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Le field recording nous aide-t-il à “habiter en oiseau” ?

Marie-Hélène Bernard
mars 2022

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.1127

Résumés   

Résumé

Depuis sa naissance, le field recording a entretenu des liens étroits avec les oiseaux. L’article se propose d’explorer cette triangulation « oiseaux-microphones-humains », depuis les premiers enregistrements d’oiseaux chanteurs en cage au début du siècle dernier et l’apparition des premiers guides sonores, jusqu’au succès du mouvement audio-naturaliste. Avec la menace de la disparition des oiseaux et une remise en question de plus en plus fréquente de la relation entre humains et animaux, le regard change sur toute cette pratique. On se demandera si le field recording nous aide – pour reprendre les termes de la philosophe Vinciane Despret – à « habiter en oiseau », c’est-à-dire à ouvrir notre imaginaire aux manières qu’ont les oiseaux d’occuper un territoire, à se laisser vraiment « affecter » par leurs modes d’exister.

Abstract

Since its birth, field recording has had close links with birds. This article explores the ‘bird-microphone-human’ triangulation, from the first recordings of songbirds in cages at the beginning of the last century and the appearance of the first sound guides, to the success of the audio naturalist movement. With the threat of the extinction of birds and a growing questioning of the relationship between humans and animals, the way in which this practice is viewed is changing. We will ask ourselves if field recording helps us – to use the words of the philosopher Vinciane Despret – to ‘inhabit as a bird’, that is to say to open our imagination to the ways in which birds occupy a territory, to allow ourselves to be truly ‘affected’ by their ways of existing.

Index   

Texte intégral   

1. Introduction

1Durant de nombreuses années, je n’ai pas accordé beaucoup d’attention aux oiseaux. Bien sûr, comme pour beaucoup de mes semblables, pépiements, gazouillements et autres manifestations sonores de la gente ailée, étaient pour moi source de plaisir ; mais mon écoute n’en restait pas moins assez superficielle. Et dans ma pratique de création sonore, la présence d’oiseaux lors d’enregistrements en extérieur m’embarrassait plutôt – tant celle-ci était irrémédiablement identifiable, dépourvue de toute ambiguïté. C’est donc par d’autres biais que je me suis rapprochée des oiseaux. J’ai commencé en effet à m’intéresser à toute la réflexion théorique développée depuis quelques années par des philosophes, des éthologues et des théoriciens de l’écologie, autour de notre rapport au vivant. Un livre en particulier, celui de la philosophe Vinciane Despret, intitulé Habiter en oiseau1, m’a tout spécialement marquée : il nous invite à ouvrir notre imaginaire aux manières qu’ont les oiseaux d’occuper un territoire, à se laisser vraiment « affecter » par leurs modes d’exister. Suite à cette lecture, j’ai commencé à affiner mon écoute, même si mes connaissances ornithologiques restent fort limitées. Revenant à ma pratique du son, je me suis alors demandé quel rôle pouvait avoir dans une telle démarche l’enregistrement des oiseaux ; enregistrement, qui, rappelons-le, a commencé il y a plus d’un siècle, ce qui est très bref – quand on considère que les passereaux chantent depuis dix millions d'années.

2Depuis très longtemps2, et avant même qu’ils ne disposent de machines permettant de « capter » des sons, les hommes ont fait de nombreuses tentatives pour transcrire le plus fidèlement possible les chants d’oiseaux (usage d’onomatopées, écriture musicale…). Mais nous nous intéresserons ici aux seules productions phonographiques. L’un des premiers enregistrements – celui d’un oiseau de volière, un shama à croupion blanc capté avec un phonographe Edison par Ludwig Koch, qui n’était alors qu’un enfant de huit ans – date de 1889. Ainsi commença la tradition d’enregistrer des oiseaux en cage, qui perdurera plusieurs décennies3. C’est ainsi qu’en 1910, la Gramophone Company commercialisa un disque enregistré par l’ingénieur Max Hampe dans la volière de Karl Reich4 à Brême, Actual Bird Record Made by a Captive Nightingale5. La cage fut placée juste en face du cornet du gramophone et le rossignol, bon prince, accepta de chanter son solo en direct en une seule prise. Il devint ainsi, au même titre que Caruso, l’une des vedettes du label ; devant ce succès commercial, d’autres disques de chants d’oiseaux captifs suivront, tous choisis exclusivement pour leurs qualités « musicales »6.

3Dès les années 1930, l’évolution technologique – avec le développement de l’enregistrement électrique et de l’usage des microphones – va contribuer au renouvellement des propositions qui sont faites au public. Ce sont désormais les enregistrements d’oiseaux en liberté qui sont mises en avant. On commence à développer le livre-disque, couplant exemples sonores et livret d’identification des différentes espèces avec inclusion d’images. Dans la plupart des pays du monde industrialisé, sont réalisés des guides d’écoute permettant à l’amateur de reconnaître les différents chants d’oiseaux, là où il vit7. Ces disques 78 tours rencontrent un grand succès, et cela aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, et même au Japon. Si ce mouvement, avec son orientation plus documentaire que musicale, amorce les prémisses du mouvement audio-naturaliste, on ne peut pas encore parler de field recording au sens propre. En effet, ces enregistrements en milieu naturel étaient mis en œuvre avec des moyens si lourds, qu’ils pourraient être considérés comme réalisés en studio mobile. Ainsi, la captation de Songs of Wild Birds, véritable tour de force logistique, nécessita de recourir à un camion transportant plusieurs tonnes de matériel (permettant la gravure des disques de cire à la volée) et le déploiement d’un kilomètre et demi de câbles de manière à enregistrer les oiseaux d’assez loin pour ne pas les faire fuir. Les techniciens découvrirent alors la complexité acoustique du terrain, se plaignant amèrement des bruits parasites8 (interférences électriques, bruits de circulation, vent, autres animaux …), qui compromettaient l’évocation de la nature telle que la promouvaient les labels.

4Depuis leurs débuts, ces enregistrements d’oiseaux ont donc intéressé à la fois les scientifiques, les ornithologues amateurs et l’industrie phonographique. Ce sont les oiseaux, du fait de l’engouement du grand public pour leurs chants, qui ont donné l’occasion de capitaliser pour la première fois sur l’enregistrement des sons de la nature. Dans cette triangulation « oiseaux-microphones-humains », l’arrivée de moyens techniques plus légers et accessibles à des amateurs changea la donne et permit le développement d’un mouvement audio-naturaliste original. Celui-ci comporte néanmoins des limites, en particulier dans sa mise en avant d’une objectivité qui est toute relative. Avec les menaces qui pèsent désormais sur l’existence même des oiseaux, l’enregistrement a pris désormais un tour de plus en plus patrimonial, sous-tendu par un prisme naturaliste sous-jacent qui est à remettre en question. Face à cet univers infiniment fragile qu’est désormais le monde ailé, est-il possible d’esquisser quelques pistes permettant de déployer de nouvelles manières d’écouter les oiseaux – et cela, en étant muni ou non de microphones ?

2. L’audio-naturalisme

2.1 L’émergence d’un mouvement original

5Après la seconde guerre mondiale, la production de disques de chants d’oiseaux ne va pas se tarir, bénéficiant des progrès techniques permettant des prises plus longues et offrant une qualité sonore toujours meilleure. Mais avec le développement des enregistreurs portables, les années 1950 vont faire émerger de nouvelles pratiques. Le matériel n’est plus réservé aux professionnels des compagnies discographiques et devient de plus en plus accessible, même à des particuliers (en tout cas, dans les pays riches). Des amateurs passionnés d’oiseaux vont découvrir la prise de son, donnant naissance à un mouvement audio-naturaliste qui va grandir et se structurer. Bien sûr, les scientifiques du monde académique ne sont pas en reste pour utiliser les nouveaux moyens d’enregistrement, qui du fait de leur légèreté et de leur simplicité, constituent un atout précieux pour leurs recherches bioacoustiques. Mais des ornithologues, très souvent autodidactes, s’emparent aussi de ces outils pour nourrir leur curiosité et leur désir de mieux connaître la gente ailée. Fernand Deroussen, qui est l’une des grandes figures françaises de l’audio-naturalisme, raconte l’émerveillement de ses débuts de preneur de son : « Le jour où devant une Rousserolle turdoïde j'ai utilisé pour la première fois mon dictaphone, la révélation fût totale et définitive. Le soir venu, j'écoutai, je réécoutai ce chant enregistré quelques heures plus tôt avec un plaisir immense. Mon écoute digérait avec passion ce chant qui me paraissait alors simple, je venais de commencer mon apprentissage du langage sauvage9. »

6Pour ces apprentis ornithologues, l’enregistrement constitue un outil précieux dans ce qui constitue une grande part de leur activité, à savoir l’identification des oiseaux. Celle-ci s’appuie en effet sur deux éléments essentiels : le jizz10 qui sollicite la vue et les émissions vocales (cris et chants, voire bruits en vol) qui font appel à l’ouïe. Devant la complexité de celles-ci (et le manque de précision des onomatopées tentant de les décrire), un grand nombre avait surtout privilégié les caractères visuels. Mais le fait de pouvoir enregistrer offrit soudain une avancée décisive (possibilité d’écoutes différées et répétées, de ralentissement à des fins d’analyse…), remettant l’audition au cœur de la pratique, comme l’explique Fernand Deroussen : « Vous allez découvrir grâce à l'enregistrement, la possibilité de réécouter, l'enchantement du détail, de la composition, du mouvement, des paysages parfois silencieux et d'autres fois bruyants et complexes. En forêt par exemple, 80% de la détermination des oiseaux se fait à l'oreille. Il n'y a pas de meilleurs moyens que d'enregistrer sur le terrain pour mémoriser les chants et cris des animaux11. » Notons néanmoins que le regard reprendra vite sa place dans le processus, avec le recours fréquent aux sonagrammes, traduisant graphiquement le son des enregistrements12.

7Beaucoup consacrent tout leur temps libre et leurs moyens personnels à nourrir leur passion, nouée pour certains dès l’enfance et le plus souvent masculine. Dans les années 1950, Georges Albouze, ouvrier aux usines Renault, part ainsi capter les sons des oiseaux avec son vélo avant d’aller travailler et réussit à faire paraître plusieurs disques dont La forêt chante pour le label « Chant du Monde ». Il transmettra son héritage à Jean-Claude Roché13, qui, après la faillite de la compagnie Pacific, va se lancer à compte d’auteur dans la réalisation de son Guide sonore des oiseaux de France en vingt-sept disques.

8La manne sonore récoltée autour des oiseaux − alimentée aussi bien par des ornithologues amateurs liés à un terrain bien circonscrit que par de grandes figures de l’audio-naturalisme comme le sont en France Jean-Claude Roché ou Fernand Deroussen − va connaître une véritable inflation. Il se développe un désir d’exhaustivité qui tourne quasiment à l’obsession. Les plus connus de ces audio-naturalistes se mettent à voyager dans le monde entier pour « couvrir » toute la population aviaire, y compris dans les pays les plus lointains. Dans la page d’accueil de son site personnel14, Fernand Deroussen se présente ainsi comme « audio-naturaliste voyageur » ; il a édité plus d’une centaine de CD (qui certes, ne concernent pas que les oiseaux) et vendu plus d’un million. Jean-Claude Roché n’a pas été en reste en fondant entre autres le label Sittelle, où sont publiés des disques réalisés aux quatre coins de la planète. Le développement de l’enregistrement numérique et la diffusion des sons sur internet vont encore accentuer cette tendance. Les chiffres donnent le tournis : citons par exemple les soixante-cinq mille extraits sonores postés par le laboratoire d’ornithologie de la Cornell University d’Ithaca. De pharaoniques projets se développent : ainsi The Sound Approach, initié en 2000 entre autres par Mark Constantine, a « le but ambitieux de réunir les voix de tous les oiseaux du paléarctique occidental15 » et a collecté 30000 sons. On voit apparaître aussi des démarches collaboratives comme celle de Xeno-Canto, un site développé à partir de 2005 qui réunit presque cinq mille contributeurs du monde entier : « We estimate that a collection of all bird sounds would hold a minimum of 2.000.000 recordings. Possibly ten times as many. Or more. More likely than not, a sound as yet unrepresented in the collection can be recorded at one of your favorite birding patches16

9Force donc est de constater que le monde des audio-naturalistes n’échappe pas aux tendances lourdes du monde actuel. Face à cette frénésie de « faire du chiffre », on se surprend à murmurer « Oiseaux du monde entier, faites silence ! »… Si le désir d’un archivage exhaustif n’est en effet pas condamnable en soi, on peut néanmoins s’interroger sur cette volonté farouche qu’aucun spécimen de la planète n’échappe aux rets des micros, ainsi que sur l’usage réel qui est fait de ces échantillons sonores pléthoriques.

2.2 Une objectivité toute relative

10La plupart des ornithologues audio-naturalistes se veulent le plus neutres possibles, simples passeurs entre les manifestations sonores des oiseaux et les auditeurs potentiels. Mais on peut facilement mettre en question ce credo d’une captation objective, tant les choix de matériel, de positionnement des micros, de montage, voire de mixage, interfèrent sur la matière sonore qui sera finalement proposée à l’écoute du public. Le choix des types de micros (cardioïde, omnidirectionnel ou « canon ») est un maillon essentiel, comme le rappelle Fernand Deroussen pour qui « les micros sont les objectifs de l'audio-naturaliste17 ».  Ainsi Mark Constantine, dans son livre La voix des oiseaux, illustre les différences de rendu sonore de deux enregistrements successifs d’un merle noir quasiment au même moment à l’aide de deux micros très différents utilisés fréquemment dans le milieu des audio-naturalistes, en comparant les sonagrammes qui en découlent (cf. exemples 1 et 2)18.

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Exemple 1 : Sonagramme de l’enregistrement d’un merle noir avec un microphone parabolique stéréo Telinga Pro V (extrait de l’ouvrage de Mark Constantine, La voix des oiseaux, p. 50)

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Exemple 2 : Sonagramme de l’enregistrement du même merle noir avec des microphones stéréo omnidirectionnels Sennheiser MKH-20 et un système SASS

11Un autre accessoire très utilisé est la parabole (le « téléobjectif de l’audio-naturaliste »), qui permet un rendu sonore plus précis et plus clair (mais élimine les fréquences graves), tout en donnant l’impression d’une plus grande proximité de l’oiseau enregistré (du fait de la quasi-élimination de son environnement spatial). Dans la popularisation de cet outil, le laboratoire d’ornithologie de la Cornell University a joué un rôle essentiel, en formant des ornithologues amateurs à cette pratique. Du côté européen, Koch et ses héritiers de la BBC s’y sont opposés le plus longtemps qu’ils ont pu, car pour eux, il était très dommageable, qu’en gommant toute perspective, le son d’oiseau paraisse « venu de nulle part »19. Joeri Bruynincks parle d’une stérilisation du background, afin de retrouver du contrôle sur la prise de son, dont on avait découvert tous les aléas in situ20. Claude Roché explique que « les premières paraboles étaient mono et qu’on on faisait de la stéréo artificielle par mixage21 ». Paradoxalement, les faveurs du public ont penché nettement en faveur de ces concerts artificiels, présentés implicitement comme naturels… Une fois en effet l’enregistrement brut réalisé, on procède à tout un travail de studio censé améliorer la matière sonore : filtrage, montage, raccourcissement des silences entre deux séquences (alors qu’ils sont essentiels dans la structure du chant), voir mixage de plusieurs situations.

12Jean-Claude Roché résume les qualités nécessaires à ce genre de pratique ; pour lui, il faut être « un bon ornithologue, un bon technicien, avoir le sens de la chasse et du braconnage, savoir se tenir au carrefour de plusieurs disciplines et, surtout, avoir une bonne oreille22. » Dans cette activité qui nécessite beaucoup de patience, couplée à un peu de chance, et qui peut engendrer nombre de frustrations, chaque preneur de son réagit aussi selon sa personnalité. Je ne résiste pas à citer la description savoureuse que fait Mark Constantine du style de ses acolytes en mission ornithologique : « Arnoud est le premier dehors à rôder avec sa parabole, avide, bras tendu, parcourant des kilomètres en quête de l’espèce convoitée. Magnus a la réputation imméritée de faire la grasse matinée, exigeant ensuite deux tasses de café avant d’être opérationnel ; dès lors, il bascule en mode "errance" et peut passer la nuit entière à attendre l’occasion favorable. Pour ma part, je suis sédentaire. Je transporte mon matériel jusqu’à à un coin tranquille, déploie mon pliant et m’absorbe dans mes rêves en attendant une opportunité23. »

13L’émotion est au cœur de ce qui pousse les ornithologues à rester des heures à l’affût dans des conditions souvent inconfortables. Comme l’explique Guillaume Lesaffre, ex-administrateur de la Ligue pour la protection des oiseaux, tout part très souvent d’un coup de cœur : « L’observation des oiseaux est scientifique mais repose sur des sensations... Je ne pratique jamais l’ornithologie sans ressentir de l’émotion / Il y a une zone commune, nourrie d’esthétique24. » 

14Et c’est peut-être la sensibilité de l’audio-naturaliste et son sens musical qui déterminent le plus la qualité de ce qu’il va collecter. C’est ce que revendique en tout cas Jean-Claude Roché :

« Je ne suis pas un scientifique. Ce qui me passionne, ce sont les vibrations sonores. Je suis sensible aux oiseaux grâce à la musique qu’ils produisent. Mais au fond, c’est l’art qui m’intéresse. On intervient toujours quelque part, ne serait-ce qu’au niveau du choix des sons que l’on va enregistrer. C’est un premier geste artistique. Par la suite, je peux opérer à différents niveaux. J’enlève certains passages, je veille à la cadence entre les silences, aux contrastes des timbres, aux mélodies… Il ne faut pas s’en défendre. On est des musiciens, qu’on le veuille ou non. On est des musiciens25. »

3. Un nouveau paradigme

3.1 Printemps silencieux

15En 1962, la biologiste américaine Rachel Carson publie un livre précurseur, intitulé Silent Spring26, qui alerte sur les désastres provoqués par l’usage des pesticides (en particulier du DDT) sur le monde du vivant, et tout particulièrement sur les oiseaux. Si elle a choisi ce titre inspiré par des vers de Keats, c’est qu’elle pressent combien les lecteurs qu’elle cherche à gagner à sa cause seront ébranlés par cette évocation d’une disparition programmée des chants d’oiseau. Cette éventualité est d’ailleurs déjà devenue réalité dans certaines îles ayant connu des extinctions massives d’oiseaux. Le succès du livre n’empêchera pas l’élimination de plus en plus rapide de nombreuses espèces dans les décennies qui vont suivre. Cette destruction est désormais très bien documentée, mais toujours pas enrayée ; rappelons simplement qu’en France par exemple, un tiers des populations d’oiseaux a disparu en quinze ans.

16Face à une telle situation d’impuissance, le travail de field recording naturaliste va prendre un aspect « patrimonial » de plus en plus prégnant (ceci ne concerne évidemment pas que les oiseaux), comme le souligne le bioacousticien Bernie Krause : « Près de 50% des habitats figurant dans mes archives sont désormais si gravement dégradés, si ce n’est biophoniquement silencieux, que beaucoup de ces paysages sonores naturels, naguère si riches, ne peuvent plus être entendus que dans cette collection27. »

17Cette dégradation, il va la faire percevoir de manière saisissante au public par le biais du son, en revenant enregistrer à un certain intervalle sur un lieu précis qui, visuellement, ne semble pas si différent, mais qui témoigne au niveau sonore d’un appauvrissement considérable (tout particulièrement en ce qui concerne les oiseaux)28.

18Sans nier l’intérêt de ce genre de démarche de conservation, on peut penser que les oiseaux « méritent » mieux que cette volonté, qui peut être quasi obsessionnelle dans certains cas, de conserver des traces numériques de leur existence passée. C’est ce que souligne Roméo Bondon : « L’oiseau, dès lors, joue ce rôle de sentinelle d’un monde qui s’étiole, de flammèche échappée d’un feu rougeoyant ou bien des braises de ce même feu, que l’on presse par notre inaction de s’éteindre. L’oiseau est aussi moins que ça, et bien plus29. »

19Un phénomène un peu identique de conservation existe autour des langues menacées, mais il a été, au moins partiellement, pris en charge par les communautés concernées (particulièrement en Amérique du Nord). On pourrait imaginer une dynamique semblable en ce qui concerne les oiseaux en voie de disparition, dont beaucoup proviennent des zones tropicales. En associant les populations indigènes qui ont des rapports très intimes avec eux (reflétés par exemple dans leurs mythes), on pourrait faire naître d’autres pratiques que des opérations de collecte menées par des gens de l’extérieur et orientées vers un archivage quantitatif.

3.2 Le naturalisme en question

20L’audio-naturalisme est influencé par une tradition héritée des naturalistes du XVIIIe et XIXe siècles, et cela sous différents aspects. Ceux qu’on désignait comme tels à cette époque étaient souvent des amateurs éclairés, qui étaient passionnés par tout ce qui concernait la nature. Cet aspect aimable se retrouve chez les ornithologues actuels qui sont portés par la même quête fervente lors de leurs longues heures de terrain. Mais ce courant était aussi nourri par une vision propre à l’Occident, traçant une frontière nette entre l’humanité et le reste du monde du vivant. Citons Philippe Descola : « En Europe, on pense que les humains sont une espèce (Homo sapiens sapiens) tout à fait à part parce qu’ils ont une intériorité. Par intériorité, on entend la conscience réflexive, la capacité de communiquer par le langage, c’est-à-dire des aptitudes à la fois morales et cognitives qui distinguent l’homme de toutes les autres espèces naturelles30. » Bien sûr, cette description est schématique31 et le naturalisme a secrété sans cesse des points de vue divergents, en particulier du fait de l’évolution des progrès scientifiques. De nombreux travaux plus ou moins récents d’éthologues montrent en effet clairement la porosité de la frontière entre humains et non-humains32.

21C’est à travers ce prisme naturaliste33 que s’est développée la volonté de classifier totalement le vivant, le désir d’épingler sous des noms latins tout ce qui est observable. Bien sûr, le désir de nommer n’est pas en soi dommageable et le fait que beaucoup d’entre nous ne connaissent plus de nom d’oiseau est plutôt problématique. « La précision linguistique n’est pas seulement une question de lexicographie. Nous ne percevons pas ce que nous ne pouvons nommer. Dans un monde dominé par l’homme, lorsqu’un mot disparaît, ce qu’il désigne est exclu de la société, et sa propre existence se trouve elle-même en danger », nous rappelle Murray Schafer34. Il y d’ailleurs un plaisir presque enfantin à pouvoir désigner lors d’une promenade un oiseau ou une plante, lié sans doute à l’impression de tisser un lien un peu plus intime avec ce qui nous entoure, à dissiper un peu de l’opacité du monde. Ce qui pose problème par contre, c’est le fait de se limiter au catalogage, en négligeant tout ce qui concerne les individualités et le tissu relationnel existant à la fois entre les différents oiseaux et entre espèces (batraciens, insectes…). C’est contre cette approche que s’insurge Bernie Krause : « J’aime enregistrer la totalité du champ sonore propre à un habitat. En procédant autrement, on obtient un modèle d’abstraction incomplet, une idée restreinte du monde naturel qui fragmente ce dernier en ses différents éléments et décompose son contexte et son contenu oiseau par oiseau, grenouille par grenouille, mammifère par mammifère35. » Bien sûr, les ornithologues ont mis en place cette segmentation pour faire face à la complexité des champs sonores qu’ils découvraient36 ; complexité aggravée par le fait que les micros ne discriminent pas les différents éléments comme le fait l’oreille humaine, qui peut effectuer des « gros plans » selon ses sources d’intérêt37. Mais cette décomposition par éléments devint peu à peu la norme, étouffant toute autre approche.

22Dans cette volonté d’inventaire, les disques des audio-naturalistes pourraient donc être vus comme l’équivalent sur le plan sonore de ces collections de spécimens des musées d’histoire naturelle où « chaque famille, chaque genre peut reposer entre soi, dans ses tiroirs, ses vitrines, ses bocaux, protégé des aléas que les interactions introduisent dans le monde réel38. » Si l’on examine par exemple un disque considéré comme un classique des guides sonores, qui est celui de Jean-Claude Roché, intitulé « Oiseaux des villes et des campagnes », on constate qu’il comporte 41 plages, d’une durée moyenne d’un peu plus d’une minute. Chaque oiseau, classé par ordre alphabétique (accenteur mouchet, alouette calendrelle, alouette des champs…) est épinglé sur sa plage bien délimitée, se détachant totalement en premier plan, et semblant la plupart du temps solitaire. On voit donc par cet exemple que des présupposés naturalistes plus ou moins conscients ont influé sur la manière d’enregistrer et de présenter les manifestations sonores des oiseaux. Pour apporter une plus grande clarté, et cela à des fins pédagogiques certes louables39, on a développé la mise en avant de « solistes » par toutes sortes de procédés techniques (usage de la parabole, filtrage…). Cette conception a peut-être aussi été influencée par la tradition d’enregistrement des oiseaux chanteurs « vedettes » du début du XXe siècle. On raconte par exemple que Ludwig Koch, en tournage en forêt dans les années 1930, avait des assistants chargés de faire fuir les oiseaux moins intéressants à son oreille40. Si cela peut paraître choquant à l’heure actuelle, rappelons que son époque était très différente de la nôtre, et pas si éloignée d’un temps où l’on tuait les oiseaux pour mieux les étudier … En tout cas, et sans doute pour plusieurs raisons, il s’est établi une standardisation de la prise de son, qui n’est pas vraiment dommageable aux oiseaux, mais plutôt aux humains. Car il est bien évident qu’une parabole n’a rien à voir avec un piège à glu, et que les oiseaux, dans la profusion chantée qu’ils déploient, sont probablement assez indifférents à la manière dont les micros se tournent vers eux. Mais du fait de ces choix, ceux qui s’intéressent aux oiseaux ont par contre peu d’accès à la partition polyphonique complexe, faite de successions, de recouvrements et de chevauchements, que les oiseaux déploient sur leur territoire, en dehors d’une écoute in situ.

23De même, la réduction des chants à une sorte d’échantillonnage, gomme les infinies variations individuelles qu’ils comportent. Depuis les études pionnières de Peter Marler sur la vocalité des pinsons, il y a un consensus dans le milieu de la recherche ornithologique pour reconnaître que les chants de certains oiseaux ne sont pas stéréotypés pour toute l’espèce41. Ceci est perceptible en dehors même du monde des chercheurs, pour qui sait écouter, comme le signifie Fabienne Raphoz, qui se définit comme simple « ornithophile » : « Le chant des oiseaux, si distinctif entre espèces, peut révéler de très nettes différences entre individus, même entre individus vivant dans la même région ; combien de merles, de pinsons n’ai-je pas enregistrés dont j’appréciais tout spécialement le trille final ou la phrase musicale “divergente” du chant42. »

24Pour sortir de cette logique d’inventaire, il faudrait donc développer dans le champ de l’enregistrement ornithologique, ce que Baptiste Morizot appelle une attitude néo-naturaliste :

« Le néo-naturaliste est un naturaliste de terrain qui pratique son art, sans oublier qu’il est un animal, sans oublier que ceux sur qui il enquête sont bien plus que de la matière inerte réduite à des seules causes physicochimiques. Il ne cherche pas d’abord à épingler le spécimen par son nom latin, mais à le resituer comme un cohabitant vivant pris dans des relations géopolitiques, des modus vivendi, des tissages intimes, avec nous et les autres43. »

25Cette démarche implique une approche plus holistique et plus fine dans la pratique du field recording naturaliste, que certains de ses acteurs ont commencé d’ailleurs à développer depuis quelques années.

3.3 Les limites de l’objet enregistré

26Du côté de ceux qui enregistrent in situ, le vocabulaire emprunte à celui de la photographie et de la chasse ; on parle de prise de son, de capture, de chasseur de sons. Il s’exprime peut-être ainsi de manière sous-jacente une lutte avec la nature même du son, impossible à figer, comme le pointe Michel Chion qui affirme que « même enregistré, le son continue de bouger, sinon, il n’y a pas de son44 ». D’autres au contraire mettent l’accent sur la création d’un objet figé, gelé en quelque sorte pour reprendre l’image de Rabelais. On voit donc qu’une sorte de trouble existe face au processus d’enregistrement, qui peut prendre des formes contradictoires. Pour John Cage, toujours radical sur ces questions, et qui se situe comme compositeur, bien loin des aspirations des audio-naturalistes, « Essayer de reproduire ou de saisir des aspects du monde naturel sans les modifier met en évidence une vision paralysée et morbide45 ». Mais les machines fabriquent à la fois du semblable, puisqu’elles reproduisent le son, et du différent, puisqu’elles impliquent une écoute différée46. En tout cas, les sons enregistrés, même à l’oreille de ceux qui en sont les initiateurs, sonnent rarement lors de la réécoute comme lors de la prise de son ; un peu de pratique dans ce domaine permet facilement de s’en rendre compte. C’est ce que souligne Bernie Krause, revenant sur sa longue expérience : « Je pensais naguère que ce que je saisissais sur bande magnétique était “authentique”. Je sais maintenant que ce n’est pas le cas et je suis devenu plus modeste. Enregistrés et copiés sur CD ou iPod, par exemple, [les paysages sonores] sont transformés et perdent en partie leur puissance évocatrice47 ». Mark Constantine, quant à lui, évoque l’un de ses amis ornithologues, Hamish Murray, qui ne s’était jamais « fait » aux enregistrements ; ayant une fine oreille lui permettant d’identifier sur le terrain n’importe quel oiseau, il se trouvait incapable de les reconnaître, une fois enregistrés48.

27Mais qu’en est-il de la position de celui ou celle qui se tourne vers des disques de field recording ou des guides sonores en tant qu’auditeur ? Cette écoute doit être tout d’abord replacée dans une perspective historique, sur une durée d’un peu plus d’un siècle ; le début du XXe siècle a été marqué en effet par l’émergence d’une pratique de l’écoute phonographique, qui était alors une totale nouveauté49. La technologie a évolué si vite qu’on peut légitimement penser qu’un auditeur de 2020 a un vécu très différent d’un de ses ancêtres vivant vers 1900 ; à celui-là le son numérique, des durées longues sans interruption, et même la disparition de l’objet disque remplacé par une écoute en ligne, à celui-ci, un son faible et voilé, presque un « son-fantôme », des durées très courtes, des manipulations sans cesse nécessaires. Mais à voir sur des clichés photographiques anciens les visages extasiés à l’écoute d’un phonographe, l’émerveillement n’en était pas moins au rendez-vous.

28L’horizon d’attente de l’auditeur a constamment évolué ; en ce qui concerne les oiseaux, comme on l’a vu, on est passé d’une demande musicale à une demande documentaire. Le public s’est mis à rechercher une aide pratique à l’identification : Jean-Claude Roché a vu ses ventes exploser dans les années 1980 avec son Walkbird, qui consistait en deux cassettes réunies dans une boîte qui permettait d’aller écouter et comparer, sur le terrain, les chants entendus avec ceux en boîte. Quarante ans plus tard, une application dans son smartphone rend le même service en quelques minutes, et en court-circuitant le temps d’écoute. À côté de cette volonté d’identification a émergé dans d’autres catégories de public un désir d’évasion et de relaxation. Dans ce monde où la frontière entre le réel et le virtuel est devenue assez floue, on peut maintenant par exemple faire du jogging en écoutant au casque une ambiance exubérante de forêt tropicale, masquant totalement les quelques oiseaux qui pourraient se manifester lors de son parcours de course…

29Ces objets sonores arrachés au monde du vivant et encapsulés, suscitent souvent une attention plutôt diffuse et limitée. On peut douter qu’ils nous permettent vraiment d’être « affectés », au sens où l’entend Vinciane Despret, à savoir être touchés au point d’être en mesure d’ouvrir notre imaginaire, de se déprendre de sa propre logique. Il nous faut donc sans doute au moins autant tendre l’oreille, là où on est, que vers les sons d’oiseaux enregistrés. 

4. Vers de nouvelles attentions

4.1 Le développement d’une éco-sensibilité

30On voit rarement l’oiseau que l’on arrive à entendre, il suffit d’une simple promenade en forêt pour le constater. Dans notre rapport au monde ailé, c’est donc le sens de l’ouïe qui est le plus sollicité, ce qui est rarement le cas par ailleurs. Outre le fait qu’il nous restitue un monde à 360 degrés, ce sens, longtemps négligé et justement remis à l’honneur, développerait plutôt le doute et la curiosité, à rebours de la vue qui encourage plutôt les certitudes. Pour Vinciane Despret, « l’expérience des sons amplifie celle de la réalité » et contribue aussi à son intensification50. À rebours, l’anthropologue Tim Ingold, dans un article intitulé Against Soundscape met en garde contre cette nouvelle primauté accordée à l’ouïe51. Pour lui, la perception que nous avons du monde dans lequel nous nous mouvons ne peut être que globale, et les sens que nous sollicitons ne peuvent pas être séparés les uns des autres52. Il s’interroge sur la nature même du son : c’est pour lui un flux qui ne peut pas être solidifié et son appréhension est une opération qui relève autant d’un phénomène matériel que mental. Le son, qu’il compare à la respiration, est vécu comme un mouvement d’allée et venue, d’inspiration et d’expiration53. C’est dans cette globalité sensorielle que nous avons peut-être le plus de chance d’établir une autre relation avec les oiseaux. Si Vinciane Despret a été bouleversée par le chant matinal d’un merle perché à côté de sa maison (« Il chantait de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son talent de merle54 »), – à tel point que cela lui a donné l’envie de commencer un travail théorique autour des oiseaux et des ornithologues – c’est bien sûr par le son lui-même, mais aussi parce que c’était l’aube, que l’hiver se terminait, et aussi pour bien d’autres raisons qui lui sont propres.

31Pour déployer ce type d’attention, il nous faut aussi nous inscrire dans une certaine durée. Vinciane Despret, restant éveillée par le chant du merle, découvre peu à peu « l’attention soutenue de celui-ci à faire varier chaque série de notes » ; elle est alors « capturée par ce qui devint un roman audiophonique, dont j’appelais chaque épisode mélodique avec un “et encore ?” muet55 ». L’artiste sonore Yannick Dauby insiste sur cette nécessité de prendre du temps dans l’approche avec le monde animal : « Écouter attentivement le chant d'un animal durant toute la période où il est émis et non pas un petit échantillon, c'est un peu s'accorder à sa temporalité. En ce sens, écouter l'animal nous permet de sortir de notre écoute habituelle, de notre mode de représentation de l'environnement56. » Cette attitude se construit peu à peu et Fernand Deroussen décline une petite leçon d’écoute dans le présent pour les candidats au field recording : « Votre première démarche si vous n'êtes pas déjà un peu naturaliste consiste à réinstaller votre écoute dans le monde sauvage. / Faites régulièrement une promenade à l'écoute. Vous vous installez tranquillement sur un banc public ou un lieu agréable et vous cherchez à sélectionner à l'oreille toutes les sources sonores humaines ou sauvages dans l'espace proche et lointain. Au début, ne cherchez pas vraiment à les déterminer sinon que par leur genre (oiseau, vent, rivière…)57. » Bernie Krause partage aussi ce point de vue : « Il est possible d’apprendre à écouter de tout son être, de manière active et non passive. Toute personne désireuse d’apprendre à écouter attentivement acquiert une conscience aiguë de l’univers du son vivant. Celui-ci nous entoure. En avoir conscience resserre notre lien à la biosphère58. »

32Ce serait donc une sorte « d’écosensibilité » qu’il s’agirait de développer, avec, comme nous le rappelle Baptiste Morizot, la conscience que dans ce temps de crise écologique où nous vivons, nous devenons presque aussi vulnérables et fragiles que tout ce monde ailé qui se déploie dans le ciel59. Il s’agit de se laisser pénétrer par cette toile sonore que les oiseaux tissent dans l’espace en pointillés comme une extension de leur corps. En chantant – plus que ce qui serait nécessaire à leur reproduction – ils laissent des traces éphémères, en se répartissant le « temps de parole », entre « membres d’une communauté acoustique qui vocalisent en affinité », pour reprendre les termes de Bernie Krause. Dans cette démarche, le but n’est pas de « demander aux oiseaux de nous édifier, pas plus que de les mobiliser pour trouver des solutions à nos problèmes60 », mais plutôt de s’ouvrir à d’autres manières de faire territoire, à « faire attention à la manière dont les oiseaux font attention les uns aux autres61. »

4.2 Vers d’autres chants

33Une voie supplémentaire peut être aussi de partir de l’attention accordée à ces chants pour créer d’autres chants. Si l’on en revient à l’enregistrement des oiseaux proprement dit, il peut nourrir une écriture instrumentale, comme c’est le cas pour François Bernard Mâche, pionnier de l’intégration des sons d’origine animale, qui introduit dans une pièce récente Vigiles (2018)62 l’enregistrement d’un oiseau de nuit (une rousserolle des buissons), auquel les instrumentistes réagissent comme par mimétisme. Du côté des compositeurs électroacoustiques, on constate qu’ils ont souvent été partagés à l’idée d’utiliser directement ce type d’éléments sonores, comme en témoigne Yannick Dauby (exprimant un sentiment que je partage totalement) :

« Au départ, les chants d’oiseaux étaient plutôt des sons qui me posaient problème. Initialement intéressé par la matière sonore davantage que par les images qu’elle peut susciter, j’avais plus de facilité à travailler avec les ruissellements ou les bourrasques. Mais les sons d’animaux communs, on a beau les ralentir, les filtrer, les tordre, il reste toujours quelque chose qui évoque une expression, la présence d’une créature que l’on associe à une saison ou un milieu63. »

34Il y aurait donc une sorte de tension entre l’élément naturel et son appropriation, ressentie déjà par Olivier Messiaen quand il travaillait à partir de ses transcriptions très fidèles de chants d’oiseaux : « J’ai écrit des pièces “ exactes ”. Mais je me suis aussi servi du chant d’oiseau comme d’un matériau dans certaines de mes pièces ; là, le chant d’oiseau subit toutes sortes de manipulations à la façon des musiques concrètes et électroniques. C’est une attitude plus malhonnête vis-à-vis de la nature mais peut-être plus honnête pour le travail de compositeur64. »

35Néanmoins, on trouve des inclusions directes de manifestations sonores d’oiseaux dans un certain nombre de pièces électroacoustiques. Une œuvre pionnière et singulière vient d’outre-Atlantique : c’est celle de Jim Fassett, travaillant avec un technicien de la radio CBS à partir d’enregistrements réalisés par Jerry and Norma Stilwell, intitulée Symphony of the Birds (1960)65. En préambule à la musique, il a tenu à enregistrer un commentaire détaillant ses sources et spécifiant « In this recording you will hear an orchestra of singing birds. It is birdsongs and nothing but birdsongs ». Cinquante ans plus tard, ce qui ressort à l’écoute est surtout cette couleur particulière aux manipulations sur bande (ralentissements…) qui se pratiquaient à la fin des années cinquante. Dans Trois rêves d’oiseaux (1963), François Bayle tisse une matière onirique où les sons d’oiseaux se mélangent de manière très serrée à des sons d’instruments ou des sons de synthèse. Dans Presque rien n°2 de Luc Ferrari (1977), des cris d’oiseaux de nuit, mêlés indissociablement à des bruits d’insectes, sont donnés à entendre assez longuement, renforçant le caractère mystérieux du paysage nocturne enregistré. Le compositeur, qui commente son avancée avec ses micros, chuchote : « j’entends des oiseaux de nuit, mais je me demande bien où ils sont », puis un peu plus tard : « dans la nuit, je m’approche des oiseaux invisibles » – confronté, comme beaucoup d’autres avant lui, à cette impossibilité de localiser précisément les oiseaux. Dans ses Oiseaux de terre de ciel (dixième partie de son Histoire naturelle créée en 1997), Pierre Henry introduit lui aussi directement des sons d’oiseaux enregistrés. À propos de Birds (2006), Daniel Teruggi écrit dans sa note de programme : « Des chants d'oiseaux reconnaissables, il y en a peu dans Birds, c'est leur son qui m'a intéressé et moins la situation dans laquelle ils chantent. ». De tous les compositeurs de musique concrète, c’est sans aucun doute Bernard Fort – se présentant d’ailleurs à la fois comme compositeur, audio-naturaliste et ornithologue – qui se démarque nettement par son approche du monde des oiseaux totalement investie, qui a beaucoup nourri son travail de création. Dans ses Concerts de la nuit (2004), où il propose de longues plages de ses plus belles prises de sons réalisées en milieu naturel, sa démarche se rapproche de celle de Chris Watson, grand acteur du field recording britannique. Dans The Lapaich, deuxième mouvement de la trilogie Weather Report (2003)66, celui-ci, par le positionnement de ses micros et son talent de preneur de son, confère aux oiseaux (oies sauvages, corbeaux, qui semblent dominer les éléments naturels), une présence très théâtrale. À la fin de la plage, on n’entend plus que les corbeaux qui semblent saluer et/ou narguer le preneur de son. Il y a là peut-être l’esquisse d’une démarche développée par des artistes sonores environnementaux (principalement dans le monde anglo-saxon), qui tentent d’établir le vieux rêve d’un dialogue musical direct avec les oiseaux. C’est alors l’enregistrement de la rencontre sonore qui devient objet de création. Citons par exemple David Rothenberg67, clarinettiste et son Duet with a White-Crested Laughingthrush ou Bruce Odland68, qui tambourine sur un tronc creux des motifs repris par un Kindo-Blue-Bird. David Dunn, compositeur et musicien expérimental qui a beaucoup travaillé avec des scientifiques dans le champ de l’écologie acoustique, a quant à lui créé une pièce Mimus polyglottos datant de 197669, en enregistrant un dialogue musical avec l’un de ces oiseaux moqueurs, à qui il a fait entendre des sons électroniques proches de ses émissions vocales. Il retrouvait ainsi de manière un peu décalée le principe de ce que les ornithologues pratiquent sous le nom de repasse (à des fins d’étude ou de leurre et qui a une réputation assez controversée).

36Pour trouver de nouveaux chants, l’une des autres pistes possibles consiste peut-être à se tourner vers les poètes, dont le travail est souvent peuplé d’oiseaux, patiemment écoutés et contemplés. Citons par exemple Dominique Meens ou Marc le Gros, parmi bien d’autres. « Je cherche à dire la justesse, pour cet élargissement de notre écoute des choses de la nature, de l’effort poétique », souligne Marielle Macé70.

37Au-delà de toutes ces formes d’écoute, les oiseaux, par la fluidité et la liberté de leurs mouvements, par leurs apparitions et leurs disparitions subites, nous confrontent en profondeur à la fragilité et la fugacité de l’instant. En cela, tourner notre attention vers eux doit pouvoir se conjuguer de manière féconde avec une pratique humble et ouverte du fieldrecording, fondée elle aussi sur la rencontre avec l’éphémère. Il n’en reste pas moins que la présence de ces « autres que nous » constituera toujours un mystère ; c’est pourquoi j’aimerais conclure ce texte avec ces quelques vers énigmatiques du poète américain George Oppen71.

NOUS

les pinsons sur la mangeoire
dans le cri du printemps

nous nous nous nous leur
langage

les
contient-il

Notes   

1 Vinciane Despret, Habiter en oiseau, Arles, Actes-Sud, coll. « Mondes sauvages », 2019.

2 Dès l’Antiquité, on trouve par exemple chez Pline la description très précise du chant d’un rossignol.

3 Voir Juliette Vocler, « Petite histoire de la prise de son naturaliste. Épisode 1 : récitals d’oiseaux et d’oiselles (années 1880 – 1920) », in http://syntone.fr/petite-histoire-de-la-prise-de-son-naturaliste-episode-1-recitals-doiseaux-et-doiselles-annees-1880-1920/, consulté en mars 2021.

4 Celui-ci organisait par ailleurs des concerts de ses oiseaux captifs et entraînait des canaris à chanter comme des rossignols.

5 Jack Stanley, « The first commercial recordings of birds... Bremen, Germany 1910 » in http://phonograph78.blogspot.com/2013/10/the-first-commercial-recordings-of.html, consulté en avril 2021. Il est possible d’y voir, entre autres, des images d’un pressage datant de 1913, réalisé par le label Victor, de l’enregistrement Actual Bird Record Made by a Captive Nightingale.

6 Notons néanmoins que dès 1900, le photographe animalier britannique Cherry Kearton réussit l’exploit technique d’enregistrer une grive musicienne et un rossignol en liberté. La Grande-Bretagne poursuivit cette pratique d’enregistrement en plein air, en diffusant le 19 mai 1924 en direct sur la radio BBC un duo inédit, celui de la violoncelliste Beatrice Harrison et des rossignols de son jardin.

7 Citons entre autres : Bird Songs Recorded from Nature (1931), produit aux États-Unis par Albert Brand et Peter Keane du laboratoire d’ornithologie de la Cornell University, Gefiederte Meistersänger (1935), proposé en Allemagne par Ludwig Koch devenu professionnel de l’enregistrement, ou Songs of Wild Birds (1936), édité en Angleterre par le même Koch qui avait dû s’exiler du fait de la montée du nazisme. Notons que la France a été très en retrait de ce mouvement.

8 Voir Joeri Bruynincks, Listening in the Field, Cambridge, USA, MIT Press, 2018, p. 77.

9 Voir site personnel de Fernand Derousssen, in https://naturophonia.jimdo.com/accueil/enregistrer-la-nature/pourquoi/, consulté en avril 2021.

10 Jizz, le terme qui désigne l’allure générale propre à un oiseau, est passé dans le langage ornithologique francophone ; voir Mark Constantine, La voix des oiseaux : une nouvelle approche des cris et des chants, Paris, Delachaux et Niestlé, 2008, p. 16.

11 Fernand Derousssen, ibid.

12 Mark Constantine, ibid, p. 25.

13 Olivier Lamm, « Les passereaux chantent depuis 10 millions d’années », interview avec Jean-Claude Roché, in Libération du 23 décembre 2018.

14 Fernand Deroussen, in https://naturophonia.jimdo.com/, consulté en avril 2021.

15 Mark Constantine, op. cit., p. 13.

16 https://www.xeno-canto.org/about/xeno-canto, consulté en avril 2021.

17 Fernand Deroussen, https://naturophonia.jimdo.com/accueil/enregistrer-la-nature/matériel-de-terrain/, consulté en avril 2021.

18 Mark Constantine, op. cit., p. 50-51.

19 Voir Joeri Bruynincks, « Sound Sterile », in Trevor Pinch, Karin Bijsterveld (éd.), The Oxford Handbook of Sound Studies, Oxford, Oxford University Press, décembre 2011, p. 140.

20 Joeri Bruynincks, « Sound Sterile », op. cit., p. 129.

21 Alexandre Galand, Field Recording - L’usage sonore du monde en 100 albums, Marseille, Le mot et le reste, 2012, p. 27.

22 Cité par Chantal Aubry, « L’homme aux oiseaux », in La Croix l’évènement, repris sur le site de l’éditeur Frémeaux : https://www.fremeaux.com/index.php?page=shop.product_details&category_id=84&flypage=shop.flypage&product_id=943&option=com_virtuemart&Itemid=0, consulté en avril 2021.

23 Mark Constantine, op. cit., p. 57.

24 Cité par Clémentine Mercier, « Des oiseaux de belle augure », in Libération du18 décembre 2020.

25 Cité par Jean-Yves Leloup, « Paysages sonores : une courte histoire du "soundscape" et des "nature recordings" (1) », in http://globaltechno.wordpress.com/2008/08/24/paysages-sonores-une-histoire-du-soundscape-1/,consulté en avril 2021.

26 Rachel Carson, Silent Spring, Boston, Houghton Mifflin, 1962, trad. fr., Printemps silencieux, Marseille, Wildproject, coll. « Domaine sauvage », 2009.

27 Bernie Krause, The Great Animal Orchestra: Finding the Origins of Music in the World's Wild Places, New York, Little Brown, 2011, trad. fr., Le grand orchestre animal, Paris, Flammarion, 2013, p. 222.

28 Ainsi dans son installation proposée par la Fondation Cartier en 2016, Bernie Krause fait entendre un paysage sonore enregistré à Yuka Pass (Californie) à un an d’intervalle ; la densité et la diversité des chants d’oiseaux ont pratiquement disparu après une coupe présentée pourtant comme « sélective », ce qui ne se détectait pas spécialement à l’œil nu. Voir Le grand orchestre des animaux, catalogue de l’exposition, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2016, p. 168.

29 Roméo Bondon, « Penser depuis l’oiseau », in Ballast, revue en ligne : https://www.revue-ballast.fr/penser-depuis-loiseau/, consulté en avril 2021.

30 Philippe Descola, Une écologie des relations, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 39.

31 Elle est fondée sur les quatre grands types d’ontologie (animisme, totémisme, naturalisme, analogisme), que définit Philippe Descola. Voir Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p.176.

32 Ils sont recensés par Philippe Descola : Ibid, p. 251-258.

33 Ibid, p. 418. « On n’échappe pas aisément à ses origines et aux schèmes de préhension de la réalité acquis par l’éducation. »

34 Murray Schafer, Le paysage sonore, op.cit., p. 56.

35 Cité dans Le grand orchestre des animaux, catalogue de l’exposition, op. cit., p. 23.

36 Voir Joeri Bruynincks, Listening in the Field, op. cit., p. 170 : « All recordists – academic, commercial and amateur - required a mental or concrete taxonomic array by which ornithological listeners may organize their perception in the field, in accordance with a standardized discourse. »

37 Ils ont par contre un pouvoir grossissant, qui permet d’accéder là où l’oreille ne va pas forcément.

38 Philippe Descola, op. cit., p. 327.

39 Citons Joeri Bruynincks, Listening in the Field, op.cit., p. 170 : « The organization of scientific sound recording has always been interwoven with questions of pedagogy and instruction. »

40 Point évoqué par Juliette Vocler, « Petite-histoire-de-la-prise-de-son-naturaliste-épisode 2 : “Identifier les espèces animales par le son (années 1930 – 1950) ” », in Revue de l’Écoute de Syntone.fr, n°16 (numéro épuisé). D’après : Sean Street et Julian May, « Ludwig Koch and the Music of Nature » , BBC Radio 4, 2009, in https://www.bbc.co.uk/sounds/play/b00jn4m2.

41 Philippe Descola, op. cit., p. 256.

42 Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, Éditions Corti, coll. « Biophilia », 2018, Paris, p. 94.

43 Baptiste Parizot, Sur la piste animale, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 2018, p. 135.

44 Michel Chion, Le son, Paris, Nathan, 2000, p. 46.

45 Cité dans Le grand orchestre des animaux, op. cit., p. 25. Extrait d’une conférence de Cage faite en 1989 sur le paysage sonore, animée par Skywalker Sound, en Californie.

46 Écouter Pali Meursault, L’oreille électrique Épisode #2, Soundscapes, l'invention du paysage sonore, in http://palimeursault.net/oreille.html.

47 Bernie Krause, Le grand orchestre animal, op. cit., p. 243.

48 Mark Constantine, op. cit., p. 87.

49 Sur cette question, voir Sophie Maisonneuve, L’invention du disque 1877-1949, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009.

50 Voir Vinciane Despret, « Figures de la re-composition » in Le grand orchestre des animaux, op. cit., p. 71 et 72. Elle s’appuie elle-même dans ce paragraphe sur un article de Thibault de Meyer.

51 Tim Ingold, « Against Soundscape », in Angus Carlyle (éd.), Autumn Leaves: Sound and the Environment in Artistic Practice, Paris, CRISAP / Double Entendre, 2007, p. 10-13.

52 Ibid, « The environment that we experience, know and move around in is not sliced up along the lines of the sensory pathways by which we enter into it. », p. 10.

53 Ibid, « Sound, like breath, is experienced as a movement of coming and going, inspiration and expiration. », p.12.

54 Vinciane Despret, Habiter en oiseau, op. cit., p. 13.

55 Ibid.

56 Interview par Baptiste Lanaspèze datant de 2008 : http://www.radiogrenouille.com/actions/ateliers/engrenages-2008-kelmori-sur-les-iles-du-frioul-avec-yannick-dauby/.

57 Site personnel de Fernand Deroussen, in https://naturophonia.jimdo.com/accueil/enregistrer-la-nature/

58 Bernie Krause, Le grand orchestre animal, op. cit., p. 243.

59 Voir Pierre Charbonnier, Bruno Latour et Baptiste Morizot, « Redécouvrir la terre », in Tracés, Paris, ENS Editions, 2017, p. 250.

60 Vinciane Despret, op. cit., p.42.

61 Ibid, p. 181.

62 https://www.youtube.com/watch?v=kWjETzvVCgs

63 Interview avec Baptiste Lanaspèze, op. cit.

64 Olivier Messiaen, Musique et couleur. Nouveaux entretiens avec Claude Samuel, op. cit., p. 103.

65 https://www.youtube.com/watch?v=7rKjOR-4964

66 Paysage sonore reconstitué d’une lande écossaise sur une longue plage de dix-huit minutes condensant dix-huit heures d’enregistrements, réalisés durant quatre mois d’automne et d’hiver.

67 Frederic Bianchi, V. J. Manzo (éd.), Environmental Sound Artists – In Their Own Words, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 138. Lien : https://www.bbc.co.uk/programmes/b0952zl1

68 Ibid, p. 106.

69 https://www.youtube.com/watch?v=i9veOLaHUzg

70 Marielle Macé, « Comment les oiseaux se sont tus », in Critique (n° 860-861), Paris, Éditions de Minuit, 2019, p. 29.

71 George Oppen, Poèmes retrouvés, trad. Yves di Manno, Paris, Ed. Corti/ Série Américaine, 2019, p. 110.

Citation   

Marie-Hélène Bernard, «Le field recording nous aide-t-il à “habiter en oiseau” ?», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Articles soumis à la suite d’un appel à articles, Numéros de la revue, À l’écoute des lieux : le field recording comme pratique artistique et activisme écologique, mis à  jour le : 22/03/2022, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=1127.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Marie-Hélène Bernard

Docteure en musicologie de l’Université Paris IV- la Sorbonne et compositrice de musique instrumentale, mixte et électroacoustique, Marie-Hélène Bernard a eu ses œuvres jouées en Europe, aux États-Unis, en Chine, à Taiwan, en Corée du Sud et au Japon ; elle reçoit des commandes de la part de l’État et de festivals. Son travail de création est nourri par sa pratique du fieldrecording, ses voyages en Asie (elle a été lauréate de la « Villa Médicis hors les murs » pour une résidence en Chine en 2003 et en Corée en 2013), et son intérêt pour l’anthropologie. Elle aime se confronter avec d’autres arts, comme la poésie, la vidéo, les arts plastiques ou le théâtre et se sent aussi de plus en plus concernée par les mondes du végétal et de l’animal. Elle s’intéresse à tout ce qui touche au son, ce qui passe par la création radiophonique (en particulier pour France Culture) et la conception d’installations multimédias.

Marie-Hélène Bernard holds a doctorate in musicology from the University of Paris IV- la Sorbonne, and is a composer of instrumental, mixed and electroacoustic music. Her works have been performed in Europe, the United States, China, Taiwan, South Korea and Japan; she has received commissions from the French State and from festivals. Her creative work is nourished by her practice of field recording, her travels in Asia (she was laureate of the ‘Villa Médicis hors les murs’ for a residency in China in 2003 and in Korea in 2013), and her interest in anthropology. She likes to confront herself with other arts, such as poetry, video, plastic arts or theater, and is also increasingly concerned with the worlds of plants and animals. She is interested in everything that has to do with sound, through radio creation (in particular for France Culture) and the design of multimedia installations.