Logo du site de la Revue d'informatique musicale - RFIM - MSH Paris Nord

Réinventer l’héritage chorégraphique
Ou la passe des « Carnets Bagouet »

Isabelle Launay
mai 2011

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.145

Résumés   

Résumé

L’article entend analyser comment la modernité en danse pratique-t-elle le dialogue fondamental à toute société entre les morts et les vivants et à quelles conditions elle peut entretenir la dynamique d’un geste chorégraphique qui, pourtant, ne s’est inscrit sur aucune partition chorégraphique, si ce n’est dans la mémoire de corps humains. L’invention d’un tel projet mémoriel ne peut être que spécifique à chaque œuvre chorégraphique s’il désire échapper aux logiques mercantiles patrimoniales dominantes aujourd’hui. Il doit non seulement s’émanciper de la commande du « devoir de mémoire » pour activer les puissances d’un désir de mémoire, mais encore des limites d’une tradition orale marquée par la notion d’héritage et le modèle généalogique de la transmission qui le sous-tend. Transmettre, c’est alors repenser l’archive si elle s’inscrit à même le corps, réinventer de la partition en élaborant des surfaces d’inscription de l’événement ou de nouveaux cadres d’expérience, et tisser un art de la relation. A travers l’exemple de l’œuvre de Dominique Bagouet, transmise aujourd’hui par les soins d’un collectif de danseurs, les Carnets Bagouet, c’est à une redéfinition de la notion de « répertoire », à une dialectique entre histoire et mémoire, écriture et kinesthésies, que nous sommes invités pour rendre justice à la mouvance des œuvres en danse, comme à l’hétérogénéité des temps qui nous habitent.

Abstract

This article proposes an analysis of how modern dance practices a fundamental dialogue between the living and the dead. It also explores the conditions for sustaining the dynamics of choreographic gestures that are not written into a choreographic score, apart from the memory of the human body. The invention of this kind of memory project is a necessity for the choreographic work seeking to escape from the inherited commercial logic that dominates today. It must liberate itself not only from the imperative ‘obligatory memory’ in order to activate the forces of a desired memory, but also from the limits of an oral tradition marked by the notion of heritage, and the genealogical model of transmission that underscores it. Transmission thus means rethinking the notion of archives, since they may be inscribed directly into the body; reinventing the score by elaborating writing surfaces for an event or new framework of experience; and weaving an art of relationships. Taking as example the works of Dominique Bagouet, which are being transmitted today through the efforts of the dance collective ‘Bagouet Notebooks,’ we are invited into a new definition of the notion of ‘repertoire’ as dialectic between history and memory, writing and kinesthesia. We thereby render justice to a growing body of dance works as well as to the heterogeneity of the times we live in.

Index   

Texte intégral   

1Si la musique comme la danse sont dans la société, et inversement, ainsi qu’invite à le penser la thématique de ce numéro de Filigrane, c’est, entre autres, parce qu’elles ont à penser la manière dont elles entendent vivre et mourir, en d’autres termes, la nature du dialogue entre les œuvres des morts et celles des vivants, leur style de relation au passé. Ou encore à imaginer leurs modes de transmission, les valeurs, les modèles qui organisent leurs pratiques et leurs projets mémoriels. La danse, en tant qu’elle est sans doute l’art qui a le plus affaire avec le vivant, et en ce sens avec sa propre disparition ou son propre « désœuvrement », est largement tributaire, pour le meilleur et pour le pire, d’un modèle généalogique de la transmission, qu’elle relève du champ dit « classique » ou du champ dit « contemporain ». Dès lors que l’usage des partitions chorégraphiques y demeure dans tous les cas largement minoritaire, elle s’attache à entretenir une expérience du sensible de corps en corps, suivant les méandres et les aléas d’une tradition orale et kinesthésique. Ainsi, non sans soulever des difficultés, des compagnies de ballet dites « de répertoire » invitent des chorégraphes, classiques comme contemporains, à reprendre ou reconstruire des pièces chorégraphiques. D’autres compagnies, attachées au travail d’un artiste, peuvent demeurer actives après sa mort, sous la responsabilité d’un de ses assistants, qui a alors la charge de perpétuer et de faire fructifier la mémoire de son œuvre, (ainsi la compagnie de Martha Graham, ou celle d’Alvin Nikolaïs aux États-Unis). En dehors de ce destin patrimonial, que peut-il advenir d’une œuvre chorégraphique qui n’a pas été transcrite, sauf exception, sur une partition chorégraphique ?

2Est-ce à dire que la danse contemporaine, qui nous occupe ici, serait demeurée étrangère à l’histoire plus vaste de la modernité, et de la modernité en art, marquée entre autres par la fin de l’histoire comme progrès continu, par le déclin du concept « d’expérience » et par la crise de la transmission, analysés par nombre d’historiens et de philosophes à la lumière de Walter Benjamin ? De fait, une forme de modernité en danse fut, comme dans les autres arts, « une modernité liquidatrice1 » qui liquidait, diversement selon les époques et avec des effets à chaque fois différents, non seulement le passé, mais encore ses propres œuvres, et de surcroît la question même de la transmission, organisant à la fois l’amnésie et l’inaccessibilité des danseurs à l’histoire de leur art, en même temps qu’elle promouvait la figure des grands « maîtres » de la danse moderne. L’histoire de la danse contemporaine s’est vue ainsi prise de façon récurrente dans l’infernale dialectique destruction/reconstruction. Le mouvement de reconstruction qui porte avec lui bien souvent une sacralisation d’un passé qu’il s’agit de conserver et de commémorer dans des usages compensatoires à la crise de la transmission, définit ce qu’on pourrait appeler le souci récent du patrimoine chorégraphique2.

3Mais la modernité ne porte-t-elle pas aussi en elle ce qui tente de sauver une possibilité de la transmission ? Si elle était par définition ce qui résiste à la logique patrimoniale, et tenait à tout ce qui dans l’art refuse de se mettre au service du marché, la question ne serait plus : que transmettre de la modernité, mais : en quoi les œuvres chorégraphiques modernes impliquent-elles chacune une idée de la transmission ? Il s’agit alors de comprendre non plus l’art, ou la danse contemporaine, tels qu’ils sont transmis, mais tels qu’ils transmettent et inventent des dispositifs de transmission. En d’autres termes, la question pour les danseurs contemporains n’est pas tant de savoir quoi transmettre d’une œuvre chorégraphique, mais de prendre acte du fait qu’une œuvre porte déjà en elle une idée de la transmission, qu’il importe de l’objectiver et d’inventer une structure adéquate pour qu’elle puisse s’accomplir.

4Le devenir de l’œuvre du chorégraphe contemporain Dominique Bagouet3 témoigne que la mémoire d’une œuvre en danse peut s’effectuer selon d’autres chemins que ceux d’une compagnie de répertoire pérenne, garante (supposé telle) de l’intégrité d’une œuvre, sous le signe d’un nom propre patenté, ou sous le regard d’un disciple légitimé comme héritier artistique. Jamais encore dans l’histoire de la danse contemporaine, voire de la danse classique, un collectif de danseurs n’avait en effet pris en charge l’œuvre d’un chorégraphe dont ils avaient participé à la création, pour en élaborer les conditions de transmission, et au-delà, la spécificité « d’un répertoire contemporain ». À ce titre, l’expérience des « Carnets Bagouet », fondés en 1993, par les danseurs de Dominique Bagouet, nous semble unique dans sa réflexion en actes sur la mémoire des œuvres en danse contemporaine. En effet, leurs années d’expériences furent traversées de divers moments4 durant lesquels ils n’ont cessé de travailler dans le mouvement d’une auto-analyse collective, avec toutes les résistances et les tentations dogmatiques liées à une telle entreprise, à objectiver leur propre travail, à défaire les liens qui nouaient l’expérience passée pour en inventer d’autres, à découvrir leurs propres supports d’inscription de l’événement dansé, en vue non seulement de transmettre la dynamique d’une œuvre, mais de nourrir la dynamique même du désir de la transmettre. En d’autres termes, cette expérience pourrait se définir pour les danseurs autour de trois tentatives et questions essentielles :

  • Se détacher de leur expérience passée pour pouvoir en transmettre quelque chose.

  • S’interroger sur la nécessité ou non d’entretenir la mémoire de cette œuvre, et sur le désir même qu’ils en ont.

  • Problématiser le modèle généalogique à l’œuvre dans la tradition orale et ce que devient l’archive lorsqu’elle s’inscrit dans la corporéité elle-même.

5Comment leur démarche les a-t-elle conduits aujourd’hui à penser non plus en termes de « reconstruction » ou de « remontage », mais bien davantage de « démontage », voire de « déconstruction » pour qu’émerge une possible réinterprétation, ou une recréation, ou encore une « mise en scène », à savoir un espace de jeu pour l’œuvre de Bagouet, ou plus récemment encore une forme de « dissémination » de l’œuvre de Bagouet, et cela, y compris en dehors leur propre contrôle ?

La demande de répertoire ou « le devoir de mémoire »

6Dès la mort de Dominique Bagouet en décembre 1992, sous l’effet de l’émotion ou de la plus-value symbolique de la disparition, la pression des programmateurs pour présenter un spectacle de Bagouet fut forte, et sa mort souleva une inquiétude plus générale de la communauté chorégraphique sur le devenir des œuvres en danse contemporaine : rapidement, le Ballet Atlantique de la Rochelle et l’Opéra de Paris proposèrent aux danseurs de transmettre une œuvre de Bagouet. Et il fallut tout un effort collectif pour considérer qu’il était nécessaire de penser véritablement la réponse, qu’il n’y avait pas là un « patrimoine chorégraphique à gérer » et à perpétuer sous le mode d’une entrée au « répertoire », mais une responsabilité artistique à discuter, réfléchir et mettre en œuvre par ceux des artistes les plus proches de Bagouet, à savoir les danseurs qui avaient travaillé avec lui tout au long de sa carrière. La compagnie honora la fin de ses contrats, présenta un hommage à Bagouet au festival de Montpellier, puis un spectacle consacré à son œuvre au Festival d’Avignon 93. À l’issue de ce dernier, elle organisa sa dissolution pour que se déploient la création et l’aventure des « Carnets Bagouet » ; ce collectif de danseurs mettrait ainsi à l’œuvre la question qui se formulait alors : « Que fait-on de la danse de Dominique ? ».

7« Donner la danse de Dominique à d’autres danseurs » est ce que souhaitaient d’emblée les Carnets. Ce don était fondé à la fois sur le désir de continuer de danser cette œuvre et sur le sentiment d’une forme de responsabilité à l’égard des générations à venir. L’élan pour la transmettre rencontrait à ce moment-là, sur un mode consensuel, le désir de tous, le désir des interprètes, l’attente du public, comme celui de quelques responsables d’institutions importantes. Cette demande les enjoignait de faire quelque chose sous le mode d’un « vous héritez d’un trésor chorégraphique dont vous êtes les témoins et les dépositaires, vous avez une responsabilité artistique à l’égard de cette œuvre majeure, vous devez en faire quelque chose. » Dans ce contexte artistique, les interprètes ainsi élus, voire assignés au lourd statut « d’héritier » et de « témoin » incarnant l’œuvre de Bagouet ou se l’auto-assignant, et désormais tenus pour garants de l’œuvre du chorégraphe, se voyaient dès lors investis d’une forme de mission de sauvegarde et de « devoir de mémoire ». Expression particulièrement prisée par l’époque et portée par la vague de succès de l’entreprise des « lieux de mémoire » initiée dans le champ de l’histoire avant d’être largement médiatisée et reprise dans la conscience collective5. En ce sens, les Carnets croisaient une demande patrimoniale sans pour autant céder véritablement leur désir pour celui de l’institution.

8Pour que la conscience et l’invention d’un mode de transmission puissent se faire, encore fallait-il non seulement qu’un sens du « révolu » advienne – mettre à distance cette invitation institutionnelle plus ou moins déjà intégrée ou subie, afin d’imaginer son mode singulier d’inscription dans l’histoire. Le devoir de mémoire suppose en effet une « dette » artistique et une nécessaire « fidélité » à la mémoire. Le devenir de l’œuvre était ainsi de facto attaché à un impératif, « il faut transmettre », au risque de compromettre sa dynamique même et d’occulter le désir de ceux qui étaient censés la porter. Car si les danseurs étaient sources d’informations privilégiées et multiples sur cette œuvre, la « source » pouvait facilement oublier le cycle de l’eau par lequel elle existait et s’instituer ou être instituée désormais comme « origine ». Tentation dogmatique indiquant comme un amour de l’orthodoxie qui risquait de transformer un projet mémoriel en « bonne action » et les danseurs en « bons sujets ».

9De fait, le mouvement de patrimonialisation de « l’art contemporain » pouvait englober entièrement l’œuvre de Bagouet pour la mettre au service de la valeur et de l’institution culturelle, la transformer ainsi en produit culturel sous l’étiquette d’un « répertoire contemporain » transmis dans le cadre d’expérience de la tradition des ballets et de son dispositif classique. Les danseurs auraient alors pu rapidement perpétuer « une compagnie Bagouet » qui aurait continué de danser « du » Bagouet, et répondre ainsi efficacement aux demandes de répertoire contemporain pour des compagnies internationales. La demande patrimoniale telle que l’analysent, après quelques années de recul, les Carnets Bagouet, entend en effet « programmer » l’œuvre : dans ce programme, la pièce présentée constitue a priori un « chef d’œuvre » que l’on croit déjà connaître, représentatif d’un répertoire contemporain. En outre, le nom Bagouet fait venir du public, fonctionne comme un label de qualité chorégraphique, d’autant plus sûr que le chorégraphe est mort, et qui permet au théâtre de jouir d’une plus-value sur la signature. Non sans ironie, les danseurs des Carnets peuvent affirmer qu’il est plus facile de programmer « du Bagouet » mort que des pièces de Bagouet de son vivant. L’assurance sur le nom va de pair avec l’assurance que ce sont bien les « héritiers » qui se chargent de la « reprise »6. La demande de répertoire est donc demande de reproduction d’un produit Bagouet dont il s’agit aussi d’exporter la « qualité française » au gré des aléas de la politique étrangère culturelle de la France et des priorités de l’Association française d’action culturelle (en Russie telle année et non au Maroc, ou en Pologne telle autre année et non en Amérique du Sud). Programmer et faire ainsi circuler une œuvre de Bagouet, ou mieux « du Bagouet en kit7 » avec une présentation d’extraits du répertoire, des cours et des ateliers « Bagouet », par des « anciens Bagouet », c’est dès lors attendre de l’œuvre qu’elle soit stabilisée et permanente. Cette circulation d’une « mémoire en kit », mue par le désir du même, tente de masquer la nécessaire « mouvance de l’œuvre8 », son instabilité liée à sa nature de spectacle vivant. Elle écrase ses effets de mouvance et surtout refoule sa nécessaire transformation dès lors qu’elle entre en écho avec les corps présents.

10Si le passé est établi par les soins d’une tradition orale qui sait a priori comment une œuvre se doit d’être interprétée, le travail de reprise en est facilité. L’œuvre identifiée suivant une histoire connue par cœur peut se transmettre sur un mode déjà raconté. Le passé intervient ainsi dans le présent pour ne pas le troubler, clos, achevé, il ne peut que se répéter, s’arrêter sur une idée de ce que peut être l’œuvre. L’enjeu de la circulation du patrimoine n’est pas d’être attentif à ce qui dans le passé pourrait venir étonner ou surprendre le présent, ou à ce qui parle dans une corporéité passée devenue étrangère. L’identité de l’œuvre établie pour la faire circuler à peu de frais lui impose de fait un seul mode de présence, fixe la relation au passé, cherche à « retrouver » un état de la danse. Enkysté, le souvenir sonne alors comme un rappel à l’ordre passé. Il devient l’objet d’une révérence prise dans une attirance pour le révolu, comme s’il n’y avait plus d’espoir dans le passé, comme si l’on ne pouvait plus rien en attendre. Un « remontage » ne demande que peu de temps dès lors qu’il n’est plus question de traverser un processus : la maîtrise du vocabulaire et de l’écriture suffit pour une œuvre prise dans une reproduction technique, il ne s’agit plus d’interpréter un geste, d’élaborer un point de vue ou un parti pris d’interprétation.

11En risquant d’entrer ainsi dans le système mercantile du répertoire, l’œuvre de Bagouet ne bénéficiait pas non plus de la liberté et de la fécondité d’un « dispositif classique9 », à savoir de ses effets de mouvance qui permettent, pour le meilleur comme pour le pire, que se déploient toutes les variations et interprétations d’un même rôle. Les Carnets Bagouet, comme une grande part de la communauté des danseurs contemporains, demeuraient encore très attachés à une éthique auctoriale de l’interprétation. Les conditions n’étaient pas encore réunies pour que l’œuvre puisse mettre en mouvement, à nouveaux frais, sa propre poétique de la variation. Il fallait, pour ce faire, autant s’émanciper d’un « devoir de mémoire » que mener une critique du dogme moderne qui attache un rôle à un danseur. Défaire le lien entre écriture et interprétation fondées sur la rencontre entre chorégraphe et danseur, penser les conditions par lesquelles un danseur peut devenir interprète de sa propre danse, et être donc en mesure de transmettre, non pas « sa danse » – danse qu’il ne peut même pas retrouver lui-même – mais l’expérimentation d’un nouveau cadre d’expérience, telle était la nature des questions posées.

Les intermittences de l’héritage

12Ce cadre d’expérience était de fait déjà né de l’œuvre de Bagouet. En ne confiant pas son héritage artistique à un ou plusieurs de ses collaborateurs, il avait permis ce faisant que puisse se déployer le paradoxe propre à la notion d’héritage10, à savoir qu’un héritage artistique véritable n’est pas un héritage prévisible ou prédéterminé. En se dessaisissant du contrôle sur son œuvre, il permettait peut-être qu’un véritable héritage puisse s’accomplir, décentrant en quelque sorte le sujet de son œuvre, introduisant le risque d’une non-maîtrise et l’impossible autorité monarchique. Il donnait en quelque sorte, par son retrait même, le pouvoir aux danseurs de s’autoriser d’eux-mêmes non plus seulement à le danser mais à l’interpréter, à le faire en tant qu’artistes. En n’organisant pas son héritage artistique, en créant les conditions d’une appropriation par tous du trésor chorégraphique, il faisait de chacun le propriétaire potentiel d’une partie de l’œuvre, même s’il ouvrait aussi la possibilité de rivalités fratricides, les difficultés liées aux transferts qui n’avaient pas manqué d’avoir lieu sur une si longue période. Il ouvrait surtout sur la possibilité d’un débat sur le devenir de son œuvre et renvoyait la question de la responsabilité à ceux qui voudraient bien la prendre en connaissance de cause. Il permettait la relance de son œuvre comme la possibilité de la contresigner. L’œuvre appartenait à l’initiative, au bien commun, en bref à ceux qui la travailleraient. « Tombée dans l’histoire » ou « portée par l’histoire », ce devenir ne pourrait être que chaotique et imprévisible. Et faire vivre, en ce sens, c’est interpréter, transformer, « toucher » l’œuvre, et dans un mouvement de double capture, « s’en prendre » à elle, s’expliquer avec elle.

13En écho au geste de retrait de Bagouet, ses danseurs ont ouvert la dynamique de la transmission par le geste d’une dissolution de la compagnie. Cette dissolution, idéalement, renvoyait chaque danseur à lui-même et le mettait d’une certaine façon en situation de pouvoir définir son désir quant au devenir de l’œuvre de Bagouet. Ce faisant, elle permettait la possibilité d’une transmission sans refoulement, en d’autres termes, la possibilité de « passer » la façon dont Bagouet réinventait la danse en la réinventant eux-mêmes, à commencer par une structure économique autre que celle d’une compagnie de répertoire.

14Les Carnets Bagouet ont en effet choisi d’une certaine manière l’intermittence économique qui leur permet de travailler depuis dix ans tout en n’étant jamais certains de continuer à pouvoir ou à vouloir le faire. Choix à l’image de leur logique artistique qui intègre de gré ou de force la discontinuité dans la continuité, la remise en cause régulière de son existence. En d’autres termes, les Carnets ne peuvent participer économiquement d’une logique stable de « patrimoine », ils ne touchent pas de rente assurée, la logique de leur projet mémoriel relève aussi du régime d’une intermittence économique. En outre, ses membres ne sont pas spécialisés dans le répertoire de Bagouet. Chacun est par ailleurs danseur dans d’autres compagnies, pédagogue ou encore chorégraphe. En d’autres termes, la vie professionnelle de chacun ne dépend pas des Carnets11. Enfin, l’intermittence concerne le « conseil artistique » lui-même, cellule de réflexion en discussion contradictoire permanente, dont certains membres sont partis depuis longtemps, dont d’autres vont et viennent, dont d’autres encore y restent attachés car l’actualité de cette mémoire n’obéit pas au même rythme pour tous. Si les Carnets ont effectivement traversé des moments dogmatiques, dès lors que seuls les danseurs de Bagouet pouvaient être garants de son message chorégraphique, leur dynamique les conduit aujourd’hui à accueillir ou inviter d’autres danseurs, artistes ou chercheurs, et promet de s’ouvrir davantage. Le devenir des Carnets n’est plus uniquement lié à la seule présence de ses anciens danseurs, comme si seule une vraie curiosité pour cette œuvre pouvait désormais en entretenir la force et la fragilité essentielle. Elle est de fait déjà prise en charge par d’autres danseurs contemporains, suivant d’autres dispositifs de travail et d’autres désirs et, s’ils en sont informés, ils n’en sont plus toujours les initiateurs. L’intelligence et la vitalité des Carnets est d’en prendre acte et d’y saisir une chance pour stimuler l’invention d’autres possibles. Le devenir ou la tradition Bagouet furent ainsi travaillés de manière collective et discontinue, sous le régime d’une intermittence de la transmission, afin que l’héritage ne puisse se résorber dans une rente, qu’elle soit économique ou artistique. De fait, entre 1993 et 2005, les formes et les forces à l’œuvre dans ce dialogue avec le travail de Bagouet ont radicalement évolué, la multiplicité des réponses, les manières de faire ont au fur et mesure ouvert davantage les modalités de ce travail mémoriel, jusqu’à envisager aujourd’hui une disparition possible de cette structure sous cette forme.

15Dans cette perspective, le terme de « remontage » paraît inadéquat et génère une confusion propre à contrarier l’évolution d’une relation à cette œuvre. Une œuvre ne se « remonte » pas comme on remonterait une montre ou un jeu de construction, la montre n’est pas le temps, comme la carte n’est pas le territoire, et un jeu de mécano n’est pas un jeu de scène. Si les corps dansants ne sont pas des instruments, la danse des danseurs de Bagouet avait déjà elle-même changé du temps de Bagouet, et continue de le faire. La notion de « remontage » suppose une force d’oubli puisqu’elle organise la réification de l’œuvre et, par là même, la disparition de ce qui faisait sa puissance de vie, à savoir la faculté de réinventer sa relation au passé, propre à toute danse contemporaine. Mais elle révèle aussi une résistance des Carnets Bagouet sous le mode d’un « je sais bien… mais quand même » : « je sais bien qu’un remontage n’est pas le retour de la pièce à l’identique, qu’il est toujours décevant, mais quand même… j’aimerais retrouver une part de la danse-de-Dominique. » Résistance qui permettait par ailleurs de différencier le travail des Carnets Bagouet de celui d’un autre collectif, le Quatuor Knust12, préoccupé par la reprise d’œuvres importantes de la modernité en danse, qui historicisait d’emblée la relation à l’œuvre passée. Point de vue qu’il pouvait prendre plus aisément dès lors qu’il ne s’était pas constitué, d’une part, à partir du partage d’un deuil d’une relation à l’auteur d’une œuvre, et d’autre part, qu’il se fondait sur la lecture des partitions chorégraphiques établies. Pour ouvrir leur danse, il leur fallait réouvrir le temps, en d’autres termes, relier le fait de danser et de transmettre encore le geste de Bagouet en restant à l’écoute du présent. Redéfinir des enjeux de transmission différents en 1993, en 2000 ou en 2004, faire apparaître un point de vue sur l’œuvre qui n’avait pas été encore perçu, éclairer ce que l’œuvre de Bagouet pouvait dire en creux des manques, des impasses ou des possibles de la danse d’aujourd’hui, ou imaginer passer le relais à d’autres artistes qui ne connaissaient pas l’œuvre de Bagouet et qui, tels des « maîtres ignorants13 », pourraient réinventer une œuvre de Bagouet.

16Il fallait aussi prendre acte du caractère de moins en moins évident pour de jeunes danseurs de danser du Bagouet : un écart physique et psychique s’était creusé entre deux générations aux cultures gestuelles différentes, les postures avaient travaillé en fonction de techniques, et donc d’attitudes, de représentations et d’imaginaires du métier autres. Un danseur en 2005 ne pouvait donc pas se projeter de la même façon sur un plateau qu’un danseur en 1990. À défaut de quoi, les Carnets se condamnaient à n’avoir plus d’échos dans le champ contemporain, et à ne pouvoir qu’investir le champ fermé du patrimoine de « la danse contemporaine française des années quatre-vingt », bref à faire œuvre de « reconstruction ». Il ne s’agit plus de remonter le temps, mais bien de le tisser, mettre le temps à l’œuvre pour penser les temps de l’œuvre dès lors qu’est acceptée l’idée d’une impossible reconduction à l’identique. Promouvoir une transmission non seulement intermittente, mais qui œuvre aussi à son propre désœuvrement, c’est aussi penser que la mémoire est d’abord un projet où se nouent, se négocient et s’imbriquent passé, présent, futur. C’est non pas tisser une concordance des temps, mais faire résonner la discordance des temps et donc des corporéités hétérogènes. Si les Carnets ont su depuis plus de dix ans demeurer un projet inachevé, c’est parce qu’ils tentent, au risque de leur dissolution, une renégociation continue du sens de l’œuvre porté par un indispensable débat contradictoire.

Transmettre-dénouer : de « la-danse-de-Dominique » à « l’œuvre de Bagouet »

17Rappelons que Bagouet entretenait, à sa façon, un véritable amour pour ses interprètes, un intérêt passionné, amour qu’ils lui rendaient bien par la qualité de leur travail et leur investissement. Aussi « le transfert de travail », pour reprendre un vocabulaire psychanalytique, était-il énorme dès lors que Bagouet avait su transmettre et faire partager un amour pour la quête d’un style ou d’un mode d’existence de la danse, portée par son esthétique et son éthique du travail. Au cours des années, et pour chacun différemment, il semble que ce travail les a révélés, en partie ou complètement, à eux-mêmes en tant que sujets dansants, comme il a pu aussi révéler à Bagouet son potentiel chorégraphique. En ce sens, l’écriture chorégraphique de Bagouet, d’une certaine façon, appelle sa transmission, à un point tel qu’on pourrait parler à son sujet de machinerie à transmission. À ce titre, l’œuvre contenait en germe l’aventure des Carnets et c’est pourquoi une telle aventure est unique et attachée à l’œuvre de Bagouet, dès lors qu’aucune compagnie de danse contemporaine n’a encore eu le désir de transmettre à ce point à la fois l’esthétique d’une écriture et l’éthique d’un travail. L’écriture de Bagouet fut travaillée par la possibilité d’accueillir ce qui en est le dehors, elle est intensément marquée, ainsi l’a analysée Isabelle Ginot, par les signatures de ses interprètes, nourrie par le travail d’une inter-corporéité ou d’une inter-gestualité cultivée sur le long terme dans la compagnie Bagouet14. Déjà au sein de la compagnie un intense travail d’initiation se développait non seulement de Bagouet à ses danseurs, mais de danseur à danseur, et à d’autres danseurs venus d’autres formations. En ce sens, une écriture métissée, impure, marquée par les traces des idiomes gestuels de chacun de ses danseurs, et qui permettait une déclinaison stylistique de son écriture en fonction de ses interprètes.

18En outre, cet attachement de Bagouet à ses danseurs se fondait aussi – c’est peut-être une hypothèse fragile – sur le fait de ne pas trouver évident qu’un homme ou qu’une femme puisse danser, qu’il puisse y avoir « du danser » ou que « ça puisse danser ». Une curiosité ou une faculté rare et constante d’étonnement devant ce qui advenait dans le studio ou sur scène. Autrement dit, en nouant l’existence d’une danse si ce n’est à l’impossibilité de danser, du moins à sa difficulté, il développait, comme l’évoque Isabelle Ginot dans son parcours de l’œuvre de Bagouet, une esthétique de la maladresse. Esthétique que je rapproche ici de la logique « du mot d’esprit », où la danse de chaque interprète laisse affleurer, au sein d’une écriture chorégraphique extrêmement précise et rigoureuse, les traces d’exclusion inconscientes qui constitue aussi l’histoire d’un corps et de sa rencontre avec cette écriture, composant ainsi une écriture du « geste d’esprit » par quoi s’échappe et s’exprime la présence d’un désir ou d’un savoir inconscient qui touche le spectateur.

19Réinventer l’héritage, ou « faire retour » à l’œuvre de Bagouet, supposait d’envisager non plus « la-danse-de-Dominique » mais « l’œuvre de Bagouet », à défaut de quoi ce n’était pas encore une « transmission », mais une forme d’initiation à des « danses » qui n’étaient pas des « rôles ». Un important travail de « reprise » qui, s’il n’était pas encore pensé en termes de « transmission », s’était déjà effectué au sein de la compagnie. Les « danses de X ou de Y » circulaient donc déjà entre pairs, ou de l’aîné au plus jeune, suivant la logique d’une tradition, où l’aîné passe son « tour de main » au cadet saisi dans la dynamique d’une imprégnation et d’une culture du sensible à partager. Dans ce cadre, la transmission relève davantage d’une forme d’initiation semi-consciente et d’une délégation du pouvoir de danser telle ou telle danse, que d’une transmission. X dansait à la place de Y auquel il se substituait, à partir d’une confiance acquise, d’une évidence et connivence liées au partage des savoirs et/ou d’une vie commune au sein de la compagnie. Tous étaient dans le même bain, la transmission n’était pas encore vécue comme l’épreuve d’une altérité, elle se faisait de manière endogène, dans une « famille Bagouet » plus ou moins large. Du vivant de Bagouet, « la-danse-de-Dominique » se modulait donc au creux de l’oreille, se concluant souvent par un « tu t’arranges », glissé dans le creux de l’oreille. Mais ces arrangements furent immédiatement contestés dès lors que Bagouet n’était plus là15. Le cadre d’expérience symbolique avait changé, un danseur ne pouvait plus s’autoriser de lui-même de tels arrangements ou aménagements, ni ne l’était par les autres dans un jeu de « reprise de rôle » qui n’en était pas encore un. L’instance symbolique qui garantissait contre l’arbitraire étant absente, ce qui était tenu pour évident en présence de l’auteur ne l’était plus, la justesse d’un geste comme le jugement étaient dépendants de sa présence et non des règles d’une tradition ou d’un protocole. On ne pouvait plus toucher à la « danse-de-Dominique » au risque de la trahir, prendre la place vacante d’un autre, surtout s’il était l’auteur, affirmer être auteur, non de la danse en soi, mais d’une interprétation possible d’un rôle. Le « rôle » s’attachait désormais à celui qui l’avait dansé, il se vivait comme incarnant cette danse, rendant délicat tout jeu de rôle possible. Il tombait désormais sous le régime de la propriété symbolique et de l’identité.

20De fait, « la danse-de-Dominique », contrairement à son rôle, lui appartient effectivement en propre, comme la danse de chaque « danseur » lui appartient en propre, et cette danse-là meurt effectivement chaque soir qu’elle se performe en public, elle est, pour chaque danseur et spectateur qui la vit, irreproductible et irréductible, elle a existé, elle n’existe plus. Et Dominique Bagouet, comme tous les autres, ne pouvaient non plus retrouver leur « danse » d’un soir, celle qui les reliait à d’autres, à un espace, pour des instants parfois inouïs. Aussi fallait-il prendre le temps de pouvoir se séparer radicalement de « la-danse-de-Dominique » qui s’arrangeait entre danseurs de Dominique, élaborer la partition d’un rôle, démonter la danse pour y remettre du jeu, sans quoi la douleur de « se voir danser » dans le corps de quelqu’un d’autre et donc de voir mourir cette part de soi qui dansait avec Bagouet ne pouvait que se réitérer dans le spectacle des remontages. Un deuil devait s’élaborer pour découvrir l’œuvre au travail dans la « danse-de-Dominique », travail qui permettait aux identités des danseurs-de-Dominique de se transformer, de s’énoncer et de vivre comme interprètes, auteur de leur interprétation d’un rôle dans l’œuvre de Bagouet. Bref, de redéfinir les places de chacun dans ce passage de la mémoire à l’histoire.

21Cette relation de l’écriture au geste du danseur n’est pas en soi spécifique de l’œuvre bagouetienne. La composition d’un rôle sur mesure pour tel soliste participe aussi de la longue tradition du ballet classique. Quelle serait donc la différence ? C’est que ce « sur mesure » se perd dans le système de circulation patrimoniale de l’œuvre chorégraphique et de ses reprises de rôle, au profit de pas ou de variations16 devenus des « standards » de la danse classique, appauvrissant ainsi la mémoire, écrasant ses réels effets de mouvance, les variations de la variation. Les Carnets redéfinissent ainsi ce que pourrait être une esthétique de la variation déplacée dans le champ de la danse contemporaine, à savoir les possibilités d’un répertoire contemporain dans un cadre d’expérience non standardisé. D’une part, parce que l’interprète ne peut permuter avec un autre comme dans le cadre des décors humains du ballet, ou dans le cadre des variations-standards des grands ballets classiques, sans changer la texture même de l’œuvre. Le dispositif classique permettait une poétique de la variation des différentes versions d’un ballet parce que le ballet repose à la fois sur un vocabulaire commun et sur des habitus esthétiques à partir desquels une multiplicité de combinaisons et d’interprétations est non seulement admise mais recherchée : la variation classique n’a pas de sens sans ses possibilités de déclinaison. Et l’idée d’œuvre est cela même que le ballet du XIXe siècle n’a pas entièrement établi malgré les efforts des artistes et tout un discours patrimonial. Or c’est bien à l’idée d’« œuvre » que tiennent les danseurs de Bagouet. Il ne s’agit donc ni de l’abandonner au profit d’une série de variations de variations d’une version d’un ballet, ni de la réifier en un objet stable et permanent, mais d’en définir les éléments constitutifs à partir desquels elle peut s’interpréter et se réinterpréter dans la confrontation entre différentes sources, notation, vidéos, témoignages de danseurs. Il y a besoin d’une surface d’inscription de départ pour lancer le nombre des interprétations, on ne peut donc abandonner l’idée même d’une œuvre de départ17, ou mieux, une fiction d’œuvre, à condition d’en penser les degrés de mouvance et le cadre d’expérience. Mais une fiction de l’œuvre n’est pas un abandon de l’œuvre. Elle met en jeu toutes les puissances déployées par sa réalité virtuelle, son spectre ou son fantôme. Enfin, chaque interprète a d’une certaine manière accès avec la même égalité à la mémoire de l’œuvre, elle n’est pas réservée aux seules étoiles. Et surtout parce que la notion de « reprise de rôle » pour les Carnets Bagouet, implique une construction même du « rôle », sous l’effet de la déconstruction de la danse et de la traversée d’un processus à chaque fois singulier.

22L’œuvre est prise dans des effets de mouvance qui définissent des états de l’œuvre, (elle n’est ni attachée et figée au souvenir de celui qui l’a dansée, ni réduite à sa version standardisée par une mémoire appauvrie), elle vit suivant des modes eux-mêmes imprévisibles qui tiennent à la rencontre entre passé et présent dès lors qu’on ne peut prévoir l’événement, ce qui arrive dans ce « qui passe » entre les sujets des inconscients qui œuvrent dans l’échange. Cet échange leur permet de devenir auteurs-interprètes d’une danse au travail dans l’œuvre d’un autre.

Transmettre-traduire ?

23Les danseurs, comme tout autre corps de métier, peuvent avoir sur leur activité et leurs pratiques des idées ou des images qui, si elles ne sont pas toujours bien arrêtées et si leurs contours demeurent parfois indéfinis, servent davantage de supports psychiques qui permettent de construire une représentation plus ou moins valorisante du sens de leur activité. Ils partagent en tous cas avec les traducteurs l’image du « passeur »18. Si le traducteur est cet être qui permet au lecteur d’aborder d’autres rives littéraires, dans le transport d’une langue à l’autre, le danseur est celui grâce à qui une écriture chorégraphique s’incarne, il est celui qui la porte, se laisse traverser par elle et la transforme devant les yeux du spectateur. L’interprète permettrait le passage d’une écriture chorégraphique pensée à partir de la corporéité du chorégraphe vers son propre corps, comme s’il interprétait, traduisait la langue du corps de l’autre. Ce corps-interprétant permet au spectateur d’avoir accès à un monde gestuel. Il est convaincu de sa nécessaire fonction de passeur, au service d’un projet chorégraphique, en permet la diffusion et la propagation dès lors que la reprise de rôles est aussi pensée comme le passage d’un corps à l’autre d’une partition chorégraphique.

24Mais si l’image du danseur-passeur, comme celle du traducteur-passeur, est une image précieuse et valorisante, sa limpidité peut être trompeuse. Car face à un idéal à atteindre vient toujours le bien connu « traduttore-traditore », la présomption d’intraduisibilité ou d’intransmissibilité essentielles, qui en deviendrait même une valeur : on ne peut pas en soi « redanser », une nécessité intérieure ne se transmet pas. La valeur unique d’une danse, son noyau de sens, la qualité de présence du danseur échapperait par nature à toute transmission, condamnant à l’avance tout projet de transmission. La reprise d’une danse, sa traduction dans le corps d’un autre ne saurait être qu’un pis-aller. L’itération serait a priori du côté de la perte, et se définirait d’abord par rapport à ce qu’elle n’est pas, par son manque à danser, par l’absence du génie propre au geste de tel interprète ou chorégraphe lié à telle rencontre, tel moment. Ce manque à être dans le travail du danseur comme du traducteur repose sur le fantasme d’une transposition parfaite d’un original supposé, d’une réplique ou d’une reproduction. Pourtant la résistance à la transmission, comme à la traduction, est d’une certaine façon aussi forte que le désir de transmettre.

25Dès lors comment sortir de la négativité de cette approche ? Pourquoi cette résistance et cette déception programmée ? La rhétorique tragique de l’éphémère en danse, la sacralisation et l’extase de la disparition, de l’acte performé comme dépense sacrée, participent encore de ces « résistances à la transmission »19. On pourrait faire ici l’hypothèse que toute culture gestuelle résiste à sa transmission, et que tout danseur résiste à la transmission de son propre geste, même s’il en a peut-être besoin. La visée même de l’acte de transmission en danse ne heurte-t-elle pas de front ce qui fait l’idiosyncrasie gestuelle et culturelle de chacun et ne heurte-t-elle pas aussi cette forme de narcissisme qui fait que l’on se voudrait unique, pur, un soi suffisant pour marquer de sa signature, de son idiome propre telle partition, tel rôle ? Une danse qui serait suffisante en elle-même pour à la fois rayonner sur les autres et s’approprier leur avenir, une interprétation « inoubliable », indépassable, totale, absolue. L’acte de transmission en danse, comme l’acte de traduire, ne portent-ils pas en eux quelque chose de la violence du métissage, de l’impur ?

26Aussi le danseur qui transmet une danse peut-il être pris par un double mouvement contradictoire. D’une part, celui d’une transmission en quelque sorte auto-centrée, qui s’approprierait ou tenterait de réduire à soi le rôle et, d’autre part, une visée éthique de l’interprète marquée par l’ouverture à l’autre, le dialogue, le décentrement. La traduction comme la transmission en danse implique alors une mise en relation, une mise en co-présence non plus de deux langues, mais de deux corporéités, de deux « sentir », de deux systèmes de coordination, de deux imaginaires du mouvement et deux imaginaires du métier, de deux rapports au monde qui vont bouger l’un par rapport à l’autre. Il s’agit en quelque sorte d’ouvrir le mot, comme le geste, pour en faire sortir les pensées et les possibilités qu’il abrite, repenser le geste dans un cadre non familier, pour un autre corps, pour un autre sol, vers une autre orientation. Transmettre, interpréter, c’est donner une nouvelle chance d’exister à une écriture chorégraphique dont la signification n’a pas encore été épuisée. C’est ouvrir une écriture élaborée avec soi au devenir d’autres interprétations. En ce sens, l’écriture de Bagouet n’est pas perdue, elle serait encore à venir. S’il leur reste encore à découvrir cette œuvre, s’ils ne savent toujours pas ce qu’elle est et s’ils sont toujours « habités » par la danse-de-Dominique, les Carnets Bagouet en seraient en quelque sorte devenus, non plus les danseurs-propriétaires mais davantage les interprètes-locataires intermittents.

27Mais qu’est-ce qui résulte de ces déménagements, de ces mouvements de terrain ou de ces ondes de choc ? Que devient l’énergie libérée dans ce lâcher-prise ? Et comme toute énergie libérée, ne peut-elle s’investir ailleurs ? Mais où ? Ne peut-elle pas alors servir à potentialiser les effets de la transmission d’un geste ? Transmettre un geste, ce serait alors l’ébranler dans sa prétention à l’éternité, à la clôture, à sa suffisance, mettre son geste à l’épreuve de l’étranger, le confronter à un geste autre que le sien, à sa propre extériorité, à son dehors. Si l’acte de traduire invite à décentrer la langue maternelle, à mettre en brèche une frilosité linguistico-identitaire, il conduit à penser sa propre langue comme une langue parmi d’autres. En ce sens, accepter de transmettre son geste vient trancher non tant la relation de confiance première liée à notre langue maternelle (à l’œuvre dans l’acte de traduire), mais la relation de confiance première fondatrice de notre être kinesthésique. Sorte de transgression initiale qui permet d’excentrer sa propre histoire corporelle. On comprend combien effectivement une expérience de transmission peut être déstabilisante dès lors qu’elle vient relativiser ce qui constitue notre « gestêtre » (au sens où Lacan parlait d’un « parlêtre ») qui nous relie à la façon dont nous avons investi les gestes fondamentaux, gestes qui nous ont constitués, portés, repoussés, fabriqués, cultivés. On pourrait ici faire l’hypothèse que ce « gestêtre », comme le « parlêtre », est structuré non pas uniquement par « la langue de la nourrice » (qui n’est pas forcément la mère ou le père), mais aussi par « les gestes de la nourrice », puis par les gestes de tous ceux qui initient un devenir-danseur. L’accès à la verticalisation, puis la marche, et l’ensemble de la motricité, comme l’accès au langage, ne sont pas donnés, ils se structurent en fonction de la structure des gestes de tous ceux qui « nourrissent » l’apprenti danseur et développent sa propension à sans cesse reconstruire, justement, ce qui le tient debout.

28L’histoire de cette structuration délivre un idiome gestuel spécifique à chacun, qui constitue sa « mélodie posturale » singulière, sa ritournelle propre, sa signature gestuelle, sa propriété idiomatique. Idiomatique au sens ou l’entendait aussi Derrida, « comme propriété que l’on ne peut pas s’approprier, elle vous signe sans vous appartenir20. » Le « corps verbal, précise-t-il, ne se laisse pas traduire, ou transporter dans une autre langue. Il est cela même que la traduction laisse tomber. Laisser tomber le corps, telle est l’énergie essentielle de la traduction21. » De tels propos ne peuvent que résonner dans le cadre de la transmission d’un geste, car il s’agit bien de laisser tomber son corps, de se déprendre de son propre corps à ce moment-là, dans ce lieu-là, sur ce sol-là, avec ces gens-là, cette lumière, cette musique, cette atmosphère, bref de se défaire du contexte d’émergence d’un geste, pour ouvrir un nouvel espace d’interprétation. Potentialiser les effets d’une transmission gestuelle, ce serait aussi l’occasion pour les interprètes de préciser l’idée régulatrice qui organise un projet concret d’interprétation et qui provoque le désir d’interpréter telle ou telle danse plutôt que telle autre, comme celui d’être interprété par tel ou tel danseur.

29La « passe »22 de l’œuvre de Bagouet, le moment de la transmission, est cela même qui institue les « danseurs-de-Dominique » comme « interprètes », comme elle institue « la-danse-de-Dominique » en « œuvre de Bagouet ». Les anciens danseurs de Bagouet en deviennent effectivement les interprètes par le biais des futurs danseurs. Le mouvement de la passe oblige de fait, par ses effets d’après-coup, à porter un regard analytique sur leurs danses, à témoigner, à mettre en récits et en gestes leur histoire gestuelle passée, à élucider leur désir de travailler encore cette œuvre, les poussant à chercher des formes d’énoncés par lesquels ils pourraient traduire cette expérience, ouvrir sur sa possibilité d’être partagée, réinterprétée. Il s’agit de faire parler leur danse à travers ce qu’ils en savent et ce qu’ils n’en savent pas encore, à travers ses failles et ses blancs. Faire bouger un bloc de mémoire sensorielle à des fins de réinventions mouvantes.

30« Passer » la danse à d’autres impliquait donc de se défaire d’une volonté de maîtrise, à la fois en termes de savoir-faire tout autant que d’identification. S’engage alors toute une éthique de l’interprétation qui permet de faire une place à l’autre dans le moment même de la remémoration de sa propre danse. « C’était un mouvement avec un truc dans l’épaule que je ne faisais pas bien », ou encore : « Ça, je ne le faisais pas très bien à ce moment-là. » « Ce que Dominique voulait dans ce trio et qu’on n’arrivait pas toujours bien à faire… » Tout un réseau d’indications ou de remarques qui défont le fantasme de maîtrise et l’effet d’emprise d’un interprète vis-à-vis d’une danse qui fut pourtant créée avec lui, pour qu’elle puisse être remise en chantier et inciter un nouvel interprète à trouver d’autres résolutions kinesthésiques. Il est intéressant d’observer aussi que bien souvent le moment même d’une transmission a lieu hors de la volonté de celui qui transmet, par le biais d’un tiers, en dehors de la relation binaire danseur de départ-danseur d’arrivée. C’est parfois par le biais d’un autre danseur qui intervient à un moment donné que le nouvel interprète peut trouver des pistes de travail effectives, par un coup d’œil sur une vidéo, par une lecture etc. Ce passage révélait combien la qualité d’un geste dépend du cadre imaginaire et affectif dans lequel il émerge, combien il est porté par des affects puissants et combien l’idée de « passer sa danse » et non l’écriture d’un rôle dans une chorégraphie pouvait causer une atteinte identitaire insoupçonnée. Sous le processus de transmission de l’œuvre de Bagouet, se jouait une autre scène organisée par les rets d’un modèle généalogique et familial23. Les danseurs faisaient l’expérience qu’une transmission sous le signe de la conservation est transmission d’un objet qui n’est plus là, transmission qui supprime dans son mouvement même ce qu’elle désire préserver.

31Et le témoignage dansé des nouveaux danseurs témoigne de ce qui est passé ou non, révélant parfois des pans entiers de non interprété, de non analysé à travers ce qui leur a été transmis. On comprend en ce sens pourquoi les danseurs de Bagouet sont nombreux à dire qu’aujourd’hui ils interprèteraient beaucoup mieux Bagouet qu’à l’époque où ils le dansaient. Transmettre, en ce sens, ce n’est certes pas devenir chorégraphe, ou se substituer à une place de chorégraphe, mais bien engager « le vrai sens du travail d’interprète, mettre à nu ce qui reste généralement secret dans l’interprétation, le formuler24 », pour le « passer » à d’autres. La « passe » de la danse se révèle didactique pour les danseurs de Bagouet, et dans cette logique, c’est au moment où les « passants » deviendront « passeurs » eux-mêmes, à savoir qu’ils auront le désir de transmettre cette œuvre, qu’ils en seront effectivement les interprètes et que l’œuvre de Bagouet pourra être réinventée à nouveau. Si les Carnets Bagouet sont bien en ce sens, à leur manière, un lieu de création et de formation, c’est qu’il ne s’y définit pas seulement un savoir technique et des compétences, mais qu’il s’y élucide aussi un désir d’interprète dans sa relation à une œuvre chorégraphique. Les moments où la « passe » est effective, à savoir où quelque chose de l’œuvre de Bagouet s’est transmis, ne peuvent avoir lieu dans le cadre établi des relations maître-élève, mais dans une égalité de statut, dans le moment où deux désirs se rencontrent, où l’inconscient d’un geste, d’un idiome, rencontre l’inconscient d’un autre geste. Pour que la transmission se fasse, le passeur doit d’une certaine manière avoir une immense confiance dans le passant, considérer que c’est lui, finalement, qui détient le savoir de ce que sera ou non l’œuvre de Bagouet, même s’il ne le sait pas. Et en ce sens se re-joue, peut-être en se réinventant, la nature même des relations que Bagouet entretenait avec ses danseurs.

32Ainsi, entre le péril d’une transmission attendue soumise au devoir de mémoire (ou aux cadres de la demande de répertoire) qui passe à côté de son objectif, et le risque de voir une œuvre disparaître rapidement parce qu’elle ne serait plus interprétée, les Carnets Bagouet répondent, non sans débats contradictoires, à leur rythme et à leur façon. Ils préfèrent la dynamique d’un travail qui tisse progressivement mémoire et histoire, apte à développer une forme de critique et d’auto-critique vis-à-vis des dérives et abus de leur propre mémoire, comme des menaces commémoratives ou des tentations dogmatiques qui viendraient court-circuiter le travail d’anamnèse et de transformation. La transmission n’est plus la pratique d’un passé éternellement reconduit par un désir de répétition du même, mais implique « de renoncer à la vérité pour ne pas lâcher la transmissibilité25 ». Contingente et éphémère, liée à un nœud corporel et temporel spécifique, la vérité du passé ne pourrait être dès lors « qu’adressée par ce passé-là à ce présent-ci », adressée par cette corporéité-là à cette corporéité-ci, à tel moment précis de son histoire.

Notes   

1  Selon l’expression de Catherine Perret, « Pour un modèle non généalogique de la transmission », in FILS, l’art et la transmission de la modernité, Paris, PUF, Rue Descartes, n° 30, décembre 2000.

2  Dans la croyance que cela peut continuer ainsi, « le passé est toujours à disposition du présent, il suffirait de se retourner pour accéder à une vérité objective ». Tel serait un des sens de la catastrophe selon Benjamin lorsqu’il s’interroge sur la tradition : « De quels périls les phénomènes sont-ils sauvés ? Pas seulement du discrédit et du mépris dans lequel ils sont tombés, mais de la catastrophe que représente une certaine façon de les transmettre en les célébrant comme patrimoine. Ils sont sauvés lorsqu’on met en évidence en eux la fêlure. » (Cité par Catherine Perret.) Ainsi y a-t-il « des commémorations qui sont des exécutions », commente-t-elle, op. cit., p. 9.

3  Chorégraphe majeur des années quatre-vingt, mort en 1992, à l’âge de 41 ans, installé à Montpellier dès 1980 dans l’un des premiers centres chorégraphiques nationaux, auteur d’une œuvre importante et dont la renommée dépassa largement nos frontières.

4  Ainsi les Carnets ont-ils « remonté » la majeure partie de l’œuvre de Bagouet. Pour l’essentiel, Le saut de l’ange (Ballet Atlantique de Régine Chopinot, 1994), Assaï (Carnets Bagouet 1995), Désert d’amour (Dance Theatre of Ireland, 1996), Le Crawl de Lucien (CNSM de Lyon, 1996), Jours étranges (Dance Theatre of Ireland, 1997 ), So Schnell (Opéra de Paris,1998), Meublé sommairement (Carnets Bagouet, 2000), F and Stein (par Christian Bourigault, 2000). Jours étranges et So Schnell sont prévus par le Ballet de Genève en 2007 ainsi que le Crawl de Lucien « mis en scène » par Michèle Rust sous le titre Château de sable.

5  Voir sur ce « moment mémoire », les réflexions critiques quant au succès de cette entreprise par Pierre Nora qui en fut l’un des promoteurs, dans « Pour une histoire au second degré », in Le Débat, « Mémoires du XXe siècle »,n° 122, 2002.

6  Une assurance sur le re-nom qui définit encore aujourd’hui les danseurs-chorégraphes comme « des anciens membres de la compagnie Bagouet » ou « issus de Bagouet ».

7  Selon le mot de l’interprète Dominique Noel, État des lieux, Magrin, 20-25 octobre 2003 (avec A. Abeille, C. Bourigault, Claire Chancé, S. Giron, O. Grandville, I. Launay, C. Legrand, A.K. Lescop, A. Michard, D. Noel, L. Pichaud, F. Pouillaude, F. Ramalingom, J. Rochereau, M. Rust), document Archives des Carnets Bagouet.

8  Sur cette notion chez Paul Zumthor, voir Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, 1983.

9  Sur cette notion chez Judith Schlanger dans le champ littéraire, voir La mémoire des œuvres, Paris, Nathan, 1992.

10  Voir sur la notion d’héritage, les réflexions de Jacques Derrida dans De quoi demain…Dialogue avec É. Roudinesco, Paris, Flammarion (Champs), 2001.

11  Rappelons aussi que l’œuvre de Bagouet ne dépend pas des décisions des héritiers légaux de Bagouet, à savoir sa famille, qui a choisi de ne pas prendre de décision artistique. Par un accord tacite, les Carnets sont délégués des ayants-droits qui suivent, jusqu’à présent, les décisions du conseil artistique qui détient en quelque sorte l’autorité artistique sur l’œuvre de Bagouet. Ses décisions sont elles-mêmes validées par un conseil d’administration où siège toujours aujourd’hui le frère de Dominique Bagouet.

12  Collectif regroupant Dominique Brun, Anne Collod, Simon Hecquet et Christophe Wavelet, danseurs et notateurs entre 1993 et 2000. Il a cherché à se confronter à des projets fondateurs de la modernité en danse en partant de la lecture de leur partition en vue de problématiser la question même de la restitution. Parmi leurs travaux les plus importants, leur retour au Continuous Project/Altered Daily d’Yvonne Rainer, de 1970, et « … d’un faune » éclats (2000) à partir de L’Après-midi d’un faune de Nijinski, d’après sa transcription en notation Laban.

13  Au sens où l’emploie Jacques Rancière dans son ouvrage Le maître ignorant, Paris, Fayard, 1987.

14  Dominique Bagouet, un labyrinthe dansé, Centre National de la Danse, 1999.

15  État des lieux, op. cit., p. 21 et suiv.

16  La variation classique est une séquence dansée en solo et vise à mettre en valeur les facultés d’un interprète. Parfois à l’intérieur d’un « pas », séquence chorégraphique plus ou moins longue, elle est, par exemple, dans un « pas deux » chez Petipa, située entre l’adage et la coda.

17  « Il faut accepter qu’elle évolue, non qu’elle disparaisse . On pourrait abandonner l’idée d’œuvre, mais on en a encore besoin », Jean Rochereau, État des lieux, op. cit., p. 95-98.

18  Voir Anne Bayard-Sakaï, texte inédit, « Comparaison et traduction », Journées de l’École Doctorale organisées par le département Littérature, Université Paris 8, mars 2004.

19  Voir l’analyse de ces « résistances à la traduction » que développe Antoine Berman dans L’Épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1995, p. 16 et suiv.

20  Il ajoute : « Elle n’apparaît qu’à l’autre et ne vous revient jamais sauf en des éclairs de folie qui rassemblent la vie et la mort. » Jacques Derrida, Points de suspension, Paris, Galilée, 1998, p. 127.

21  Derrida, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 312.

22  Pour reprendre ici les termes du dispositif de « la passe » inventé par Lacan, concernant la transmission de la psychanalyse.

23  « Ce ne peut être qu’en lâchant qu’on peut transmettre. Et l’on a vécu chacun cela à des moments différents. Ce qui est curieux, c’est que quelquefois, cette question se repose alors qu’on pensait l’avoir élucidée » remarquait Michèle Rust, État des lieux, op. cit., p. 33.

24  C’est ce que souligne Olivia Grandville dans le film So Schnell à l’Opéra, Histoire d’une transmission de Marie Hélène Rebois, 1999.

25  Walter Benjamin à propos de Kafka, cité par Catherine Perret, op. cit., p. 63.

Citation   

Isabelle Launay, «Réinventer l’héritage chorégraphique», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Numéros de la revue, La société dans l’écriture musicale, mis à  jour le : 27/05/2011, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=145.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Isabelle Launay

Maître de conférences au département Danse de l’université Paris 8, Isabelle Launay est l’auteur de À la recherche d’une danse moderne, Rudolf Laban et Mary Wigman, Chiron, 1996 et, avec Boris Charmatz, de Entretenir - à propos de la danse contemporaine, Dijon/Paris, Presses du Réel/Centre National de la Danse, 2001. Elle est aussi membre du collège pédagogique du Centre national de danse contemporaine (Angers) et collabore par ailleurs aux projets de plusieurs danseurs-chorégraphes contemporains.