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Musique et globalisation

Makis Solomos
mai 2011

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1Musique et globalisation. On peut choisir d’aborder le thème de deux manières. La première analyserait les impacts de la globalisation (au sens économique du terme) sur la musique. C’est une approche couramment développée dans les médias grand public, dans les études spécialisées d’économistes, etc. Filigrane étant une revue qui se centre sur l’art lui-même, nous avons choisi, pour le présent numéro, la seconde voie : examiner, de l’intérieur même de la musique, en quoi celle-ci contribue à ce que l’on nomme globalisation, que signifie ce terme, etc. Il existe encore très peu de travaux de ce type, et c’est pourquoi nous avons opté pour la voie de l’appel à communication, nous adressant en particulier à de jeunes chercheurs ou bien à des musicologues confirmés qui souhaitent innover en s’attaquant à ce thème délicat. Par ailleurs, cet appel précisait les termes du débat que Filigrane souhait mener :

« Globalisation (mondialisation) : un mot, un simple mot, qui fait désormais partie de notre vie quotidienne. Pris dans la tourmente des événements économiques et politiques à court terme (il est vrai, nous avons des raisons de nous en soucier !), nous avons tendance à oublier qu’il existe plusieurs types de globalisation, et que la ou les globalisation(s) n’ont pas que des “impacts” dans le domaine de l’art. L’art et, en particulier, la musique, a souvent travaillé en direction d’une mondialisation que la terminologie politique actuelle qualifierait d’alter-mondialisation : dans les années 1950-60, à l’époque où se posaient les fondements de l’Europe néo-libérale, nombre de musiciens rêvaient déjà du Japon ou de l’Indonésie ; aujourd’hui, la pensée unique des pilleurs de sons et d’héritages musicaux est puissamment contrebalancée par des musiciens véritablement soucieux de véhiculer à travers leurs métissages non pas des images sonores réifiées, mais des pratiques et pensées musicales authentiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, ce numéro de Filigrane souhaiterait témoigner de l’existence vivace de musiques pour qui la globalisation n’est pas synonyme d’uniformisation. Cet appel à communication est ouvert à des propositions sur tout “genre” musical, quel que soit son ancrage géographique. Il est bien entendu également ouvert aux contributions originales analysant la globalisation néo-libérale et ses conséquences sur la musique ».

2Les propositions que nous avons retenues couvrent un champ important et posent des jalons pour de futures analyses, que la revue compte développer très prochainement avec l’organisation d’un colloque international (cf. dernières pages de ce numéro ainsi que le site internet de la revue : www.revue-filigrane.org).

3Les quatre premières traitent de musique contemporaine. Le premier auteur est lui-même un enfant de la mondialisation : Alexandre Lunsqui est un jeune compositeur brésilien qui vit à New York et qui a fait ses études avec le Français Tristan Murail. Son article analyse les racines de la globalisation, puis se tourne vers la question du métissage, des échanges entre cultures musicales. Il donne notamment en exemple l’utilisation du berimbau, instrument afro-brésilien, dans la musique contemporaine. Avec Marie-Hélène Bernard – qui œuvre ici en tant que musicologue, mais qui est également compositrice –, le lecteur découvrira l’aventure fascinante des compositeurs chinois de la génération de la « Révolution culturelle », compositeurs qui ont essaimé sur la scène internationale. L’auteur emprunte à Chen Zhen, un plasticien chinois de la même génération, les trois concepts avec lesquels elle analyse leur trajectoire : « résidence, résonance, résistance ». Le bref article qui suit est signé par un compositeur tchèque qui vient d’achever ses études au CNSMD de Paris, Ondrej Adámek. Il peut se définir comme le « manifeste » d’un jeune musicien qui adore emprunter des éléments à des horizons sonores géographiquement variés, mais qui est simultanément conscient des risques de l’homogénéisation sonore. Enfin, dans le dernier article de cette première unité, la jeune musicologue Sara Bourgenot s’intéresse à la collaboration entre un compositeur de musique contemporaine, André Serre-Milan, et un musicien d’Afrique de l’Ouest, Yé Lassina Coulibaly. On pourrait dire que ce type de création musicale inaugure une nouvelle étape de cette « alter-mondialisation » qu’offre l’histoire de la musique contemporaine : alors qu’un Xenakis rendait un hommage abstrait à l’Afrique dans une pièce comme Okho et que Steve Reich « assimilait » l’Afrique dans Drumming, on assiste à présent à une collaboration à part entière.

4La seconde unité propose trois textes dédiés à la musique arabe. Dans son article, Amine Beyhom jette un regard critique sur notre appel à communication qui en appelait à s’intéresser à des métissages « authentiques ». Quels sont les critères de l’authenticité, nous dit-il ? Cet article analyse « la dynamique couplée modernité/tradition et globalisation/identité sur des exemples précis issus des musiques récentes ou contemporaines du Proche-Orient, avec le Liban, pays à la pointe des syncrétismes dans la région, comme exemple phare ». L’auteur œuvre ici en tant que musicologue, mais nous invitons les lecteurs de Filigrane à l’écouter en tant que musicien dans des productions métissant jazz et musique arabe. L’article suivant est signé par Nidaa Abou Mrad, qui est également musicologue et musicien (en tant que musicien, il s’est notamment fait connaître pour ses recréations de pièces de l’époque Abbasside d’après leur notation alphabétique). Dans cet écrit, il retrace l’histoire des croisements et échanges entre l’Occident et l’Orient depuis le premier millénaire jusqu’en 1932 (date du fameux Congrès de musique arabe du Caire). Disons-le franchement : cet article est aux antipodes des positions de la revue Filigrane, car il défend l’idée que, de nos jours, l’échange ne pourrait avoir lieu que si ces deux univers musico-culturels retournaient à la tradition. Mais il fait partie du débat actuel et c’est pourquoi il figure dans le présent numéro. Cette section se conclut par l’article d’un jeune chercheur, Mohamed-Ali Kammoun, qui éclaire les enjeux esthétiques du métissage entre jazz et musique arabe en Tunisie. Pour ce faire, il utilise des données statistiques provenant d’une enquête, ainsi que des analyses musicales.

5La troisième unité s’ouvre par un article de l’ethnomusicologue Jacques Bouët, qui s’intéresse à la sauvegarde des cultures locales. Il se penche notamment sur la validité des pratiques qui les défonctionnalisent, en les transformant par exemple en musiques de concert. « À tout prendre, nous dit-il, le patient travail monographique des ethnomusicologues et sa transmission en retour dans les populations locales où il a été effectué sont un espoir de sauvegarde plus réaliste que l’emprunt ou la transplantation. Il est, en effet, de nature à déclencher un processus de renaissance durable si les populations concernées consentent à prendre le relais ». Suit un article de l’ethnomusicologue Bruno Messina, dont le titre, « Le tiers-musical », propose une voie différente. L’auteur refuse à épouser le discours qui, dans l’uniformisation de la production musicale qui découle de la globalisation, regrette la perte d’« authenticité », car, selon lui, on risque alors le repli identitaire. Résolument optimiste, il estime que la musique, la culture, savent survivre, peuvent se recréer sans cesse en dehors des mécanismes de la domination musicale. Cette section se conclut par l’écrit d’un jeune chercheur, Laurent Denave, qui s’intéresse à l’étonnante expansion mondiale de la pratique du gamelan depuis les années 1970. D’où vient-elle ?, demande-t-il, en s’intéressant notamment à son rôle idéologique. Sa réponse, même si elle mériterait d’être nuancée, est captivante : elle serait liée à la « révolution conservatrice » qui s’est produite aux USA, révolution qui a su s’approprier l’éducation dite multiculturelle.

6Les deux derniers articles de ce numéro de Filigrane, signés respectivement par un musicologue, Christian Corre, et une jeune chercheuse, Eve-Norah Pauset, ouvrent deux pistes originales. Christian Corre pose la question de l’appellation (contrôlée ?) world music, musique(s) du monde. Il entend interroger, à travers ce concept, « quelques formes inédites de collusion entre champ musical et (géo)politique, mythes post-modernes et réalités récentes (humanitaire, technologie) ». Il espère aussi « y repérer la naissance d’un nouveau “symbole du monde” (au sens d’Eugène Fink), auquel seul le médium-musique peut donner consistance ». Quant à Eve-Norah Pauset, elle propose une analyse du texte adopté à la 33e Conférence générale de l’UNESCO, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à travers un regard résolument critique.

Citation   

Makis Solomos, «Musique et globalisation», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, Musique et globalisation, mis à  jour le : 27/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=184.

Auteur   

Makis Solomos