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Modernité, oralité, écriture : un colloque, Tours 20041

Adriana Guarnieri Corazzol
janvier 2012

Index   

1Les 29, 30 et 31 janvier 2004, dans l’amphithéâtre-auditorium du département Musique et Musicologie de l’université François-Rabelais de Tours, a eu lieu un colloque – dont les Actes sont à paraître – sur le thème « Écriture et oralité, voies de la modernité musicale ». Organisée par l’Équipe de recherche « Lieux et enjeux des modernités musicales » placée sous la responsabilité de Michel de Lannoy et faisant partie de l’École doctorale « Sciences de l’Homme et de la Société », la manifestation se proposait, en six séances, d’enquêter sur tous les aspects de l’oralité ou de l’écriture musicales, qu’ils soient liés aux musiques savantes ou à celles de tradition orale, en tant que composantes de la modernité. Il est à noter qu’elle privilégiait résolument leur croisement, l’objectif des inspirateurs de ces journées étant de « repérer les expressions de la modernité à partir des situations d’interaction entre oralité et écriture ».

2L’originalité du colloque a donc tenu à l’objectif énoncé ci-dessus – éclairer le concept de modernité musicale sur la base de l’interaction oral/écrit –, en prenant en compte le parcours parallèle d’autres disciplines traitant de la thématique oralité/écriture, principalement les sciences littéraires et linguistiques des années 1980 et 1990, dont les perspectives confluent désormais dans la Cultural History et dont anthropologues et historiens ont précipité les avancées (on pense notamment aux travaux de Roger Chartier autour des « pratiques de l’écrit », de la collusion du « savant » et du « populaire » et du caractère central de la transmission par rapport à la production de sens). De ce même objectif a résulté la cohérence de voies de recherche néanmoins ouvertes à la richesse indubitable des combinaisons fournies par les différents moyens et champs d’investigation : l’histoire de la musique, l’ethnomusicologie, la sociologie du fait musical, l’histoire des pratiques d’exécution, l’analyse musicale ; le tout se confrontant à Tours aux musiques savantes du XXe siècle (ou du XIXe siècle et du Moyen-Âge, toute « modernité » étant relative), ainsi qu’aux musiques ethniques et extra-européennes de toute époque.

3Disons-le tout de suite : cette problématique du rapport réciproque oral/écrit est par excellence au cœur de la question de la « modernité ». Inventer les langages musicaux du futur en faisant appel au primitivisme (aux racines mêmes des mots de la musique) a été, à la charnière des XIXe et XXe siècles, un geste topique de l’Europe occidentale dont l’impulsion ne s’est pas encore épuisée. Il en a résulté la découverte et l’utilisation savante du folklore ainsi que de tout exotisme extra-européen. D’où la naissance de l’ethnomusicologie d’un côté, avec sa volonté d’enregistrer l’oralité ; et, de l’autre, la montée d’une musique savante avant-gardiste (ou anti-académique) renouvelant son écriture à partir de l’oralité du populaire et de l’exotique – c’est-à-dire de l’immédiat et de la liberté par rapport aux règles des conservatoires –, ce qui introduira les redondances, les mélismes, les ostinati, la prédominance du rythme, mais aussi l’économie de moyens, les polyphonies naturelles ou le parlato.

4Aboutissant au XXe siècle, cette époque de transition a de la sorte ranimé ce croisement d’oralité et d’écriture qui caractérise les grandes transformations culturelles, en musique (Moyen-Âge) aussi bien qu’en littérature (la Grèce d’Homère, ou encore le Moyen-Âge). La survivance de l’oral dans l’écrit est commune aux arts des mots et des sons ; on observera néanmoins à ce propos que la musique écrite a toujours maintenu « l’aura » spécifique d’une exécution en présence d’un public, généralement abandonnée en littérature. Pour cette dernière, le problème consiste à certaines époques à reconnaître dans son écriture des caractères oraux antérieurs (des traces d’exécution, des techniques d’improvisation, la présence du « style formulaire », l’efficacité du contact direct, l’instance d’énonciation) ; pour la musique – qui n’a jamais renoncé à son « aura » en tant que performance – le problème est plutôt de distinguer, à l’intérieur de son écriture, le pré-savant d’une langue propre à la tradition orale du plus-que-savant de sons destinés comme tels à être entendus.

5Cela dit, du fait que les problématiques de la littérature et de la musique se recoupent, on peut dire aujourd’hui que les recherches littéraires ou linguistiques des vingt dernières années autour de l’oralité – pour la France, à partir du XIe congrès de l’Association internationale de littérature comparée, qui s’est déroulé à Paris en 1985 – ont rapproché ces deux disciplines de la musicologie. Celle-ci, de son côté, a dans la même période souvent mis à profit leurs résultats et leurs méthodes (depuis les « précurseurs » Finnegan, Parry et Lord, Havelock) pour classer des types de répertoires tels que le plain-chant où la perspective oral/écrit a toute sa pertinence (Theodore Karp). Ce répertoire, du reste, a donné lieu à une recherche menée du point de vue de l’ethnomusicologie (Peter Jeffery).

6L’idée d’une interaction de l’oral et de l’écrit rapportée à toute époque de crise et de transformation (« modernité ») a, par conséquent, fini par rapprocher l’ethnomusicologie et l’histoire de la musique, ceci par le biais de la littérature comme de l’anthropologie et de l’histoire des pratiques culturelles. De ce rapprochement, le colloque de Tours a fourni un modèle intéressant, à travers le défi réciproque et paradoxal constitué par son sujet. Il demandait en effet aux ethnomusicologues de réfléchir sur la dimension historique (« modernité ») et sur l’écriture, et aux historiens de la musique de se pencher sur l’oralité du moderne. De cette synergie et de ce retour à l’oralité au XXe siècle – exploré en des combinaisons presque infinies –, le colloque proposa un grand nombre de témoignages bien rythmés dans leur enchaînement. Pour grouper les questions majeures soulevées par ce nœud disciplinaire et thématique, il convient de parcourir les différentes séances de cette manifestation.

7La première et la deuxième séance ont envisagé le thème du colloque d’une façon distincte : l’oralité du populaire vis-à-vis de la modernité d’une part ; l’écriture et la notation des musiques savantes en tant que conditions de leur modernité d’autre part. D’entrée, l’entrelacement du primitif et du futur au XXe siècle s’est avéré indéniable, la communication de Vita Gruodyté mettant en valeur les rôles réciproques des lointaines traditions « païennes » et des techniques compositionnelles contemporaines dans la musique lituanienne. Elle s’est référée pour cela au genre appelé Sutartines, une forme de rencontre texte-musique où les éléments du très ancien – répétitif, atonal, minimaliste – peuvent « coïncider » de façon caractéristique avec les exigences d’une école moderne de composition en train d’émerger.

8Ce populaire alimentant le langage musical d’un pays qui, tout en s’alignant sur d’autres, est en quête d’une originalité nouvelle, ne saurait se résumer, comme chez certains compositeurs de l’entre-deux guerres, à introduire le populaire « d’autrui » dans l’écriture savante. L’intervention de Vincent Cotro (université de Tours) sur le compositeur virtuose tchèque Erwin Schulhoff a ainsi montré que le jazz de Partita Jazz-Like (1922) témoigne des ambiguïtés et des limites d’une écriture désireuse d’originalité mais qui intègre seulement en surface la dimension orale de la musique en question ; à l’inverse, dans ses pièces authentiques (Duke Ellington), le jazz montre son aptitude à s’approprier certaines ressources de l’écriture savante. Carine Perret (université de Montpellier III) procéda aussi à une analyse de la « cohabitation » langage savant/oralité jazz sur la base de l’œuvre de Ravel, notamment la Sonate pour violon et piano et le Concerto pour la main gauche. Sa conclusion fut évidemment tout autre que celle de Vincent Cotro, compte tenu de la capacité de Ravel (et de maints compositeurs du début du XXe siècle avec lui) à inventer la modernité précisément au travers de la découverte de l’ailleurs, l’ouverture à l’extra-européen étant la source majeure de renouvellement de leur langage.

9La rubrique « écriture et modernité », a amené Beat Föllmi (université de Strasbourg II) à aborder les plus extrêmes limites de la question : toute une tradition de modernité occidentale introduite dès le XIVe siècle – et que le dodécaphonisme, le sérialisme et les notations graphiques ont perpétuée – s’appuie sur l’aspect constructif de la démarche compositionnelle, ce qui conduit à une surdétermination de l’écriture, à une Musica oculis, en particulier dans la seconde École viennoise. Dans son répertoire, le sonore cède la place au visuel et l’audition à l’analyse, d’où la nécessité de vérifier leur synthèse dans l’« écoute analytique » théorisée par Schoenberg et Webern.

10Jacques Amblard (université d’Aix-Marseille I) s’est ensuite penché sur le thème de l’écriture instrumentale moderne en tant que modélisation des accents de la voix parlée, dont on trouve des exemples chez Janacek, Varèse, Aperghis, Dusapin ou Kurtág. S’attachant aux lignes mélodiques (surtout instrumentales) de ce dernier et à leurs liens avec l’intonation du parler hongrois, l’intervention a inévitablement touché à la linguistique d’un côté et à l’ethnomusicologie de l’autre. Le phénomène d’une oralité réinvestie par l’écriture fut aussi examiné dans l’intervention de Guy Gosselin (université de Tours), mais dans sa dimension dramaturgique, celle cachée dans les parenthèses modernes de l’opéra du XIXe siècle : les « guillemets de la musique », qui apparaissent quand un personnage évoque un pair absent (par exemple à la lecture d’une lettre). La nature citationnelle du discours concerné, caractérisé par la distanciation mise en œuvre par l’auteur-personnage, aboutit à une articulation moderniste du discours musical tournant autour du concept d’abstraction et réalisée sur le plan pratique par des procédés spéciaux (mélodrame, recto tono, etc.). Dans ce cas, l’oralité d’un message reporté donne lieu à une écriture moderne en tant que flux musical irrégulier (et, dans le cas évoqué précédemment, flux mélodique « restreint »).

11Dans l’analyse de la Branganes Stimme menée par Nicolas Southon (université de Tours), il a à nouveau été question du XIXe siècle (Wagner), de dramaturgie (Tristan und Isolde) et d’abstraction : abstraction du verbe, causée ici par le traitement de la mélodie et de l’orchestration et par le retrait sémantique du leitmotiv. Dans cette contribution, l’oralité d’une voix « primitive » et « mythique » a aussi conduit à envisager une écriture de la modernité obtenue par la suspension du temps et du sens jusqu’à ce qu’elle organise une voix intérieure tout à fait scénique, forme avant la lettre de « musique médiatisée ». Introduit par une communication de Gilles Mouëllic (université de Rennes II), un film de Melvin Van Peebles (Sweet Sweetback’s Bad Asssss Song, 1971) a conclu cette première partie du colloque : une « écriture musicale du cinéma » construite à partir de l’oralité des traditions musicales afro-américaines a alors été présentée.

12L’unité dans la diversité a continué à investir les troisième et quatrième séances, consacrées respectivement à l’écriture des cultures de tradition orale et à celle de l’oralité en tant qu’objet d’analyse. Ethnomusicologues, historiens de la musique et littéraires ont montré combien leurs disciplines et méthodes peuvent stimuler l’imagination en matière de dialectique de l’oral et de l’écrit conjugués à la modernité. Gérard Le Vot (université de Lyon II), a mis l’accent sur le rôle manifestement secondaire de la notation dans la musique rock, dans laquelle l’œuvre coïncide avec la performance. Les schémas mnémotechniques et les procédés musicaux gestuels – propres aux musiques de tradition orale – ne peuvent qu’être faiblement représentés dans la partition au sein d’un répertoire où élasticité et variabilité dominent. C’est pourquoi les nouvelles technologies de production et de reproduction conduisent à élargir le concept d’écrit lui-même.

13Les liens complexes écrit/oral ont aussi été le thème de la contribution d’Éric Méloche (université de Tours) centrée sur les musiques africaines contemporaines dans lesquelles l’écriture apparaît tantôt comme un phénomène accessoire – à cause de l’« oralité supposée » de certaines musiques –, tantôt comme le signe d’une évolution accomplie. En présence de répertoires qui s’épanouissent et d’autres en voie d’extinction, Éric Méloche s’est interrogé (et nous invite à réfléchir) sur le rôle combiné de l’écriture et de l’oralité dans cette modernité africaine soit « durable », soit « éphémère ». Du point de vue ethnomusicologique encore, Michel de Lannoy, reposant le problème en termes de texte (oral aussi bien qu’écrit), a illustré un cas-limite très stimulant : le musée de la Vallée de la Creuse en tant qu’« écriture » (au sens analogique du terme), c’est-à-dire espace délimité et réglé d’objets et de gestes renvoyant virtuellement, de par sa nature, à des conduites sonores potentielles et donc à une oralité. Un tel texte (une salle devenue méta-texte) possède une grammaire et parle par elle, racontant les aspirations à la modernité de l’univers oral dont il est témoin.

14Sur le plan de l’analyse, le sujet du colloque a également montré, de par les répertoires abordés, sa force d’actualité. L’intervention de Xavier Hascher (université de Strasbourg II) a surtout porté sur une question méthodologique : comment interpréter le vocabulaire harmonique du rock sur la base des outils de l’analyse harmonique traditionnelle, conçus en fonction de la tonalité ? Vint de là une proposition d’analyse de trois chansons des Beach Boys (California Girls, All Summer Long, Help Me Rondha), soigneuse et détaillée, même en ce qui concerne leur « écriture » vocale. Yvan Nommick (Archives Manuel de Falla, Grenade) a ensuite comparé les différentes façons de construire la modernité à partir de l’oral sur la base du « folklore imaginaire » (savant) de Bartók et de Falla, l’un repérant ses matériaux dans le cadre d’enquêtes directes et systématiques, l’autre faisant appel aux recueils ou encore à sa mémoire. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat final est une fusion de l’ethnique et du savant, illustré, au cours de la communication, par les modes, intervalles, tournures mélodiques, inflexions, formules rythmiques et structures de leur production. Du XXe siècle à la musique classique : Christian Berger (université de Fribourg) a élargi le panorama de cette réflexion avec une proposition d’analyse du début de la Première Symphonie de Beethoven, partant de l’esthétique de Hegel (Eggebrecht) pour arriver à l’anthropologie de Luhmann et à son emploi de la notion de différence en passant par la psychologie de la perception (Gjerdingen).

15Deux contributions se sont tournées vers la littérature et la linguistique. Frédérique Toudoire-Surlapierre (université de Besançon) a mis en lumière la dimension orale de la poésie de Baudelaire et de Rimbaud en tant que cœur de leur théorisation et que pratique de la modernité. L’« oralité écrite » de cette poésie consisterait en fait en une musicalité obtenue par des « voix » (différentes) – à écouter durant la lecture – qui correspondent à ce qu’on peut appeler une conception moderne de la musicalité. Quant à l’intervention d’Anne-Marie Fenneteau-Faucher (université de Tours), elle a porté sur le rôle de la langue française en tant que « discours » : aspect oral de la langue, primat du rythme et de la prosodie. Cette oralité – cette nouvelle poétique de la langue et nouvelle conception du rythme –, exemplifiée dans les Sept enluminures de Michèle Reverdy (1972) qui « traduisent » les oralités des poèmes du peintre Serge Poliakoff, serait au point de départ de la musique contemporaine dans son propre travail.

16Les questions des deux dernières séances (« L’oralité sous-jacente à la partition » ; « Les dimensions symboliques de l’oralité et de l’écriture au regard de la modernité ») ont achevé de montrer la richesse des terrains d’enquête ouverts par le colloque. Du coté de l’histoire des idées, l’antagonisme effectivement représenté, dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles, par le procès entre les musiciens des Académies royales et les ménétriers, occupa la place centrale de l’intervention de Luc-Charles Dominique (université de Nice). Celui-ci illustra les termes, y compris juridiques, de cette dichotomie historique oral/écrit pour en souligner la nature réelle de dichotomie mémoire/histoire, la mémoire (la pratique ménétrière) étant destinée à être surpassée par l’histoire, c’est-à-dire par le progrès entraîné par l’écriture (la musique savante). Sur le terrain de l’esthétique, Marie-Noelle Masson a au contraire examiné le statut de la partition au regard de ses lectures potentielles. S’appuyant sur Genette et son idée de « donnée opérale », la communication a mis en relief l’importance de la lecture en tant que point intermédiaire entre trace écrite et interprétation et a montré sa force d’appropriation active – capable de déceler la modernité de l’œuvre – en ayant recours à l’exemple de « lectures » de l’œuvre de Bach effectuées par Gerd Zacher. De ce même point de vue esthétique, Bodil Børset (université de Trondheim, Norvège)2 a conduit une réflexion sur l’art radiophonique qui nous rappelle justement le caractère de communication orale des mass media, examinant l’oralité et l’écriture des pièces radiophoniques des années 1960 et 1970 nées dans le milieu du Nouveau Roman (Beckett, Sarraute, Pinget, Butor, Duras). Ni lecture ni pièce de théâtre, la création radio révèle par ces textes sa spécificité par rapport au théâtre ou à la littérature, qui peut être lue en termes de « silence, bruit, musicalité » à l’aide des notions d’image et de paysage sonore, puisque son écriture possède la nature de notation et de partition.

17D’autres communications ont enfin épuisé le titre du colloque sur le plan de la recherche historique. Sur des bases analytiques, Henri Gonnard (université de Tours) s’est attaché à montrer que le Quatuor à cordes de Debussy, dans son deuxième mouvement caractérisé par des conduites empruntées à l’oralité (réitération de formules rythmiques, emploi du mode andalou, etc.), se pose – avant le Prélude à l’après-midi d’un faune –, comme point de passage à la modernité. L’ouverture – substantielle, et non accessoire – à ce qui « n’a pas l’air d’être écrit » a ainsi tous les traits d’une utopie permettant de renouveler l’écriture, une « oraliture » coïncidant avec une crise du langage musical occidental qui mène au XXe siècle. Dans la même direction, j’ai moi-même tenté (université de Venise), dans une communication axée sur l’application à la musique savante du tournant du siècle de l’idée d’oralité développée par les recherches littéraires, de montrer en quoi la modernité est en corrélation avec une oralité sous-jacente à la partition qui, par le biais de trois dimensions – l’exotisme, l’ancien et le primitif –, se présente comme un retour aux racines orales du langage. Toujours dans cette perspective, Marie-Pierre Lassus (université de Lille III)3 a analysé Les Enfantines de Moussorgski, prenant en compte la dimension orale de la partition qui se révèle être une succession de gestes et de mouvements sonores. Elle a aussi rattaché les pièces concernées à l’idée d’archétype propre au compositeur, Les Enfantines étant une recréation du langage ancestral dont les rythmes et les mélodies – biologiques, anthropologiques – apparaissent sous-jacents à l’écriture.

18S’engageant ensuite dans le XXe siècle, Jean-François Trubert (université de Nice) a souligné, dans les travaux de Kurt Weill pour Bertold Brecht, l’incidence d’une écriture « dialectisée » accueillant l’hétérogène au point de ne se donner ni comme savante ni comme populaire, à mi-chemin entre écriture et oralité. Suivant l’idée de gestus de Brecht, Weill crée un langage qui s’ouvre au purement empirique, à des principes fonctionnels spontanés s’approchant des mécanismes de l’oralité, réalisation d’une modernité à vocation critique. Les contributions de Pierre Michel (université de Strasbourg II) et Patrick Otto (université de Rennes II) se sont enfin organisées autour de la musique après 1960. La première attira une nouvelle fois l’attention sur l’influence du jazz sur la musique (savante) de maints compositeurs – ici à partir de Berio et Zimmermann, touchant Tippett, Donatoni, Ligeti, Hurel, Turnage et d’autres – cette influence étant surtout intéressante en matière de techniques d’improvisation. C’est pourquoi l’improvisation simultanée des années 1960 fut au centre de la seconde intervention qui rendit compte de l’oralité « figurée » spécifique aux partitions verbales – véhicules de « communication orale » à l’intérieur d’un renouvellement total de la relation compositeur-musique-auditeur – cela dans l’œuvre, entre autres, de Stockhausen, Ferrari et Mariétan.

19En marge de ces réflexions, trois expositions ont été présentées. L’une, mise sur pied par Éric Lemaire, était dédiée au chansonnier du XIXe siècle Alexandre Joachim Desrousseaux et à ses créations populaires et dialectales dans lesquelles le caractère central de la performance amène l’oralité à primer sur l’écriture. L’autre, réalisée par Anne-Sophie Métairie, mettait en lumière quelques moments d’interaction écriture/visualité dans les grands opéras de Meyerbeer. La troisième, conçue par Claude Ribouillault et Jean-Louis Neveu, avait pour titre La voie des signes, ou Tradition orale écrite.En outre, le 30 janvier, un concert consacré aux Instruments et voix du moderne et rassemblant les différents ensembles instrumentaux et vocaux du département Musique et Musicologie de l’université de Tours fut offert aux participants et au public.

Notes   

1  Mes remerciements à Henri Gonnard qui a bien voulu réviser ce texte.

2  Contribution non prononcée, à paraître dans les Actes.

3  Idem.

Citation   

Adriana Guarnieri Corazzol, «Modernité, oralité, écriture : un colloque, Tours 20041», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], La société dans l’écriture musicale, Numéros de la revue, Comptes rendus de lecture, mis à  jour le : 30/01/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=152.

Auteur   

Adriana Guarnieri Corazzol