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Refonder Alien : création musicale et sonore dans Prometheus et Alien: Covenant (Ridley Scott, 2012, 2017)

Chloé Huvet
novembre 2022

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.1249

Résumés   

Résumé

Plus de trente ans après Alien, le 8e passager (1979), Ridley Scott opère une refondation du mythe du xénomorphe dont il est l’initiateur par le prisme de deux préquels lointains, Prometheus (2012) et Alien: Covenant (2017). Pour autant, ce retour aux sources exclut chez Scott l’entrave créatrice du respect scrupuleux de l’héritage : Prometheus et Covenant initient un nouveau départ, porteurs d’interrogations nouvelles au sein de la saga. Peu de travaux académiques leur ont pourtant été consacrés, tandis que leurs bandes sonores restent un point aveugle de la recherche cinémusicologique récente en dépit de leur singularité.

À l’échelle des deux films, l’approche musicale et sonore met en exergue le déploiement d’un récit bicéphale en deux fils narratifs déclinant la thématique de l’origine de façon opposée et complémentaire : interrogation sur la création de l’homme et l’existence ; genèse du xénomorphe. Les sound designers et leurs équipes ont également à charge de recréer et de repenser l’univers biomécanique oppressant constitutif de la signature sonore de la franchise, en réimaginant les sons du xénomorphe, mais aussi plus largement en reconfigurant l’articulation entre sons et images de façon sensible et incarnée.

Entrecroisant approche formelle, narratologique et esthétique par le biais des outils de la cinémusicologie, de l’analyse filmique et du champ théorique, notre article propose ainsi d’étudier de quelles manières la musique et le son de Prometheus et Covenant, partagés entre fascination et terreur, contribuent à donner corps aux nouvelles orientations scottiennes propres aux deux préquels, et s’inscrivent dans une optique de refondation de l’univers d’Alien. Nous verrons tout d’abord la façon duelle dont le retour aux sources de la mythologie d’Alien dans Prometheus et Covenant se déploie à la musique et au sound design autour des origines de l’Homme et de la genèse du monstre. Nous établirons ensuite comment l’univers sonore des deux préquels donne forme et remodèle l’univers biomécanique oppressant de la saga par des matériaux sonores aux frontières mouvantes, au sein d’une approche haptique et sensorielle généralisée.

Abstract

More than thirty years after Alien (1979), Ridley Scott revisited the myth of the xenomorph that he had created, making two distant prequels, Prometheus (2012) and Alien: Covenant (2017). Scott avoided the creative stumbling block of sticking too closely to the original film: both Prometheus and Covenant make new departures and interrogate the saga in new ways. Few academic studies have been made of them, and their soundtracks remain a blind spot in recent research in musicology and cinema, despite their many interesting features.

In both films, the approach to music and sound highlights the unfolding of a dual narrative that recounts the origin story in opposing and complementary ways: one interrogates existence and the creation of man, the other explores the genesis of the xenomorph. The sound designers and their teams are also responsible for renewing and rethinking the oppressive biomechanical universe that constitutes the franchise’s sound signature. They do this by reimagining the sound made by the xenomorph, but also, more broadly, by reconfiguring the interaction between sounds and images in a way that is sensitive and fully embedded in the film.

Combining formal, narratological, and aesthetic approaches, and employing the tools of musicology, cinema studies, film analysis, and theory, this article examines the way in which music and sound in Prometheus and Covenant, which mingle fascination and terror, help to embody the new directions taken by Scott in the two prequels, and how they contribute to the reimagining of the Alien universe. First, we will see how the dual approach to the return to the original sources of Alien’s mythology in Prometheus and Covenant impacts the music and sound design relating to the origins of man and the genesis of the monster. Next we will establish how the sound world of the two prequels forms and reshapes the oppressive biomechanical world of the saga, using sound materials with shifting boundaries within a broad haptic and sensorial approach.

Index   

Index de mots-clés : Alien, Prometheus, Alien: Covenant, Musique de film, Sound design, Blockbusters, Technologies numériques, Hapticité, Présence sonore.

Texte intégral   

1Plus de trente ans après Alien, le 8e passager (1979), Ridley Scott opère une refondation du mythe du xénomorphe dont il est l’initiateur par le prisme de deux préquels lointains, Prometheus (2012) et Alien: Covenant (2017)1. Ces films s’inscrivent au sein d’un mouvement majeur du cinéma hollywoodien contemporain : alors que « les années 1980 laissent déborder une logique de suites (de franchises) », depuis l’impulsion donnée par George Lucas avec l’exploration de la jeunesse d’Indiana Jones et la prélogie Star Wars au tournant des années 2000, « Hollywood se propose d’avancer en revenant aux sources, en inventant et filmant des récits qui précèdent ce qui est devenu héritage2 ». Pour autant, ce retour aux sources exclut chez Scott l’entrave créatrice du respect scrupuleux de l’héritage : Prometheus et Covenant initient un nouveau départ, porteurs d’interrogations nouvelles au sein de la saga. En effet, le réalisateur « sait parfaitement qu’il est inutile de redéployer toute la mythologie d’Alien3 ». Le discours promotionnel et la réception critique des deux films ont entretenu une certaine ambiguïté quant à l’ambition de Scott et au statut de Prometheus en particulier, oscillant de façon floue entre préquel et reboot4 : comme le pointe Vivian Sobchack, le studio Twentieth-Century Fox présente Prometheus comme « un film autonome » qui a « débuté comme un préquel à Alien », et dans lequel le réalisateur « a créé une mythologie originale rendant hommage à des éléments du film Alien originel5 ». Cette tension entre filiation, continuation et renouveau – caractéristique propre aux franchises et aux cycles cinématographiques6 – a fortement divisé la critique et suscité de vives polémiques chez les fans. Peu de travaux académiques ont été consacrés à Prometheus et Covenant, tandis que leurs bandes sonores restent un point aveugle de la recherche cinémusicologique récente en dépit de leur singularité7.

2Le tournant imprimé par Scott à l’esprit d’Alien est confirmé par le choix des compositeurs œuvrant sur Prometheus et Covenant, des autodidactes peu connus du grand public. Ancien assistant de Hans Zimmer et monteur musique de Scott, Marc Streitenfeld écrit sa première partition pour Une grande année (2006) et poursuit sa collaboration avec le cinéaste jusqu’à Prometheus (avec la participation tardive de Harry Gregson-Williams). Jed Kurzel, chanteur et guitariste de rock, est connu pour avoir travaillé avec son frère Justin sur les films Macbeth et Assassin’s Creed (2015, 2016). Leurs partitions présentent une esthétique musicale hybride mêlant instruments acoustiques et sonorités de synthèse, une approche liée aux affinités des deux musiciens envers les musiques actuelles et à l’essor du style « Remote Control » dans les blockbusters récents8. Fait inhabituel dans l’industrie hollywoodienne, Streitenfeld et Kurzel disposent tous deux d’un temps long pour composer, qui leur permet de s’imprégner pleinement du ton et de l’atmosphère spécifiques des films, de raffiner leurs cues et le placement des interventions musicales en prenant en considération la bande-son dans sa totalité. Streitenfeld développe plusieurs idées musicales à la lecture des brouillons du scénario, avant même le début du tournage ; il peut alors expérimenter au mixage différentes combinaisons entre sa partition et les effets sonores, son travail s’étendant de façon très inhabituelle sur près d’une année9. De son côté, Kurzel débute l’écriture alors que le film est en cours de montage et échange à de nombreuses reprises avec le réalisateur et le monteur, modifiant sa partition au fur et à mesure des évolutions de l’image10.

3Streitenfeld s’est employé à mettre en valeur la composante théologique du film, la représentation de l’origine ainsi que l’évocation du danger extraterrestre, ménageant dans sa musique des moments de tension horrifique, tandis que Kurzel fait de l’exploration et des découvertes de l’équipage, de la menace de l’inconnu propre à la planète 4, de la gestation et des mutations monstrueuses les grands pôles de sa partition11. À l’échelle des deux films, l’approche musicale et sonore met ainsi en exergue le déploiement d’un récit bicéphale en deux fils narratifs déclinant la thématique de l’origine de façon opposée et complémentaire : interrogation sur la création de l’homme et l’existence ; genèse du xénomorphe. Certes, l’opus de 1979 questionnait déjà « l’inhumanité de l’homme et sa possible relève par une forme de vie nouvelle12 », mais Prometheus développe une dimension métaphysique dont l’ampleur n’a pas d’équivalent dans les précédents films, par le triple biais de la mythologie (Prométhée, les Titans), de l’archéologie (découverte des dessins préhistoriques guidant les héros vers la planète LV-223) et de la théologie (quête du Créateur, question de l’origine). Ce faisant, Prometheus déborde le cadre narratif d’Alien ; le film ausculte les prémisses de « la fissure [du] comportement de David pour interroger davantage l’évolution de l’intelligence artificielle13 ». Covenant prolonge cet aspect par la quête d’un « paradis » où implanter une colonie – nouveau départ possible pour une humanité stérile à la dérive –, tout en prophétisant et en amorçant la chute de l’humanité via l’androïde et sa démesure. Les nouveaux opus opèrent aussi un déplacement progressif : l’humain reste au cœur du récit, mais l’androïde occupe une place de plus en plus importante en tant qu’il devient porteur des mêmes interrogations que ses créateurs sur la genèse et la perpétuation de l’espèce, voire les excède, substituant au fantasme prométhéen la « fréquentation de l’Absolu14 ». L’anthropomorphe forge son identité en puisant dans les réalisations humaines prestigieuses : imitant le Peter O’Toole de Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962), il cite Milton, Byron, Shelley et se délecte à l’audition de L’Or du Rhin de Richard Wagner. David cristallise plusieurs aspirations démiurgiques : ce docteur Moreau moderne, lui-même créé, façonne une nouvelle forme de vie en quête de beauté et de perfection ultimes (concevoir « l’organisme parfait » selon les mots de son homologue Ash à bord du Nostromo), nouveau Dieu des xénomorphes sur lesquels il veille, prêt à précipiter l’éradication de l’humanité après avoir décimé la civilisation des Ingénieurs.

4Les thèmes centraux de la création, des origines et de la genèse sont également au cœur de la conception sonore des deux films : dans cette posture paradoxale propre aux préquels entre reprise et réinvention, les sound designers et leurs équipes ont à charge de recréer et de repenser l’univers biomécanique oppressant constitutif de la signature sonore de la franchise, en réimaginant les sons du xénomorphe, mais aussi plus largement en reconfigurant l’articulation entre sons et images de façon sensible et incarnée. La théorie du cinéma haptique, développée dans le domaine visuel par Laura Marks, Vivian Sobchack et Jennifer Barker15 à partir de la pensée de Gilles Deleuze et de la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, constitue à cet égard un apport précieux pour appréhender avec précision cet univers sensoriel riche et singulier, en la transposant dans le domaine du son et de l’écoute.

5Entrecroisant approche formelle, narratologique et esthétique par le biais des outils de la cinémusicologie, de l’analyse filmique et du champ théorique, notre article propose ainsi d’étudier de quelles manières la musique et le son de Prometheus et Covenant, partagés entre fascination et terreur, contribuent à donner corps aux nouvelles orientations scottiennes propres aux deux préquels, et s’inscrivent dans une optique de refondation de l’univers d’Alien. Nous verrons tout d’abord la façon duelle dont le retour aux sources de la mythologie d’Alien dans Prometheus et Covenant se déploie à la musique et au sound design autour des origines de l’Homme et de la genèse du monstre. Nous établirons ensuite comment l’univers sonore des deux préquels donne forme et remodèle l’univers biomécanique oppressant de la saga par des matériaux sonores aux frontières mouvantes, au sein d’une approche haptique et sensorielle généralisée.

1. Une mythologie bicéphale mise en son : origines de l’humanité, genèse du monstre

6Prometheus et Covenant introduisent au sein de l’univers d’Alien une quête philosophique, voire mystique : l’enjeu de la création, du commencement et de la perpétuation de l’espèce – humaine, mais aussi monstrueuse –, l’interrogation sur la nature de l’homme et sa place dans l’univers y sont centraux. La bande-son des deux films concourt à l’élaboration d’une narration duelle. Le thème principal de Prometheus met en valeur la composante mystique du film dans sa représentation de l’origine, tandis que Kurzel s’est attaché à la menace mortelle de l’inconnu et au monstre. Nous traiterons successivement ces deux pôles majeurs.

1.1 Le thème principal de Prometheus : transcendance et origines de l’homme

7L’envergure mythologique de Prometheus s’affirme dès les plans liminaires du film retraçant la terraformation et l’introduction de la vie sur terre, placés sous le signe du sublime. Un solo majestueux de cor (exemple 1) accompagne l’image cosmique du globe terrestre émergeant des ténèbres spatiales et, bercé par une brise délicate, se poursuit sur des vues aériennes de paysages inviolés. Une impression d’espace-temps immémorial et suspendu se dégage de l’insistance visuelle sur trois des quatre éléments – l’air, la terre, l’eau –, de la temporalité étale des premières phrases rubato du thème, de son arrêt interrogateur sur le Ve degré via un saut de tierce en rythme pointé, et de la pédale omniprésente dans l’extrême grave. De concert avec les paysages grandioses captés alternativement en plans larges et rapprochés et dont elle fluidifie l’enchaînement, la mélodie, lumineuse, très pure par sa simplicité, son timbre et son contexte harmonique modal16, introduit d’emblée la transcendance tant recherchée par les personnages principaux, empruntant aux codes du majestueux et du hiératique en un lointain écho au thème principal de John Williams pour JFK (1991). Le cor solo confère au motif une solennité particulière que renforcent le tempo lent et les intervalles de quinte et quarte qui le parcourent, topoï musicaux de la noblesse et de la sanctuarisation issus des musiques à programme17.

Ex. 1 : Prometheus, premières phrases du thème principal (transcription personnelle à partir du cue « Life » de la bande originale, 00:13-00:36).

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8Les paysages monumentaux offrent un terreau propice à l’essor lyrique de la musique (exemple 2) : sur un doux balancement alternant rythmes binaire et ternaire en ostinato aux clarinettes, le thème est développé dans un phrasé legato par les cordes graves qui l’investissent d’une sonorité pleine et chaleureuse, contrepoint singulier aux images d’étendues glacées. Le mouvement d’expansion graduelle vers l’aigu, avec le retour du cor solo puis l’ajout des voix féminines transparentes, renforce le sentiment de mystique et de merveilleux18. La rencontre audiovisuelle et plastique entre immensités minérales vierges, ample déploiement thématique et type d’écriture mobilisant des marqueurs musicaux de la solennité, de la grandeur et de la monumentalisation, opère une mythification de ce qui est montré à l’écran et fait de cette ouverture sur les premiers temps de la création un moment propice à la sidération.

Ex. 2 : Prometheus, développement du thème principal (transcription personnelle à partir du cue « Life » de la bande originale, 00:37-01:23).

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9Intitulé « Life », le cue est ensuite lié à la recherche des origines de la vie humaine par Shaw et Holloway, renforçant dès sa deuxième occurrence (06:42) la portée métaphysique du film fondée sur l’archéologie et la théologie. D’abord énoncé aux violoncelles puis au cor, le thème accompagne l’illumination des dessins rupestres pointant vers une autre galaxie et se lie aux figures de l’exploration et de déchiffrement, tout en soulignant la part de croyance mêlée à la quête scientifique chez Shaw : « Ils veulent qu’on vienne les trouver. » Le dévoilement des hommes prosternés et des géants désignant le ciel à la lueur des faisceaux lumineux des lampes torches renvoie au mystère des origines et à la « syntaxe du sublime des voyants19 » que rehausse la solennité du motif au cor, entouré du halo consonant des voix féminines sans paroles dont les résonances diaphanes se fondent dans les profondeurs étoilées de l’espace. On retrouvera la même utilisation du thème lors de l’observation de la fresque dans le temple des Ingénieurs.

10La scène où David décide de faire ingérer à Holloway le liquide noir des Ingénieurs comporte un glissement significatif des référents audiovisuels du thème. Le choix de faire intervenir cette mélodie est crucial par l’infléchissement sombre et ironique de ses nobles connotations initiales : l’évocation musicale de la vie et des origines de l’humanité se voit renversée par son association aux manigances perverses de David. La deuxième phrase du thème au cor accompagne l’observation clinique par l’androïde du fluide pathogène qu’il a d’ores et déjà identifié comme organique, et la formation de son sinistre projet : susciter une mutation de l’hôte contaminé et l’avènement d’une autre forme de vie au prix d’une victime humaine. L’occurrence thématique fait de ce moment un tournant crucial tant dans le développement de l’intrigue que du personnage – premier aperçu du penchant de l’androïde pour les expérimentations sur le vivant et de son mépris envers l’homme. L’ambition malsaine de David, prêt à contaminer volontairement le scientifique pour ses expériences génétiques, et son détachement à l’égard de cette vie humaine sacrifiée, sont exprimés par la citation cinéphilique détournée de Lawrence d’Arabie qui clôt la scène sur un rictus froid et dénué d’empathie : « Big things have small beginnings. » Le sens originel du motif musical est dénaturé et corrompu par le filtre du point de vue de l’androïde.

11De même, la découverte par l’androïde de la destination terrestre du vaisseau des Ingénieurs avant leur extermination est particulièrement intéressante dans son articulation signifiante entre musique et silence. Faisant entendre la plus longue occurrence du thème depuis le générique de début (dont seuls des fragments de phrases sont auparavant remployés20), la séquence recèle une puissance d’enchantement audiovisuel par sa dimension synesthésique. Après l’énoncé doux-amer de la mélodie minorisée au cor solo qui amorce l’hologramme, le thème trouve son plein épanouissement orchestral et vocal, rejoignant l’expansion des figures nacrées qui déplient l’univers entier autour de l’androïde ; la musique participe pleinement de l’expression de cet espace. Ce gigantesque mobile luminescent où « l’image se fait matière21 » est magnifié par la rutilance des bruits et la densification progressive de la texture orchestrale, gagnant l’aigu dans un élargissement de timbres et de registres (cordes graves/cors/violons et chœur de femmes/tutti). La convergence de la musique, du son et de l’image exalte l’épiphanie de la vision, exerçant un pouvoir de fascination irrépressible. Substitut et incarnation du spectateur-voyant, David, transporté, tournoie sur lui-même au centre des orbes étoilés et recueille entre ses mains la petite sphère terrestre, « bleue comme une orange22 ». Mais une nuance de taille est introduite par la manière dont la vision se termine, qui engendre une relecture immédiate de la scène : alors qu’il atteint son sommet, le grand climax musical où se mêlent en crescendo l’ensemble des strates instrumentales et vocales est subitement interrompu, et l’élan lyrique brutalement étouffé. La rupture sonore accusée met un terme abrupt à l’émerveillement de la projection holographique et vient contrer sa portée hypnotique. En brisant aussitôt le sortilège audiovisuel, le silence suggère le mirage trompeur et dangereux qui s’y joue : loin de la fantasmagorie lumineuse célébrant la communion des Ingénieurs et de leurs créatures dans le grand Tout de l’univers, la programmation du trajet des colosses vers la Terre vise à y porter la mort. C’est ce projet mortifère que semble rappeler le silence froid et soudain, symbole du vide après le ravissement musical, qui nous ramène dans le décor sombre et désolé du gigantesque tombeau. Aspirant à la grandeur et se rêvant supérieur, David devient seul détenteur du secret macabre des Ingénieurs, dont il saura tirer les leçons dans Covenant.

12L’ultime occurrence du thème, symétrique au générique de début, laisse toutefois entrevoir une lueur d’espoir, accompagnant la voix off de l’héroïne qui s’interroge sur le revirement des Ingénieurs à l’égard de leurs créatures et enregistre un message d’avertissement. L’ultime retour du cue renoue avec sa dimension mystique originelle – Shaw réitérant sa croyance en Dieu – et affirme de façon éclatante la poursuite de la quête des origines de l’homme ainsi que la détermination de la jeune femme à obtenir des réponses en mettant le cap sur la planète des Ingénieurs. Cette ultime espérance, portée par la musique majestueuse en crescendo sur un dernier plan céleste, promesse de nouvelles découvertes, ne résistera pas à Covenant, « chapitre le plus furieux, brutal et nihiliste de toute la saga23 » tout entier tourné vers le xénomorphe.

1.2 Réinventions musico-sonores du monstre

13Envers cauchemardesque de la quête des origines, la genèse de l’alien forme le second fil rouge des préquels qui proposent une relecture de cette figure matricielle de la franchise. Parasite au sang acide synthétisant son ADN à partir de son hôte, ce prédateur sans faille possède des capacités extraordinairement rapides d’adaptation et de mutation. Ainsi est déclinée l’hétéroxénie des xénomorphes dans Prometheus (liquide noir, créature serpentine, trilobite porté par Shaw, protoxénomorphe émergeant du corps de l’Ingénieur dans les derniers plans), et surtout dans Covenant : poussière pathogène, chestburster, néomorphe blanc, facehugger et enfin stade final d’évolution24. Covenant réécrit un pan de la saga et de l’origine de ses monstres, d’une part en faisant de David le « père » de la forme évoluée du xénomorphe, et d’autre part en donnant à la fécondation une nature et une temporalité différentes : la fertilisation délaisse le modèle des premiers opus d’une sexualité agressive ; le temps de gestation est bien plus court. Avant le dévoilement de l’œuf d’où jaillit le premier facehugger dans le dernier tiers du film, l’insémination se fait via des spores noires, version aérienne du liquide infectieux de Prometheus. L’enfantement monstrueux qui s’ensuit est « décliné trois fois, et de plus en plus rapidement. […] Les corps sont dévorés avidement, il n’y a plus de temps d’étreinte avec la créature25 ».

14Le travail de réinvention est également audiovisuel. Scène matricielle de la saga, la naissance des aliens est traitée de façon singulière dans Covenant. La première mise à mort d’un hôte humain se démarque des nombreux jump scares de l’opus initial (comme lors de la mort de Dallas) caractérisés par des décharges sonores subites, jets d’énergie suscitant un choc par leur surgissement à un volume maximal26. Dans cette séquence particulièrement éprouvante par sa montée continuelle en tension et son ultraviolence, les paramètres timbral et rythmique prédominent au sein d’un accompagnement musical dépouillé qui conjugue des textures électroniques, un glas récurrent en arrière-plan (repris plus tard quand Cole retrouvera Rosenthal décapitée), travestissement macabre des cloches lumineuses du thème originel de Jerry Goldsmith, et surtout une pulsation synthétique constante dans le grave évoquant un afflux sanguin, un « rythme cardiaque primitif27 » selon les termes de Kurzel. Ce battement percussif peut traduire la panique qui saisit les deux femmes, mais aussi figurer le pouls du fœtus en train de s’extirper du dos de Ledward. Il exploite par ailleurs l’effet psycho-acoustique des fréquences graves continues qui plongent l’auditeur dans un état nauséeux28, intensifiant le déroulement angoissant de l’action. Sans direction précise par l’absence de tout geste de tension/résolution et répété de façon incessante sans modification majeure, l’accompagnement délimite un moment présent anxiogène étiré indéfiniment sur une dizaine de minutes et revêt une valeur implacable. La musique engendre une sensation de désorientation et d’asphyxie, exacerbée par sa poursuite immuable, presque détachée, sur des plans de plus en plus gores dominés par des contrastes plastiques accusés entre les lumières blafardes de l’infirmerie, la blancheur des peaux et des vêtements, et les abondantes giclées de sang écarlate.

15La scène présente aussi l’un des principaux motifs de la partition, une cellule de deux notes formant une quarte descendante (do-sol) associée au xénomorphe sous ses différentes mutations. Si l’intervalle de quarte est un marqueur identifiant important, l’identité de ce bref motif est essentiellement timbrale, puisant sa particularité dans ses sonorités synthétiques flûtées, voilées et aspirées. La défamiliarisation sonore et l’imaginaire du souffle ainsi convoqués renvoient au mystère intrinsèque de l’alien et à sa bestialité. Entendu dès les logos du film puis sur les nuages de spores et le malaise de Ledward, l’énoncé de la cellule sur les premiers instants de vie du chestburster scelle définitivement son référent précis. Mise en avant lors du face-à-face ému de David avec le prédateur qui vient de dévorer Rosenthal, elle devient dès lors l’« indice “métonymique”29 » de la présence de l’alien, précédant immédiatement l’attaque foudroyante de Cole par le xénomorphe adulte et son sifflement agressif.

16Son intervention est néanmoins flexible. Tout d’abord, le motif peut être énoncé en l’absence du monstre à l’image. C’est le cas lorsque Cole trouve la tête de Rosenthal et que Daniels rassemble ses compagnons pour quitter la nécropole, ou quand Lope tente de rejoindre le groupe après avoir assisté à la mise à mort effroyable de Cole. Bien que le xénomorphe n’apparaisse pas dans ces deux scènes, l’aura musicale du monstre enserre le reste des survivants de façon angoissante, exploitant le pouvoir dramatique du hors-champ : invisible, la menace semble pouvoir surgir de toutes parts et à tout moment. De même, rétrospectivement, les premiers énoncés du motif sur les signes d’infection manifestés par Ledward et Hallett pointent bien a posteriori l’implantation effective de l’embryon monstrueux dans leur corps. Par ailleurs, lorsque Mother alerte la commandante, la répétition insistante de la cellule dévoile les raisons de l’alarme avant le dialogue, qui confirme ensuite la présence d’un « organisme non identifié ». Outre l’effet d’annonce produit, l’énoncé réitéré du motif sur les gros plans sur le visage attentif de Michael Fassbender dévoile de façon grinçante l’identité réelle de l’androïde : il s’agit non pas de Walter comme le croient les rescapés, mais de David qui en a usurpé l’apparence pour mieux tromper leur vigilance et perpétuer ses créations monstrueuses. Ainsi, au moment où Daniels réalise sa méprise, l’ultime retour du motif, superposé à son pouls amplifié qui s’accélère avec effroi, amplifie le vertige intérieur de l’héroïne et atteste de la présence persistante de l’espèce monstrueuse à bord, préfigurant la scène finale.

17Enfin, on observe une variante agressive du motif, réservée aux attaques les plus violentes du xénomorphe. Quand l’alien fond sur Cole pour le dévorer, la cellule se dédouble aux cordes à distance de demi-ton en une version beaucoup plus vive et brutale, accentuée dans une nuance ff, aux hauteurs légèrement glissées. Accompagnée par des ponctuations incisives aux trombones, des trémolos dans le grave et un grondement furieux de percussions jusqu’à un climax saturé, elle exacerbe sous cette forme la sauvagerie et la furie sanguinaire de l’animal, prédateur dont la « perfection n’a d’égale que son hostilité, sans conscience, sans remords, sans morale illusoire » selon les termes d’Ash. C’est sous cette forme qu’elle sera remployée lors de l’attaque sur la navette des survivants et du massacre du sous-officier Upworth sous la douche. Les nombreuses déclinaisons du motif « flûté » témoignent de la richesse d’utilisation d’une cellule très simple qui, loin d’un simple identifiant musical, revêt des fonctions narratives diversifiées et fournit un efficace accompagnement dramatique à l’image.

18Outre l’attribution nouvelle d’un motif musical propre au monstre, la place centrale du xénomorphe et ses diverses mutations dans les préquels constituent un défi majeur pour l’équipe son. Dans Alien, la palette sonore du prédateur est en effet assez limitée et discrète, comme le pointe le sound designer Michael Fentum : « Quand on en est venus aux vocalisations des vrais xénomorphes, nous avons été confrontés au fait que dans le premier film, ils possédaient ce sifflement très efficace, mais restaient sinon assez furtifs […]. Nous avions des notes telles que “puissance et présence”, mais la difficulté était l’augmentation du temps de présence de la créature à l’écran30. » En 1979, elle est essentiellement caractérisée par des cris perçants réalisés vocalement par le spécialiste des imitations animalières Percy Edwards, et ses apparitions choquantes sont souvent prises en charge par une musique inquiétante et dissonante, chargée en cuivres. De plus, la « subjectivité perceptive » de l’alien n’est « jamais symbolisée par des images ou des sons31 » – une différence majeure proposée par Covenant, qui donne à entendre le mode de perception du monstre en évoquant, par le biais de leurs sons, les moyens de repérage et de détection d’animaux réels. En mixant des sons de dauphins, de bélugas et de cassure de bois, Fentum et Oliver Tarney (respectivement supervising sound editor/sound designer) conçoivent un cliquetis d’écholocalisation donnant la sensation que le prédateur aveugle balaie son environnement à l’aide d’un sonar, qu’ils modulent pour le rendre dynamique avec des effets d’écho répercutés sur les pistes surrounds32.

19S’ils reprennent le cri originel du facehugger et le bruit d’ouverture de l’œuf, ils dotent surtout l’espèce de nombre de nouvelles intonations et d’inflexions différentes, dans un souci d’individualisation sonore. Prédateur très vif et agressif se déplaçant à la manière d’un félin, le néomorphe n’est pas aussi perfectionné que son cousin. Son aspect maladif, lié à sa couleur laiteuse et son absence de carapace, est symbolisé auditivement par sa respiration qui, mélangeant le fort halètement d’un ours avec un bouillonnement d’air enregistré dans de la boue, évoque un liquide dans ses voies respiratoires33. La présence physique du monstre se voit également étoffée par des craquements, des bruits de dépliement spécialement conçus pour son torse, et par une « aura » sonore malveillante basée sur de basses fréquences – un usage répandu dans le son du cinéma d’horreur pour donner corps aux créatures maléfiques34. Enfin, l’équipe son décline divers cris et sifflements émis par le monstre avant et pendant ses attaques, qui renforcent la violence de son mode de prédation. Leur création s’inscrit explicitement dans le sillon de sound designers tels Ben Burtt, Gary Rydstrom ou Randy Thom, préconisant de s’éloigner de sons trop « littéraux » au profit de sons « émotionnels » à la portée accrue, souvent obtenus via la superposition de sons de différentes natures, en rapport ou non avec l’image. Ce mode de conception sonore méticuleux vise à procurer au spectateur le ressenti nécessaire et à générer un impact dramatique maximal35, en privilégiant la matière sonore même, davantage que ses sources et ses associations. La combinaison entre sons organiques (dragons de Komodo, vautours) et bruits bruts (neige carbonique, métal, lames) confère ainsi une « physicalité métallique » particulièrement appropriée à cette créature mi-animal mi-machine36, tandis que les hurlements (assemblage de cris de renard, babouin et éléphanteau) communiquent sa rage et sa férocité au cours de ses assauts. Dans une conception globale de la bande-son, ces bruits perçants permettent en outre aux effets sonores d’être entendus distinctement au sein du tissu chargé des scènes d’action.

2. Réinventer et sculpter par le son un univers biomécanique oppressant : vers une hapticité sonore

20Avec le xénomorphe, le sentiment de claustrophobie généralisée et d’organicité du vaisseau, nommé « biomécanique37 » par le plasticien H. R. Giger, est au fondement de l’identité d’Alien, que les équipes de Prometheus et Covenant entreprennent de réinterpréter. Piloté par l’ordinateur Mother, le Nostromo s’apparente à un gigantesque organisme vivant qui prend son équipage au piège de ses entrailles une fois le monstre sorti du ventre de Kane. Le son fusionne ainsi corps et machine : les cloisons respirent, suintent, sifflent, isolant les personnages dans un dédale dont la dimension suffocante est communiquée par les sons d’ambiance – grondements sourds, jets de vapeur, chuintement de valves et de sas38 Prometheus et Covenant font un usage bien plus restreint de ces atmosphères intérieures étouffantes ; à la différence du Nostromo, leurs vaisseaux ne sont pas des métaphores de la « figure maternelle comme abjection39 ». En revanche, un univers sonore oppressant, voire terrifiant, caractérise les planètes, les lieux explorés par les équipages et ce qu’ils recèlent, façonné par de tout autres approches dans les deux préquels.

2.1 Un environnement extérieur inquiétant

21Prometheus et Covenant se démarquent en effet de l’épouvante pure et du huis clos étouffant des précédents opus40 : si les espaces confinés restent présents dans plusieurs séquences clés, l’action se déroule aussi largement – à la différence des vaisseaux d’Alien et d’Alien, la résurrection (Jean-Pierre Jeunet, 1997), des complexes colonial et pénitencier d’Aliens, le retour (James Cameron, 1986) et d’Alien3 (David Fincher, 1992) – dans des espaces immenses au sein de vastes paysages naturels prenant la forme d’un potentiel « paradis ». L’enfermement et l’enveloppement sonores des intérieurs des premiers opus cèdent la place à une sensation d’isolement absolu créé paradoxalement au sein d’un vaste environnement extérieur, que le sound design de Covenant en particulier dépeint comme stérile et déserté en dépit de son apparente luxuriance (lac, forêt, cascade…).

22Dès les premiers pas des colons hors de la navette, un étrange silence ambiant les entoure, engendrant un sentiment de désolation. « Ni oiseaux, pas d’animaux, rien », relève Daniels en pleine forêt. L’unique présence de bruissements de vent et d’eau souligne en creux l’inexistence de toute forme de vie organique. Le traitement sonore contraste fortement avec la présentation visuelle des paysages qui rappelle certaines toiles du xixe siècle, exprimant la passion picturale de Scott par « des champs de blé aux germes démesurés, des lacs et des ruisseaux, des troncs d’arbre énormes41 ». L’absence de sons d’animaux rend ce supposé jardin d’Éden effrayant en ce qu’il devient un symbole du dénuement absolu : le paradis espéré est le règne du néant. Outre cette restriction de la palette des sons d’ambiance, une strate sous-jacente agit de façon subliminale et métaphorique : Tarney révèle avoir ajouté « juste assez de vents glacés, de craquements d’arbre étranges et de crépitement de pluie sur les feuilles pour rendre plausible le fait que quelque chose pourrait les traquer42 ». La menace se fait sourde et insidieuse, et la moindre résonance de pas des personnages les rend très vulnérables dans cet environnement nu et angoissant. Une transposition sonore inquiétante s’opère ainsi des lieux intérieurs aux espaces extérieurs.

2.2 Un régime sonore haptique

23La redéfinition sonore de l’univers d’Alien passe également par une recherche généralisée d’organicité à travers un recours limité aux sons purement électroniques – tant dans les partitions qu’au sound design –, et surtout l’adoption d’un régime sonore haptique où l’oreille se fait sensible à des qualités tactiles. Dans le sillon de récentes recherches sur l’impact sensoriel et la « capacité unique du cinéma à nous toucher à la fois viscéralement et intellectuellement43 » menées par Vivian Sobchack, Laura Marks ou Sophie Walon du côté des études cinématographiques, Caitríona Walsh et Lawrence Kramer du côté de la musicologie, nous nous attachons ici à la matérialité du son et à l’expérience tactile offerte par ces films où le rapport au corps, à l’intériorité la plus profonde, est crucial. Appliqué au cinéma par Marks, le concept « haptique » deleuzien – espace visuel et auditif d’immédiateté et de contact permettant de « palper » l’objet44 – nous semble particulièrement opérant pour analyser les bandes-son des deux films, et plus généralement des blockbusters de l’ère numérique45. Depuis la fin des années 1990, ceux-ci s’affirment comme le terrain d’expression privilégié d’une immersion intensifiée à la faveur des transformations technologiques : baigné dans un environnement sonore riche et détaillé, le spectateur est « invité à partager la même expérience auditive que les personnages à l’écran46 ». Au-delà de la simple mise en vibration du corps par les infrabasses et de l’augmentation générale du volume qui ont concentré l’attention des chercheurs47, Prometheus et Covenant consacrent la « capacité synesthésique » des sons à « suggérer des impressions tactiles (de texture, de volume, de densité, de température…)48 » via différents procédés.

24Les sound designers s’appuient sur les connotations culturelles et psychologiques de certains sons de matière. Dans la scène de Covenant où Rosenthal se lave, la présence sonore amplifiée du ruissellement et de l’égouttement de l’eau affectés d’une forte réverbération accentue la vulnérabilité de la jeune femme et son isolement du groupe, mis en exergue par sa respiration forte et haletante. Les divers bruits d’eau revêtent une valeur symbolique et narrative. Ils ne dépeignent pas seulement le lieu mais établissent son atmosphère propre : le caractérisant comme inhospitalier et sinistre, ils annoncent la mort imminente de la jeune femme. Dans les films d’horreur et de science-fiction contemporains, les sonorités aqueuses sont en effet « chargées d’appréhension et d’effroi quand elles sont isolées et accentuées au sound design49 ». L’environnement détrempé tout autour de Rosenthal se substitue aux sécrétions répandues par les aliens dans les précédents opus et, saisi dans un clair-obscur inquiétant, se fait signifiant du danger. Autre exploitation de la valeur symbolique des sons, le souffle puissant de la combustion des moteurs du vaisseau extraterrestre piloté par le géant à la fin de Prometheus se voit personnifié par des hululements lugubres. L’intégration de ces gémissements vocaux distordus paraît doter le flux d’air d’une force surnaturelle, signal auditif de la résolution funeste et de la puissance de l’Ingénieur. Stoeckinger insiste sur ce mode de création spécifique : « Presque tout ce qui explose a toujours une sorte d’élément vocal pour donner au son soit une hauteur et une tonalité, soit juste quelque chose qui le colore et le rend plus intense ou maléfique50. »

25Le traitement sonore de plusieurs scènes évoque également le sens du toucher par la mise en valeur de microdétails au sein d’une texture plus large. Pendant la tempête de Prometheus, de façon intéressante, l’équipe son a fait le choix d’atténuer les rafales (finalement peu mises en avant en tant que telles), s’éloignant ainsi du traitement sonore habituel des scènes de ce type51 au profit d’une expression auditive de la granularité de l’ouragan charriant sable et électricité statique. Les cliquetis et tintements clairs des cristaux de silice et les multiples éclats de son, très brefs et circonscrits, dans le registre médium-aigu, délimitent un point d’écoute précis au cœur du cyclone et visent à en transmettre la consistance sableuse. Les bruits se libèrent de tout ancrage « réaliste » en faveur d’une richesse sensorielle52 visant à transcrire une sensation, à transmettre et susciter une émotion par un effet de présence donnant à l’auditeur le sentiment d’être physiquement dans l’environnement représenté.

26Cette présence sonore, que Miguel Mera propose judicieusement de substituer à la simple notion d’immersion53, ouvre le champ perceptif à une proximité immédiate propre à l’hapticité. Le travail extensif mené sur la viscosité sonore à partir de bruits humides, en particulier, génère une défamiliarisation déstabilisante et inconfortable, et un effet d’écœurement. La gluance de l’enveloppe gélatineuse renfermant le liquide pathogène dans Prometheus, renforcée par des couleurs verdâtres translucides repoussantes, est rendue par un ensemble de clapotis, de dégoulinures et de bruits mouillés de succion captés de près. Plus loin, des sons similaires sont employés pour exprimer l’aspect poisseux du liquide amniotique d’où émerge le fœtus de trilobite et de ses tentacules, puis pour donner à entendre la texture du sang et des viscères dans lesquels patauge le néomorphe sur les derniers plans de Prometheus. Sur un plan cognitif et psychologique, l’intimité se joint à la répulsion : ces bruits exagérés visqueux et moites renvoient à la salive et aux fluides corporels, participant de ce que Lisa Coulthard nomme le « dégoût acoustique54 ». La proximité sonore déplaisante de la matérialité et de la moiteur du corps consacre ainsi la dimension haptique et incarnée des bandes-son des préquels, impliquant l’auditeur de façon sensible.

2.3 Une musique « organique ». Entremêlements musico-sonores

27La refondation de la franchise s’opère également par la singularité des partitions des deux préquels et de leurs points de rencontre avec les bruits et les effets sonores. Les trames musicales de Streitenfeld et Kurzel ne sont pas conçues en termes traditionnels d’harmonie ou de mélodie, mais dans leurs qualités sonore et organique au sein d’une approche enveloppante et sensorielle qui privilégie « l’intensité de l’affect55 », rejoignant ainsi la corporéité du sound design. Limitant le recours à l’électronique, les compositeurs partagent avec les équipes chargées de la conception sonore un même souci d’organicité, qui transparaît clairement dans le vocabulaire employé lors de leurs entretiens et dans leurs processus créateurs. La partition de Streitenfeld « s’inspire assurément des choix visuels. J’essaie d’utiliser beaucoup d’objets inhabituels et d’instruments étranges pour créer des sons qui ont une dimension assez organique mais qui peuvent sembler inhabituels ou non humains. J’ai tenté de faire ça avec à peu près tout, jusque dans la façon dont j’ai enregistré l’orchestre56 ». Kurzel a un abord similaire : « Lorsque j’ai rencontré Ridley, nous avons beaucoup parlé de ces instruments aux sonorités organiques corrompus soit par des sons étrangers, soit de l’intérieur d’eux-mêmes. Même dans les pages orchestrales plus opulentes, il y a des éléments suggérant une présence menaçante, comme des respirations et des pulsations57. »

28Certes, la rencontre musique/bruits renoue en partie avec l’ouverture du premier opus intégrant effets percussifs, instruments inaccoutumés et echoplex « pour traduire le chaos, le vide58 ». Mais alors que le reste de la partition de Goldsmith est « plutôt néo-hollywoodienne, reprenant des codes de l’épique-obscur59 », Streitenfeld et Kurzel étendent cette approche esthétique aux films entiers en s’appuyant sur les possibilités des technologies numériques. Précisons que nous écartons de notre étude les scènes de mise à mort violente, car elles appellent traditionnellement une écriture dissonante ou atonale, des sons électroniques et des traitements sonores selon les conventions du genre horrifique, comme on l’observe au cours de la saga60.

29Les frontières fluctuantes et la convergence entre les matériaux sonores de Prometheus et Covenant se manifestent par des sonorités instrumentales retravaillées dans leur timbre, leur texture, leur densité et leurs hauteurs via des glissandi de quarts de ton, des sons désaccordés ou des modes de jeu inaccoutumés, des alliages de timbres et des effets de friction entre les sons. Lorsque le facehugger saute au visage d’Oram, des sons col legno et des crissements atonaux pointillistes de cordes dans le suraigu renforcent l’aspect cauchemardesque de cette étreinte monstrueuse – Kurzel utilisant fréquemment les cordes de façon percussive pour évoquer des os qui se brisent61. Les voix et les bois occupent une place centrale dans la partition de Streitenfeld, qui transforme considérablement leur timbre. Dans la scène de Prometheus où les scientifiques découvrent la tête fossilisée et fouillent le temple, le motif des Ingénieurs entendu lors du sacrifice inaugural (voir exemple 4 infra) est repris et varié, d’abord aux voix féminines doublées par les clarinettes. Ajoutant à la tension de l’accord parfait renversé avec quinte augmentée (fa-la-ré-la-fa♯), les voix, dépourvues de vibrato et de souffle, semblent atones, lointaines et désincarnées. La fin des phrases n’est pas tenue et glisse en quarts de ton lors de l’extinction du son ; l’absence d’attaques claires rend les sons comme fondus, lissés. Déstabilisantes, ces voix fortement altérées sont investies d’une aura surnaturelle à la fois énigmatique et lugubre, renforcée par les sons métalliques, sifflements et bruits de souffle réverbérés qui les entourent. Un son de flûte aigu très distordu, proche d’un effet larsen, retentit au moment où la lampe torche dévoile la représentation d’un xénomorphe sur la fresque. Ce son perçant désagréable pointe aussitôt la dangerosité de la créature figurée tout en faisant ressortir cette première vision fugace de l’alien au sein du film ; un parallèle intéressant peut être tracé entre les parasites sonores entendus à ce moment précis et la nature même de ce prédateur, infectant ses hôtes pour perpétuer l’espèce. Durant toute la séquence d’exploration, la musique inspire la peur et renforce l’atmosphère oppressante du « sanctuaire » plongé dans la pénombre qui, selon le constat désabusé et prophétique d’Holloway, se révèle n’être qu’« un tombeau de plus ». La découverte de cette civilisation ancienne et inconnue se place ainsi sous les auspices les plus sombres.

30Si les sons salis ou anormaux abondent, très peu sont en réalité créés numériquement, illustrant la volonté des compositeurs de privilégier les sonorités organiques sur celles de synthèse. Fait inhabituel, Streitenfeld rejette le recours aux samples des sonothèques numériques et consacre une part importante de son processus de création à l’expérimentation, avant même les sessions d’enregistrement : « Je fabrique tous les sons que vous entendez dans mes partitions. Je passe beaucoup de temps à créer des textures et des sons percussifs. Sur Prometheus, j’ai passé des mois uniquement à enregistrer des trucs pour rendre le son inhabituel62. » Kurzel, lui, s’emploie à ce que les instrumentistes imitent les sonorités électroniques, comme pour la cellule associée aux xénomorphes : « [Le cue] “Spores” est en fait bien moins électronique que vous ne pourriez le penser. Les sons ont été écrits électroniquement, mais nous trouvions ensuite un moyen de les reproduire avec l’orchestre. Obtenir certains sons synthétiques avec les bois, etc. Des notes plus graves aux cuivres qui ressemblent presque à de lourds accords de guitare stoner63. » Streitenfeld et Kurzel créent ainsi des « hyperinstruments », instruments acoustiques « augmentés » par les multiples manipulations appliquées au son enregistré via les logiciels et stations audionumériques, qui transcendent « les lois du monde physique64 ». La découverte du vaisseau de Shaw est marquée par l’épaisseur et la profondeur des sonorités de cuivres redoublées par les cordes dans l’extrême grave, étirant une seconde majeure do-ré de façon hiératique. La musique s’apparente à un grondement menaçant, formant une mise en garde contre un danger encore impalpable. La qualité propre à ces sons se lie aussi à la texture du vaisseau, à la composition de l’image et aux choix de mise en scène : par ses sonorités massives, écrasantes et distordues, l’accompagnement musical entre en résonance avec la plastique de l’image dans les plans larges de la masse métallique imposante de l’épave se découpant sur un paysage brumeux, saisie en de lents panoramiques qui en dévoilent l’envergure impressionnante appuyée par la musique.

31Pensé dans une écriture globale du son, le processus de composition musicale revient alors, comme pour les effets sonores, à sculpter le son, à rendre saillants des détails sonores spécifiques et à créer des sonorités singulières par divers procédés – en particulier l’égalisation (EQ, qui intensifie, réduit ou supprime des zones de fréquences précises), la compression (qui réduit la dynamique du signal en fonction du niveau sonore atteint), la panoramisation, la réverbération, la distorsion ou la saturation. Ce rapprochement avec les méthodes de travail des sound designers, particulièrement net depuis la fin des années 200065, modifie en profondeur l’appréhension et le fonctionnement des musiques pour l’image : les sessions d’enregistrement ne constituent plus l’état final de la partition, mais sont utilisées comme des matériaux bruts manipulés numériquement. Reprenant un procédé expérimental pratiqué sur bande magnétique dans les années 193066, Streitenfeld passe à l’envers une grande partie des cues orchestraux avant de les remettre à l’endroit, de manière à rendre le son final troublant : « En fait, j’ai écrit la partition en rétrogradation, donc l’orchestre l’a jouée à l’envers, puis je l’ai renversée numériquement. Vous entendez ainsi […] la même mélodie, mais avec […] un son inhabituel et dérangeant67. » Le procédé intervient par exemple quand David scrute la sécrétion verte collée aux parois souterraines, avec un court motif inquiétant en chromatisme retourné (exemple 3) dont les sonorités très transformées rendent les hauteurs approximatives.

Ex. 3 : Prometheus, motif inquiétant entendu lorsque David scrute la sécrétion verte collée aux parois souterraines (transcription personnelle à partir du cue « Going In » de la bande originale, 00:00-00:07).

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32Si l’on peut identifier des voix de femmes sans paroles doublées par les bois, la nature du son est à peine reconnaissable et communique un fort sentiment d’étrangeté, renforcé par la qualité aspirée des sons acoustiques altérés qui floute leur attaque et brouille la distinction des phonèmes vocaux. L’aspect énigmatique de la substance organique est ainsi mis en exergue par l’intégration d’éléments perturbateurs au sein des enregistrements vocaux et instrumentaux. Lorsque l’androïde hume ses doigts, son mouvement de recul est marqué par un son sourd aux percussions surmonté d’un cluster vocal suraigu semblable à une plainte, traité en halo et entremêlé de bruits de souffle. En sortant du champ musical « réel », connu, tout en ayant recours à des sources sonores acoustiques rendues étrangères à elles-mêmes par leur déformation, l’accompagnement musical unit étroitement dimensions organique et surnaturelle, suscitant le malaise. Ces sonorités électroacoustiques inaccoutumées soulignent le premier contact des protagonistes avec l’altérité absolue, métaphorisée par cette substance obscure dont elles rehaussent le caractère inconnu et non humain.

33Les points de fusion entre musique et effets sonores sont particulièrement notables à la fin du générique de Prometheus, lorsque l’Ingénieur laissé sur Terre « donne son corps au monde, son patrimoine génétique pour enfanter68 » l’Homme : l’accompagnement musical repose sur un lourd battement rotatif et cyclique en deux temps – un battement grave au rythme iambique évoquant un pouls puissant et rapide, et une réplique plus sourde en écho dans le registre médium, dont toutes les fréquences supérieures à 1 400 Hz ont été retranchées comme on peut l’observer par une analyse spectrographique du cue. Ce traitement acoustique donne à la musique une qualité brute et primordiale qui rejoint l’image originaire de genèse véhiculée par le milieu naturel sauvage et minéral. Par son essence cinétique et kinésique, la pulsation musicale régulière en arrière-plan matérialise un élan vital et, fusionnant avec des clusters vocaux synthétiques instables dans l’aigu, le son cuivré du vaisseau, le grondement de l’eau et la fureur de la cascade (image originaire de genèse, le fleuve étant porteur de vie chez Scott69), traduit une idée de bouillonnement primaire, de matière première organique, de matrice, métaphorisant la naissance à venir une fois le sacrifice accompli – les cellules de l’Ingénieur sont le point de départ de la conception d’un nouveau génome. La palette chromatique froide de l’image fond d’ailleurs le personnage, à la peau d’une couleur bleu laiteux, dans son environnement dominé par les tons bleu-gris : le géant retourne en quelque sorte à la matière originelle dont il est issu, ses atomes se désagrégeant de l’intérieur pour se mêler à l’élément liquide. Mais cette création se fait d’emblée sous un jour funeste, comme le laisse présager l’énoncé d’un motif sombre et tortueux aux cordes graves doublées par des voix de basse dans le tréfonds de leur registre (exemple 4), construit sur des intervalles vecteurs de tension (alternance de secondes majeures et mineures, triton).

Ex. 4 : Prometheus, motif sombre et tortueux lors du sacrifice originel de l’Ingénieur (transcription personnelle à partir du cue « Engineers » de la bande originale, 00:24-00:46).

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34Surmonté de clusters vocaux mouvants dans l’aigu, le motif accentue l’air grave du colosse et l’aspect délétère de la substance organique noirâtre qu’il s’apprête à ingérer. Avec le sacrifice de l’Ingénieur, mort et création sont intimement liées. Enfin, sur le plan sonore, une continuité remarquable intervient entre l’expiration lente et profonde du colosse et le grondement du vaisseau qui s’éloigne dans les nuages, le vivant entrant une fois de plus en résonance avec le mécanique dans cet univers biomécanique généralisé. Le flash-back de Covenant où David extermine les Ingénieurs en leur déversant depuis le ciel le liquide pathogène ingéré par le colosse au début du volet précédent pour enfanter l’espèce humaine, offrira un pendant nihiliste glaçant à l’immersion-sidération sonore des plans liminaires de Prometheus.

Conclusion

35La destruction de la civilisation des Ingénieurs cristallise particulièrement le ton froid, sombre et pessimiste caractérisant les deux préquels d’Alien. Le huis clos, la peur de la maternité et les complots ourdis par des multinationales sans scrupules dans les précédents opus cèdent place à d’autres préoccupations scottiennes : la finitude de l’existence humaine, l’intelligence artificielle dans son aspiration démiurgique, la quête de l’absolu et l’ambivalence du pouvoir de création – enjeux typiques du posthumain. Hanté par la question du chaos, Scott interroge dans ses préquels l’origine et la nature de l’Homme, mais aussi « sa fin prochaine70 » : les découvertes des personnages au cours de leur quête (recherche du Créateur ou d’un nouveau départ) prennent une tournure désastreuse et cauchemardesque lorsqu’ils sont confrontés à leurs créateurs et à la « bête de l’apocalypse71 ». Dans une entreprise de refondation globale de la franchise, Prometheus oscille entre la quête philosophique et mystique, l’horreur et la menace de l’anéantissement, développant progressivement un rapport désenchanté au monde, tandis que Covenant, qui ménage toujours une place importante aux croyants, s’affirme comme une « symphonie de noirceur d’une violence inouïe, une oraison funèbre pour l’humanité72 ».

36La bande-son dans son ensemble se fait l’écho de cette dualité narrative propre aux deux préquels (genèse de l’homme et du xénomorphe), qu’elle façonne et infléchit tout à la fois en orientant notre perception de l’image. Par leurs multiples articulations au récit, à l’espace visuel, à la plastique de l’image, aux effets sonores et au silence, les partitions participent en effet à une puissance d’enchantement, transmettant un sentiment de grandiose et d’émerveillement lié aux origines de la Terre et de l’humanité, rehaussant la dimension mystique du récit, tout autant qu’elles ouvrent sur le mal, la destruction et la béance du néant métaphorisée par les mutations monstrueuses conçues par les Ingénieurs puis par David, antihéros complexe. D’une part, le déploiement du thème principal de Prometheus au cours du film participe à la mythification des séquences tournées vers la genèse (terraformation, création de l’Homme), la recherche des origines (interrogations sur le Créateur, découvertes des correspondances d’ADN, dépliement de l’univers tout entier dans la séquence holographique fantasmagorique), et fait des personnages des voyants en quête de sublime. Une brèche se dessine néanmoins à plusieurs reprises lorsque le thème, détourné de ses référents premiers, s’associe de façon sombre et ironique aux desseins effroyables de l’androïde et au projet destructeur des Ingénieurs à l’égard de leurs créatures, dévoilant ainsi l’envers noir du pouvoir de création qui « forcément engendre des monstres73 ». D’autre part, cet envers noir de la création trouve une incarnation musicale remarquable dans Covenant où, de façon nouvelle, le xénomorphe se voit doté d’un motif propre revêtant des fonctions diversifiées : indice métonymique (que la bête soit présente ou non à l’image), caractérisation de la sauvagerie sanguinaire de l’alien sous sa variante musicale agressive, dramatisation du hors-champ conférant à la créature une aura tour à tour mystérieuse, angoissante et malveillante, effets d’annonce, réévaluation et approfondissement de l’image. De même, le son du monstre est revisité et enrichi par rapport à Alien : à la différence de l’opus séminal, des effets sonores individualisés expriment son mode de perception, ses caractéristiques physiques et ses techniques de prédation, par de nouvelles intonations et des inflexions variées en fonction de ses stades d’évolution. Par ailleurs, le son et le silence transmettent la sensation d’une menace omniprésente, parfois souterraine, en particulier dans les environnements extérieurs.

37La réinvention de l’univers d’Alien repose également sur des lignes d’échanges et des entrelacements entre les matériaux visuels et sonores, tissant une « danse74 » entre effets sonores, silence, musique et images. La collaboration étroite entre les compositeurs et les équipes son, leurs méthodes de création communes dans une synergie entre projet esthétique et outils techniques numériques, la minutie portée à l’articulation ou à la dissociation entre musique, bruits, sound design et silence, jouent un rôle fondamental dans l’entreprise de refondation scottienne. En entremêlant éléments acoustiques, synthétiques et bruitistes, les partitions de Streitenfeld et de Kurzel contribuent pleinement, au même titre que les effets sonores, à donner forme au monde inconnu, trouble et inquiétant des planètes 4 et LV-223, dominé par l’hybridation du mécanique et de l’organique, et à susciter malaise et angoisse chez l’auditeur. Dans les deux préquels, l’univers-signature de la saga est repensé à l’aune d’un régime esthétique haptique où le son joue un rôle de premier plan, orientant et infléchissant la perception de l’image. La réflexion sur la nature des sons et leurs connotations symboliques, psychologiques et culturelles, le travail de détail sur les bruits de matières (silice, eau…) et de textures (assemblages de sons, viscosité sonore déplaisante joignant intimité corporelle et répulsion), la recherche d’organicité sonore généralisée, la dissolution des frontières sonores ainsi que la dénaturation des sons acoustiques instrumentaux, retravaillés dans leur timbre, leur texture, leur densité, leurs hauteurs, voire « salis » en postproduction, contribuent à transmettre de façon incarnée des sensations liées aux objets, aux substances et aux espaces exposés à l’image, et par là, à communiquer un intense sentiment de présence. Par leur univers audiovisuel particulièrement riche, complexe et détaillé, opérant tant sur les plans narratif et dramatique que perceptif, sensoriel et affectif, Prometheus et Covenant sollicitent le corps et les sens des spectateurs de façon synesthétique, emblématisant les changements d’approche esthétiques, fonctionnels et formels propres aux bandes-son de nombre de films de ces deux dernières décennies75.

38Impliqué au cœur de la diégèse, le spectateur de Prometheus et Covenant est amené à partager les sensations et le ressenti des protagonistes, inscrits « dans la texture même des images et des sons76 », et à faire l’expérience de la fascination et du cauchemar au même titre que ces derniers. L’épilogue apocalyptique de Covenant où retentit la musique diégétique de Wagner n’en est alors que plus glaçant et éprouvant. Tandis que l’androïde place délicatement les fœtus de xénomorphe aux côtés des embryons humains congelés qu’ils sont appelés à féconder, l’« Entrée des dieux au Walhalla » noue une boucle symétrique avec la scène d’ouverture sur les premiers instants de David face à son créateur et célèbre in fine le règne à venir de dieux animaux ; alors, « on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable77 ».

Notes   

1 Afin d’introduire une distinction entre le premier film, Alien, et l’ensemble de la saga construite autour du xénomorphe, le nom de la franchise figure sans italique dans notre article.

2 Pierre Berthomieu, Hollywood : le temps des mutants, Pertuis, Rouge Profond, 2013, p. 716.

3 Jean-Sébastien Massart, « Alien: Covenant, Ridley Scott. Garder le temple », in Débordements, 20 mai 2017, https://www.debordements.fr/Alien-Covenant-Ridley-Scott, consulté en mars 2021.

4 La réalisation d’Alien: Covenant a toutefois achevé de confirmer le statut de préquel de Prometheus, les deux films posant des jalons successifs donnant des éléments d’éclairage sur les mystères de l’origine du xénomorphe tel qu’il est présenté dans l’opus séminal de 1979. Vivian Sobchack souligne : « Malgré toutes leurs différences novatrices, les violentes transformations du xénomorphe […] finissent par conduire à une version nouveau-né du vieil alien que nous aimons – une sorte d’Annonciation d’une suite espérée du préquel » (Vivian Sobchack « Prometheus: Between a Rock and a Hard Place », in Film Comment, vol. 48, no 4, juillet-août 2012, p. 34 : « the violent xenomorphic permutations […], for all their novel differences, end up (at the end) transforming into a baby version of the old alien we’ve come to love — a kind of annunciation of a hoped-for sequel to the prequel. »). Toutes les traductions de l’anglais sont les nôtres.

5 Ibid., p. 33 : « Prometheus “started out as a prequel to Alien,” it is “a stand-alone film,” and […] “Scott has created an original mythology that tips its hat to elements of the original Alien ». Voir aussi Constantine Verevis, « New Millenial Remakes », in Frank Kelleter (éd.), Media of Serial Narrative, Columbus, Ohio State University Press, 2017, p. 163.

6 Voir à ce sujet Amanda A. Klein et R. Barton Palmer (éd.), Cycles, Sequels, Spin-offs, Remakes and Reboots: Multiplicities in Film and Television, Austin, University of Texas Press, 2016 ; Nicholas Rombes, « Before and After and Right Now: Sequels in the Digital Era », in Carolyn Jess-Cooke et Constantine Verevis (éd.), Second Takes: Critical Approaches to the Film Sequel, Albany, State University of New York Press, 2010, p. 191-204.

7 Voir en particulier Danijela Kulezic-Wilson, Sound Design is the New Score: Theory, Aesthetics, and Erotics of the Integrated Soundtrack, New York, Oxford University Press, 2020 ; Lindsay Coleman et Joakim Tillman (éd.), Contemporary Film Music. Investigating Cinema Narratives and Composition, London, Palgrave Macmillan, 2017.

8 Voir Chloé Huvet (éd.), « Création musicale et sonore dans les blockbusters de Remote Control », Revue musicale OICRM, vol. 5, no 2, novembre 2018, http://revuemusicaleoicrm.org/rmo-vol5-n2/. L’alliage hybride entre instruments acoustiques et synthétiques renvoie à ce que Mario Litwin nomme « blending mode » au sujet de la coexistence entre « instruments électroniques et acoustiques » avant l’avènement des technologies numériques (Le Film et sa musique : création, montage, Paris, Romillat, 1992, p. 80).

9 Justin Craig, « Prometheus Bound », in Film Score Monthly, vol. 17, no 6, juin 2012,
http://www.filmscoremonthly.com/fsmonline/story.cfm?maID=3677, consulté en mars 2021.

10 Tim Grieving, « Why the Alien Franchise Has Such a Dramatic Musical Past », in Vulture, mai 2017,
https://www.vulture.com/2017/05/why-the-alien-franchise-has-such-a-dramatic-musical-past.html ; Nick Spacek, « Interview: Jed Kurzel (Alien: Covenant) », in Modern Vinyl, mai 2017,
http://modern-vinyl.com/2017/05/11/interview-jed-kurzel-alien-covenant/, consultés en juin 2021.

11 Voir Justin Craig, « Prometheus Bound », op. cit. ; Nick Spacek, « Interview: Jed Kurzel (Alien: Covenant) », op. cit.

12 Jean-Clet Martin, Ridley Scott. Philosophie du monstrueux, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2019, p. 129.

13 Ibid., p. 199.

14 Ibid., p. 168.

15 Voir Laura Marks, The Skin of the Film: Intercultural Cinema, Embodiment, and the Senses, Durham, Duke University Press, 2000 ; Vivian Sobchack, The Address of the Eye: a Phenomenology of Film Experience, Princeton, Princeton University Press, 1992 et Carnal Thoughts: Embodiment and Moving Image Culture, Berkeley, University of California Press, 2004 ; Jennifer Barker, The Tactile Eye: Touch and the Cinematic Experience, Berkeley, University of California Press, 2009.

16 La mélodie, dans le mode de sol sur mi, n’est jamais harmonisée, et les enchaînements fonctionnels sont absents : les strates sont simplement superposées.

17 Sur ces topoï musicaux, voir Frank Lehman, « Scoring the President: Myth and Politics in Williams’s JFK and Nixon », in Journal of the Society for American Music, vol. 9, no 4, 2015, p. 409-444.

18 Le sentiment de merveilleux auquel nous faisons référence ici renvoie au sens étymologique de l’émerveillement, « étonnement enchanté devant une réalité qui semble dépasser les possibilités du réel. […] L’émerveillement est un sentiment esthétique, et des plus intenses, car c’est la qualité quasi miraculeuse de cet objet qui fait naître devant sa révélation une surprise admirative et un ravissement » (Anne Souriau, lemme « émerveillement », in Étienne Souriau (éd.), Vocabulaire d’esthétique, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 652).

19 Berthomieu, Hollywood : le temps des mutants, op. cit., p. 718.

20 Des fragments du thème apparaissent dans les scènes étudiées ci-dessus de la grotte écossaise, de l’observation du liquide noir pathogène par David et du dévoilement de la fresque dans le temple, puis quand Shaw partage à Holloway les résultats du test comparant l’ADN des Ingénieurs à ceux des humains (cue « We Were Right »).

21 Martin, Ridley Scott, op. cit., p. 230.

22 Nous faisons référence au célèbre vers de Paul Éluard dans son recueil L’Amour la poésie de 1929.

23 Philippe Guedj, « Alien Covenant : quand Ridley Scott se prend pour Dieu », in Le Point, mai 2017,
https://www.lepoint.fr/pop-culture/cinema/alien-covenant-quand-ridley-scott-se-prend-pour-dieu-09-05-2017-2125903_2923.php, consulté en mars 2021.

24 Le xénomorphe connaît plusieurs stades d’évolution distincts, parmi lesquels les plus récurrents dans la saga sont le facehugger (larve proche d’une araignée de couleur chair, émergeant d’un œuf pour s’agripper au visage de son hôte, dans lequel elle pond un embryon avant de mourir) et le chestbuster (issu de la fécondation, qui se développe à l’intérieur de son hôte avant de s’en extirper en en perforant généralement le thorax).

25 Massart, « Alien: Covenant », op. cit.

26 Michel Chion, Un art sonore, le cinéma : histoire, esthétique, poétique, Paris, Cahiers du cinéma, 2003, p. 116.

27 Kurzel, cité dans Tim Grieving, « Why the Alien Franchise Has Such a Dramatic Musical Past », op. cit. : « primal heartbeat feel ».

28 Voir Lisa Coulthard, « Dirty Sound: Haptic Noise in New Extremism », in Carol Vernallis, Amy Herzog et John Richardson (éd.), The Oxford Handbook of Sound and Image in Digital Media, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 115-126.

29 Dominique Chateau, Le Cinéma comme langage, Paris, AISS-AIASPA, 1986, p. 173.

30 Jennifer Walden, « Behind the Horrifying Sound of Alien: Covenant. Interview », in A Sound Effect, mai 2017, https://www.asoundeffect.com/alien-covenant-sound/, consulté en mars 2021 : « When it came to the actual Xenomorph vocals we had a challenge as in the first film they had that very effective hiss, but were otherwise fairly stealthy […]. We had notes such as ‘power and presence’ but the tough thing was the increase in screen time the creature had ». Sur les sons dans Alien, voir William Whittington, Sound Design & Science Fiction, Austin, University of Texas Press, 2007, p. 158-161.

31 Chion, Un art sonore, op. cit., p. 117.

32 Walden, « Behind the Horrifying Sound of Alien: Covenant », op. cit.

33 Ibid.

34 Cette question a été abordée dans plusieurs de nos articles, notamment « Le son de l’apocalypse spielbergienne : musique et sound design dans La Guerre des mondes (2005) », in Hélène Machinal, Monica Michlin et Arnaud Regnauld (éd.), Apocalypses. Otrante : art et littérature fantastiques, no 47-48, printemps-automne 2020, p. 167-182 ; et « Manifestations de l’au-delà et figures enfantines : la musique et le sound design du cinéma fantastique hispanique contemporain », in Laurence Le Diagon-Jacquin et François-Gildas Tual (éd.), Écoutes du fantastique : analyses de l’ambiguïté et ambiguïtés de l’analyse, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, à paraître. Sur les codes musico-sonores du genre horrifique, consulter Philip Hayward (éd.), Terror Tracks: Music, Sound and Horror Cinema, Oakville, Equinox Publishing, 2009 ; et Neil Lerner (éd.), Music in the Horror Film. Listening to Fear, Londres, Routledge, 2010.

35 Voir Chloé Huvet, Composer pour l’image à l’ère numérique. Star Wars, d’une trilogie à l’autre, Paris, Vrin, 2022, chap. 8.

36 Doté de dents métalliques, de grands tubes dorsaux et d’une carapace de silicium, l’alien se fond régulièrement dans les tuyaux, câbles et nervures de son environnement. Voir Martin, Ridley Scott, op. cit, p. 237-241.

37 Nigel Andrews et Harlan Kennedy, « Space Gothic », in American Film, mars 1979, p. 22.

38 Sur le sound design du film de 1979, voir Whittington, Sound Design & Science Fiction, op. cit., p. 147-165 et Chion, Un art sonore, op. cit., p. 115-116.

39 Barbara Creed, « Horror and the Monstruous-Feminine: An Imaginary Abjection », in James Donald (éd.), Fantasy and the Cinema, London, BFI, 1989, p. 64 : « maternal figure as abject ».

40 Plusieurs chercheurs ont relié Alien au sous-genre horrifique de la maison hantée, et Scott reconnaît l’influence de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974). Voir Whittington, Sound Design & Science Fiction, op. cit., p. 165, et Thomas Baurez, « Interview : Ridley Scott », in L’Express, 30 mai 2012,
https://www.lexpress.fr/culture/cinema/interview-de-ridley-scott-realisateur-de-prometheus_1119710.html, consulté en mai 2021.

41 Martin, Ridley Scott, op. cit, p. 235-236.

42 Walden, « Behind the Horrifying Sound of Alien: Covenant », op. cit. : « just enough icy winds, eerie tree creaks, and patter of rain on leaves to offer the plausibility that there could still be something tracking them. »

43 Martine Beugnet, Cinema and Sensation: French Film and the Art of Transgression, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2007, quatrième de couverture : « Cinema’s unique capacity to move us both viscerally and intellectually ». Voir Sophie Walon, « Le toucher dans le cinéma français des sensations », in Entrelacs, no 10, 2013, http://journals.openedition.org/entrelacs/530, consulté en mai 2021 ; Caitríona Walsh, « Obscene Sounds: Sex, Death, and the Body On-Screen » in Music and the Moving Image, vol. 10, no 3, 2017, p. 36-54 ; Lawrence Kramer, « Classical Music, Virtual Bodies, Narrative Film », in David Neumeyer (éd.), The Oxford Handbook of Film Music Studies, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 351-365.

44 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 614-622.

45 Si Marks, en particulier, travaille sur le cinéma indépendant et la vidéo, la transposition de son appareil théorique aux blockbusters est non seulement possible, mais particulièrement féconde et stimulante : l’émergence d’un cinéma se concentrant sur la représentation synesthésique des sensations et accordant une place privilégiée au contact et au toucher n’est pas l’apanage des films « d’auteur ».

46 Gianluca Sergi, « The Sonic Playground: Hollywood Cinema and its Listeners », in Richard Maltby et Melvyn Stokes (éd.), Hollywood Spectatorship: Changing Perceptions of Cinema Audiences, London, BFI, 2001, p. 128 : « invited to share the same sonic dimension as the characters on screen ».

47 Anahid Kassabian définit cette expérience sensorielle comme l’« esthétique du boom » (Ubiquitous Listening: Affect, Attention and Distributed Subjectivity, Berkeley, California University Press, 2013, p. 33-50). Voir aussi Carol Vernallis, Unruly Media: YouTube, Music Video, and the New Digital Cinema, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Laurent Jullier, « Esthétique du multipistes numérique », in Didier Huvelle et Dominique Nasta (éd.), Le Son en perspective : nouvelles recherches/New Perspectives in Sound Studies, Bruxelles, pie/New York, Peter Lang, 2004, p. 199-211 ; Jeff Smith, « The Sound of Intensified Continuity », in John Richardson, Claudia Gorbman et Carol Vernallis (éd.), The Oxford Handbook of New Audiovisual Aesthetics, New York, Oxford University Press, 2013, p. 331-356.

48 Walon, « Le toucher dans le cinéma français des sensations », op. cit.

49 Whittington, Sound Design & Science Fiction, op. cit., p. 139 : « charged with foreboding and dread as they are isolated and emphasized within the sound design ».

50 Sarv Kreindler, « Sound Design for Deep Space: Audio, Androids and Aliens on Prometheus », in Creative Planet Network, 20 septembre 2012, https://www.creativeplanetnetwork.com/news/sound-design-deep-space-audio-androids-and-aliens-prometheus-405112, consulté en mai 2021 : « Most anything that blows up always has a vocal element of sorts to give the sound either pitch and tonality or just something to color the sound and make it more intense or evil-sounding. »

51 Voir en particulier la prégnance des sons venteux sur la planète LV426 dans Alien.

52 Le cinéma crée ses propres conventions de réalité : il ne s’agit pas d’imiter, mais de rendre compte. Voir Michel Chion, « Sensory Aspects of Contemporary Cinema », in John Richardson, Claudia Gorbman et Carol Vernallis (éd.), The Oxford Handbook of New Audiovisual Aesthetics, New York, Oxford University Press, 2013, p. 325-330.

53 Miguel Mera, « Towards 3-D Sound: Spatial Presence and the Space Vacuum », in Danijela Kulezic-Wilson et Liz Greene (éd.), The Palgrave Handbook of Sound Design and Music in Screen Media: Integrated Soundtracks, London, Palgrave Macmillan, 2016, p. 91-111.

54 Lisa Coulthard, « Acoustic Disgust: Sound, Affect, and Cinematic Violence », in Greene et Kulezic-Wilson (éd.), The Palgrave Handbook of Sound Design and Music in Screen Media, op. cit., p. 188 : « Suggestive of intimacy, immersion, and contagion, mouth sounds are associated with both sex and horror and carry with them a particularly evocative ‘too close’-ness ». Sur le dégoût visuel au cinéma, voir Julian Hanich, « Dis/linking Disgust : The Revulsion Experience at the Movies », in New Review of Film and Television Studies, vol. 7, no 3, 2009, p. 293-309.

55 Voir Lisa Coulthard, « Affect, Intensities, and Empathy. Sound and Contemporary Screen Violence », in Miguel Mera, Ronald Sadoff et Ben Winters (éd.), The Routledge Companion to Screen Music and Sound, New York, Routledge, 2017, p. 50-60.

56 Craig, « Prometheus Bound », op. cit. : « definitely inspired by the visuals. I try to use a lot of unusual objects and strange instruments to create sounds that have somewhat an organic feel to them but maybe feel unusual or not human. I tried to do this with pretty much everything even down to the way I recorded the orchestra. »

57 Jonathan Barkan, « Exclusive: Jed Kuzel on the Music of Alien: Covenant », in Dread Central, 2017, https://www.dreadcentral.com/news/226920/exclusive-jed-kurzel-music-alien-covenant/, consulté en mai 2021 : « When I first met Ridley, we talked a lot about these organic-sounding instruments being corrupted either by foreign sounds or from within themselves. Even within the more lush orchestral pieces there are elements suggesting a threatening presence, like breaths and pulses. »

58 Cécile Carayol, La Musique de film fantastique : codes d’une humanité altérée, Aix-en-Provence, Rouge Profond, à paraître.

59 Ibid.

60 Voir Whittington, Sound Design & Science Fiction, op. cit., p. 158-164 ; Berthomieu, Hollywood : le temps des mutants, op. cit., p. 682-685.

61 Barkan, « Exclusive: Jed Kuzel on the Music of Alien: Covenant », op. cit.

62 John Burlingame, « Composer Marc Streitenfeld is Ardious in his Search for the Lost Chord », in Variety, mai 2015, https://variety.com/2015/music/features/composer-marc-streitenfeld-is-arduous-in-his-search-for-the-lost-chord-1201501614/, consulté en mai 2021 : « I make all the sounds you hear in my scores. I spend a lot of time creating textures and percussive sounds. On Prometheus, I spent months just recording things to make it sound unusual. »

63 Spacek, « Interview: Jed Kurzel », op. cit. : « ‘Spores’ is actually a lot less electronic than you would think. They were written electronically, but we would work out a way to replicate them with the orchestra. Getting certain synth sounds with woodwinds, etc. Lower brass notes that almost sound like heavy stoner guitar chords. » Kurzel fait référence au cue entendu lors de la contamination de Ledward.

64 Sergi Casanelles, « Mixing as a Hyperorchestration Tool », in Greene et Kulezic-Wilson (éd.), The Palgrave Handbook of Sound Design and Music in Screen Media, op. cit., p. 69.

65 Voir ibid., p. 57-72 ; et Huvet (éd.), Création musicale et sonore dans les blockbusters de Remote Control, op. cit.

66 Voir Jérôme Rossi, « Roland-Manuel et le travail de la bande-son au cinéma : une étude des interactions entre voix, bruits et musiques », in La Revue du Conservatoire, no 7, 2019,
http://larevue.conservatoiredeparis.fr/index.php?id=2188, consulté en mai 2021.

67 Patrick Samuel, « Marc Streitenfeld », in Static Mass Emporium, mai 2012, http://staticmass.net/exclusive-interviews/marc-streitenfeld-prometheus-composer/, consulté en mai 2021 : « I actually wrote out the sheet music backwards so the orchestra played it backwards and then I digitally flipped it. So you’re hearing […] the same melody, but with a […] unusual, unsettling sound. »

68 Martin, Ridley Scott, op. cit., p. 165.

69 Au sujet du fleuve dans Exodus: Gods and Kings (2014) et Prometheus, voir Martin, Ridley Scott, op. cit., p. 201-203.

70 Ibid., p. 5.

71 Ibid., p. 130.

72 Guedj, « Alien Covenant », op. cit.

73 Martin, Ridley Scott, op. cit., p. 46.

74 Streitenfeld, cité dans Justin Craig, « Prometheus Bound », op. cit.

75 Voir en particulier Kevin J. Donnelly, « Saw Heard. Musical Sound Design in Contemporary Cinema », in Warren Buckland (éd.), Film Theory and Contemporary Hollywood Movies, New York, Routledge, 2009, p. 103-123.

76 Beugnet, Cinema and Sensation, op. cit., quatrième de couverture : « in the very texture of the images and sounds ».

77 Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 398.

Citation   

Chloé Huvet, «Refonder Alien : création musicale et sonore dans Prometheus et Alien: Covenant (Ridley Scott, 2012, 2017)», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Musique et design sonore dans les productions audiovisuelles contemporaines, Numéros de la revue, Hybridités musico-sonores : repenser l’écoute cinématographique, mis à  jour le : 30/11/2022, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=1249.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Chloé Huvet

Chloé Huvet est Maître de conférences en musicologie à l’Université d’Évry-Val-d’Essonne Paris-Saclay, agrégée de musique et ancienne élève de l’ENS de Lyon. Sa thèse sur la musique et le sound design de Star Wars a été récompensée par plusieurs prix en France et au Canada. Cofondatrice et coordinatrice du groupe de recherche collective ELMEC (Étude des langages musico-sonores à l’écran) avec la Sfm, elle consacre ses recherches aux rapports entre musique, sons et images dans le cinéma contemporain, en particulier la production hollywoodienne. Ses publications récentes portent sur le sound design, la musique dans les genres science-fictionnel, fantastique et horrifique, et l’utilisation des musiques préexistantes au cinéma. Son premier ouvrage, Composer pour l’image à l’ère numérique. Star Wars, d’une trilogie à l’autre, paraît début 2022 aux éditions Vrin (collection MusicologieS). Elle a dirigé l’ouvrage collectif Ennio Morricone : Et pour quelques notes de plus… (EUD, novembre 2022. Maître de conférences RASM-CHCSC, Université d’Évry Paris-Saclay, France. chloe.huvet@univ-evry.fr