Logo du site de la Revue d'informatique musicale - RFIM - MSH Paris Nord

Du field recording à l’art de la sonification
Nouveaux enjeux éthico-esthétiques entre conscience environnementale, activisme et écologie sonore

Andrea Giomi
mars 2022

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.1130

Résumés   

Résumé

Pendant la dernière décennie, les questions environnementales telles que la perte de biodiversité, la pollution, la durabilité, la justice environnementale mondiale, et en particulier le bouleversement climatique sont devenus les problèmes sociopolitiques et éthiques majeurs de notre époque. Dans les années récentes, un nombre croissant d'artistes sonores s’est engagé dans des luttes écologiques en formant un mouvement d'art sonore attentif aux questions environnementales qui est en plein essor. Ces créations artistiques se caractérisent souvent par l’utilisation de techniques de sonification afin d'établir, à travers l’écoute, un nouveau rapport éthico-esthétique avec l’environement. Le présent article a pour but de présenter le cadre conceptuel et artistique de l’art sonore environnemental ainsi que son lien avec la sonification de données. À ce propos, nous allons d’abord illustrer la théorie générale de la sonification pour interroger ensuite son lien avec la pratique artistique et l’écologie sonore. En analysant le rapport entre la tradition du field recording, la sonification et l’écologie, ce texte met en lumière la façon dont les pratiques artistiques présentées impliquent trois enjeux principaux d’ordre éthico-esthétiques : induire un mode d’écoute écologique, promouvoir une connaissance autour des risques climatiques et amorcer des processus d’activisme participatifs. Ces enjeux permettent de définir aujourd’hui un champ d’expérimentation majeur dans l’art de la sonification.

Abstract

Over the past decade, environmental issues such as biodiversity loss, pollution, sustainability, global environmental justice, and especially climate change have become the major socio-political and ethical issues of our time. In recent years, a growing number of sound artists have engaged in ecological struggles, forming a growing environmental sound art movement. These artistic creations are often characterized by the use of sonification techniques in order to establish, through listening, a new ethical-aesthetic relationship with the environment. This article aims to present the conceptual and artistic framework of environmental sound art as well as its link with data sonification. In this regard, we will first illustrate the general theory of sonification and then question its connection to artistic practice and sound ecology. By analyzing the relationship between the field recording tradition, sonification and ecology, this text highlights the way in which these artistic practices imply three main ethico-aesthetic challenges: to induce an ecological mode of listening, to promote knowledge around climate risks, and to initiate processes of participative activism. Today, these challenges allow us to define a major field of experimentation in the art of sonification.

Index   

Texte intégral   

1. Introduction

1Les questions écologiques sont désormais devenues un axe de réflexion central dans la politique contemporaine ainsi que dans le débat culturel au sein de la société, à la suite de la croissance de mouvements sociaux environnementalistes à une échelle globale. Les impacts du changement climatique sont d’ailleurs presque impossibles à ignorer : force est de constater que le blanchissement dévastateur des coraux, l’acidification des océans et la fonte des calottes glaciaires, tout comme la dégradation des forêts, la pollution de l’air, les vagues de chaleur et l’extinction des espèces, sont en train de provoquer des bouleversements écologiques dramatiques. De plus, la réalité du changement climatique commence à révéler les injustices sociales imposées par la globalisation déréglementée, et tout particulièrement par l’industrie des combustibles fossiles. Face à cette crise globale, un nombre croissant d’artistes s’est récemment intéressé aux techniques de sonification de données comme moyen de sensibilisation des auditeurs aux problématiques environnementales tout en sollicitant des nouvelles pratiques d’écoute active.

2Le présent article a pour but d’analyser le lien entre l’art de la sonification et l’art sonore environnemental ou écologique, en mettant en lumière les enjeux éthico-esthétiques qui naissent de cette rencontre. Le texte est composé de trois parties. Dans la première partie, nous proposons un cadre conceptuel permettant d’illustrer la théorie générale de la sonification, ainsi que son lien avec la pratique artistique. Dans ce cadre, nous allons nous attarder tout particulièrement sur les aspects technico-esthétiques afin de montrer dans quelle mesure ces techniques présentent un intérêt direct pour l’art environnemental. Dans la deuxième partie, nous analysons le rapport généalogique entre la tradition du field recording et l’art de la sonification environnementale. Nous allons en cela nous interroger sur la manière dont le phénomène sonore permet d’induire, grâce à son essence vibratoire, un sentiment d’empathie à l’égard des questions environnementales et sur la façon dont cela permet de rendre possible un véritable récit écologique à l’ère de l’Anthropocène. Dans la troisième partie, nous allons illustrer certaines des créations artistiques clés de l’art de la sonification environnementale. L’analyse des œuvres de Nicolas Reeves, Lorella Abenavoli, John Luther Adams, Andrea Polli et Leah Barclay permet de mettre en lumière trois enjeux éthico-esthétiques principaux : promouvoir une connaissance des risques climatiques, amorcer des processus d’activisme participatif et induire un mode d’écoute écologique. Ces enjeux permettent de définir aujourd’hui un champ d’expérimentation majeur dans l’art de la sonification.

2. L’émergence de la sonification en art

3Depuis que le concept a été formellement introduit dans la première moitié des années 1990, la sonification de données [data sonification] commence à désigner un sous-type de représentation auditive qui utilise des sons (non vocaux) pour transmettre des informations1. Les techniques de sonification ont récemment fait l’objet d’un vif intérêt dans des disciplines scientifiques très différentes telles que la mécanique moléculaire2, les neurosciences3, l’analyse exploratoire des données4, l’interaction homme-machine5, l’apprentissage sensori-moteur6, les sciences du sport7 ou les pratiques chorégraphiques8. En se définissant comme un processus technique de traitement de l’information, la sonification a été développée comme une alternative – ou un complément – à la visualisation, dans le but de faciliter la communication, l’analyse ou l’interprétation. Dès lors, son intérêt scientifique repose sur la manière dont un signal acoustique permet de rendre perceptible un ensemble de données, ainsi que le rapport relatif qu’elles entretiennent, en facilitant la compréhension sensible d’un phénomène donné.

4Pendant les deux dernières décennies, les techniques de sonification ont également été employées en art, suggérant ainsi l’émergence d’une nouvelle pratique au croisement entre composition électroacoustique, art sonore, field recording et arts numériques, et qui se développe souvent en interaction avec les sciences sociales et formelles (géographie, sociologie, astronomie, biologie, etc.). Elles se caractérisent ainsi par une démarche essentiellement interdisciplinaire9. En ce sens, le but principal des créations artistiques ou des projets de recherche-création faisant appel à la sonification est souvent de créer une prise de conscience d’un phénomène issu du monde réel (urbain, social, économique, naturel, scientifique, etc.) par le biais de l’audition.

5La théorie de la sonification de données distingue six techniques principales sur la base de considérations procédurales et sémantiques10. 1. Audification : l’amplitude et la fréquence des données mesurées sont transcrites sous forme d’une onde sonore. Il s’agit d’amplifier le signal original, souvent issu de fréquences infragraves ou ultrasoniques pour le transposer dans le domaine de l’audible. Les données originales sont adaptées vers une nouvelle plage de valeurs sans toutefois modifier les rapports internes entre elles. 2. Earcons11 : il s’agit de sons, généralement abstraits, qui sont utilisés comme message acoustique. Leur fonction est de signaler un processus en cours d’accomplissement ou de notifier un événement qui vient d’avoir lieu. Les feedbacks acoustiques qui accompagnent les interactions de l’utilisateur d’interface grand public (tablette, smartphone) appartiennent à ce genre de sonification. 3. Icônes auditives : il s’agit d’objets sonores inspirés des sons du quotidien et/ou de l’environnement. Ils servent à représenter nos interactions avec le monde réel en s’appuyant sur les caractéristiques sémantiques et pragmatiques, assimilées culturellement, du langage symbolique. 4. Spearcons : un type particulier d’earcon basé sur un matériau vocal dont le tempo est augmenté de manière à rendre le contenu de la parole non reconnaissable. L’intérêt de ces objets réside dans la capacité d’articulation prosodique et/ou fréquentielle qu’a la voix d’attirer l’attention perceptive. 5. Sonification paramétrique : cette catégorie regroupe un ensemble de techniques, largement utilisées dans les pratiques artistiques numériques, qui permettent d’associer de manière arbitraire une valeur continue à des paramètres musicaux spécifiques tels que la hauteur, le volume, le tempo, la durée, etc. 6. Sonification basée sur des modèles : cette technique propose souvent un cadre conceptuel – un modèle – pour interpréter la manière dont les informations peuvent être sonifiées. Le « modèle » repose souvent sur des protocoles automatiques de traduction de l’information.

6Les techniques 2, 3 et 4 adoptent une approche sémantique/iconique12 et emploient des sons très brefs qui présentent une relation analogique par rapport à l’information sonifiée. Souvent, elles fonctionnent comme des interfaces. Par exemple, une image de nuage est associée à un son de pluie. Les techniques 1, 5 et 6 s’appliquent à des paramètres mesurés par le biais de capteurs et qui présentent une variation continue. L’audification représente une traduction directe d’une valeur donnée captée, et le geste de l’artiste consiste à décider de l’échelle de compression, de la durée de l’échantillon et du niveau d’amplification. Les deux autres impliquent une composante subjective et créative majeure, demandant à l’artiste de composer les sons qu’il associera à l’ensemble des paramètres mesurés. L’artiste américaine Andrea Polli parle, à ce propos, de géosonification13, en se référant à l’utilisation du mapping comme procédé visant à sonifier les données issues des environnements naturels, et dont la création sonore reflète une conception inspirée par le modèle des paysages sonores [soundscape composition].

7Les techniques de sonification s’enracinant dans le domaine scientifique, les procédés les plus créatifs et arbitraires doivent répondre à une nécessité de cohérence formelle et méthodologique14. À cet égard, quatre principes fondamentaux peuvent être mis en lumière : 1. Le son doit pouvoir représenter des propriétés objectives ou des relations internes des données analysées. 2. Le processus de sonification doit pouvoir être accompagné d’une définition et d’une description précise de la manière dont les données ont été transformées. 3. Un processus de sonification doit toujours produire un même résultat sonore, c’est-à-dire que les mêmes relations entre données doivent générer une représentation auditive identique. 4. Le système de sonification doit pouvoir être appliqué à des ensembles différents de données. En d’autres termes, un ensemble de règles de sonification doit pouvoir s’appliquer a priori à d’autres ensembles de données.

8Le domaine artistique de la sonification présente cependant des caractéristiques spécifiques. Dans ce contexte, les techniques de sonification sont employées pour trois raisons principales : 1. Pour introduire concrètement les phénomènes du monde réel dans la sémantique de la création sonore. 2. Pour assigner aux données la responsabilité de la composition générative. 3. Pour utiliser le son comme médium faisant entendre des phénomènes qui ne seraient pas perceptibles autrement. À ces trois approches, correspondent autant d’esthétiques sonores. De façon générale, la sonification permet en effet de mettre l’accent sur le type de données utilisées, sur le design sonore, ou bien sur le processus interactif15. Dans le premier cas, la typologie de données est utilisée comme source d’inspiration principale pour la réflexion artistique. Les données ont alors souvent une valeur symbolique qui suggère des stratégies esthétiques pour la composition musicale16. Dans le deuxième cas, on s’intéresse en particulier à la structure interne des données, on considère que leur articulation, leur évolution et leur comportement sont significatifs en soi. Une importance porte surtout ici sur les qualités sonores émergentes des patterns mesurés17. Troisièmement, la sonification a pour but d’induire chez l’auditeur la prise de conscience d’un processus actuel. L’idée est de rendre perceptible des phénomènes importants auxquels ces auditeurs ne prêtent pas attention18.

9Comme on le voit, la sonification en art se caractérise par l’utilisation de la matière sonore comme dispositif pour communiquer des informations extra-musicales. Néanmoins, elle reprend certains éléments typiques de la tradition musicale occidentale. D’un point de vue esthétique, elle réintroduit une approche mimétique dans la création sonore tandis que, d’un point de vue conceptuel, elle se réapproprie la tradition de la musique à programme. En cela, elle se caractérise par une nécessité de clarté communicative et un besoin de faire émerger une implication à la fois esthétique et conceptuelle. Comme précisé par Florian Grond et Thomas Hermann19, l’art de la sonification se caractérise par un pouvoir explicatif qui, tout en reposant sur sa dimension sonore, ne peut pas pour autant être réduit ni à la musique pure ni à la simple illustration scientifique de données.

3. Du paysage et de l’environnement à l’écologie : pour une narration sonore à l’ère de l’Anthropocène

10Des nombreux artistes se sont récemment intéressés aux techniques de sonification pour établir, à travers l’écoute, un nouveau rapport éthico-esthétique avec l’environnement20. À ce propos, il convient de noter que l’art de la sonification environnementale a des antécédents techniques et formels dans l’histoire des arts sonores21. Certaines des créations de Alvin Lucier, Gordon Mumma, Robert Barry, Joyce Hinterding et Pauline Oliveros s’intéressent en effet à l’utilisation des signaux électriques des vibrations terrestres ou de l’électromagnétisme comme matériaux pouvant être transduits en sons, via des moyens analogiques (la partition musicale, ou plus souvent des control voltage/gate pilotant des synthétiseurs). Toutefois, l’intérêt de l’art de la sonification pour les enjeux environnementaux contemporains s’inscrit plus précisément dans le socle de la tradition éthico-esthétique du field recording et de l’écologie acoustique. La création du World Soundscape Project (1970) et la publication du texte fondateur de R. Murray Schafer, Le Paysage sonore (1977), vont donner naissance à une nouvelle sensibilité à des sujets tels que la réduction de la pollution sonore dans les contextes urbains pour la préservation de la biodiversité acoustique, et tout particulièrement celle des écosystèmes menacés par l’exploitation croissante des ressources naturelles.

11Du point de vue esthétique et méthodologique, il faut d’ailleurs souligner l’influence « hérétique » de Hildegard Westerkamp sur l’art de la sonification d’aujourd’hui. Ses compositions de paysages sonores22, en se détachant du modèle de Schafer, introduisent une approche du field recording qui ne considère pas le medium technologique comme simple outil de préservation, mais en envisageant plutôt une utilisation créative. Selon Westerkamp, la manipulation médiatique (amplification, mixage, diffusion multicanal, traitement électroacoustique, etc.) permet de créer des environnements sonores qui, tout en sauvegardant le caractère reconnaissable des sources acoustiques originales, conduisent l’auditeur au cœur de la problématique écologique en lui transmettant de manière empathique un sentiment de lieu, de temps et d’environnement23. De plus, la compositrice allemande suggère une modalité d’écoute active située entre la tradition écologiste de Schafer et l’approche phénoménologique de la musique concrète. Tout comme dans l’écoute réduite, théorisée par Pierre Schaeffer, les moyens technologiques sont employés pour orienter l’écoute vers les aspects sensibles de la matière sonore afin de provoquer une écoute attentive. À la différence de la théorie schaefferienne, le lien perceptif entre les objets sonores et leur source est maintenu. En cela, les sons des compositions basées sur le modèle des paysages sonores présentent une valeur déictique, ou même une référence indexicale, renvoyant au contexte écologique d’origine qui permet de communiquer des informations extra-musicales par le biais de l’audition. D’autres héritages remarquables que nous retrouvons dans l’art de la sonification d’aujourd’hui sont : 1. Le modèle de la composition de paysages sonores, à savoir l’idée qu’un certain écosystème acoustique ne fournit pas simplement une matière sonore, mais aussi un modèle d’organisation pour la composition musicale. 2. L’utilisation des moyens technologiques comme outils permettant de rendre audibles des sons qui seraient, sans eux, difficiles à percevoir ou totalement inaudibles. Tous ces aspects demeurent centraux dans l’art de la sonification de données environnementales.

12D’un point de vue conceptuel, l’art de la sonification, le field recording et les promenades sonores [soundwalks] sont désormais regroupés sous la catégorie d’art sonore environnemental. Le terme, théorisé par Frederick Bianchi et V. J. Manzo24, a été utilisé, entre autres, par Marinos Koutsomichalis25 et par l’artiste Andrea Polli26. Cependant, Jonathan Gilmurray27 propose plutôt la définition alternative d’art sonore écologique qui, d’après lui, souligne mieux l’orientation engagée de ces artistes s’intéressant aux questions environnementales. Le terme a été récemment repris par l’artiste sonore et activiste Leah Barclay28. Deux questions s’imposent alors : de quelle façon l’art de la sonification peut-il être défini comme écologique ? Et dans quelle mesure les dispositifs sonores peuvent-ils induire une mobilisation critique des sens tout en sollicitant une prise de conscience portant sur les risques environnementaux ? En s’appropriant l’hypothèse de la « niche écologique29 », l’écologie du paysage sonore s’est progressivement interrogée sur la façon dont le bruit affecte les organismes en matière de capacités de communication, de forme physique, de survie et de santé à long terme. Dans le but de développer des solutions appropriées pour réduire la pollution sonore, elle essaie de documenter la manière dont les écosystèmes changent au fil du temps afin d’en mesurer la biodiversité et de quantifier les impacts humains sur l’environnement. L’art de la sonification ne semble aujourd’hui plus se limiter à la seule question de la préservation de la biodiversité acoustique en s’adressant à la problématique de la crise climatique d’une façon beaucoup plus vaste. Cette démarche s’avère de plus en plus urgente depuis que nous sommes entrés dans une phase d’altération majeure de l’écosystème planétaire. La théorie de l’Anthropocène30 souligne que les cent dernières années de développement humain ont été si importantes en matière de pression écosystémique qu’elles ont déterminé le début d’une nouvelle ère géologique, caractérisée par une économie postindustrielle, dans laquelle l’impact de la présence de l’homme sur la Terre est désormais irréversible.

13L’avancement des recherches dans le domaine de la durabilité environnementale a produit des informations importantes pour détecter les causes de la crise écologique en proposant des solutions possibles pour développer une alternative aux modes de production actuels. Cependant, comme l’a remarqué Susanne Moser, experte en communication des effets du changement climatique, le nouveau défi n’est plus de montrer si le changement climatique se produit ou non, mais de communiquer la profondeur et la qualité de ce changement en identifiant les modalités d’intervention au niveau collectif31.

14La sonification peut alors s’avérer un moyen expressif efficace. Si l’écoute active, en tant que dispositif perceptif, nous prédispose naturellement à l’interprétation des systèmes complexes et interconnectés, la capacité du son à nous orienter vers une « écologie sonore32 » repose également sur la valeur métaphorique de l’expérience auditive. Comstock et Hocks soulignent que le son est une « ressource rhétorique » essentielle mais sous-estimée pour communiquer notre expérience physique et tangible du changement climatique et de l’extinction des espèces33. Contrairement à l’acte de lecture des mots sur une page ou à celui de regarder une image, les événements sonores se manifestent comme des phénomènes essentiellement incarnés34 dont la dimension vibratoire affecte tout le corps. Étant donné ses qualités temporelles et vibratoires, le son permet ainsi de communiquer, au moins sur le plan métaphorique, l’idée d’extinction, en sollicitant, chez l’auditeur, une simulation incarnée du changement climatique. Un exemple efficace est représenté par l’œuvre collective Suspend Sounds, présentée à le Ear to Earth festival (New York, 2006) pour laquelle différents artistes ont composé une création sonore octophonique à partir d’enregistrements d’espèces menacées ou disparues. Un autre exemple est Vatnajökull (the sound of), réalisé en 2008 par l’artiste Katie Paterson, dans lequel le son est obtenu par un microphone placé dans un glacier en Islande. Le son, diffusé en direct, permet aux auditeurs d’entendre les vibrations du glacier en train de fondre.

15Ces derniers exemples artistiques démontrent à quel point le médium sonore permet de créer un lien empathique – terme déjà utilisé plus en haut – entre les auditeurs et les écosystèmes naturels. Cette notion, qui désigne le fait de se projeter dans les sentiments d’autrui en les faisant siens, se présente ici sous forme d’une sensation de réciprocité avec l’environnement dont nous faisons partie et dont nous dépendons. Cette déclinaison relève de certains concepts issus de l’esthétique et de l’éthique environnementales. Pour Holmes Rolston III, l’un des pionniers de ce champ, ce sentiment émerge lorsque nous devenons capables d’élargir la sphère de l’éthique non seulement aux êtres humains mais aussi à l’ensemble du vivant35. Une conséquence de ce propos est d’envisager une forme d’écologie non anthropocentrée ou, selon la définition d’Arnie Ness, une « écologie profonde ». S’opposant à l’écologie dite « superficielle » – qui ne s’intéresse à l’environnement qu’en fonction du bien-être humain (et occidental) – l’écologie profonde adopte plutôt une sorte d’égalitarisme biosphérique visant à l’élimination de toute forme de domination et d’exploitation sur la base d’un processus de reconnaissance et d’identification avec la nature qu’on peut qualifier d’écosophie36. Il devient alors possible de remodeler la perspective anthropocentrique traditionnelle en la substituant à une vision que John Baird Callicott désigne comme « écocentrée ». Pour le philosophe américain, il ne s’agit pas de refuser toute innovation technologique mais plutôt d’envisager l’existence de « communautés écologiques » capables de concevoir le développement humain (industriel, économique et technique) en tant qu’elles font partie d’un écosystème à l’échelle planétaire37.

16C’est dans sa capacité à sensibiliser de façon critique l’auditeur à un récit non anthropocentrique et écocentré que l’art de la sonification peut se comprendre comme étant écologique. L’empathie envers l’environnement est sans doute un sentiment crucial dans la configuration d’une telle expérience esthétique qui se fonde sur la perception d’une réciprocité et d’une interdépendance entre l’auditeur et les écosystèmes. Comme on l’a vu, les dispositifs technologiques permettent de capturer et transporter le son vers l’auditeur et, en retour, l’auditeur vers le son. Par cela, le médium électroacoustique peut faire se mêler l’écoute du temps présent, la reconstitution de la mémoire passée et l’imagination sonore du futur. L’empathie n’est toutefois pas induite par la seule dimension temporelle de l’événement sonore. L’aspect déterminant tient à ses propriétés immersives, surtout si elles sont renforcées par des techniques de diffusion employant les basses fréquences, la spatialisation et la diffusion multicanale. La nature immersive de certaines créations sonores renforce le sentiment pour l’auditeur de se trouver dans un vaste paysage sonore dans lequel il a le sentiment de faire une expérience restreinte d’une partie appartenant à un tout plus vaste. La manière d’écouter le paysage sonore en arrière-plan, par opposition à l’écoute au premier plan offerte par la musique traditionnelle, renforce ainsi l’idée d’une « présence » de l’environnement sonore, comme si l’auditeur était « plongé » dans une composition en cours38. Cette sensation est également renforcée par le type de composition proposée. Les premières créations de Andrea Polli telles que Atmospherics/Weather Works (2001) qui – sans doute pas par hasard – s’inspirent du modèle de la composition des paysages sonores, présentent une sonification immersive de données météorologiques de deux tempêtes historiques qui ont eu lieu à New York. À travers la création d’une composition diffusée sur quatorze pistes et une conception de l’œuvre comme événement sonore qui se manifeste à certains moments de la journée, l’artiste suggère l’idée d’un écosystème qui est présent avant et après l’expérience de l’auditeur, impliquant par là une continuité du monde naturel qui préexiste à la vie humaine et qui lui survivra.

4. Écologie sonore, conscience environnementale et activisme participatif

17La sonification de données environnementales suggère donc une vision holistique de l’écosystème dans laquelle le son permet de rétablir un lien écologique avec l’environnement. Cette véritable « écosophie sonore39 », se configure autour de certains éléments récurrents tels que l’empathie environnementale, la communion avec la nature et la dimension corporelle, voire charnelle, de la perception de la vibration sonore40. L’emphase placée sur la nature incarnée de l’écoute joue d’ailleurs un rôle crucial dans la sollicitation d’une approche critique des sens, investis d’une capacité de transformation des arguments abstraits et peu incisifs dans une conscience empirique fondée sur l’immersivité. Dans ce cadre, l’art sonore écologique semble utiliser la sonification selon trois finalités majeures : 1. Induire un mode d’écoute écologique. 2. Promouvoir une connaissance des risques climatiques. 3. Amorcer des processus d’activisme participatif. Dans le premier cas, le monde sonore créé oriente vers un mode d’écoute écologique dans lequel l’attention s’éloigne des choses ou des objets isolés au profit d’une dynamique plus globale centrée sur celle des interactions et des interrelations. En ce sens, l’utilisation de procédés immersifs (enregistrement binaural, diffusion multicanale, etc.) favorise une prise de conscience sensorielle des principes de l’écosystème interconnecté. Dans la deuxième approche, l’écoute des sons d’un environnement ou d’un phénomène écologique est fréquemment utilisée dans les œuvres d’art sonore comme moyen intuitif et expérientiel permettant d’apprendre davantage sur le fonctionnement des écosystèmes naturels de la Terre et sur les problèmes auxquels ils sont confrontés. Dans le troisième, les processus de création ainsi que les contextes d’expérience esthétique s’articulent à travers la participation active du public, non seulement en matière d’écoute mais aussi en matière de création, en sollicitant des processus d’engagement individuel et collectif. Pour illustrer ces trois approches, nous proposons d’étudier cinq œuvres d’art de la sonification écologique. La première approche étant la plus répandue, nous allons l’illustrer en analysant les travaux de Nicolas Reeves, Lorella Abenavoli et John Luther Adams qui utilisent d’ailleurs des techniques et des principes de composition sonore différents. La deuxième approche est discutée à travers la démarche artistique de Andrea Polli. La troisième approche est présentée dans l’analyse du travail de Leah Barclay.

4.1 Harpes à nuages (1997-2012)

18Au milieu des années 1990, Nicolas Reeves, artiste et chercheur québécois formé en architecture et en physique, reste fasciné par une photo d’un nuage prise par satellite qui montre la géométrie multifractale41 de ces phénomènes météorologiques. Lorsqu’il découvre cette photo, la dimension multifractale fait partie, depuis plusieurs années déjà, du vocabulaire de la recherche formelle de Reeves, qui commence à concevoir des outils d’analyse des morphologies urbaines. Il transformera ensuite son outil d’analyse en outil de production et élaborera par ce biais des formes architecturales programmées, issues de processus algorithmiques génératifs. Il imagine aussitôt le transfert de cette géométrie multifractale dans une partition musicale générative. C’est au moment de la rencontre avec l’image satellitaire qu’il commence à concevoir une génération sonore à partir de phénomènes naturels et non plus à partir d’algorithmes. Les Harpes à nuages sont des architectures, des sculptures et des systèmes technologiques permettant de « lire » en temps réel la forme des nuages qui les survolent (jusqu’à une altitude de 8 000 mètres) et de transformer ces informations en sons42. La structure décrit la composition des nuages grâce à un système de faisceau laser infrarouge. Pointé vers l’atmosphère, il entre en contact avec les éléments météorologiques en décodant l’altitude, la densité et la structure des nuages. Il transmet ensuite à un ordinateur central les informations recueillies qui sont alors traduites en sons. La sonification est fondée sur une approche « traditionnelle » utilisant des sonorités de la bibliothèque General MIDI, et dont l’orchestration était corrélée à la stratification des nuages (chaque couche de nuages était associée à une voix différente). Reeves a renouvelé son système de sonification dans les années 2010 : il s’agit d’un algorithme de synthèse additive dont la fréquence et l’amplitude des oscillateurs se basent sur le décryptage de la courbure des nuages.

19Si les Harpes à nuages ne renvoient pas à un questionnement explicitement politique, elles utilisent néanmoins le son pour mettre en évidence la nature inextricable de notre relation avec le climat et le milieu environnant. Tout en s’inscrivant dans la tradition de l’écologie sonore, les sculptures de Reeves se présentent comme des projets in situ (onze harpes différentes ont été réalisées depuis la première itération de l’œuvre) qui entrent en dialogue avec les milieux urbains ou naturels dans lesquels elles sont installées, en mettant en œuvre le principe écologique fondamental de l’interconnexion. Ce principe est également souligné par le fait que les rendus orchestraux qui en découlent changent automatiquement selon l’heure du jour, et en fonction des conditions météorologiques du ciel – clarté céleste, couches de nuages, pluie, neige, brume, etc. De cette manière, les dispositifs de Revees deviennent une sorte de sanctuaire sonore qui sollicite la contemplation de l’environnement et qui induisent une activité d’écoute visant à la formation d’une conscience écologique et pointant l’interdépendance entre les écosystèmes humains et non humains.

4.2 Le Souffle de la Terre (2001-2007)

20Entendre la terre, donner à sentir son intériorité, l’énergie diffuse qui traverse la matière minérale de notre planète, prolongée par empathie dans notre corps, dans le temps et dans l’espace. Avec Le Souffle de la Terre, l’artiste et chercheuse franco-italienne Lorella Abenavoli veut rendre audible à l’oreille humaine les vibrations terrestres en nous mettant en contact avec les forces fondamentales qui traversent notre planète. Depuis ses premiers travaux, comme Bitume et Acier (1995), dans lequel un bloc d’asphalte se transforme et se liquéfie lentement, révélant sa structure en acier, elle s’intéresse plus au processus qu’aux états finis et explore les questions de perception et de mouvement en examinant la frontière subtile entre le perceptible et l’imperceptible. Par cela, elle donne à voir non seulement le temps qui agit sur l’œuvre, mais aussi le mouvement dans le matériau lui-même. En prolongeant cette démarche, elle utilise le medium sonore pour donner corps à l’intangible, pour rendre audible l’être intime de la matière, son mouvement. À cette fin, elle crée en collaboration avec des géophysiciens et des ingénieurs le logiciel SdT, un système permettant de capturer et d’analyser les ondes infrasoniques de la Terre à partir de l’utilisation de sismomètres et de sismogrammes enregistrant les mouvements les plus subtils de la croûte terrestre, ceux que nous ne percevons pas, et qui constituent, selon l’artiste, une sorte de respiration rythmée par les marées lunaires et solaires43. Ces données sont envoyées à un système d’audification – « L’Alchimiste » – réalisé avec le logiciel Max/MSP, qui transforme en temps réel les ondes infragraves en sons, par amplification de fréquence, et les diffuse sur un système multicanal44. L’installation finale se présente comme un assemblage de haut-parleurs, de lumières et d’éléments plastiques qui interagissant en rendant audibles et visibles les ondes vibratoires terrestres45.

21Grâce aux médias numériques, l’artiste transfère les ondes telluriques dans le domaine de l’audible, de l’infrasonore au sonore. Dans cette œuvre, le son se présente alors comme le médium capable « de rendre sensible l’éphémère passage du temps et le souffle qui habite toute chose46 ». Considérant la transition climatique ayant cours dans l’Anthropocène, cette œuvre sonore et visuelle comporte non seulement une valeur écologique, mais aussi archivistique quant aux mutations en cours au niveau des forces géologiques et climatiques. Pourtant, c’est la construction de correspondances métaphoriques entre les ondes sismiques et les ondes sonores de l’œuvre qui constitue le véritable enjeu en matière de signification écologique. En mettant en œuvre une résonance charnelle, au sens de Merleau-Ponty47, entre la vibration de la planète et la vibration de notre corps qui se prête à l’écoute, Le Souffle de la Terre suggère une forme de communion empathique qui passe par une prise de conscience expérientielle et par une valorisation imaginative de l’écoute incarnée.

4.3 The Place Where You Go to Listen (2006)

22The Place Where You Go to Listen, du compositeur américain John Luther Adams, est peut-être l’œuvre d’art sonore écologique fondée sur la sonification la plus connue. Il s’agit d’une installation permanente au Museum of the North Fairbanks, en Alaska. L’expérience audiovisuelle est générée par un programme informatique qui traduit en temps réel les flux de données issues de différents phénomènes géophysiques et climatologiques de la région interne de l’Alaska. Le titre de l’œuvre est la traduction littéraire du mot Naalagiagvik, utilisé par les Iñupiaq, l’un des peuples autochtones d’Alaska, pour désigner la côte arctique. La légende iñupiaq raconte qu’une femme, assise en paix à cet endroit, pouvait comprendre les langues des oiseaux et entendre les voix invisibles qui circulaient autour d’elle48. Ce récit permet de comprendre la poétique à la base de l’œuvre de Adams, pour qui The Place est un dispositif contemplatif permettant aux visiteurs de l’installation d’entendre la dynamique de l’écosystème de l’Alaska comme une composition en constante évolution. The Place fonctionne, en effet, comme un miroir artistique, absorbant les données des phénomènes naturels et les renvoyant à l’auditeur qui est invité à prendre conscience des vibrations inouïes du monde naturel comme la jeune femme de la légende.

23L’installation est composée d’une série de panneaux perpendiculaires en verre, animés par des couleurs qui changent graduellement au fil de tonalités fluorescentes inspirées par le ciel d’Alaska. Elles renvoient aux phénomènes lumineux typiques de l’aurore polaire dans le but de créer une atmosphère qui confine à l’enchantement. En termes auditifs, l’auditeur est plongé dans un environnement immersif composé par un bourdonnement continu et harmoniquement dense. La réalisation sonore est obtenue par le traitement de bruit rose modulé par des filtres passe-bandes. La sonification reflète une logique musicale issue de la composition classique dans laquelle les différentes données géologiques captées sont associées à différentes voix orchestrales (instruments à vent, cordes, percussions et cloches). Les données géomagnétiques et sismiques utilisées dans The Place sont transmises en temps réel par plusieurs stations météo d’Alaska. Trois groupes de données distincts sont mis à l’œuvre : l’activité géomagnétique et les fluctuations de la magnétosphère terrestre, la distribution d’énergie de l’activité sismique, et le cycle lunaire (nycthémère). Le spectre de fréquences et l’amplitude sont utilisés pour indiquer la distance entre les stations de mesure et le musée. Dans le même temps, la relation du soleil et de la lune avec l’horizon ainsi que le cycle lunaire sont associés à la temporalité de la composition et à la spatialisation du son. Celle-ci est assurée par six haut-parleurs qui permettent d’entendre l’activité géomagnétique, tandis que l’activité sismique est représentée par des basses fréquences émises par deux subwoofers situés à la base des panneaux en verre.

24Adams conçoit cette installation comme « un espace contemplatif pour accorder nos oreilles aux résonances inouïes de la terre et du ciel49 ». Le terme anglais qu’il utilise, « tuning », reflète une vision de l’écoute comme un moyen de prise de conscience de l’écosystème dans lequel nous sommes immergés et avec lequel nous devons entrer en résonance. À travers une composition musicale qui s’inspire du modèle de la composition de paysages sonores, Adams nous conduit dans un environnement sonore qui se déroule en temps réel, un type de composition cyclique qui ne se termine jamais vraiment et qui donne à l’auditeur l’impression d’être plongé dans un cycle qui est toujours en cours. En conséquence, l’auditeur devient conscient de sa vacuité par rapport au monde tout en appréciant et en ressentant un sentiment d’appartenance à la Terre.

4.4 Sonic Antarctica (2008)

25La recherche artistique de Andrea Polli a pour but principal d’offrir de nouvelles lectures des données fournies par les systèmes naturels. Dans ses travaux, le choix des données environnementales utilisées n’est dès lors pas anodin. Il s’agit pour Polli d’un choix engagé visant à sensibiliser les gens aux risques climatiques à travers une approche ayant pour but d’affecter le spectateur au niveau émotionnel. Pour cette raison, elle intègre à ses sonifications des éléments visuels et de l’imagerie numérique pour stimuler le plus haut niveau possible d’implication sensible. Après Atmospherics/Weather Works, elle réalise en 2004 Heat and the Heartbeat of the City, un site web qui présente une série de sonifications, illustrant les effets dramatiques des changements dans la ville de New York, par le suivi des températures de Central Park. Les sonifications sont issues de données réelles mesurées pendant les années 1990 et les projections statistiques dans les années 2020, 2050 et 2080, réalisées en utilisant un modèle atmosphérique de la ville. Le site internet comprend également des visualisations et des extraits d’entretiens avec Cynthia Rosenzweig du Goddard Institute for Space Studies de la NASA. Le bruit, qui émerge chaque fois que la température dépasse un niveau considéré comme dangereux, a été conçu pour être inconfortable d’un point de vue perceptif, le but de l’artiste étant de faire ressentir aux gens les difficultés, l’inconfort et les problèmes réels qui résulteront du réchauffement climatique.

26Dans la période 2003-2005, l’artiste américaine continue son exploration de l’écosystème urbain en s’engageant dans un projet participatif, appelé New York Sound Map, visant à créer une communauté autour de la question de la pollution sonore en sensibilisant les participants à la pratique des promenades, dont doit découler un activisme citoyen. À partir de ce moment, elle commence également à s’intéresser aux écosystèmes polaires, dans l’idée que les changements qui se déroulent dans l’Arctique et dans l’Antarctique sont des indicateurs importants des changements climatiques mondiaux. En 2005, elle collabore avec l’artiste et programmeur anglais Joe Gilmore pour créer N., une sonification et une visualisation en ligne en temps réel de l’Arctique. Pour ce projet, ils travaillent avec des données recueillies et formatées par des scientifiques spécialistes du domaine des formations glaciales. Les données, mesurées toutes les douze heures et concernant spécialement le niveau de la mer, sont alors sonifiées par des techniques de synthèse additive et soustractive, et diffusées en temps réel.

27Sonic Antarctica, présenté en 2008, est une œuvre qui réunit certains des éléments développés par Polli dans ses projets précédents. Il s’agit d’un projet sonore multidisciplinaire qui s’articule sur quatre formes différentes : un album, un broadcast radio, une installation multimédia et une performance live. À la différence des projets précédents, Polli combine des matériaux sonores très hétérogènes (audifications et sonifications de données, field recording d’environnements naturels et industriels, entretiens avec des experts du climat) issus d’une résidence menée par l’artiste pendant sept semaines au National Science Foundation en Antarctique. Le projet s’articule, en outre, autour de promenades sonores sur le terrain et de la création d’une radio locale ayant pour but d’élaborer un espace de communication entre les scientifiques et avec le public. Le récit et l’enquête de terrain sont également utilisés comme modèles pour les diverses compositions musicales de l’album et de l’installation qui s’intéressent à une région différente de l’Antarctique. Comme souligné par l’artiste, la richesse des matériaux sonores évoque, chez les auditeurs, le sentiment d’être physiquement transportés vers l’endroit où le son a été enregistré. Toujours selon Polli, en raison de la complexité des informations et de la désinformation dans les médias grand public, il est nécessaire de s’engager dans la diffusion de données scientifiques issues des écosystèmes en danger. Le son offre un moyen puissant de transmettre le message des scientifiques, en s’adressant directement au public par le biais d’enregistrements et de transmissions radio et en collaborant à l’audification et à la sonification des données. Les auditeurs réagissent souvent aux sons avec émotion et empathie, en développant une compréhension sensible des effets du changement climatique. Par cela, Sonic Antarctica arrive à établir des liens importants entre les disciplines scientifiques et artistiques à travers le paysage sonore antarctique et la sonification : l’œuvre donne à la fois une voix aux scientifiques qui y travaillent et à l’écosystème menacé.

4.5 Rainforest Listening (2015)

28Leah Barclay est une artiste sonore qui, depuis les années 2000, s’intéresse aux pratiques participatives, au field recording et aux technologies portables et connectées. Dans son travail, on retrouve souvent la volonté d’expérimenter les possibilités des technologies mobiles en tant qu’outils de connexion écologique afin d’explorer la valeur de l’écologie acoustique, qu’elle conçoit comme un domaine socialement engagé, accessible et interdisciplinaire, et qui peut inspirer les communautés du monde entier à écouter l’environnement et à s’impliquer dans des formes d’actions politiques. Son travail artistique s’accompagne en effet d’un activisme authentique qui se concrétise dans le développement de contextes accessibles permettant aux communautés de s’engager dans l’écologie acoustique. En ce sens, ses créations s’articulent souvent avec les communautés, mais aussi les institutions. Biosphere Soundscapes, par exemple, est un projet de recherche à grande échelle conçu en 2011 qui étudie et enregistre les changements des paysages sonores dans les réserves de biosphère de l’Unesco.

29La pratique interdisciplinaire de l’artiste australienne relève donc le défi de concevoir des outils pour que les communautés se sentent connectées et inspirées pour répondre aux plus grands enjeux de notre époque. Rainforest Listening (2015) en est probablement l’exemple le plus significatif. Il s’agit d’une installation performative, entre promenade sonore et réalité augmentée, réalisée à New York pendant la Climate Week NYC. Le projet utilise une application pour smartphone afin de superposer les paysages sonores de la forêt tropicale à l’environnement urbain. Via le GPS de leur téléphone, les auditeurs peuvent déclencher la lecture des échantillons sonores associés à différentes localisations tandis qu’ils explorent l’espace urbain de Times Square. Les auditeurs-promeneurs sont équipés d’un écouteur connecté à leur smartphone qui déclenche les bandes-son en temps réel. La technique utilisée peut bien sûr être qualifiée de sonification, dans la mesure où la transformation des données GPS en événements sonores répond à la logique des icônes auditives. Les field recordings présentés dans l’application Rainforest Listening ont été enregistrés et produits par Barclay à partir d’un travail de terrain mené en Amazonie en collaboration avec la Rainforest Partnerships, une ONG basée à Austin (Texas), et qui travaille directement avec les communautés autochtones de toute la forêt amazonienne dans le but de lutter contre la déforestation. De nouvelles versions du projet ont été proposées à l’occasion de la conférence sur le climat COP21 (Paris), en 2016 pour le Pause Fest de Melbourne et en 2017 pour le World Science Festival de Brisbane sous le titre Sonic Reef.

30Dans le cadre de cette exploration sonore, l’indexicalité des sons joue un rôle crucial. L’utilisation de textures très riches, qui reflètent la biodiversité des écosystèmes étudiés, permet de générer des effets de surprise et de merveille – comme entendre le son 3D des oiseux amazoniens au centre de Manhattan. Celles-ci impactent perceptiblement la sensibilité affective et émotionnelle de l’auditeur. Selon Barclay, l’écoute est un outil puissant de plus en plus important en cette période d’incertitude écologique et de bouleversements politiques, car elle permet de retrouver une relation écologique avec la nature. En ce sens, les expériences créatives, qu’elle conçoit par le biais des nouvelles technologies, s’avèrent efficaces pour inspirer les communautés et les engager dans des processus d’activisme collectif.

5. Vers un activisme sonore

31Pendant la dernière décennie, les problèmes environnementaux tels que la perte de biodiversité, la pollution, la durabilité, la justice environnementale mondiale et, en particulier, le changement climatique, sont devenus des problèmes sociopolitiques et éthiques à part entière. Dans les années récentes, un nombre croissant d’artistes sonores s’est engagé dans une lutte pour l’écologie à travers un art sonore attentif aux questions environnementales. Ce mouvement semble travailler à l’intersection exacte entre l’art sonore et l’activisme environnemental, en sondant les problèmes écologiques contemporains d’une manière qui nous permet et de les entendre et de les comprendre dans l’urgence de la situation dans laquelle ils adviennent.

32Les techniques de sonification font désormais partie des outils employés par ces artistes dans le but de proposer une forme d’art profondément expérientielle qui peut nous aider à redécouvrir notre connexion primordiale avec l’environnement. La sonification joue à cet égard un rôle crucial, tant sur le plan éducatif – elle permet d’apprendre de nouvelles choses sur le monde dans lequel nous vivons, nous sensibilisant aux risques typiques de l’Anthropocène – que sur le plan perceptif, nous permettant d’expérimenter une nouvelle manière d’écouter. Cela produit un effet transformateur chez l’auditeur en le poussant à l’action et à l’engagement.

33L’approche la plus courante dans l’art sonore écologique est la mise en œuvre de métaphores artistiques qui facilitent la compréhension profonde de l’écosystème en sollicitant l’émergence d’un lien affectif avec les problèmes environnementaux contemporains. En ce sens, les créations artistiques de Nicolas Reeves, Lorella Abenavoli, John Luther Adams, Andrea Polli ou Leah Barclay semblent évoquer des nouveaux mondes sonores possibles qui nous permettent de réinventer la façon dont les choses pourraient être tout en adoptant des modes de vie durables par un réengagement renouvelé et positif avec les écosystèmes dans lesquels nous existons et dont nous dépendons. Selon ces artistes, écouter l’environnement sonore est la clé de la compréhension du monde qui nous entoure, cela nous fournit un réseau complexe d’informations qui permet de savoir ce qui se passe, où et quand, et les conséquences de ces phénomènes. Le son a donc, en particulier dans des conditions auditives immersives, la capacité d’induire un engagement sensoriel incarné qui relie les notions de lieu et de temps en nous faisant sentir immédiatement présents et connectés à notre environnement. En effet, si les enjeux contemporains appellent les artistes à jouer un rôle essentiel dans la réponse au changement climatique, c’est à travers une mobilisation critique des sens qu’ils peuvent inciter les gens à s’engager et à agir. L’écoute active – à la fois in situ ou par le biais d’expériences virtuelles – peut évoquer une interconnexion profonde et des réponses empathiques qui ont la capacité d’inspirer l’action. En ce sens, certaines œuvres d’art sonore écologique vont même au-delà de la dynamique artiste-public afin d’impliquer les communautés en tant que collaborateurs actifs de la création. La participation à des activités musicales et l’interaction avec l’art activiste peuvent servir de modèle aux auditeurs-activistes : en participant à l’œuvre, ils sont invités à développer un engagement personnel orienté vers l’action sociale et politique.

Notes   

1 Gregory Kramer, Auditory Display: Sonification, Audification, And Auditory Interfaces, New York, Avalon Publishing, 1994. Pour une définition plus récente voir également Bruce N. Walker et Michael A. Nees, « Theory of sonification », in Thomas Hermann, Andy Hunt et John G. Neuhoff (éd.), The Sonification Handbook, Berlin, Logos Verlag, 2011, p. 9-39.

2 Chi-Hua Yu, Zhao Qin, Francisco J. Martin-Martinez et Markus J. Buehler, « A Self-Consistent Sonification Method to Translate Amino Acid Sequences into Musical Compositions and Application in Protein Design Using Artificial Intelligence » in ACS Nano, no 13.7, 2019, p. 7471-7482.

3 Shankha Sanyal, Sayan Nag, Archi Banerjee, Ranjan Sengupta et Dipak Ghosh, « Music of brain and music on brain: a novel EEG sonification approach » in Cognitive Neurodynamics, no 13, 2019, p. 13-31.

4 Sam Ferguson, William Martens et Densil Cabrera, « Statistical Sonification for Exploratory Data Analysis », in Thomas Hermann, Andy Hunt et John G. Neuhoff (éd.), op. cit., p. 175-196.

5 Visda Goudarzi, « Sonification and HCI », in Michael Filimowicz et Veronika Tzankova (éd.), New Directions in Third Wave Human-Computer Interaction: Volume 1-Technologies, Cham (Suisse), Springer International, 2018, p. 205-222.

6 Alfred O. Effemberg, Ursula Fehse, Gerd Schmitz, Bjoern Krueger et Heinz Mechling, « Movement Sonification: Effects on Motor Learning beyond Rhythmic Adjustments », in Frontiers in Neuroscience, no 10.219, 2016.

7 Valerio Lorenzoni, Pieter Van Der Berghe, Pieter-Jan Maes, Tijl De Bie, Dirk De Clercq et Marc Leman, « Design and validation of an auditory biofeedback system for modification of running parameters », in Journal on Multimodal User Interfaces, no 13.3, 2019, p. 167-180.

8 Andrea Giomi, « Somatic sonification in dance performances. From the artistic to the perceptual and back », in Proceedings of the 6th International Conference on Movement Computing, New Jersey, ACM, 2020.

9 Samuel Van Ransbeeck, « Sonification in an Artistic Context », in Daniel Cermak-Sassenrath (éd.), Playful Disruption of Digital Media, Singapore, Springer Nature, 2018, p. 151-166.

10 Cf. Bruce N. Walker et Michael A. Nees, op. cit.

11 Nous avons choisi de garder certains termes en anglais là où des traductions en français ne sont pas disponibles. Le terme « earcon », introduit en 1985 par D. A. Sumikawa, a été proposé comme un équivalent acoustique du terme anglais icon.

12 En termes linguistiques, ces techniques peuvent faire l’objet d’une étude sémantique car, dans ce cas, le signe sonore renvoie à une signification immédiatement codifiable par l’auditeur. De plus, tout comme les signes iconiques, ces signes sonores présentent un lien perceptuel par rapport au référent signifié. En d’autres termes, tout comme les icônes, les techniques sonores décrites produisent des signes sonores qui peuvent être directement associés aux objets dénotés.

13 Andrea Polli, « Soundscape, sonification, and sound activism », in AI & Society, no 27, 2012, p. 257-268

14 Sur cette thématique voir également Carla Scaletti, « Sonification ≠ Music », in Roger T. Dean et Alex McLean (éd.), The Oxford Handbook of Algorithmic Music, New York, Oxford University Press, 2018, p. 363-385.

15 Cette définition fait d’ailleurs écho aux trois approches mentionnées par Gilmurray qui considère le rôle du son comme matériau, comme médium ou comme sujet des arts sonores environnementaux : Jonathan Gilmurray, « Introduction », in Frederick Bianchi et V. J. Manzo (éd.), Environmental Sound Artists, New York, Oxford University Press, 2016, p. xix.

16 Citons comme exemple The Climate Symphony (2001), une musique réalisée par Marty Quinn, compositeur et informaticien, qui utilise les données issues d’une carotte de glace forée au Groenland contenant des informations des 110 000 dernières années. Les données concernant l’intensité solaire, les mouvements de la calotte glaciaire et l’activité volcanique, sont utilisées comme base pour la composition instrumentale pour orchestre.

17 Nous pouvons mentionner à ce propos Supersimmetry de Ryoji Ikeda (2015), utilisant des mesures astrophysiques du Cern de Genève pour élaborer des patterns musicaux sophistiqués qui s’intègrent bien dans l’esthétique générative et minimaliste de l’artiste japonais.

18 Un exemple de ce type est Rhythms of the City (2011) de Varvara Guljajeva et Mar Canet Sola. Il s’agit d’une installation qui analyse en temps réel les géodonnées obtenues à partir de YouTube, Twitter et Facebook. L’activité mesurée dans une ville contrôle la vitesse d’un métronome : plus il y a d’activité, plus la fréquence est élevée. L’installation se compose d’un tableau de dix métronomes, chacun lié à une ville différente.

19 Florian Grond et Thomas Hermann, « Aesthetic strategies in sonification », in AI & Society, no 27, 2012, p. 213-222.

20 Peter Sinclair, « Sonification: what where how why artistic practice relating sonification to environments », in AI & Society, no 27, 2012, p. 173-175.

21 Douglas Kahn, Earth Sound Earth Signal. Energies and Earth Magnitude in the Arts, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 2013.

22 On traduit ici le terme anglais soundscape composition. À cet égard, Makis Solomos propose également les termes « musiques environnementales » et « paysagisme sonore » : Makis Solomos, « Entre musique et écologie sonore : quelques exemples » in Sonorités, no 7, 2012, p. 167-186.

23 Hildegard Westerkamp, « Linking composition de paysages sonores and acoustic ecology », in Organised Sound, no 7.1, 2002, p. 51-56.

24 Frederick Bianchi V. J. Manzo (éd.), op. cit., p. ix-xvi.

25 Marinos Koutsomichalis, « On Soundscapes, Phonography and Environmental Sound Art », in Journal of Sonic Studies, no 4.1, 2013.

26 Andrea Polli, op. cit.

27 Jonathan Gilmurray, « Ecological Sound Art: Steps towards a new field », in Organised Sound, no 22.1, 2017, p. 32-41.

28 Leah Barclay, « Acoustic Ecology and Ecological Sound Art: Listening to Changing Ecosystems », in Milena Droumeva et Randolph Jordan (éd.), Sound, Media, Ecology, Cham (Suisse), Palgrave Macmillan, 2019, p. 153-177.

29 Bernie Krause, Voices of the Wild: Animal Songs, Human Din, and the Call to Save Natural Soundscapes, New Haven/London, Yale University Press, 2015.

30 Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen et John McNeill, « The Anthropocene: conceptual and historical perspectives », in Phil. Trans. R. Soc., no 369, 2011, p. 842-867.

31 Susanne Moser, « Not for the Faint of Heart: Tasks of Climate Change Communication in the Context of Societal Transformation », in Giuseppe Feola, Hilary Geoghegan et Alex Arnall (éd.), Climate and Culture: Multidisciplinary Perspectives of a Warming World, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, p. 141-167.

32 Voir Makis Solomos, « Entre musique et écologie sonore : quelques exemples », op. cit. et Roberto Barbanti, « Écologie sonore et technologies du son », in Sonorités, no 6, 2011, p. 9-42.

33 Michelle Comstock et Mary E. Hocks, « The Sounds of Climate Change: Sonic Rhetoric in the Anthropocene, the Age of Human Impact », in Rhetoric Review, no 35.2, 2016, p. 165-175.

34 Andrea Giomi, « Pour une approche de l’écoute incarnée. Corps, technologies et perception », Hybrid [en ligne], no 6, 2019.

35 Holmes Rolston III, A New Environmental Ethics. The Next Millennium for Life of Earth, New York and London, Routledge, 2012, p. 59-60.

36 Arne Naess, Ecology, Community and Lifestyle. Outline of an Ecosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 63-177.

37 John Baird Callicott, Beyond the Land Ethic: More Essays in Environmental Philosophy, Albany, State University of New York Press, 1999, p. 343-354.

38 À ce sujet voir aussi Makis Solomos, « From Sound to Sound Space, Sound Environment, Soundscape, Sound Milieu or Ambiance », in Paragraph, no 41.1, 2018, p. 95-109.

39 Sur ce sujet, je renvoie au travail de Roberto Barbanti sur l’écosophie vibratoire, fondée, selon le chercheur, sur les trois sensations fondamentales induites par l’écoute du paysage sonore : présence, holisme et non-séparation. Voir Roberto Barbanti, « Écoute du paysage et esthétique écosophique », in Plastik. Art et écologie : des croisements fertiles ? [en ligne], no 9, 2020.

40 Voir aussi Baptiste Bacot, « Infra-sons et basses fréquences. Le tangible dans l’écoute et la matérialité́ du studio », in Philippe Le Guern (éd.), Où va la musique ? Numérimorphose et nouvelles expériences d’écoute, Paris, Presses des Mines, 2016, p. 197-211. En particulier, Bacot situe le point de départ de son enquête sur les infra-sons dans les phénomènes naturels et la conception kantienne du sublime.

41 Type de géométrie qui s’occupe de modéliser des phénomènes naturels, biologiques ou physiques complexes identifiés comme « fractals » tels que la turbulence, les modèles de croissance, les phénomènes vibratoires, fracture des matériaux, les signaux biomédicaux, les tremblements de terre, les éruptions volcaniques, etc.

42 À ce propos, il faut mentionner un antécédent important dans l’histoire des arts sonores, l’installation audiovisuelle Cloud Music (1974-1979) de David Behrman, Robert Watts et Bob Diamond, dans laquelle, à l’aide d’un système d’analyse vidéo, les artistes transforment les changements d’intensité de six points d’une image en signaux de contrôle analogiques, ce qui leur permit de sonifier des mouvements de nuages, captés par une caméra.

43 Lorella Abenavoli, Le son plastique : empreindre le flux et l’inouï. Sonification et audification dans l’art de l’installation, thèse de doctorat, Université du Québec, 2017, p. 49.

44 Dans ce cas aussi, nous pouvons évoquer des antécédents significatifs tels que Earth Tones (1992) de Bill Fontana, qui s’intéresse aux fréquences sismiques et aux sons de l’écorce terrestre, ou encore Mograph de Gordon Mumma, commencée en 1962 et qui « sonifie » des tremblements de terre.

45 Je me réfère particulièrement à la version Study No. 5 présentée en 2004 au Centre Pompidou de Paris.

46 Lorella Abenavoli, op. cit., p. 50.

47 Je me réfère ici au rapport entre chair et corps sensible, élaboré par le philosophe français dans le chapitre intitulé « L’entrelacs et le chiasme » de l’ouvrage inachevé Le Visible et l’invisible. Dans ce cadre, Merleau-Ponty analyse la manière dont le monde des phénomènes (le Visible) est lié à notre corps par une ontogenèse commune qui leur permet de rester toujours dans un rapport de réciprocité et de réversibilité : « Le corps nous unit directement aux choses par sa propre ontogenèse en soudant l’une à l’autre les deux ébauches dont il est fait, ses deux lèvres : la masse sensible qu’il est et la masse sensible où il naît par ségrégation, et à laquelle […] il reste ouvert. » De la même manière, la dimension vibratoire représente un archétype fondamental de la chair qui définit notre entrelacement avec le monde des phénomènes : « La réversibilité qui définit la chair existe dans d’autres champs, elle y est même incomparablement plus agile […]. Comme le cristal, le métal et beaucoup d’autres substances, je suis un être sonore, mais ma vibration à moi je l’entends du dedans. » Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible [1964], Paris, Gallimard, 1979, p. 177 et 187.

48 John Luther Adams, « The Place Where You Go to Listen: An Ecosystem of Sound and Light », in Frederick Bianchi V. J. Manzo (éd.), op. cit., p. 43.

49 Ibid.

Citation   

Andrea Giomi, «Du field recording à l’art de la sonification», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Articles soumis à la suite d’un appel à articles, Numéros de la revue, À l’écoute des lieux : le field recording comme pratique artistique et activisme écologique, mis à  jour le : 22/03/2022, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=1130.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Andrea Giomi

Chercheur et artiste sonore. Diplômé en Philosophie et docteur en Musique et en Arts de la scène, il est ATER en arts numériques au sein de l’UFR LACT de l’Université Gustave Eiffel (Paris-Est Marne-la-Vallée). De 2018 à 2020, il a été chercheur postdoctoral au Performance Lab (Université Grenoble Alpes) où il a mené un projet de recherche sur la sonification du mouvement. Ses intérêts scientifiques portent sur la cognition musicale, la phénoménologie, l'interaction homme-machine, la sonification interactive, l'esthétique des arts numériques et de la performance, la philosophie de la technologie, la théorie critique. En tant qu'artiste, ses intérêts tournent autour des relations émergentes entre corps, son et environnements technologiques, avec un focus particulier sur les notions de biomorphisme, de trace et d’archive numérique. Il a collaboré avec plusieurs chorégraphes français et italiens dont Ariella Vidach, Raphael Bianco et Eric Oberdorff. Il est l'un des fondateurs du collectif Kokoschka Revival. Sa musique est sortie sur plusieurs labels indépendants dont RXSTNZ et Obs / Audior. Il a présenté ses œuvres dans diverses salles et festivals internationaux, parmi lesquels : MK&G (Hambourg), Säule / Berghain (Berlin), MiRA Festival (Barcelone), Museo Triennale et Auditorium San Fedele (Milan), Festival Manca (Nice), Plateforme Intermedia (Nantes), LPM (Rome), Festival Santarcangelo (Santarcangelo di Romagna).

LACT, Université Gustave Eiffel, Paris-Est Marne-la-Vallée.


Andrea Giomi is a researcher and sound artist, holding a degree in Philosophy and a PhD in Music and Performing Arts. He is a temporary attached teacher and researcher in digital arts within the UFR LACT of the University Gustave Eiffel (Paris-Est Marne-la-Vallée). From 2018 to 2020, he was a postdoctoral researcher at the Performance Lab (Université Grenoble Alpes) where he conducted a research project on the sonification of movement. His scientific interests include musical cognition, phenomenology, human-computer interaction, interactive sonification, digital and performance art aesthetics, philosophy of technology, critical theory. As an artist, his interests revolve around the emerging relationships between body, sound and technological environments, with a particular focus on the notions of biomorphism, trace and digital archive. He has collaborated with several French and Italian choreographers including Ariella Vidach, Raphael Bianco and Eric Oberdorff, and is a founder of the Kokoschka Revival collective. His music has been released on several independent labels including RXSTNZ and Obs / Audior. He has presented his works in various international venues and festivals, including: MK&G (Hamburg), Säule / Berghain (Berlin), MiRA Festival (Barcelona), Museo Triennale and Auditorium San Fedele (Milan), Festival Manca (Nice), Plateforme Intermedia (Nantes), LPM (Rome), Festival Santarcangelo (Santarcangelo di Romagna).