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Ces sons qui nous envahissent : field recordings, soundwalks et soundscapes éco-artivistes

Caroline Boe
mars 2022

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.1104

Résumés   

Résumé

Ce texte, issu d’une recherche-création sur la pollution sonore de faible intensité, définit un cadre de recherche théorique dans lequel différents concepts hétérogènes interagissent autour de la question de l’engagement artistique environnemental : le mouvement environnemental, l’écologie, l’anthropocène, l’écosophie, l’esthétique de l’engagement, l’artivisme, l’éco-art, l’art sonore, l’écologie sonore. Depuis ce cadre émergent trois éthiques : l’éthique de la responsabilité environnementale, l’éthique de l’exploration sonore, l’éthique de la sincérité artistique. L’article propose également la description de la création Ces sons qui nous envahissent, envisagée comme une méthodologie de recherche en trois actes : la sonothèque collaborative anthropophony.org qui archive des field recordings considérés comme des sons indésirables, des balades sonores urbaines de sensibilisation aux bruits que nos oreilles filtrent, et la composition de paysages sonores dystopiques réalisés à partir des sons archivés sur anthropophony.org.

Abstract

This text, resulting from a research-creation on low-intensity noise pollution, defines a theoretical research framework in which different heterogeneous concepts interact around the question of environmental artistic engagement: environmental movement, ecology, anthropocene, ecosophy, aesthetics of engagement, artivism, eco-art, sound art, sound ecology. From this complex state of the art emerge three ethics: the ethics of environmental responsibility, the ethics of sound exploration, and the ethics of artistic sincerity. A second section offers the description of the creation These sounds that invade us, considered as a research methodology in three acts: the anthropophony.org collaborative sound library which archives field recordings considered as unwanted sounds, urban soundwalks to raise awareness of the noises that our ears filter, and the composition of dystopian soundscapes developed from the sounds archived on anthropophony.org.

Index   

Texte intégral   

1https://anthropophony.org/

2Jusqu’aux années 2010, mon travail phonographique s’intéressait exclusivement aux sons de la nature, principalement à ceux de l’eau et aux chants d’oiseaux. Or, pour réaliser mes pièces – qui constituaient en quelque sorte des utopies sonores –, j’utilisais un outil de débruitage (denoiser) qui me permettait d’extraire de mes captations les sons indésirables, comme la rumeur automobile. Cette pratique, au fond, dénature le field recording, tant elle décontextualise l’objet sonore et le dépouille de sa dimension relationnelle. Ainsi, forte de nouvelles préoccupations écologiques, j’ai décidé de reconsidérer les enjeux théoriques et pratiques de mon rapport à l’écoute, pour me concentrer sur la pollution sonore qui irrite tant les audio-naturalistes1.

3Révélatrice d’une pollution plus générale, cette manifestation sonore est susceptible d’être dénoncée. La dénonciation peut-elle influencer les décisions individuelles ou politiques, est-elle efficace quant à la diminution de la pollution sonore de faible intensité ? Différentes réflexions d’ordre éthique sont mobilisées par un tel engagement artistique, notamment celles relatives à la responsabilité envers l’environnement, à l’exploration sonore et à la sincérité de l’acte de création. Il s’agit de proposer des moyens de mettre en œuvre ces engagements éthiques.

4La méthodologie formulée ici relève de la recherche-création, une démarche conçue en trois actes : (1) création d’un site web d’archives de sons de pollution, (2) balades de sensibilisation à l’écoute et d’échanges sur les perceptions individuelles de la pollution sonore, et (3) composition de paysages sonores dystopiques basés sur l’enregistrement du réel. Il s’agit, selon Pierre Gosselin, de tirer parti de l’immersion dans une pratique pour théoriser un sujet qui, par la suite, « travaillera » la pratique2. Donc, depuis un point de vue spécifique, je dessine un cadre théorique plus général, inscrit dans une démarche artiviste3, sensible aux mutations esthétiques liées à l’activisme environnemental.

5Nous verrons dans une première section envisagée comme une balade théorique, comment, à partir de la prise de conscience de la crise environnementale et d’une interrogation sur ses causes éthiques et politiques, est née la pensée écosophique, dans quelle mesure l’esthétique environnementale est liée à l’activisme écologique, et quelles sont les relations entre l’art sonore et l’écologie sonore. Dans une seconde section, nous verrons comment une contribution artiviste en trois actes comme celle qui est proposée ici peut exercer une influence sur les pratiques et les usages.

1. Balade théorique

1.1 Du mouvement environnemental à l’écosophie

6Différents concepts hétérogènes s’amalgament autour de la question de l’engagement artistique environnemental : l’écologie, l’Anthropocène, l’écosophie, l’esthétique de l’engagement, l’activisme, l’art écologique ou éco-art, l’écologie sonore. Cependant, la prise de conscience massive de nos interactions avec notre milieu naturel a débuté avec l’émergence du mouvement environnemental développé dès 1962 à partir du texte fondateur de la biologiste Rachel Carson, Printemps silencieux4. Ce best-seller, qui dénonçait l’usage des pesticides et, plus globalement, le contrôle de la nature par la technologie, a contribué à l’interdiction du DDT aux États-Unis dès 1972, et fut, pour reprendre l’expression de Catherine Perrin, l’une des « graines du mouvement écologiste5 ». Le silence, dont parle le titre, est causé par la disparition des chants d’oiseaux ; il constitue un révélateur sonore de la dégradation de l’environnement naturel par les biocides. Cela a conduit les lecteurs·rices de l’époque à prendre conscience de leur capacité individuelle à percevoir et à interpréter l’environnement, à saisir l’importance de l’exercer de façon tangible :

Ce fut un printemps sans voix. Dans les matins qui avaient jadis palpité avec les mélodies de l’aube des rouges-gorges, oiseaux-chats, de colombes, de geais, de roitelets et de dizaines d’autres chants d’oiseaux, il n’y avait plus de son ; seul le silence gisait sur les champs, les bois et les marais6.

7Le silence ici marque la mort. Le silence marque aussi la naissance d’une dynamique de préoccupations environnementales, et notamment, à la suite du concept d’écologie, l’émergence des concepts d’écosophie et d’écologie sonore.

8Créé en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel, le mot Ökologie désignait une partie des sciences naturelles qui s’intéressait aux relations entre l’animal et son milieu7. Dès l’origine, l’écologie concernait les interconnexions entre les êtres vivants et leur milieu. Si, lors de son apparition, le terme se rapportait aux disciplines biologiques, depuis les années 1970 les sciences humaines se sont emparées de l’appellation pour signifier l’étude des relations entre l’être humain et son environnement intellectuel, social et économique8. Cet élargissement a stimulé l’émergence de l’écologie politique9. L’écologie s’est développée, imprégnant tous les domaines, y compris celui de l’art avec le mouvement éco-art, et pour ce qui nous intéresse, le champ de l’art sonore. Les éco-artistes interrogent notre interaction sensible avec l’univers, avec notre planète, avec les espèces terrestres dont l’espèce humaine. L’enjeu artistique est sous-tendu par une conscience des dégâts irréversibles de certaines actions individuelles et collectives qui souvent ignorent les enjeux écologiques à long terme. Ainsi, sont nés des mouvements activistes, provocateurs et dénonciateurs. Dans quel monde voulons-nous vivre ?10 Cette question essentielle, posée par Bruno Latour à propos de l’Anthropocène11, nous permet de reconsidérer nos propres actions.

9Cette question nous invite à nous tourner vers la notion d’écosophie.

10Le concept d’écosophie, initialement élaboré en 1973 par Arne Nӕss, philosophe à l’université d’Oslo, est l’expression philosophique de l’écologie profonde qui postule la nature « au cœur de la pensée et au centre de nos valeurs12 ». Cette conception s’oppose à l’écologie superficielle dont la finalité anthropocentrée serait uniquement fondée sur la survie de l’espèce humaine. Ce renversement de point de vue, inscrit dans une éthique de l’environnement, a donné le premier concept d’écosophie : « L’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans l’écosphère comme une partie qui s’insère dans le tout13. » Une quinzaine d’années plus tard, en 1989, Félix Guattari développe le concept en s’intéressant aux pratiques sociales à construire pour habiter avec sagesse son milieu sans renoncer à sa subjectivité :

L’écologie environnementale devrait être pensée d’un seul tenant avec l’écologie sociale et l’écologie mentale, à travers une écosophie de caractère éthico-politique. [… Il s’agit] de faire s’étayer les unes les autres des pratiques innovatrices de recomposition des subjectivités individuelles et collectives, au sein de nouveaux contextes technico-scientifiques14.

11Afin de préciser l’écosophie, Guattari utilise le concept de mécanosphère :

12L’humanité et la biosphère ont partie liée, et l’avenir de l’une et l’autre est également tributaire de la mécanosphère qui les enveloppe. C’est dire qu’on ne peut espérer recomposer une terre humainement habitable sans la réinvention des finalités économiques et productives, des agencements urbains, des pratiques sociales, culturelles, artistiques et mentales15.

13La mécanosphère, composée de multiplicités machiniques, est remise en question pour entrevoir une meilleure qualité d’habitation sur terre, où des choix éthico-politiques qualitatifs plutôt que quantitatifs au service des multiplicités de désirs singuliers seraient prioritaires. Carmen Pardo, dans son article « Une musique pour habiter le monde », énonce plus clairement ce complexe machinique, et son lien avec l’écosophie :

Nos machines théoriques, esthétiques, sociales ainsi que les processus et les flux technologiques contribuent, comme le soutient Guattari, à une machine de croissance économique aveugle qui empêche un développement qualitatif. […] Face à cette multiplicité de la mécanosphère agissant pour le contrôle et l’uniformisation, l’écosophie se présente, pour Guattari, comme une appréhension de la différence et de l’altérité : une option éthico-politique16.

14Les machines en question sont d’ordre technologique, économique, théorique, esthétique et social. La mécanosphère représente cette couche d’inventions humaines imbriquées qui, au vu du bilan actuel, s’oppose à la santé de la biosphère ainsi qu’à l’épanouissement personnel des êtres humains, à leur santé mentale et sociale.

15Les deux concepts d’écosophie – celui de Nӕss et celui de Guattari – ne sont pas opposés, puisque Nӕss, contrairement à la polémique lancée par Luc Ferry, ne rejette pas l’être humain, mais le replace dans la complexité planétaire en refusant de le situer en haut d’une hiérarchie. Que Guattari ajoute à cette galaxie la réflexion sur les pratiques sociales, l’affirmation des diversités et la subjectivité ne semble pas antinomique, mais plutôt un élargissement du concept, qui devient un cadre de réflexion pour notre question de l’art sonore activiste écologique. D’ailleurs, Roberto Barbanti, Silvia Bordini et Lorraine Verner, tout en soulignant l’écart ontologique entre normativité et subjectivité, mettent en évidence la question esthétique commune :

Nous pensons que l’opposition entre une écosophie normative, telle celle proposée par Arne Nӕss, et une écosophie de la subjectivité guattarienne n’est pas féconde et ne constitue pas le véritable enjeu théorique et pragmatique auquel il faut se confronter. Si nous devons bien évidemment identifier les éléments de différenciation fondamentaux entre ces deux conceptions, il nous semble que dans les deux cas de figure ce qui est proposé est un nouveau paradigme de la complexité qui trouve dans l’esthétique sa dimension fondamentale17.

16Cette notion d’écosophie liée à l’esthétique est essentielle dans le concept d’écologie sonore et dans l’esthétique de l’art sonore écologique, qu’elle soit vue sous le prisme des normes et des systèmes de valeurs ou observée avec les lunettes de la subjectivité collective18.

17Ce flux de réflexions du mouvement environnemental à l’écosophie pourrait se résumer à une aspiration éthique de la responsabilité environnementale, qui résulterait d’une double prise de conscience : (1) écologique, avec la conscience d’habiter ensemble une même sphère vivante en cours de destruction et (2) anthropologique, avec la conscience de notre propre subjectivité dans la diversité des perceptions, des pensées et des créations.

1.2 De l’esthétique environnementale à l’artivisme écologique

18D’un point de vue philosophique, l’esthétique environnementale invoque une grande diversité de concepts, qui sont parfois très éloignés, comme peuvent l’être ceux liés à l’esthétique de la nature développée par Emmanuel Kant ou ceux intégrés à l’esthétique analytique de Nelson Goodman. Pour le philosophe de l’esthétique environnementale, Allen Carlson, la principale opposition concerne l’approche cognitive ou non cognitive de l’appréciation esthétique des milieux naturels. Les positions cognitives, narratives ou conceptuelles sont fondées sur l’idée que l’appréciation esthétique de l’art dépend de connaissances préalables en histoire de l’art, ainsi qu’en biologie, géologie et écologie. Les approches non cognitives, non conceptuelles ou « ambiant approaches19 » prennent quant à elles en compte l’engagement immédiat dans le monde et la dimension phénoménologique de l’expérience artistique :

[…] l’esthétique de l’engagement souligne les dimensions contextuelles de la nature et nos expériences multi-sensorielles de celle-ci. Considérant l’environnement comme une unité homogène de lieux, d’organismes et de perceptions, elle remet en question l’importance des dichotomies traditionnelles, telles que celle entre le sujet et l’objet. Elle invite les appréciateurs à s’immerger dans le milieu naturel et à réduire au minimum la distance entre eux et le monde naturel. En bref, une expérience esthétique appropriée est supposée impliquer l’immersion totale de l’appréciateur dans l’objet d’appréciation20.

19L’esthétique de l’engagement étend nos manières d’apprécier l’art et la nature, car elle inclut nos relations aux autres, aux lieux, au quotidien, aux machines. En cela, elle s’affilie aux démarches de l’écosophie, qui interroge nos manières d’agir dans la vie de tous les jours, nos partages d’expériences, notre rapport aux environnements locaux.

20Pour ce projet lié à l’anthropophonie, qui prend en compte l’engagement et la phénoménologie, c’est cette orientation de l’esthétique environnementale que nous retiendrons. En effet, la notion d’art sonore écologique, incarnée par des actions esthétiques liées à l’environnement acoustique, se situe à l’intersection de l’art sonore, de l’esthétique de la vie quotidienne et de l’écologie sonore.

21Pour poursuivre, il convient de préciser ce que regroupe la notion d’art écologique, ainsi que celle d’artivisme.

22Dans la mécanosphère de Guattari, l’attitude des artistes est prise pour modèle. L’invention, la singularité21, la prise de position esthétique lors de l’acte de création, devraient être mises en œuvre dans chaque acte du quotidien. « Pour agir en tant qu’artiste, il est nécessaire d’intégrer les machines autrement, de les composer à nouveau en appelant à la création, à l’invention et à l’imagination22 ». Lorsque ces actions concrètes de production artistique sont appliquées au domaine de l’écologie environnementale, nous pouvons parler d’activisme écologique. C’est un activisme fondé plutôt sur un pragmatisme philosophique – qui donne la primauté aux exigences de la vie et de l’action –, et non un activisme politique – fondé sur la violence et qui chercherait à imposer des revendications ou des idées23. Il ne s’agit pas d’imposer, mais de sensibiliser, à l’aide de l’action artistique.

23Le terme d’art écologique, ou éco-art aurait été inventé par Barbara Matilsky dans une publication de 1992 qui fait une rétrospective des trente dernières années – soit depuis les années 1960 – de l’art écologiquement engagé. Pour définir cet art écologique en le distinguant de l’art environnemental, l’historienne de l’art insiste sur les fondements éthiques de l’éco-art qui est « une nouvelle approche de l’art et de la nature sur la base de l’éthique environnementale24 ». Cette éthique environnementale implique, pour Paul Ardenne, « un rapport repensé à l’environnement, une culture et des mentalités refondées. L’art participe à cette mutation essentielle caractéristique de l’actuelle transition climatique25 ». Car il y a art écologique « sitôt qu’une “forme” vient illustrer, compléter ou subvertir un état de conscience où la question environnementale est posée26 ».

24Cet activisme fait la distinction entre l’art écologique et l’art environnemental qui est plus général et qui s’applique aux œuvres utilisant l’environnement naturel comme site ou comme matériel mais qui n’ont pas nécessairement quelque chose à voir avec les problèmes écologiques. Ainsi, l’art écologique souhaite attirer l’attention sur les interrelations qui existent entre nos milieux physiques, biologiques, culturels, politiques, historiques et écologiques27, et donc relève d’actions concrètes qui mettent en jeu les relations complexes entre différentes disciplines. De fait, nous pourrions affirmer que l’éco-art est transdisciplinaire et activiste. Il relève de l’artivisme, un mouvement d’art activiste centré sur des problèmes politiques, lié au mouvement altermondialiste28.

25Cependant, la question de l’efficacité d’un tel artivisme reste posée, même lorsque le principe responsabilité est évoqué, y compris dans le cadre d’une éthique environnementale, comme le fait remarquer Hicham-Stéphane Afeissa :

[…] le principe responsabilité ne livre pas de réponses claires, si bien qu’en fin de compte le soupçon d’anthropocentrisme ne disparaît jamais complètement. Sur tous ces points également, l’éthique environnementale nous paraît mieux armée, plus à même d’élaborer une éthique de la nature dont la portée écologique ne se ramène pas à la protection des conditions de la survie des êtres humains sur terre. Mais, par une sorte de retour du balancier, elle nous paraît prendre le risque de s’enfermer dans des débats proprement idéologiques et de se rendre politiquement stérile et inefficace à trop vouloir se définir elle-même par la seule référence au projet d’une éthique de la valeur intrinsèque29.

26Peut-être que l’éthique environnementale ne peut être envisagée que comme une éthique de type critique ? Ni l’éco-art, ni l’activisme écologique ne semblent aujourd’hui répondre à cette question. L’éthique environnementale, comme toute éthique, n’est qu’un tendre vers : toujours plus de raffinement de notre sensibilité sociale et environnementale. Elle réfère aux réflexions guattariennes selon lesquelles notre propre subjectivité est perpétuellement transformée par nos interactions.

1.3 De l’art sonore à l’écologie sonore, un paradigme activiste

27L’art sonore, discipline hybride, désigne un ensemble de pratiques dans lesquelles « l’unité [musicale] de base est le son et non la note30 ». Cette définition de Leigh Landy peut être complétée par l’idée, défendue par Jean-Yves Bosseur notamment, qu’une dimension fondamentale et commune aux formes les plus hétérogènes d’art sonore concerne la relation à l’écoute, une « volonté de transgresser toute distinction qualitative et toute forme de hiérarchie entre le bruit et le son […] une attention toute particulière à ce qui se rapporte globalement à la perception auditive31 ». L’art sonore est un art de l’expérience d’écoute qui, selon Jonathan Gilmurray, est toujours corporelle et sensuelle :

Les œuvres sonores ont un pouvoir unique qui est propre à leur médium […] écouter des sons est une expérience très intense et personnelle qui pénètre notre corps et touche notre esprit. Nous pouvons nous immerger dans le son ; s’y baigner ; être transportés par lui. Les sons ne nous disent pas simplement ce que notre environnement est, mais ce qu’il s’y passe32.

28Le son nous dit le monde à travers l’écoute qui se matérialise dans nos corps. La question de la réception est donc fondamentale. Pour Barry Truax, qui s’intéresse particulièrement aux possibles communications à travers le son, l’écoute est « l’interface principale entre l’individu et l’environnement33 ». Or, comme le remarque Murray Schafer, « en Occident, depuis la Renaissance, l’invention de l’imprimerie et l’apparition de la perspective en peinture, [l’oreille a] cédé à l’œil le rôle de premier récepteur de l’information34 ». Les préoccupations esthétiques de l’art sonore montrent que « l’homme moderne a enfin le souci de déboucher ses oreilles et de retrouver la qualité de la clairaudience35 ». Pour favoriser l’acuité auditive, Schafer propose un programme d’éducation de l’oreille36. Ce programme est en lui-même activiste, une sorte de doctrine qui met en relief le rôle de « l’action concrète dans la conception de la vérité ou la conduite de la vie37 ». Ceci montre que l’origine du concept de paysage sonore et des pratiques qui y sont liées, dans les années 1970, est déjà sous-tendue par une démarche volontaire pour reconfigurer le sensible, dissoudre la hiérarchie des perceptions visuelles/auditives, avec un objectif écologique : celui de stimuler de nouveaux comportements pour sentir, connaître et agir dans le monde. Apprendre à écouter « de manière active et non passive38 » resserre notre lien au monde, pas seulement à la biosphère comme nous le recommande Bernie Krause, mais aussi à la mécanosphère. Ainsi, pour Carmen Pardo, l’artiste sonore a la responsabilité de soigner la qualité de son écoute :

L’expérience de l’écoute dévoile notre rapport au milieu, notre rapport aux autres. […] Dans un son, on peut percevoir de nombreux sons, et pour l’artiste sonore la manière de dire les sons est en rapport avec sa manière de les écouter39.

29Et cette « manière de les écouter » est une voie exploratrice et créative vers l’engagement avec le monde, comme le souligne Salomé Voegelin :

[L’écoute est envisagée] non pas comme un fait physiologique mais comme un acte d’engagement avec le monde. C’est dans l’engagement avec le monde plutôt que dans sa perception que le monde et moi-même en son sein nous nous constituons, et c’est le mode sensoriel de cet engagement qui détermine ma constitution et celle du monde. […] En ce sens, l’écoute n’est pas un mode de réception mais une méthode d’exploration, une manière de « marcher » dans le paysage sonore/l’œuvre sonore. Ce que j’entends est découvert et non reçu, et cette découverte est fertile pour l’imagination : il s’agit de quelque chose de toujours différent, subjectif, continuel et présent40.

30L’écoute exploratrice n’est donc pas seulement « un paramètre ou un indicateur de plus que l’on ajoute aux autres pour analyser le monde, mais une nouvelle façon d’y être et de l’entendre41 ». Ces précisions de Roberto Barbanti, de Carmen Pardo et de Salomé Voegelin suggèrent que l’écoute nous permet de connaître le monde et de nous y orienter : elle est, selon la formule de Barbanti, un « critère et outil d’investigation gnoséologique privilégié42 ». C’est précisément ce qui est visé par l’écologie sonore que Murray Schafer a définie comme un courant théorique et artistique :

L’écologie est la relation entre les êtres vivants et leur environnement. L’écologie sonore est donc l’étude des sons dans leurs rapports avec la vie et la société. Ce n’est pas une discipline de laboratoire. Elle ne se conçoit que par l’observation sur le terrain de l’influence de leur environnement acoustique sur les êtres vivants43.

31Élaborer un tel concept est déjà de l’ordre de l’activisme, car la relation des sons avec la vie et la société n’est pas réduite aux questions de nuisances ou de pollutions sonores, comme le fait remarquer Barbanti, mais concerne aussi la « place du son dans la relation à nous-mêmes, à l’autre et au contexte global auquel nous appartenons44 ». Cette problématique de la relation au monde situe clairement le concept guattarien d’écosophie au cœur de l’écologie sonore. C’est ce qui pousse Barbanti à faire la distinction entre écologie acoustique et écologie sonore. Le terme acoustic ecology initialement employé par Schafer a été traduit par écologie sonore par Sylvette Gleize. Dans son contexte, cette traduction semble tout à fait pertinente, puisque le domaine de l’acoustique concerne « l’aspect quantitatif, objectivement mesurable par des instruments, sur la base des paramètres physiques45 » du signal acoustique, tandis que le terme « sonore » suggère une épaisseur phénoménologique, car il réfère à « l’événement sonore perçu […] la sensation auditive46 ». La dimension perceptive du sonore, complétant la notion purement physique d’acoustique, modifie un paradigme quantitatif en paradigme complexe inspiré des sciences du vivant :

L’acoustique, en tant que science physique, exclut toute forme de subjectivité. Or, tenir compte de la dimension perceptive-réceptive, qu’elle soit humaine ou autre, signifie considérer la complexité du phénomène étudié, dans sa richesse et dans ses multiples modalités d’existence, comme l’exigent clairement l’écologie et toutes les sciences du vivant (biologie, zoologie, botanique, médecine, etc.). Qu’il soit dit une fois pour toutes, la dimension esthétique (perceptive-communicative) est un élément fondamental et nécessaire pour toute recherche scientifique conduite dans le monde organique47.

32À nouveau, la simple énonciation de ce changement de paradigme, qui reconnaît l’exploration du monde sonore, la subjectivité de la réception comme fondement nécessaire de la recherche liée au monde organique, relève de l’activisme épistémologique. Et cela montre à quel point l’invention de l’écologie sonore charrie des engagements artistiques, phénoménologiques, écologiques et philosophiques.

33Dans ce contexte, il serait possible d’élaborer une éthique de l’exploration de notre environnement, beaucoup plus humble que l’éthique de l’exploration spatiale48, qui se contenterait d’habiter le monde terrestre sans chercher à le conquérir, de le découvrir avec notre imaginaire de façon dynamique, de l’ausculter avec précaution, conscient·es de l’ampleur de nos interactions. Alors, dans ce cadre, quelles solutions sonores inventer ?

2. Ces sons qui nous envahissent : une création en trois actes

34Par la pratique artistique et activiste, je m’applique à respecter une éthique. Une éthique minimale qui consisterait autant que possible à ne pas faire de mal à autrui, à rester sincère, et qui émerge des différentes éthiques engagées dans les problématiques de responsabilité environnementale et d’exploration esthétique. C’est une méthode d’action pour ne pas demeurer « bras ballants face à une situation devenue scandaleuse et insoutenable49 ».

2.1 Acte I : La sonothèque

35L’acte I concerne la création d’une sonothèque collaborative50 dans laquelle chacun·e a la possibilité de déposer ou de récupérer51 des sons – en particulier ceux de faible intensité ou de fréquences constantes – qu’il·elle considère comme polluants, et souhaiterait supprimer de l’espace sonore. L’objectif de cette sonothèque est de prendre conscience de ces sons infimes et d’observer ce qu’ils produisent en nous, puis, à partir de là, de dénoncer ceux qui relèvent de la pollution sonore masquée par le fait de l’habituation auditive, qui la rend inaudible à notre perception. Nous dénonçons ici leur « invisible présence52 » tandis que la lutte contre le bruit se limite à des aspects quantitatifs53. C’est la raison pour laquelle la sensibilisation aux bruits de faible intensité est envisagée comme un véritable engagement dans le réel. Cela pourrait rejoindre l’esthétique de l’inframince de Duchamp et sa « phénoménologie de l’imperceptible54 », c’est-à-dire « une part de non-conscience qui passe par des perceptions si infimes qu’elles ne se manifestent justement pas directement à l’attention, à la conscience55 ». Car ce qui échappe à la conscience est au cœur des relations citoyennes, comme quelque chose qui se donne à être perçu sans attirer l’attention. Or, ces sons d’intensité infime esquivés par la négligence de notre discernement participent à une relative anesthésie des sujets, et en ce sens, réveiller la perception réveille le sentiment d’appartenance à une communauté partageant le même espace sonore. De fait, cette sonothèque partagée affirme une certaine ambition artiviste, celle d’avertir, comme « l’un des premiers réflexes » de l’artiste contextuel qui s’attache à « opérer en fonction de la réalité telle qu’elle se donne en cours56 ».

36La page du site dédié à la sonothèque (Illustration 1) est organisée en deux cadres : à gauche une liste de sons et à droite des informations sur le son sélectionné dans la liste, avec la possibilité de l’écouter. À gauche, une vignette, le titre, le lieu et enfin la date d’enregistrement du son. À droite, un lecteur audio avec une forme d’onde et un bouton de téléchargement, une photographie du lieu d’enregistrement, un spectrogramme, une description du son, les coordonnées GPS de sa captation. Enfin, en bas à droite, une zone de commentaires et d’échanges.

Illustration 1 : Structure de l’onglet « Sons »

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37Grâce à ces interactions, la sonothèque prend une forme dynamique d’archivage de sons d’une époque, et de discussions relayées par une page et un groupe Facebook57. Les commentaires via le réseau social révèlent une certaine efficacité de la sensibilisation : « On apprend à écouter, à faire vivre les sons seuls », « Dingue tous ces sons », « Je suis à l’écoute ! », « Belle découverte ce site, merci pour tous ces bouts sonores de réel anormalement constant », « C’est absolument dérangeant ! Je l’avais entendu en passant je me demande si je tiendrai plus de 5 minutes. Là le temps d’écrire ce commentaire j’ai encore ce son dans la tête et pourtant j’écoute de la musique à côté. C’est bon je confirme ce son m’a défoncé les oreilles et le crâne. Belle trouvaille », ou encore : « Hors contexte je les trouve plutôt beaux et plein d’intérêt, très loin de l’idée de pollution. Certainement que ne les vivant pas au quotidien, pour la plupart d’entre eux, ma relation n’est pas chargée négativement ». Ces échanges rendent l’archive vivante et stimulent le sentiment d’appartenance à une communauté acoustique58.

38Ainsi prennent naissance des enjeux artivistes en lien avec l’écologie sociale : partager des histoires, intensifier le sentiment de faire partie d’un récit commun, produire de la mémoire collective. Les réseaux sociaux dans ce cas participent au développement d’un certain supplément d’interactions et animations, qui augmente le son physique archivé d’une dimension perceptive-communicative. L’archive se transforme en constellation où gravitent émotions et histoires singulières, elle prend la forme d’une boule de neige qui dévale la pente en charriant au passage tous les commentaires. Cela donne lieu à des réflexions sur la notion d’archives. Quelles archives ? Des archives vivantes, non institutionnelles, qui stimulent des échanges d’expériences vécues. Vivantes aussi car chacun·e peut les télécharger et les utiliser pour des compositions – ce qui a déjà été le cas pour des spectacles –, étant libres de droit. Il s’agit ici d’une autre forme d’artivisme qui consiste à mettre l’archive à disposition sans restriction, sans droits d’auteur. L’archive est vivante dès lors qu’elle est utilisée.

39Tandis que la majorité des sonothèques en ligne tente de sauvegarder les sons biophoniques devenus de plus en plus rares, ici l’archive se préoccupe uniquement de sons anthropophoniques, et propose de ne pas oublier les sons actuels et ambigus de la mécanosphère, qui, eux aussi, sont voués à se transformer. Écouter des bribes de mécanosphère dans le cadre d’une sonothèque permet d’identifier sa sonorité et d’acquérir des compétences pour, plus tard, dans l’environnement réel, exercer notre capacité d’attention59, affiner notre perception auditive et approfondir notre conscience écologique. Les sons archivés sur le site exposent, un peu comme dans un musée virtuel, un état des lieux subjectif de l’environnement sonore, principalement urbain, enregistré au hasard de parcours piétons. La subjectivité intervient dans le choix des sons et dans la façon de les enregistrer, ce qui parfois donne des points d’écoute avec des acoustiques curieuses, inhabituelles – par exemple lorsque le microphone est collé au sol, les voix humaines prennent une allure étrange due au point de captation et à ses résonances, inhabituelles pour nos oreilles qui n’ont généralement pas vécu l’expérience d’être au ras des trottoirs. Le choix de capter tel ou tel son est motivé par le désir de mettre en évidence la présence poétique – ouvrant notre perception à des réalités toujours plus fines – ou au contraire envahissante et anesthésiante d’infimes vibrations, que seule une oreille attentive peut percevoir. Cela relève presque de l’art moléculaire qui montre ce qui est invisible à l’œil nu et pourtant est support de messages. Ces archives seraient en quelque sorte des boîtes de Petri dans lesquelles les sons se cultivent symboliquement et « soulèvent la question de la responsabilité et de l’éthique d’une société en proie aux techniques qu’elle invente60 ».

2.2 Acte II : Des balades

40L’acte II concerne des balades sonores. À partir de la cartographie du site web dans lequel les sons sont géolocalisés (Illustration 2), j’organise des balades de découverte de sons insidieux, auxquels on ne prête pas attention.

Illustration 2 : Cartographie

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41Le public est souvent stupéfait de n’avoir jamais remarqué tel son constant de machine, ou telle acoustique particulièrement réverbérante. Ces balades (Illustration 3) sont un véritable plaisir partagé sur le terrain, la joie de la découverte en commun.

Illustration 3 : Balade autour de la station de métro Castellane à Marseille

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42Chacun·e élabore silencieusement sa propre fiction, influencée par la présence de l’autre. C’est un mélange d’exploration du milieu sonore et de productions artistiques secrètes. À la fin de la balade, nous nous réunissons autour d’une petite collation pour bavarder librement. Un coin studio d’enregistrement autonome, où chacun·e est invité·e à répondre à un questionnaire permet de récolter les témoignages de ressentis singuliers en se remémorant la balade. L’efficacité de cette sensibilisation est évidente lorsqu’on réécoute les différents récits. Par exemple, les réponses à la question « quel est le son qui t’a étonné, auquel tu n’avais jamais prêté attention ? » : « Entre les deux distributeurs de boissons dans la gare de métro », « Le son entre un photomaton et un distributeur, en se mettant entre les deux, tout d’un coup, on n’entendait plus que leurs bruits, comme si on était extrait du monde », « On est tellement envahi par toutes sortes de bruits que l’on subit, eh bien, j’avais jamais repéré ce bruit continu des machines réfrigérantes contenant les boissons à vendre », « Le panneau électrique [LCD Decaux] qui fait une ventilation de dingue sur la place Castellane », « Quand on avance dans le couloir du parking souterrain Indigo, on entend, au plafond, les voitures passer sur l’avenue Cantini. Et comme ce sont des dalles, […] ça fait “tac tac”, ça m’a étonné », « Dans le Naturalia, sous le ventilateur, la clim, y avait plusieurs sons et un des sons était […] super bizarre, j’oserais pas le refaire, mais qui m’a beaucoup intéressé et auquel je ne m’attendais pas, et du coup, que j’ai beaucoup aimé ».

43Le questionnaire, inspiré par les exercices d’écoute de Schafer61, est structuré en deux parties. La première série est liée à des émotions telles qu’éprouver du plaisir, être dérangé, être étonné. La seconde série concerne des points d’écoute spécifique, et demande aux participant·es de décrire l’ambiance sonore de tel ou tel lieu. Les réponses mettent en évidence le fait qu’il n’y a pas d’invariants sémiotiques dans le sonore, mais un ensemble de subjectivités qui parfois sont absolument opposées. Par exemple, pour le même point d’écoute, l’ambiance de la station de métro est qualifiée de « feutrée » par un participant, tandis que, pour une autre, l’acoustique est « réverbérante ». Une autre découverte intéressante, à propos du plaisir, montre à quel point un son qui jusque-là était passé inaperçu pouvait avoir un pouvoir poétique sur certain·es auditeur·rices.

44À la suite de ce type de balades, je retourne y faire une captation et je monte un documentaire sonore avec les commentaires des participants. La captation après-coup, en marchant et en reproduisant les arrêts aux points d’écoute, a pour objectif d’exposer, à l’auditeur·rice du documentaire, le milieu sonore parcouru avec le groupe. Les choix de positionnement des microphones lors de la déambulation sont liés aux réponses des participants mixées en quelque sorte à ma propre subjectivité, elle-même transformée par l’expression des imaginaires du groupe. Je mets ainsi à disposition une observation située dans un paysage sonore où « les dynamiques matérielles, culturelles, sociales et politiques de la ville sont audibles et toujours ouvertes à de multiples négociations et interactions individuelles et collectives62 ». Enfin, j’ajoute une voix off, qui explique les conditions de la balade.

45Les participants peuvent, par la suite, grâce à ce documentaire, écouter une nouvelle version de l’expérience, via le site anthropophony.org. Le simple fait de réécouter le paysage, de s’écouter soi-même a posteriori et de prendre conscience de la perception différente de l’autre marque la mémoire. C’est une façon artiviste d’insister sur la prise de conscience. Ce documentaire est aussi un moyen d’élargir l’expérience de la balade à d’autres auditeur·rices, pour les inviter à s’engager collectivement dans le monde, à « connecter les oreilles humaines à l’environnement63 ». Éveiller le désir de se mettre en marche, à l’écoute du monde et du vivre ensemble, tel serait l’objectif de cet ensemble balade-documentaire.

2.3 Acte III : Une installation de paysages sonores composés

46Il s’agit ici d’un projet en cours d’élaboration, et il est trop tôt pour avoir des retours d’expérience. L’idée est la suivante : une installation spatialisée, qui diffuse des paysages sonores composés à partir des captations de terrain archivées dans la sonothèque et dont la spatialisation est inspirée de la cartographie. C’est une troisième alternative pour sensibiliser à l’aide d’une poétique sonore immersive, décontextualisée et relevant d’un imaginaire personnel. La présentation, dans un cadre dédié à la production artistique, comme un centre de création musicale ou une exposition muséale, permet de questionner l’imaginaire sonore à travers la fiction, et sa possible efficacité artiviste. L’imaginaire de la réception, paramètre fondamental dans la question de l’écoute et dans l’écologie sonore, intervient dans la composition de paysages sonores en induisant un imaginaire de création. S’exprimer à l’aide de l’imaginaire pose la question de la fiction dans les récits, de leurs interactions avec les sociétés, et plus particulièrement dans le cadre du paysage et de son artialisation64.

47J’ai fait quelques courts essais de composition65 avec une contrainte très simple : ne pas modifier la captation d’origine, seuls les « tronquages », les variations de volume et les superpositions étant permis. Cette règle du jeu préserve autant que possible de la menace de parade et de tromperie66 dans un récit qui se veut ancré dans le réel. Sans être à proprement parler des documentaires sonores, ces soundscapes composés relèvent peut-être du docu-fiction.

48Dans Voix englouties, les voix humaines sont littéralement submergées par la pollution sonore. Rires, toux, cris de bébé, enfants qui jouent, bavardages de passants, halètements de chien, tout disparaît dans le bruit des machines. Pourtant, chacun·e semble bien être à l’écoute de l’autre. L’intrusion sonore électro-mécanique est gommée de la perception. L’habituation auditive permet d’entendre sans écouter. La composition se termine cut, et provoque un effet abrupt, comme si finalement c’était le silence qui faisait intrusion et violait notre espace sonore.

49Injonctions Marseillaises est construit sur le thème des injonctions à la docilité, à l’attitude exemplaire, à la sécurité. À base de signaux sonores d’alerte, divers bips, voix de synthèse qui nous invitent à faire attention, klaxons d’avertissement, cloches de tramway, notifications de téléphone portable, sons de contrôle de caisse enregistreuse ; c’est un monde autoritaire de la bienveillance et du contrôle sécuritaire.

50Un Km de rayon dans Marseille confinée est composé avec une palette de sons enregistrés lors du premier confinement lié à la crise sanitaire de la Covid, du 17 mars au 11 mai 2020. Les bruits habituels de circulation et d’activité humaine sont plus rares et nous laissent discerner des sons de machines qui tournent seules. Hélicoptères, avions de basse altitude, annonces de prévention et oiseaux libérés de la rumeur participent à ce paysage urbain insolite.

51Enfin, Anthropophonic glissandi est une musique de machines qui produisent des fréquences glissantes, vers le haut, vers le bas. Les harmoniques tapissent les voix, les souffles. Des grincements heurtent le chant des cigales ou le chant du rail. C’est un clin d’œil à Varèse et ses sirènes d’un côté et aux maîtres de flûte shakuhachi et leurs modes de jeu de l’autre.

52Ces premiers essais confirment qu’il est possible de construire différents discours avec le même réservoir de sons, tantôt politiques – Voix englouties et Injonctions Marseillaises –, tantôt descriptives – Un Km de rayon dans Marseille confinée –, tantôt musicologiques, fondés sur le timbre, le rythme et les fréquences – Anthropophonic glissandi. J’espère, par les essais pratiques, trouver encore de nouvelles orientations narratives avec le langage de ces sons.

53Ces récits sonores sans parole, ou récitatifs instrumentaux67, assemblant des fragments de technophonie68 sont conçus comme des variations dans le troisième acte de cette recherche-création. Affirmer un imaginaire singulier se présente comme une nécessité, car ce geste pourrait lui aussi être profitable à la sensibilisation écologique et sonore :

54Se raconter des histoires, pour Antoine Louvard, « est le propre de l’homme69 », tandis que pour Roland Barthes « il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit ; […] international, transhistorique, transculturel, le récit est là, comme la vie70 ». Si le récit est transhistorique et transculturel, peut-être faut-il admettre avec Jacques Rancière que « le réel doit être fictionné pour être pensé71 ». Mais dès lors que l’on fictionne le réel, l’imaginaire social en est modifié, ainsi que les sociétés qui s’instituent « comme monde de significations imaginaires sociales72 ». Une nouvelle boucle de rétroactions apparaît avec l’imaginaire indispensable à la compréhension du réel, qui lui-même influence l’imaginaire des sociétés. La fiction permet de « mettre en évidence les incohérences de l’imaginaire dominant qui nous a conduits dans les crises sociales, politiques et écologiques actuelles73 ». Et cette mutation de l’imaginaire dominant est « nécessaire pour entraîner des transformations concrètes puisqu’elle réinterroge les principes sur lesquels notre société se fonde et les finalités qu’elle vise74 ». Ainsi, pour Ardenne, « proposer des œuvres d’art […] signifie non un saut hors du cercle du réel mais, à l’inverse, un saut dans le réel même75 ». L’art amène à réfléchir et à « changer les conceptions du monde en cours76 ». L’art sonore y participe.

3. Conclusion

55Les premiers résultats de ce travail en cours sont assez concluants à propos de l’efficacité d’une telle démarche artiviste. Certains sons archivés dans la sonothèque ont disparu de l’espace public, notamment de vieilles climatisations déréglées dont les propriétaires ont eu honte lorsque je les ai enregistrées. D’autre part, la ville de Marseille, qui connaît mon travail, vient d’interdire l’installation de nouveaux panneaux publicitaires à LED dans le centre-ville77. Enfin, la prise de conscience, via les réseaux sociaux et via les balades sonores, est tout à fait encourageante, et chacun·e semble prendre conscience de la qualité de son attention portée à l’autre à travers son écoute et à travers la perception de sa propre production sonore. Les incidences de la composition ne sont pas encore vérifiées, mais la méthodologie de recherche-création pourrait bien permettre un certain renouveau artistique dans le cadre de l’engagement artiviste à partir du field recording.

Notes   

1 Les audio-naturalistes sont des spécialistes de la captation de sons d’origine biologique ou géologique, engagés dans la préservation de l’environnement naturel. Le terme aurait été inventé par Fernand Deroussen, qui propose la mise en valeur esthétique et artistique de « la grande symphonie du vivant » avec un strict minimum de transformation. Naturophonia, http://naturophonia.jimdo.com/, consulté en [01/2022].

2 Pierre Gosselin et Diane Laurier, Tactiques insolites : vers une méthodologie de recherche en pratique artistique, Guérin universitaire, 2004, p. 178.

3 Le terme artivisme est un néologisme composé des mots art et activisme. Il désigne un art « engagé et engageant, [qui] cherche à mobiliser le spectateur, à le sortir de son inertie supposée, à lui faire prendre position ». Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi, Artivisme ; art, action politique et résistance culturelle, Alternatives, Paris, 2010, p. 4.

4 Rachel Louise Carson, Printemps silencieux, traduit par Jean-François Gravand et Baptiste Lanaspeze, 4e édition (semi-Poche), Marseille, Ed. Wildproject, coll. « Domaine sauvage », 2014.

5 Catherine Perrin, « Printemps silencieux », Terre Sauvage, n°326, mars 2016.

6 R.L. Carson, Printemps silencieux..., op. cit., p. 22.

7 « Définition de ÉCOLOGIE », https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/%C3%A9cologie, consulté en [01/2022].

8 Jean Golfin, Les 50 mots-clés de la sociologie, Toulouse, Privat, coll. « Les 50 mots-clés », no 6, 1972.

9 François Gemenne et Aleksandar Rankovic, Atlas de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 132.

10 Bruno Latour, « Postface », in François Gemenne et Aleksandar Rankovic, Atlas de l’Anthropocène…, op. cit., p. 143‑145.

11 Si ce terme d’anthropocène inventé par le chimiste de l’atmosphère Paul Crutzen dans les années 2000 n’est pas reconnu officiellement par de nombreux géologues, cette notion désigne surtout l’espèce humaine comme responsable du changement climatique, des incendies et des inondations, de la disparition de la biodiversité, des déchets nucléaires, des substances toxiques et des risques industriels, mais aussi des migrations, des guerres, des famines. Cette chaîne rétroactive des causes et des effets, malgré les polémiques géologiques, montre que le concept reste utile pour comprendre l’ampleur du phénomène.

12 Marc Escola, « Arne Næss, Vers l’écologie profonde », in https://www.fabula.org/actualites/arne-naess-vers-l-ecologie-profonde_78917.php, consulté en [01/2022].

13 Arne Næss, Écologie, communauté et style de vie, traduit par Charles Ruelle et Hicham-Stéphane Afeissa, Paris, Éd. Dehors, 2013.

14 Félix Guattari, Les trois écologies, Paris, Galilée, coll. « l’Espace critique », 1989, 4e de couverture.

15 Félix Guattari, « Pratiques écosophiques et restauration de la Cité subjective », Chimères, 50-1, 2003, p. 76‑94.

16 Carmen Pardo Salgado, « Une musique pour habiter le monde », in Makis Solomos (éd.), Musique et écologies du son. Propositions théoriques pour une écoute du monde, L’Harmattan, Paris, coll. « Musique Philosophie », 2016, p. 199.

17 Silvia Bordini, Lorraine Verner et Roberto Barbanti, « Art, paradigme esthétique et écosophie », Chimères, no 76-1, 3 octobre 2012, p. 117-118.

18 Il s’agit de la subjectivité collective telle que l’a définie Guattari : « […] la subjectivité se fait collective, ce qui ne signifie pas qu’elle devienne pour autant exclusivement sociale. Le terme “collectif” doit être entendu ici dans le sens d’une multiplicité se déployant tant au-delà de l’individu, du côté du socius, qu’en deçà de la personne, du côté d’intensités préverbales, relevant d’une logique des affects plus que d’une logique d’ensembles bien circonscrits » Félix Guattari, Chaosmose, Paris, Éditions Galilée, 1992.

19 Allen Carlson, « Environmental Aesthetics », in Edward N. Zalta (éd.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Summer 2020, Metaphysics Research Lab, Stanford University, 2020.

20 Traduction personnelle de : « […] the aesthetics of engagement stresses the contextual dimensions of nature and our multi-sensory experiences of it. Viewing the environment as a seamless unity of places, organisms, and perceptions, it challenges the importance of traditional dichotomies, such as that between subject and object. It beckons appreciators to immerse themselves in the natural environment and to reduce to as small a degree as possible the distance between themselves and the natural world. In short, appropriate aesthetic experience is held to involve the total immersion of the appreciator in the object of appreciation ». Ibid.

21 Guattari emploi le terme de « singularité » afin de valoriser l’unicité de toute sensibilité. Il insiste sur la nécessité de la mettre en partage car cela apportera toujours quelque chose : le témoignage d’une manière particulière et libre d’expérimenter le monde. Félix Guattari, « Singularité et complexité », Les séminaires de Félix Guattari, 22 janvier 1985.

22 C. Pardo Salgado, « Une musique pour habiter le monde »…, op. cit., p. 199.

23 « Définition de ACTIVISME », https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/activisme, consulté en [01/2022].

24 Traduction personnelle de : « a new approach to art and nature based upon environmental ethics ». Barbara C. Matilsky, Fragile Ecologies : Contemporary Artists’ Interpretations and Solutions, New York, Rizzoli International Publications, 1992, p. 56.

25 Paul Ardenne, Courants verts : Créer pour l’environnement, Lormont (F), Éditions Le Bord de l’eau, 2020, p. 9.

26 Paul Ardenne, Un art écologique : création plasticienne et anthropocène, Lormont, France, Belgique, Le Bord de l’eau, 2018, p. 15.

27 « ABOUT ECOART NETWORK », https://ecoartweb.wixsite.com/ecoartnetwork/about, consulté en [01/2022].

28 « [L’artivisme] C’est l’art insurrectionnel des zapatistes, l’art communautaire des muralistes, l’art résistant et rageur des féministes queers, l’art festif des collectifs décidés à réenchanter la vie, c’est l’art utopiste des hackers du Net (hacktivistes d’une guérilla teckno-politique), c’est la résistance esthétique à la publicité, à la privatisation de l’espace public ». S. Lemoine et S. Ouardi, Artivisme ; art, action politique et résistance culturelle…, op. cit., p. 18.

29 Hicham-Stéphane Afeissa, « De l’éthique environnementale au principe responsabilité et retour », Éducation relative à l’environnement. Regards – Recherches – Réflexions, volume 8, 20 décembre 2009, http://journals.openedition.org/ere/2084, consulté en [01/2022].

30 Traduction personnelle de : « the sound, that is, not the musical note, is its basic unit ». Leigh Landy, Understanding the Art of Sound Organization, MIT Press, 2007, p. 17.

31 Jean-Yves Bosseur, L’art sonore : Le son dans les arts plastiques contemporains, Minerve, 2020, p. 7.

32 Traduction personnelle de : « Sound works possess a power unique to the medium. […] listening to sound is an intensely personal, sensual experience, that penetrates our bodies, and gets inside our heads. We can become immersed in sound; bathe in it; be transported by it. Sound does not just tell us what is, but what is happening, in our environment ». Jonathan Gilmurray, « Sounding the Alarm : An Introduction to Ecological Sound Art », Musicological Annual, 52-2, 9 décembre 2016, p. 71‑84.

33 Traduction personnelle de : « listening is the crucial interface between the individual and an environment ». Barry Truax, Acoustic communication, Norwood, N.J, Ablex Pub. Corp, coll. « Communication and information science », 1984, p. 13.

34 Raymond Murray Schafer, Le paysage sonore : le monde comme musique, traduit par Sylvette Gleize, Marseille, Éditions Wildproject, coll. « Domaine sauvage », 2010, p. 33.

35 Ibid., p. 34.

36 R. Murray Schafer, Ear Cleaning : Notes for an Experimental Music Course, Toronto, Clark & Cruickshank, 1967.

37 « Définition de ACTIVISME », https://www.cnrtl.fr/definition/activisme, consulté en [01/2022].

38 Bernie Krause, Le grand orchestre animal ; à la recherche des origines de la musique dans la nature, traduit par Thierry Pielat, Paris, Flammarion, 2013, p. 243.

39 Carmen Pardo Salgado, « Entendre le monde sonner », séminaire PEEP (IMERA/LOCUS SONUS/PRISM), Marseille, 21 février 2018.

40 Traduction personnelle de : « [Listening is considered] not as a physiological fact but as an act of engaging with the world. It is in the engagement with the world rather than in its perception that the world and myself within it are constituted, and it is the sensorial mode of that engagement that determines my constitution and that of the world. […] In this sense listening is not a receptive mode but a method of exploration, a mode of ‘walking’ through the soundscape/the sound work. What I hear is discovered not received, and this discovery is generative, a fantasy : always different and subjective and continually, presently now ». Salomé Voegelin, Listening to noise and silence : towards a philosophy of sound art, New York, Continuum, 2010, p. 3‑4.

41 Roberto Barbanti et Pierre Marietan, Sonorités, no 6 (Écologie sonore Technologies Musiques), Champ Social Éditions, 2011, p. 12.

42 Ibid.

43 R.M. Schafer, Le paysage sonore…, op. cit., p. 293.

44 R. Barbanti et P. Marietan, Sonorités, no 6 (Écologie sonore Technologies Musiques)…, op. cit., p. 9.

45 Ibid., p. 11.

46 Ibid.

47 Ibid., p. 12.

48 « Les enjeux éthiques de l’espace », Techniques de l’Ingénieur, https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/les-enjeux-ethiques-de-lespace-1868/, consulté en [01/2022].

49 P. Ardenne, Courants verts…, op. cit., p. 23.

50 Caroline Boë, « Anthropophony.org, Ces sons qui nous envahissent », https://anthropophony.org/sons.php?ts=P, consulté en [01/2022]..

51 Upload et download. En français, le terme « télécharger » ne fait pas la distinction entre les deux actions.

52 Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », no 134, 1981, p 11.

53 « Bruit et nuisances sonores », ministère de la Transition écologique et solidaire, http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/bruit-et-nuisances-sonores.

54 Antje Kramer-Mallordy, « Disséquer l’imperceptible », Critique d’art. Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain, 37, 1er avril 2011, http://journals.openedition.org/critiquedart/1258, consulté en [01/2022].

55 Thierry Davila, De l’inframince : brève histoire de l’imperceptible, de Marcel Duchamp à nos jours, Éditions du Regard, Paris, 2010, p. 39.

56 P. Ardenne, Courants verts…, op. cit., p. 17.

57 Caroline Boë, « Ces sons qui nous envahissent – Publications », https://www.facebook.com/pg/Boe.Caroline/posts/?ref=page_internal, consulté en [01/2022] ; Caroline Boë, « Anthropophony », https://www.facebook.com/groups/2404853139815759/?ref=br_rs, consulté en [01/2022].

58 La notion de communauté acoustique provient de Schafer qui élargit le modèle de l’écoute individuelle à des structures sociales plus larges.

59 Matthew B. Crawford, Contact : pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver, traduit par Marc Saint-Upéry et Christophe Jaquet, coll. « Cahiers libres », Paris, La Découverte, 2016.

60 Catherine Voison, « L’art in vivo ou la mythification de la molécule d’ADN », Images Re-vues. Histoire, anthropologie et théorie de l’art, 8, 20 avril 2011, http://journals.openedition.org/imagesrevues/503, consulté en [01/2022].

61 R.M. Schafer, Ear Cleaning : Notes for an Experimental Music Course…, op. cit.

62 Traduction personnelle de : « the city’s material, cultural, social and political dynamics are audible and always open to multiple individual and collective negotiations and interactions ». Elena Biserna, « Ambulatory Sound-making. Re-writing, Re-appropriating, “Presencing” Auditory Spaces », in Bloomsbury Handbook of Sonic Methodologies, New York, Bloomsbury Academic, 2021, p. 310.

63 Traduction personnelle de : « to connect human ears with the environment », Andrea Polli, « Soundscape, sonification, and sound activism », AI & SOCIETY, 27-2, mai 2012, p. 257‑268.

64 Artialisation : néologisme de Montaigne pour désigner un concept philosophique concernant l’intervention artistique dans la transformation de la nature. Alain Roger a repris ce concept à propos du paysage pictural, lié à l’invention de la perspective à la Renaissance. Le paysage, artialisation de la nature, est une représentation mentale liée à la perception de l’environnement. Alain Roger, « Le paysage occidental », Le Débat, 65-3, 1991, p. 14‑28.

65 Ces essais sont écoutables sur cette page : https://anthropophony.org/sons.php?id_aff=793, consulté en [01/2022].

66 Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », no 309, 1995, p. 251.

67 La notion de récitatif instrumental est développée par Joseph de Marliave à propos des quatuors de Beethoven. Joseph de Marliave, Les quatuors de Beethoven, Nouv. éd., Paris, R. Julliard, 1960.

68 Le terme « technophonie » est employé par Quentin Arnoux pour désigner la couche de sons électromécaniques appartenant à la catégorie des sons anthropophoniques définie par Bernie Krause. Quentin Arnoux, Écouter l’Anthropocène. Pour une écologie et une éthique des paysages sonores, Le Bord de l’eau, Nouvelle Aquitaine, 2021, p. 92‑100.

69 Antoine Louvard, « Pourquoi les êtres humains se racontent-ils des histoires ? », Socialter – Le réveil des imaginaires, Hors-série no 8, 2020, p. 35‑39.

70 Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, 8-1, 1966, p. 1‑27.

71 Jacques Rancière, Le partage du sensible : esthétique et politique, La Fabrique Éditions, 2000, p. 61.

72 Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p. 179.

73 Hugues Wattebled, « Glossaire des imaginaires », Socialter – Le réveil des imaginaires, Hors-série no 8, 2020, p. 10‑11.

74 Ibid.

75 P. Ardenne, Courants verts…, op. cit., p. 30.

76 Ibid.

77 Ces panneaux peuvent produire 70 dB à un mètre. Ce choix écologique et écosophique est courageux de la part d’une municipalité en déficit qui renonce aux revenus de la publicité.

Citation   

Caroline Boe, «Ces sons qui nous envahissent : field recordings, soundwalks et soundscapes éco-artivistes», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Articles soumis à la suite d’un appel à articles, Numéros de la revue, À l’écoute des lieux : le field recording comme pratique artistique et activisme écologique, mis à  jour le : 01/07/2022, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=1104.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Caroline Boe

Caroline Boë est artiste sonore et compositrice. Depuis 2013, elle se consacre à la recherche-création en sound-art. Actuellement artiste-chercheuse doctorante au sein du laboratoire PRISM (Aix-Marseille-Université / CNRS), son domaine de recherche concerne la pollution sonore, l’art relationnel et le web-art. Son engagement écologique oriente ses travaux vers l’art environnemental, l’écologie sonore, le paysage sonore. Elle est reconnue pour ses installations sonores spatialisées. Les rencontres avec la musicologue Christine Esclapez et l’artiste sonore Peter Sinclair ont bouleversé sa vision de la composition musicale, pour l’orienter vers l’art sonore. Un prix SACEM de valorisation de la musique symphonique lui a été attribué en 2016. De 1995 à 2013, elle a composé des musiques de spectacle vivant et a réalisé de nombreuses installations musicales pour des expositions collectives d’art contemporain, ainsi que des parcours de sensibilisation à l’écoute dans le noir avec Didier Berjonneau. De 1987 à 1995, dans le cadre de la société de post-production son Paris Dièse dont elle était gérante, elle a composé des musiques de commande pour la radio (France Musique, France Culture) et pour la télévision (CNN International, Rai Uno, Arte, la 5, Canal+, France 3, France 2, TF1).

Caroline Boë is a sound artist and composer. Since 2013, she has been dedicated to research-creation as part of her PhD at the PRISM laboratory (Université Aix-Marseille / CNRS). Her research concerns sound pollution, relational art and web-art. Her ecological commitment directs her work towards environmental art, sound ecology, soundscape, etc. She is known for her spatialized sound installations. Meetings with the musicologist Christine Esclapez and the sound artist Peter Sinclair changed her vision of musical composition, and directed it towards sound art. From 1995 to 2013, she composed music for live performances and created numerous musical installations for collective exhibitions of contemporary art, as well as listening walks in the dark, with Didier Berjonneau. From 1987 to 1995, with the company of post-production sound Paris Dièse (of which she was manager), she composed for radio (France Musique, France Culture) and television (CNN International, Rai Uno International, Rai Uno, Arte, la 5, Canal+, France 3, France 2, TF1). She won a SACEM prize in 2016. PRISM (Aix-Marseille-Université / CNRS)