont l’expression de cette ambivalence permanente du désir sans cesse renouvelé et prolongé dans le temps et la durée, […] Le temps romantique, et au-delà, toute forme de continuité et d’ambivalence temporelle dont la musique de la fin du XXe siècle aura pu hériter, est le temps d’Eros. À l’encontre poursuit Freud, “le but de l’autre instinct est de briser tous les rapports, donc de détruire toute chose”. Voici donc le ressort inconscient de l’esthétique de la déconstruction : Thanatos détruit les liens pour supprimer toute ambivalence, mais aussi toute temporalité. Thanatos sépare fragmente, émiette, disperse, anéantit. Le résultat en est que le sentiment même de la durée, du temps, qui passe et conduit vers un terme ultime (fin de l’œuvre, fin de la vie) disparaît totalement, et avec lui, la nécessité, tant esthésique que poïetique, d’un parcours, d’une trajectoire tendant à clore la forme dans sa totalité. Au devenir wagnerien s’oppose ainsi l’instant debussyste […]. Mais la tendance s’accentue encore avec Varèse, d’une part, le multi-sérialisme d’autre part : en place du temps, l’œuvre suggère un espace de sons, de timbres, où, dans le jeu complexe des raffinements de durées infinitésimal démultipliées jusqu’à l’excès, se crée une alternance aléatoire de l’apparition et de la disparition, constitutive d’un espace temps où se succèdent les sensations brutes, sans liens, sans transition ni passage, où les lois du contraste et de l’opposition dictent l’émiettement de la durée et du devenir. Ce temps qui ne passe pas, ce temps qui ne dure pas et n’est plus orienté de son passé vers un futur imaginable, c’est le temps de Thanatos, un temps mort dont le sens est le non sens, l’innomé et l’innommable »52.

29Si la manifestation de Thanatos est un l’un des aspects prégnants de la musique contemporaine, il nous semble malgré tout qu’Eros53 n’en est pas exclu pour autant. Le caractère érotique latent de nombreuses pièces indiquent de façon manifeste que les pulsions liées à Eros sont aussi à l’œuvre. C’est notamment le cas de pièces comme de Sequenza III et Visage de Berio, Les chants de l’amour de Grisey, la séquence « Erotica » de la Symphonie pour un seul homme de Pierre Henry et Pierre Schaffer, ou encore Erosphere de Bayle.

30D’une façon moins évidente, il nous semble aussi qu’Eros est à l’œuvre dans le rapport que de nombreuses musiques entretiennent avec la dimension du continu. En effet, si la musique contemporaine se caractérise dans son ensemble par une tendance à la déconstruction et à la discontinuité, il serait faux de ne la réduire qu’à cela. La dimension du continu reste aussi un enjeu de la musique contemporaine. Cet aspect est particulièrement marquant dans les recherches sur le continuum sonore, notamment dans les musiques ultrachromatiques54 mais aussi dans les musiques électroniques. Certains compositeurs microtonals comme Ivan Wyschnegradsy55 ou Pascale Criton56 dans leur musique ont cherché à embrasser, chacun à sa manière, la totalité du continuum sonore par le biais d’échelles microtempérées. Ces échelles ont pour particularité de redéfinir la perception du continu et du discontinu. Bien que par nature discontinue, elles tendent, en effet, à embrasser, en termes de perception, la dimension du continu. C’est particulièrement marquant dans le cas d’échelles à forte densité comme les tempéraments en douzième ou seizième de ton, par exemple, où les intervalles sont si petits que les progressions de degrés conjoints sont pratiquement imperceptibles à l’oreille et créent une impression de progression continue à la place57. L’emploi de glissandi dans des œuvres comme Metastasis ou Mikka de Xenakis, relèvent aussi de la dimension du continu. L’utilisation de la sirène dans les œuvres de Varèse comme Amériques ou Ionisation, relève également d’une exploitation de la dimension du continu. La musique électronique redéfinit aussi l’approche du continu et du discontinu, car elle n’est plus nécessairement dépendante d’une échelle discontinue de hauteurs. Par ailleurs, des techniques comme la synthèse granulaire, caractéristique de compositeurs comme Vaggione ou Di Scipio redéfinissent aussi la perception des événements sonores perceptibles par l’oreille. Ce type de technique organise les événements sonores dans des tranches de temps infimes inférieures à la milliseconde58. L’oreille, à l’instar des échelles microtonales à forte densité, n’est ici plus en mesure de discriminer les unités constitutives d’un tel matériau et perçoit à la place une texture granuleuse globale. Ce type de texture construit précisément du continu avec du discontinu. Ces quelques exemples montrent bien que la musique contemporaine ne se caractérise pas seulement par une exploration de la discontinuité, mais aussi de la continuité. Si la tendance à la déconstruction semble relever de la logique destructive de Thanatos, les approches embrassant la dimension du continu, en ce qu’elles maintiennent un lien continu, nous paraissent à l’inverse relever d’Eros. La musique contemporaine semble, d’une façon générale, se caractériser par une dialectique du continu et discontinu, qui sont, selon nous, la manifestation de la dualité et de l’ambivalence des pulsions liées à Thanatos et Eros.

Connotations sociopolitiques

31Au-delà des aspects que nous venons d’examiner, la question expressive dans ces musiques est également liée à un contenu sociopolitique. Précisons qu’on ne parle pas ici du programme ou du thème d’inspiration qui pourrait servir d’argument et d’ancrage à une œuvre, mais bien du contenu musical lui-même59. On aborde ici un aspect que de nombreux travaux dans le domaine de la philosophie et de la musicologie critique ont cherché à mettre en lumière, à savoir l’idée que la musique est porteuse, à divers niveaux, de significations sociopolitiques sous-jacentes – des significations qui sont intimement liées à l’environnement historique et social dans lequel elle s’inscrit60. En effet, la musique, comme les autres arts, s’insère dans un contexte social donné qui conditionne ses modes de production et ses valeurs esthétiques61. Pour Adorno, le matériau musical, en tant que sédimentation historique, est par conséquent le reflet direct du contexte sociohistorique62. Lorsque le compositeur écrit, il se réfère, consciemment ou non, à certains canons, à certains usages prédéfinis. Il fait appel à des éléments intertextuels propres à sa culture et aux valeurs de sa société. Comme l’explique Robert Winston Witkin :

 « Le compositeur hérite des moyens de construction musicale développés par le passé – sa “grammaire”, son “lexique”, sa tonalité, son tempérament, ses principes de progressions harmoniques et tous les moyens formels. Ceux-ci s’inscrivent dans l’histoire de la subjectivité. Ce sont les résidus congelés d’une subjectivité du passé »63.

32De fait, la pensée esthétique et musicale est contrainte parce que l’artiste, explique Michel De Coster, s’inspire nécessairement nolens volens de formes préétablies qui conditionnent sa liberté de choix64. Comme l’a exposé Adorno, le matériau musical, de par sa prédétermination historique, tend à s’autonomiser et à n’obéir qu’à ses propres lois et donc à imprimer ses exigences au compositeur.

« Les exigences du matériau à l’égard du sujet proviennent […] du fait que le “matériau” lui-même, c’est de l’esprit sédimenté, quelque chose de socialement préformé à travers la conscience des hommes. […] Ayant la même origine que le processus social et constamment imprégné de ses traces, ce qui semble simple automouvement du matériau évolue dans le même sens que la société réelle […]. C’est pourquoi, la confrontation du compositeur avec le matériau est aussi confrontation avec la société, précisément dans la mesure où celle-ci a pénétré dans l’œuvre et ne s’oppose pas à la production artistique comme un élément purement extérieur et hétéronome, comme consommateur ou contradicteur »65.

33Cette sédimentation historique conditionne aussi la dimension expressive traditionnelle. Une œuvre tonale est généralement bâtie sur des formulations et des normes expressives historiquement préétablies et souvent indépendantes de la subjectivité du compositeur66. Le compositeur réutilise les codes et les conventions expressives préexistantes. Or ces usages se sont établis progressivement au cours de l’histoire en suivant les dynamiques idéologiques qui sous-tendent l’organisation sociétale. En ce sens, l’utilisation de ces conventions, est moins l’expression de la sensibilité du compositeur, que celle de la société. Les modes d’expression constituent donc aussi un reflet des structures et rapports sociaux qui se jouent. La nature du contenu expressif est intimement liée à certaines connotations immanentes à la structuration de la musique et des techniques employées. Non seulement la nature du message peut être chargée de connotations implicites, mais le choix même des modes d’expression peut être chargée d’implications diverses qui peuvent influer sur la nature du contenu. Tous ces éléments se présentent non pas comme des messages ouvertement explicités, mais plutôt comme de potentiels indices souvent cryptés. En ce sens, la musique s’apparente à un discours qui reproduit certaines valeurs sociétales et idéologiques. Elle est imprégnée de connotations qui s’avèrent tout autant de manifestations du contexte sociopolitique dans lequel elle s’inscrit.

34La démarche esthétique de la modernité procède justement d’une prise de conscience de la teneur et la prédétermination idéologique du matériau et des modes d’expression qui y sont liés. De fait, elle s’est souvent construite en réaction à ce phénomène67. C’est en cela que Theodor Adorno assigne à la musique nouvelle un rôle critique vis-à-vis de la société. Confronter le contenu idéologique latent du matériau, c’est se confronter aux normes établies et par là-même à la société. Cette position critique part du constat que la société capitaliste, dans sa phase tardive, s’est acheminée vers une organisation déshumanisée essentiellement basée sur la valeur marchande. Comme l’explique Michel De Coster :

« Le caractère unique de l’œuvre d’art et le potentiel subversif du contre-discours qui contribue à définir son essence sont altérés, selon la théorie critique, par l’exploitation capitaliste. Non contente d’aliéner l’homme au travail celle-ci étend son entreprise d’asservissement à l’activité artistique par l’entremise de l’industrie culturelle. N’ayant en vue que le profit et son accumulation, indépendamment des besoins des individus, elle fait basculer dans le domaine des loisirs, les biens artistiques pour les rendre plus facilement commerçables, sous le couvert d’une démocratisation culturelle. Dans ces conditions, la finalité “authentiquement” culturelle qui vise notamment à l’éducation de l’esprit, s’atrophie au profit des fonctions délassantes et divertissantes du loisir, dénaturant la production artistique par un processus de “désublimation” esthétique »68.

35Pour Adorno, cette industrie concourt à une uniformisation des modes de vie et va à l’encontre de l’émancipation et de l’autonomie de l’individu. Cette uniformisation se répercute au niveau mêmes des structures musicales et de l’écoute de l’auditeur. Cet assujettissement au principe de rendement pervertit, en conséquence, la fonction de l’art. Pour Adorno, en assujettissant l’art au principe de rendement, il devient dès lors,

« […] un simple exposant de la société, et non pas un ferment de sa transformation. Par là est approuvé cette évolution de la conscience bourgeoise, qui rabaisse tout création spirituelle au niveau d’une simple fonction, au niveau de quelque chose qui existe seulement pour autre chose, pour en fait finalement un article de consommation »69.

36Selon lui, la musique nouvelle doit donc s’affranchir des tendances historiques et sociales propres au matériau mais aussi des structures qui favorisent sa récupération commerciale. Elle doit se soustraire aux canons, aux usages et aux conventions établies en appliquant un contrôle total des paramètres musicaux70. En libérant le matériau de ces tendances historiques,

« […] tout se passe comme si la musique s’était arrachée à la dernière et présumée contrainte naturelle, qu’exerce sa matière, comme si elle était capable de dominer cette matière librement, consciemment et avec lucidité. Le compositeur s’est émancipé en même temps que les sons »71.

37Cette démarche permettrait de libérer l’expression subjective. L’artiste n’est plus contraint de se référer aux codes communicationnels préétablis qui conditionnent l’expression. Comme l’explique Alastair Williams, il s’agit de subsumer la subjectivité dans l’objectivité du matériau, de sorte qu’en agissant comme un filtre, le matériau empêche l’expression d’émerger sous une forme standardisée72.

38L’art moderne se veut donc une révolte contre l’uniformisation et la standardisation des normes sociales qui engendrent l’aliénation. C’est par la transgression et la négation des normes esthétiques que la musique moderne cherche à s’exprimer et à libérer la subjectivité des tendances prédéterminées du matériau. C’est dans la transgression qu’elle se soustrait aux récupérations idéologiques et au processus de réification de l’art.Comme l’explique Françoise Escal :

« Toute transgression, tout refus du système, en ce qu’il fait prendre conscience à l’auditeur de ce système comme élaboration secondaire et idéologique remplirait une fonction critique. Ainsi, pour tout un corps de recherches musicales actuelles, comme déjà pour Schoenberg, il s’agit, en refusant le système tonal et ses suites, de refuser aussi bien l’ordre social existant. En déconstruisant les principes et les niveaux du discours musical traditionnel, de refuser l’idéologie de l’éternel retour. D’où, dans la musique contemporaine de ces dernières années, la recherche du discontinu, du fragment, de l’informel, de l’événement, dans des improvisations non directionnelles ou de productions athématique, faites d’accords fragiles, de sons, de couleurs ou de rythmes isolés, “débris d’œuvres”, et “œuvres en débris” »73.

39L’émancipation de la dissonance joue aussi un rôle clef en ce sens. Selon le philosophe, la musique traditionnelle, de par sa tendance à l’unification, à la totalisation, à l’harmonisation « homophone » est le reflet de l’idéologie d’une société qui tend à l’uniformisation et à la dissolution de l’individualité. La prédominance de l’accord parfait dans l’harmonie tonale, où se fond l’individualité des notes en un tout harmonieux et uni peut-être justement vu comme l’incarnation de cet idéal d’intégration, d’uniformisation et de totalisation. C’est parce que cet idéal se trouve au niveau social qu’il finit par imprégner l’organisation même de la musique tonale. La consonance de l’harmonie tonale est donc vue comme un élément d’aliénation. En conséquence l’émancipation des dissonances se présente comme un des moyens de se libérer et de contredire cette tendance et de réintroduire l’idée d’individualité au sein même de la polyphonie.

« Plus un accord est dissonant, plus il renferme en soi de sons différents les uns des autres et efficaces dans leur différence, et plus il est “polyphonique”, et plus […] chaque son acquiert déjà dans la simultanéité harmonique le caractère d’une “voix”.[…] [E]lle met en relief d’une façon articulée la relation […] des sons contenus en elle, au lieu d’en acquérir l’unité par la destruction des détails, soit par une sonorité “homogène”. La dissonance et les catégories apparentées, composantes des mélodies par intervalles « dissonants » sont toutefois les véritables véhicules du caractère protocolaire de l’expression. L’impulsion subjective, l’exigence d’une manifestation de soi authentique et directe devient ainsi l’organon technique de l’œuvre objective »74.

40La dissonance devient ainsi un des moyens subversifs de négation, de protestation et en même temps une forme d’expression de la souffrance de l’individu aliéné.

« Les dissonances naquirent comme expression de la tension, de la contradiction et de la douleur ; elles se sont sédimentées en devenant du “matériau”. Elles ne sont plus des médiums de l’expression subjective. Mais elles ne renient pas pour autant leur origine ; elles deviennent des caractères de la protestation objective. C’est le bonheur énigmatique de ces accords que précisément en vertu de leur transformation en matériau, ils dominent, en la retenant, la douleur, qu’ils exprimaient autrefois. Leur négativité reste fidèle à l’utopie : elle renferme en elle la consonance celée. De là l’intolérance passionnée de la nouvelle musique à l’égard de tout ce qui rappelle la consonance »75.

41L’expression et la dénonciation de la souffrance, de l’horreur et de l’aliénation de l’individu deviennent souvent des composantes de l’approche esthétique dans de nombreuses de la modernité. L’activisme politique de certains compositeurs, comme Nono ou Xenakis, a d’ailleurs pu directement influencer leur démarche compositionnelle. Xenakis remarquait à ce propos :

« Dans ma musique, il y a toute l’angoisse de ma jeunesse, de la résistance (le mouvement anti-fasciste grecque) et les problèmes esthétiques qu’ils posent, avec les manifestations gigantesques dans les rues ou les sons mystérieux raréfiés, les sons mortels des nuits froides de 1944 à Athènes. C’est de tout cela qu’est née ma conception des masses, et par là-même, la musique stochastique »76.

42Cette dénonciation du malheur et de la souffrance cherche souvent à prendre à contrepied des canons de la « beauté », parce que c’est à travers leur négation, à travers le visage de la « laideur », de « l’horreur » que l’art peut choquer et réveiller la conscience :

« Cette existence de l’art ne devient un témoignage probant que parce qu’elle présente en elle un élément non-artistique, rebelle à la mise en forme, amorphe, la souffrance du monde et de l’individu dans ses antagonismes, ce qui peut prendre l’aspect esthétique de la laideur, qui devient une dénonciation de la cause de cette laideur »77.

« Les chocs de l’incompréhensible, que la technique artistique distribue à l’époque de son absurdité, se renversent : ils éclairent le monde privé de sens. C’est à cela que se sacrifie la Nouvelle Musique. Elle a pris sur elle toutes les ténèbres et toute la culpabilité du monde. Elle trouve tout son bonheur à reconnaître le malheur ; toute sa beauté, à s’interdire l’apparence de la beauté »78.

43C’est peut-être un des aspects qui l’a rend repoussante, violente et agressive aux oreilles de tant d’auditeurs. Et cette attitude s’est d’autant plus accentuée après la seconde guerre mondiale. Les horreurs de la guerre ont donné lieu à une prise de conscience de la portée de ce qu’Adorno appelle la raison instrumentalisée, c’est à dire le détournement de la raison et des principes hérités des lumières (l’Aufklärung) au service de l’aliénation et de la barbarie. Comme l’explique Coadou :

« Le progrès remarquable des sciences au XVIIIe siècle a suscité de nombreuses attentes. Aux yeux de tous, ou presque, il constitue, alors, au siècle des Lumières, un véritable progrès. Nous allons du moins vers le plus. Le progrès des sciences va enfin permettre aux hommes de résoudre tous les problèmes en suspens depuis des siècles. Il va nous permettre de maîtriser la nature. Il va aussi nous rendre plus libres ; plus heureux. Il va changer le monde. Au XXe siècle, la déception sera à la mesure de ces attentes. Certes, la science a progressé. Mais elle a progressé de manière inégale. Certes, grâce à elle, nous maîtrisons désormais la nature. La science nous a apporté le bien-être. Mais sommes-nous plus libres ; plus heureux ? Il ne le semble pas. La première guerre mondiale en apporte, aux yeux des phénoménologues, la preuve accablante. Nous connaissons nombre de choses. Nous pouvons faire nombre de choses. Nous avons la science ; nous avons la technique. Mais nous ne sommes pas plus sages. Au contraire : nous utilisons toutes ces choses nouvelles afin de mieux nous détruire »79.

44Aux yeux d’Adorno, ce constat s’est aggravé après la seconde guerre mondiale. C’est en cela qu’il juge que le projet des lumières, qui fut pourtant le moteur de la société moderne, conduit paradoxalement à son contraire. Et cet aspect se répercute directement au niveau de la culture et de l’art80, sachant combien les structures historiques, sociales et idéologiques imprègnent la culture à tous les niveaux. Dès lors se pose la question de savoir si la création artistique est encore possible. On connaît le fameux aphorisme controversé d’Adorno à ce propos « Écrire un poème après Auschwitz est barbare »81, dont on peut tout aussi bien mesurer les implications au niveau musical. Peut-on écrire encore de la musique, comme si on pouvait encore se consoler dans l’oubli de rêveries lyriques ? Ce sont là des problématiques qui sous-tendent indubitablement l’approche esthétique de la musique contemporaine à divers niveaux. Ce qui explique aussi en partie pourquoi l’avant-garde musicale a cherché à se distancier de l’emploi du matériau traditionnel.

45Cette question ne concerne pas seulement l’emploi des techniques compositionnelles, mais aussi l’abord de l’expression. Si la libération du matériau permettait de véhiculer de façon subversive un contenu critique, certaines œuvres musicales s’en sont aussi servi pour aborder explicitement des thèmes liés à la violence du XXe siècle, on pense notamment à des pièces comme Thrène aux victimes d’Hiroshima, Nuits, Cosa Ti Hanno Fatto in Auschwitz, A Survivor from Warsaw, Cris entre autres. Ces pièces les ont abordé à travers l’expression de l’horreur, de la souffrance, de la laideur – une expression qui se veut en même temps une dénonciation. Ces musiques plongent littéralement l’auditeur dans l’horreur et la souffrance. Elles cherchent à créer un choc. À cet égard, il est intéressant de faire une comparaison sur les façons différentes dont les musiques traditionnelles et modernistes peuvent aborder le thème de la Shoah. Prenons l’exemple du thème principal de la bande originale du film La liste de Schindler de John Williams avec la musique Ricorda Cosa Ti Hanno Fatto in Auschwitz de Luigi Nono ou A Survivor from Warsaw. La musique de Williams procède comme le fait souvent la musique tonale quand elle aborde une tragédie, en ayant recours aux harmonies mineures. Le morceau s’appuie sur un thème en ré mineur, de larges intervalles descendants et un tempo lent qui concourent à suggérer un sentiment de recueillement, de regret et de tristesse face à cette tragédie. En cela, ce type de sentiment reste extérieur à cette tragédie. Il correspond plus à un sentiment de compassion, de regret de la part de quelqu’un qui aurait été affecté par ce qu’il a pu voir ou entendre de cet épisode de l’histoire. À l’inverse, dans la pièce de Nono, ou de Schönberg, on est directement plongé dans l’horreur. Il n’y a pas cette distanciation. La musique essaie de nous immerger dans les sentiments de terreur, de détresse, de désespoir. Il ne s’agit plus de susciter un sentiment de compassion ou de tristesse face à la souffrance d’autrui, mais de plonger symboliquement l’auditeur au cœur de l’horreur. On croit pouvoir suggérer que le choc empathique de cette expérience concourt d’une certaine façon à sensibiliser, à lutter contre l’oubli. Ces musiques, dans leur essence même, sont l’antithèse des rêveries lyriques dans lesquelles l’auditeur pourrait chercher l’oubli ou la consolation.

Conclusion

46On voit à travers l’examen de ces quelques pistes que l’expressivité dans la musique contemporaine n’a pas été évacuée. Au contraire, elle a renouvelé à divers niveaux l’approche expressive. Ce fait contredit donc l’idée selon laquelle la musique contemporaine ne serait qu’une musique froidement intellectualiste, formaliste, spéculative et déconnectée de la réalité. Les diverses orientations esthétiques de la modernité sont, au contraire, intimement liées à une prise de conscience de la teneur politico-sociale de tout matériau musical. Il ne s’agit pas d’en conclure que ces orientations esthétiques s’expliquent par quelques positionnements politiques qui viendraient interférer et pervertir la création musicale par opposition à une noble tradition d’écriture tonale neutre qui s’en tiendrait à des principes « naturels ». Le caractère « naturel » qu’on confère volontiers à la tonalité est un leurre idéologique. Les principes même de la tonalité sont le produit d’un environnement socioculturel occidental et d’un contexte historique bien déterminé. Le positionnement esthétique de la musique contemporaine procède précisément d’une prise en compte de la nature préformée et orientée du matériau musical par les mouvements sociohistoriques et de la nature aliénante vers laquelle elle s’est acheminée au cours du XXe siècle. Son rapport à l’expression est donc intimement lié à cette question et à une volonté d’échapper à cette nature aliénante.

Notes   

1  David Beard et Kenneth Gloak, « Avant-garde » in Musicology: The Key Concepts, London, New-York, Routlege, 2005, p. 18.

2  Idem.

3  Susan McClary, « Terminal Prestige. The Case of Avant-Garde Music Composition », Cultural Critique, n° 12 : Discursive Strategies and the Economy of Prestige, University of Minnesota Press, 1989, pp. 57-81.

4  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, Paris, Gallimard, 1958-1962 ; Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1970-1995 ; Theodor W. Adorno, Quasi Una Fantasia, Paris, Gallimard, 1982 ; Theodor W. Adorno & Hanns Eisler, Musique de cinéma, Paris, L’arche éditeur, 1969-1972.

5  Michel Imberty, La Musique Creuse Le Temps : De Wagner à Boulez, Musique, psychologie, psychanalyse, Paris, L’Harmathan, 2005 ; Michel Imberty, Les écritures du temps, Sémantique psychologique de la musique, vol. 2, Paris, Dunod, 1981 ; Márta Grabócz, « Narrativity and Electroacoustic Music », in Eero Tarasti (éd.), Musical Signification, Essay in Semiotic Theory and Analysis of Music, New York/Berlin, Mouton de Gruyter, 1995, pp. 535-540 ; Márta Grabócz, « Survie ou renouveau ? Imagination structurelle dans la création électroacoustique récente », in Eero Tarasti, Paul Forsell et Richard Littlefield (éds.), Musical Semiotics in Growth, Acta Semiotica Fennica IV, Bloomington, Indiana University Press, 1996, pp. 295-320 ; Márta Grabócz, « La notion de réécriture dans Medeamaterial de Heiner Müller et de Pascal Dusapin », in Musique, Narrativité, Signification, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 323-346 ; Françoise Escal, Espaces sociaux, espaces musicaux, Paris, Payot, 1979 ; Michel Chion, Le poème Symphonique et la musique à programme, Paris, Fayard, 1993 ; Alastair Williams, « Adorno and the Semantic of Modernism », in Perspectives of New Music, vol 3 n° 2, 1999, pp. 29-50 ; Raphaël Brunner, « Modélisation ostensive-inférentielle de l’œuvre musicale moderne. La résistance au langage et au texte », in Eero Tarasti, Paul Forsell et Richard Littlefield (éd.) op. cit., pp. 225-250 ; Elina Packalén, « Musical Feelings and Atonal Music », Postgraduate Journal of Aesthetics, vol. 2 n° 2, August 2005 ; François-Bernard Mâche, Entre l’observatoire et l’atelier, vol. 1, Paris, Kimé, 1998 ; Geneviève Mathon, « Giacinto Scelsi. Une esthétique de la voix. À propos des Sauh I, II, III, IV », in Makis Solomos (éd.), Iannis Xenakis, Gérard Grisey, La métaphore lumineuse, Paris, L’harmattan, 2003, pp. 61-74 ; Christian Hauer, « Le dernier Schoenberg (1946-1951) – Le temps de l’accomplissement », in Hugues Dufourt & Joël-Marie Fauquet (éds.), La musique depuis 1945, Matériau, esthétique et perception, Liège, Mardaga, 1996, pp. 227-246 ; Christian Hauer, « De la métaphore en musique – ou du sens », in Makis Solomos (éd.) Iannis Xenakis, Gérard Grisey, La métaphore lumineuse, op. cit.

6  Peter Kivy, « Making the Code and Breaking the Codes. Two Revolutions in Twentieth-Century Music », in New Essays On Musical Understanding, Londres, Clarendon Press, 2001, pp. 44-67 ; Diana Raffman, « Is Twelve Music Artistically Deffective ? », Midewest Studies in Philosophy, XXVII, 2003, pp. 69-83 ; Joseph Swain, Musical Languages, New York, W.W. Norton & Company, 1997, pp. 124-136 ; Richard Taruskin, « How Talented Composers Become Useless », The New York Times, 10 Mars 1996 ; Susan McClary, op. cit..

7  D’une façon générale, Kivy, Raffmann, Swain et Taruskin soutiennent l’idée que les approches expressives dans ces musiques ne sont pas pertinentes ou du moins sont limitées. McClary, pour sa part, critique surtout les discours élitistes, intellectualistes et formalistes de certains compositeurs qui tendent à occulter la dimension du sens de ces musiques.

8  Susan McClary, op. cit. p. 65.

9  Idem.

10  Pierre Boulez, Points de repère, Paris, Christian Bourgois, 1981, p. 18

11  Milton Babbit, « Who cares if You Listen ? » (originellement intitulé « The composer as a specialist »), High Fidelity Magazine 8, n° 2, 1958, p. 126.

12  C’est par l’exemple l’image que Richard Taruskin semble en avoir (Richard Taruskin, op. cit.)

13  Makis Solomos, « Les évolutions récentes de la musique contemporaine en France », original français de « Die neuesten Entwicklungen der zeitgenössischen Musik in Frankreich », traduction allemande de Musik und Ästhetik, vol. 4 n° 16, Stuttgart, 2000, pp. 80-89, disponible via http://www.univ-montp3.fr/~solomos/lesevolu.html, consulté le 10 mai 2010.

14  Rosângela Pereira de Tugny (éd.), Correspondance (Pierre Boulez/ André Schaeffner) – 1954-1970, Paris, Fayard, 1998, pp. 17-18.

15  Ibid., pp. 21-22.

16  Idem.

17  François-Bernard Mâche, Musique au singulier, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 91 ; Leonard Meyer, Emotion and Meaning in Music, Chicago, The University of Chicago Press, 1956, pp. 258-266 ; Michel Imberty, « Perspective nouvelles de la sémantique musicale expérimentale », Musique en jeu, n° 17, 1975 ; Françoise Escal, Espaces sociaux, Espaces musicaux, op. cit. ; Jean-Jacques Nattiez, « La signification musicale », in Jean-Jacques Nattiez (éd.), Musiques : une encyclopédie pour le XXIe siècle, tome 2 : Savoirs musicaux, Actes Sud Cité de la musique, Arles/Paris, 2004, pp. 256-258 ; Jean-Jacques Nattiez, Musicologie générale et sémiologie, Paris, Christian Bourgois, 1987, p. 39 ; Alaister Robin McGlashan, « La musique en tant que processus symbolique », Cahiers Jungiens de Psychanalyse, n° 13, Paris, 2005, pp. 44-45 ; John Sloboda, L’esprit musicien, la psychologie cognitive de la musique, Liège, Pierre Mardaga, 1988, p. 89 ; Joseph Swain, op. cit., p. 47.

18  Alaister Robin McGlashan, op. cit., pp. 37-55.

19  Pour limiter la longueur de la discussion, on s’en est tenu volontairement à la distinction classique entre le littéral et le vague. Mais dans la pratique le rapport entre le dénotatif et le connotatif ne relève pas à proprement parler d’une simple opposition entre l’univoque et le vague. Un énoncé linguistique par exemple en dit plus que la seule littéralité de ses significations. Par définition, la connotation, c’est l’ensemble des significations secondaires qui viennent s’ajouter au sens premier. On a souvent décrit cette dimension connotative comme une chaîne ou une constellation de signifiés successifs qui se déploie à partir d’un premier signifié. Or, selon Raymond Monelle, si on s’en tient à cette définition et si on défend l’idée que la musique est connotative, cela présuppose qu’elle est aussi dotée d’un niveau dénotatif. (Raymond Monelle, « Music and semantics » in Eero Tarasti (éd.) Musical Signification, Essay in Semiotic Theory and Analysis of Music, New York-Berlin, Mouton de Gruyter, 1995, pp. 93-94).Mais même si on accepte l’idée que les connotations musicales partent, en effet, d’un premier signifié, il n’en reste pas moins que ce premier niveau est difficilement comparable à la stabilité et à la littéralité qu’offre le niveau dénotatif d’un signe linguistique. Comme l’évoque d’ailleurs Monelle à propos des théories de Deryck Cooke, la signification musicale n’a pas cette fixité. Elle se caractérise au contraire par son ambigüité et sa mobilité (Ibid., p. 95). Dans une perspective peircienne, Phillip Tagg considère que cette spécificité musicale s’explique principalement par le fait que la musique s’appuie rarement sur des signes arbitraires comme les signes linguistiques – des signes dont la relation entre le representamen (le signifiant) et son objet (le référent) serait stipulée de façon arbitraire sans égard pour quelque lien logique. La signification musicale, au contraire, s’appuierait essentiellement sur des rapports motivés de nature iconique et indicielle, qui dans la musique tonale seraient devenues conventionnels par l’habitude (Phillip Tagg, Music’s Meaning. Musical semantics for non-musos, Quebec, 2007, disponible via http://www.tagg.org/bookxtrax/NonMuso/NonMuso00-05.pdf, consulté le 10 mai 2010, pp. 110-111.

20  Michel Imberty, « Perspective nouvelles de la sémantique musicale expérimentale », op. cit.

21  Jean-Jacques Nattiez, Musicologie générale et sémiologie, op. cit., p. 31.

22 Michel Imberty, Entendre la musique, Sémantique psychologique de la musique, vol. 1, Paris, Dunod, 1979, p. 16.

23  Iannis Xenakis, in Henri Barraud, Pour comprendre les musiques d’aujourd’hui, Paris, Seuil, 1990, pp. 185-186.

24  Nous reviendrons sur cet aspect un peu plus loin.

25  Deryck Cooke, The Language of Music, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. xiii.

26  Peter Kivy, « Making the Code and Breaking the Codes – Two Revolutions in Twentieth-Century Music », op. cit., p. 61.

27  Iannis Xenakis, « La Légende d’Er (première version). Geste de lumière et de son du Diatope au Centre Georges Pompidou », in Le Diatope : geste de lumière et de son, Paris, Centre Georges Pompidou, 1978, p. 8.

28  Michel Chion, op. cit., p. 332.

29  Ibid., p. 333. Voir aussi ce qu’expliquait Mâche à ce propos dans François-Bernard Mâche, « Le son et la musique », in Entre l’observatoire et l’atelier, op. cit., p. 79.

30  Michel Chion, op. cit., p. 332.

31  Ibid., pp. 332-333.

32  Makis Solomos, « De l’apollinien et du dionysiaque dans les écrits de Xenakis », Makis Solomos, Antonia Soulez, Horacio Vaggione(éds.), Formel/Informel : musique-philosophie, Paris, L’Harmattan, 2003. pp. 49-90 ; François-Bernard Mâche, Entre l’observatoire et l’atelier, op. cit.

33  Idem.

34  Michel Chion, op. cit., p. 325. À propos des conceptions religieuses et métaphysiques du romantisme voir aussi Carl Dahlhaus, L’idée de la musique absolue. Une esthétique de la musique romantique, Genève, Contre-champs, 1997.

35  André Boucourechliev, Le langage musical, Paris, Fayard, 1993, p. 12.

36  Theodor W. Adorno & Hanns Eisler, op. cit., p. 50.

37  Idem.

38  Idem.

39  Balint Varga, Conversations with Xenakis, Londres, Faber and Faber Limited, 1996, p. 62, À propos de sa tendance à l’abstraction et aux transferts naturalistes de Xenakis, voir Makis Solomos, Iannis Xenakis, Mercuès, P. O. Éditions, 1996, p. 110.

40  Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, op. cit., p. 161.

41  Nous reviendrons sur cette question un peu plus loin.

42  Il faut rappeler que Mâche, outre ses qualités de musicien et de musicologue, est aussi un zoomusicologue. Ses travaux se sont notamment intéressés à la parenté commune entre musique et langage qui pourraient bien remonter aux origines animales de l’homme. À l’instar des thèses de Rousseau, il postule l’idée selon laquelle, en des temps très reculés, les deux formes d’expression ne faisaient qu’un. Au cours de l’évolution, le langage se serait séparé pour devenir une forme d’expression indépendante, plus spécialisé dans la communication (Cf. François-Bernard Mâche, Musique au singulier, op. cit.).

43  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 50.

44  Sigmund Freud, « Le moi et le ça », in Œuvres complètes XVI, Psychanalyse, 1921-1923. Psychologie des masses, le moi et le ça, autres textes, textes publiées par André Bourguignon, Pierre Cotet, Jean Laplanche, Paris, Presses universitaire de France, 1923-1991, pp. 258-302 ; Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, « Ça », in Vocabulaire de la Psychanalyse, Paris, Quadrige/Presse Universitaires de France, 1963-1998, pp. 56-58 ; « Topique », in Ibid., pp. 485-489 ; « Surmoi », in Ibid., pp. 471-473.

45  Sigmund Freud, op. cit., pp. 291-300 ; Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, « Moi », in op. cit., pp. 241-255 ; « Topique », in ibid., pp. 392-396.

46  « Cathartique », in ibid., pp. 60-61.

47  « Thanatos » est le terme parfois utilisé en psychanalyse pour désigner les pulsions de mort dans la théorie freudienne.

48  David Lidov, « Technique and Signification in the Twelve-Tone Method », in Is language a Music ? : Writings on Musical Form and Signification, Indiana University Press, 2005, p. 205.

49  Jean-Paul Olive, Un son désenchanté. Musique et théorie critique, Paris, Klincksieck, 2009, p. 45.

50  Idem.

51  Sigmund Freud, « Le moi et le ça », op. cit., pp. 283-284.

52  Michel Imberty, La Musique Creuse Le Temps : De Wagner à Boulez, Musique, psychologie, psychanalyse, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 18.

53  La notion d’éros dans la métapsychologie freudienne renvoie aux pulsions de vie (ce qui comprend à la fois les pulsions d’autoconservation et les pulsions érotiques).

54  Le terme « ultrachromatisme » se réfère à l’usage d’échelles microtempérées. Dans la terminologie de Wyschnegradsky, le préfixe « utra- » renvoie à l’état de densité accrue du « chromatisme » propre à ces échelles. Ces échelles se caractérisent, en effet, par un « chromatisme » plus serrée et plus dense, par rapport à l’échelle tempérée à douze sons.

55  Ivan Wyschnegradsky, La loi de la pansonorité, Genève, Contrechamps, 1996.

56  Pascale Criton, Total chromatisme et continuums sonores, une problématique de la musique du XXe siècle, thèse de doctorat, Aix-Marseille, octobre, 1999, pp. 416-463 ; David Herschel, « Pascale Criton, une quête de l’esprit des sens » in ouvrage collectif, Pascale Criton, Les univers microtempérés, Champigny sur Marne, Ensemble 2e2m, 1999, pp. 7-15 ; Roman Brotbeck, « La technique de composition de Pascale Criton dans le contexte de la musique microtonale », in Ibid., pp. 43-53.

57  Cf. Ibid. et Pascale Criton, op. cit.

58  Makis Solomos, « Une introduction à la pensée musico-théorique d’Horacio Vaggione », in Makis Solomos(éd.), Espaces Composables, essais sur la musique et la pensée musicale d’Horacio Vaggione, Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 45-46.

59  Toutefois l’argument d’une œuvre en tant qu’ancrage peut participer, confirmer ou même renforcer la teneur politique du contenu musical.

60  Liz Garnet, « Musical Meaning Revisited : Thoughts on an “Epic” Critical Musicology » in Critical Musicology Journal, 1998, disponible via http://www.leeds.ac.uk/music/Info/critmus/articles/1998/01/01.html, consulté le 10 mai 2010 ; Françoise Escal, op. cit, pp. 210-216 ; Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit.

61  Ce phénomène ne concerne d’ailleurs pas seulement la musique mais les différents aspects de la culture et des modes de vie de notre société. Barthes, dans son ouvrage Mythologies (in Roland Barthes, Œuvres complètes, Tome 1, Paris, Seuil, 1942-1961), avait cherché à mettre en évidence toutes les connotations sous-jacentes propres aux discours, aux usages, aux conceptions, aux symboles qui dans notre quotidien sont conditionnés par des mythes idéologiques.

62  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 50.

63  Robert Winston Witkin, Adorno on Music, Routledge, 1998, p. 130.

64  Michel De Coser, Sociologie de la liberté : Mise perspective d’un discours voilé, Bruxelles, De Boek et Larcier, 1996, p. 173.

65  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 50.

66  Ibid., pp. 44-45.

67  Bon nombre de compositeurs avant-gardistes, se méfiaient de cette « inspiration intuitive et spontanée », que le romantisme voyait comme un élan créateur de nature plus ou moins divine, parce qu’ils y voyaient justement la manifestation de l’influence de la société et d’éléments historiquement prédéterminés. Et c’est aussi une des raisons qui les a poussés à se tourner vers une approche technicienne pour élaborer leur démarche artistique.

68  Michel De Coster, Sociologie de la liberté : mise perspective d’un discours voilé, Bruxelles, De Boek et Larcier, 1996, p. 175.

69  Theodor W. Adorno, Philosophie de la musique, op. cit., p. 34.

70  Ibid., p. 62.

71 Idem.

72  « Adorno advocates, to subsume subjectivity within the material’s objectivity so that, acting as a filter, the material prevents expression emerging in standardized form » (Alastair Williams, « Adorno and the Semantics of Modernism », Perspectives of New Music, vol. 37 n° 2, 1999, p. 34).

73  Michel De Coster, op. cit., p. 175.

74  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 68.

75 Ibid., p. 95.

76  « In my music, there is all the anguish of my youth, of the resistance (the Greek anti-Fascist movement), and the aesthetic problems they posed, together with the gigantic street demonstrations or the rarefied mysterious noises, the mortal noises of the cold nights of December I944 in Athens. Out of this is born my mass conception and, in turn, stochastic music » (Tim Souster, « Xenakis, Nuits », Tempo, New Series, n° 85, 1968, pp. 7-8).

77  Theodor W. Adorno, Théorie esthétique, op. cit., pp. 79-80.

78  Theodor W. Adorno, Philosophie de la nouvelle musique, op. cit., p. 142. Il y a dans l’emploi de cette idée de laideur une valeur de négation par rapport aux critères esthétiques admis liés à l’idée de beau et une valeur morale attachée à l’expression de la souffrance. Mais il faut noter que la dichotomie entre beauté et laideur en tant que catégories esthétiques perd de son sens chez de nombreux compositeurs comme Xenakis (cf. Herbert Schueller, « The Aesthetic Implications of Avant-Garde Music », The Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. 35 n° 4, 1977, p. 400).

79  François Coadou, « Le cas Penderecki ou la question de l’avant-garde au XXe siècle », 2004, disponible via http://www.musicologie.org/publirem/coadou_01.html, consulté le 10 mai 2010.

80  Theodor W. Adorno, La dialectique négative, Paris, Payot, 2001, p. 287.

81  Theodor W. Adorno., « Critique de la culture de la société », in Prismes. Critique de la culture et société, Paris, Payot, 1955-2003, p. 26.

Citation   

Frédérick Duhautpas, «Expressivité, modernité et musicologie critique», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, New Musicology. Perspectives critiques, mis à  jour le : 30/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=276.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Frédérick Duhautpas

Frédérick Duhautpas est actuellement doctorant en musicologie à l’université Montpellier III et occupe un poste d’ATER au sein de cette même université. Ses recherches se portent sur les questions d’expressivité et de signification, ainsi que sur certains aspects psychologiques, sociaux et politiques qu’elles peuvent soulever. D’autres de ses travaux se sont aussi portés sur l’écriture microtonale et l’écriture harmonico-modale dans la musique du début du XXe siècle.