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L’invisible impossible : voyage à travers les images poétiques de Salvatore Sciarrino

Gianfranco Vinay
mai 2011Traduction de Marilène Raiola

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/filigrane.107

Résumés   

Résumé

A l’occasion de la publication, en Italie, des textes de Sciarrino, l’auteur de cet article a rédigé une introduction organisée comme un voyage à travers les images poétiques du compositeur. Rentrer dans ces images permet de mieux comprendre dans quelle mesure sa musique est un défi à la fois à l’inaudible et à l’invisible, écoute et vision étant complémentaires lorsqu’on a le courage de s’ancrer dans l’imagination attentive. Le présent article constitue une version française de cette introduction, dans laquelle est retracée une carte de l’imaginaire de Sciarrino.

Abstract

For the publication, in Italy, of texts by Sciarrino, the author of this article drafted an introduction organised like a voyage through the poetic images of the composer. Assimilating these images allows a better understanding of the degree to which his music challenges both the inaudible and the invisible, listening and vision being complementary when one has the courage to anchor oneself to an attentive imagination. The present article constitutes a French version of this introduction, a cartographic retracing of Sciarrino’s imaginary world.
Traduction Jeffrey Grice.

Index   

Notes de la rédaction

Note de l’éditeur : Les photos jointes à cet article de Gianfranco Vinay ont été réalisées par Salvatore Sciarrino lui-même, qui a gracieusement autorisé Filigrane à procéder à leur reproduction. Elles ont été prises dans le studio de travail du compositeur.

Texte intégral   

1Il y a quatre ans, lorsque le Comité National Italien de Musique (CIDIM), en collaboration avec la maison d’édition « Novecento » de Palerme, invita Salvatore Sciarrino à publier ses écrits sur la musique1, le compositeur choisit comme premier texte, classé par ordre chronologique, la note de programme de Vanitas, « nature morte en un acte », qui marque un tournant dans sa poétique et dans sa dramaturgie musicale. Ce texte, auquel Sciarrino donna comme titre : « L’impossibilité de devenir invisible », constitue le manifeste d’une musique « imageante », autrement dit, d’une musique fondée sur la conviction que le compositeur peut non seulement susciter chez l’auditeur des images, des visions intérieures, mais qu’il peut également communiquer des images poétiques et mentales, sédimentées dans le langage musical.

2Évidemment, dans le cas de Vanitas, le pari était de taille. Comment représenter en musique les images du vide et de l’éphémère (dans la mesure où le titre de l’œuvre renvoie aux vanités baroques, mais aussi au terme utilisé dans l’Ecclésiaste pour désigner la notion de « vide ») ? Dans la note de programme, Sciarrino explicite clairement les relations entre images poétiques et images musicales comme nous allons le voir maintenant.

« L’impossibilité de devenir invisible »2

« Comme le mot lui-même l’indique, Vanitas gravite autour du concept de vide et de sa représentation, et du concept de temps : il s’agit donc d’une réflexion sur l’éphémère, d’une célébration de l’absence.

Vide affectif et représentation du vide.

Une des caractéristiques de la musique contemporaine consiste en l’élucidation du paramètre de “densité”, en l’autonomie des principes compositionnels qui règlent le plein et le vide. Toutefois, le concept de densité n’est pas une invention de notre époque : personne ne peut nier que Bach, par exemple, ou Rossini, furent conscients de ce problème et adoptèrent une conduite conséquente sur le plan du langage. En revanche, nous pouvons dire que, ces dernières années, a prévalu une logique de la composition plus constructive que discursive ; à tel point que, cette logique constructive a commencé par exalter, puis par élever au rang d’un processus structurel, l’agrégation pure.

Assez vite, la disparition progressive d’exigences organiques a investi la signification consciente du mot matière, qui a fini par disparaître et par “tuer” le plaisir. A sa place a surgi le concept “contre-réformiste” de matériel, lequel a souvent réduit l’acte de composer à la comptabilité d’une accumulation informe et la musique à une sorte de comptabilisation, plus ou moins inconsciente, de la raréfaction. Mais il existe une plénitude qui, considérée de façon inorganique, n’est pas directement ou nécessairement mesurable comme densité sonore. Sa nature étant expressive, elle gravite dans l’orbite de la communication. Cette plénitude est infiniment plus importante dans sa portée compositionnelle, c’est elle qu’il faut questionner, qu’il faut rechercher. Naturellement, une telle plénitude n’admet pas seulement des analyses quantitatives – elle échappe à une approche mécaniciste. Ces dernières années, j’ai appris que, dans l’histoire de la vanitas figurative, c’était précisément l’ostentation de la richesse, la recherche éperdue des plaisirs et de la beauté qui illustraient plus efficacement la brièveté et la fragilité.

Représenter le sentiment du vide au moyen d’une grande densité sonore, c’est-à-dire par le plein, est une exigence qui a émergé dès mes premières œuvres, et qui ne peut être comparée qu’au besoin d’établir – ou de vérifier – l’équation : figuration : présent = phrase : tradition.

Étant particulièrement sensible aux problèmes psychologiques, j’ai été amené à utiliser divers artifices, par exemple, le déplacement emblématique du plan perceptif, déjà connu par Léonard : “Car, quand l’esprit est confronté à ce qui est confus, il s’éveille et crée de nouvelles inventions” (cela s’applique à la possibilité de “voir ‘à l’intérieur’ les taches de couleur”).

La désillusion.

Avec le temps, mon enquête compositionnelle s’est focalisée également sur le rapport entre la réalité sonore et sa représentation. En effet, le double fut pour moi une obsession récurrente, et cela dès la première émergence inconsciente des problèmes théoriques. Récemment, à partir de quelques simples annotations d’antan, sont apparues certaines œuvres illusionnistes, lesquelles se caractérisent par une accentuation de leur degré de réalisme. La signification de “nature morte” a donc pénétré la musique elle-même, elle est devenue inhérente aux échos de la réalité sonore qu’elle recueille. Ce fait résulte sans nul doute d’une connaissance plus profonde et plus analytique de la réalité elle-même ou, autrement dit, de notre réalité intérieure, de la perception que nous en avons, de ses associations, etc. ; mais il suppose également la prise de conscience que, plus la reproduction est fidèle, plus perfide est l’illusion. De même, le symbole du miroir, renversé, ne renvoie plus à la vérité. Ainsi, les grillons de Vanitas ne sont plus le souvenir limpide et vibrant d’une soirée lointaine, mais ils évoquent plutôt l’ancien aspect d’insectes destructeurs : le tic-tac nocturne d’une vieille pendule, des vitres qui se brisent, deviennent le bruit au moyen duquel le temps détruit les objets. Parmi ces échos surgit brusquement un effet sans causes : la grosse cloche sonne toute seule – et ce coup de cloche fait remonter à la mémoire les anciennes victoires de la mort ; tandis que la flûte lointaine, le rossignol d’Arcadie, de faibles traces dissimulées, apparaissent de plus en plus flous, des souvenirs d’enfance désormais quelque peu estompés se fanent inéluctablement.

Sur le bord de la coupe

Vanitas gravite dans le vide, non pas tant et seulement en raison de la raréfaction de sa musique, mais aussi parce que le concept de vide y est, pour ainsi dire, réfléchi, rendu jusque dans la réalisation des moindres détails. La présence du piano comme instrument d’accompagnement, embrume ce qu’il faut l’atmosphère au point de la projeter, légèrement voilée, dans un liederisme lointain ; le dessin le plus fréquent est l’arpège, du point de vue historique, le prince des accompagnements. Mais, ici, chaque arpège s’atténue, en se vidant de toute sa substance, moyennant la soustraction des sons – comme aspirés par le silence avec un léger effet d’accordéon.

A partir d’autres accords, amortis par des impulsions rapides, on obtient une sorte de vibrato, qui se perd dans la résonance.

Derechef, l’utilisation du deuxième échappement, soustrait à lui seul le son, conçu comme protagoniste, et l’éloigne, en créant, au premier plan, un vide psychologique, comme si “un autre” piano jouait “au-delà”. Puis, dans le silence, émerge la résonance de fond, et l’on devine la dimension des grands espaces inhabités : un vide qui résonne à l’infini, où flottent la voix et son double vibrant, le violoncelle – comme des fantasmes lyriques d’un rossignol : un vide ourlé, tel un vêtement chinois.

Des fleurs3

Les fleurs sont les véritables protagonistes de Vanitas.

Sur le plan musical, les chansons représentent en quelque sorte l’équivalent des fleurs : belles, certes, mais éphémères. La musique savante, avec sa prétention d’universalité ne pourra jamais communiquer ce sentiment de mort qui s’exhale d’une composition légère. Avec des manières courtoises, dans sa stylisation maximale, celle-ci se donne, s’offre, elle n’a aucune exigence ; mais, face à l’éternité proclamée par une symphonie trompeuse, la chanson saisit un instant qui démasque la fragilité de l’homme.

Parmi ses souvenirs les plus lointains, les plus enfouis, chacun de nous a gardé en mémoire quelque chanson qui, précisément parce qu’elle est liée à une certaine période de notre passé, représente un concentré de nostalgie.

Vanitas, donc, est l’anamorphose gigantesque d’une vielle chanson – Stardust – dont elle garde d’une façon mystérieuse, le parfum éphémère. Il ne s’agit pas d’une chanson à laquelle je fus particulièrement attaché (en fait, son pathos infantile m’agaçait). Mais, il y longtemps, je l’ai harmonisée, ce faisant, je l’ai découverte et j’ai compris que son texte est un poème d’une richesse extraordinaire.

Pulvis Stellaris se révèle, quand le miroir se brise, à la fin, et brille l’espace d’un instant. Inutile de révéler quels sont, au cours de l’œuvre, les techniques anamorphiques ou les artifices illusionnistes employés : ce n’est pas la virtuosité ici qui compte, mais la signification du procédé, qui arrête le temps, qui fige ce qui s’écoule ; ce léger parfum qui transforme toute chose et qui nous plonge dans une profonde mélancolie.

Vanitas s’est imposée à moi en une période particulière de ma vie, en une période de renoncement et de réflexion ; elle est synonyme de la transformation qui s’est produite. Comme un putto, elle effeuille les pétales d’une rose, ceux dont elle a orné les socles de l’art hellénistique. Ne serait-ce pas le même putto qui parfois porte la faux renversée, symbole détourné de la mort ? »

3Il y a donc dans Vanitas, des images musicales qui représentent le « vide », et l’éphémère par des relations métaphoriques entre image sonore et image mentale ou visuelle (par exemple, le « videment » des arpèges du piano par soustraction des sons, ou la résonance de la troisième pédale du piano évoquant un « vide qui résonne à l’infini ») ou bien des sons musicaux imitant des sons naturels, suggérant des images de fragilité et la nature corruptible des êtres et des choses. Cependant, ces images musicales ne seraient que des simulacres de vanité si elles n’étaient que des imitations, des doubles plus ou moins reconnaissables de sons naturels ou d’images mentales et visuelles. L’image n’est pas la représentation des phénomènes, mais la représentation de l’absence des phénomènes, qui sont évoqués par défaut, par une mise en échec de la perception.

4Dans Vanitas, cette mise en échec est réalisée par la modification du temps musical et de l’espace sonore, de sorte que l’on pénètre directement dans les images. Depuis que le flux temporel a été synchronisé avec la respiration lente et profonde du temps musical, et que l’écoute est devenue attentive à la moindre sollicitation acoustique, au moindre soupir et aux sons les plus subtils, les figures sonores se sont transformées en images. Dans le premier mouvement, « Rosa », c’est la dilation du temps créée par une suite d’arpèges « vidés » et par la « petite phrase » composée d’une Messa di voce et d’un arpège descendant en chute rapide, qui communique un sentiment de vacuité et d’inertie, en nous permettant d’accéder aux images des vanités florales. En revanche, c’est la compression du temps et la saturation de l’espace sonore par des figures obstinées au piano et au violoncelle qui, en créant un climat de frénésie presque hystérique, permet de ressentir toute la violence de l’image de Marea di rose : celle d’un « déluge de fleurs », qui « petit à petit dissout, presque en comète, la chevelure ardente, pour braver la mort ».

5Raréfaction et saturation de l’espace, dilatation et compression du temps constituent la diastole et la systole de Vanitas, le champ de résonance des images musicales : un champ physique et psychique, sonore et mental, où les images surgissent dans le creux ouvert par la transformation de la perception du temps et de l’espace sonore dans le lieu « imaginaire » situé entre ces deux catégories.

6 Si, vers la moitié des années soixante-dix, le compositeur donnait encore à ses œuvres musicales des titres correspondant aux genres musicaux traditionnels (sonate, quatuor, prélude, berceuse, rondo, exercice, variation, etc.), à partir de 1977-78, ses titres commencent à suggérer des images poétiques : nocturnes (Ai limiti della notte, Autoritratto nella notte, Allegoria della notte, La navigazione notturna), mythologiques (Hermes, Raffigurar Narciso al fonte, Centauro marino, Venere che le Grazie la fioriscono) énigmatiques (Come vengono prodotti gli incatesimi ?), chromatiques (Codex purpureus, Introduzione all’oscuro, Esplorazione del bianco), etc. Ce changement d’attitude à l’égard des titres de ses œuvres manifeste une progressive prise de conscience poétique de la part de Sciarrino.

7La fonction de ces titres, ainsi que celle des notes de programme rédigées à partir de cette époque, n’est pas d’identifier ou de suggérer les « sujets » des poèmes sonores correspondants, mais d’évoquer des images qui ouvrent un espace poétique permettant de « rentrer » dans les images musicales. Cette fonction « introductrice » de l’image poétique est bien saisie par Philippe Jacottet lorsqu’il affirme : « Les images ne doivent pas se substituer aux choses, mais montrer comment elles s’ouvrent et comment nous entrons dedans »4. Les titres des œuvres de Sciarrino, ainsi que ses textes sur la musique, sont des ouvertures à ses images musicales, des voies d’accès à son univers sonore en constante expansion.

Carte da suono

8A l’occasion de la publication de ces textes, j’ai rédigé une introduction organisée comme un voyage à travers les images poétiques de Sciarrino5. Rentrer dans ces images permet de mieux comprendre dans quelle mesure la musique de Sciarrino est un défi à la fois à l’inaudible et à l’invisible, écoute et vision étant complémentaires lorsqu’on a le courage de s’ancrer dans l’imagination attentive. Voici donc une version française de cette introduction, dans laquelle je trace une carte de l’imaginaire de Sciarrino. « Voyage » et « carte » sont des métaphores suggérées par l’expression carte da suono, choisies par le compositeur lui-même pour désigner ses textes sur la musique. Cette expression, intraduisible en français, sert de conclusion, sous forme d’interrogation, à un texte sur Muro d’orizzonte (1997, pour flûte en sol, cor anglais et clarinette basse) :

« Les textes que je répands autour de l’isolement splendide de mes œuvres musicales, ne pourraient-ils pas s’appeler également carte da suono ? »

9Muro d’orizzonte, le titre de cette œuvre en forme d’« oxymoron presque intenable », entend suggérer une image (« l’obstacle d’un mur assujetti à la plus grande ouverture possible, qui s’étend aussi loin que porte la vue ») et une énigme (« que signifie une contradiction qui ne contredit rien, et qui se déploie d’elle-même ? »).

10Une image, une énigme, un voyage mental (« Ce qui obstrue la vue offre […] à notre esprit un espace d’illusion et une illusion d’espace, ce grâce à quoi se projettent les images de l’imaginer »). Nous sommes comme suspendus dans un « ailleurs », perdus dans une région aux frontières incertaines, entre perception mentale, sensorielle, psychique, spéculative, imaginaire, réelle, illusoire… Nous éprouvons un sentiment de dépaysement qui n’est pas sans évoquer l’impression que nous ressentons lorsque nous écoutons la musique de Sciarrino. Les carte da suono constituent les cartes d’une circumnavigation autour de l’archipel de ses œuvres et de sa créativité. Des cartes qui dé-sorientent pour nous ré-orienter.

Navigation nocturne

11Des mots, et de ce « rien qui est le tout » du mythe6 affleurent à notre conscience les fantasmes poétiques de la tradition occidentale, évoqués par les flots obscurs et périlleux sur lesquels naviguent les bateaux des innombrables réincarnations d’Ulysse : d’Homère à Dante, de Coleridge à Poe, de Conrad à Pound…

12Voilà pour une première impression. Mais, en allant plus avant dans la lecture de la carta da suono sur La navigatione notturna (1985, pour 4 pianos), nous nous rendons compte que la présence de l’ombre d’Ulysse, confirmée par l’association navigation-nuit-courage-peur (« la navigation, en revanche, est strictement liée à la nuit, comme le courage et la peur ») et par l’allusion à la Grèce antique (le mystérieux traité d’Astronomia oscura) ne sont que les prémisses d’un brusque rebondissement métaphorique.

13Les Ulysse modernes et contemporains, les navigateurs nocturnes, auxquels Sciarrino fait allusion, ne sont pas les Vieux Marins, les Achab ou les Mr. Bloom, mais les enfants (et avant tout, Sciarrino enfant) qui découvrent le piano : « cette nacelle obscure dont les touches rient dans le salon sombre ». L’opposition entre le registre grave et le registre aigu, équivalent à celui entre les abysses de la mer, la lumière des étoiles et les sensations de peur et de sécurité qui peuvent en résulter, sert à renforcer le lien symbolique entre le piano et la navigation nocturne.

14La navigation nocturne devient ainsi la représentation métaphorique de l’expérimentation créatrice entreprise sur le piano. Microcosme privé et macrocosme poétique, nostalgie du souvenir et affleurements mythologiques se fondent indissolublement : « l’univers que renferme le piano n’est pas destiné uniquement aux enfants ». Le titre et la carta da suono créent en même temps un cadre de résonance poétique autour de l’œuvre et invitent l’auditeur à adopter vis-à-vis de l’œuvre une attitude de questionnement : « L’art, en soi, consiste à se questionner et non pas à répondre » (Recitativo oscuro pour piano et orchestre, 1999).

Incertitude métaphysique et réalisme inquiétant

15Pour nous orienter dans la navigation nocturne sciarrinienne, nous pouvons utiliser des concepts comme Nord et Sud, ou comme Zénith et Nadir. Des concepts qui, par ailleurs, peuvent se déduire des carte da suono. On peut lire au bas de la page d’un court texte sur Soffio et forma (pour orchestre, 1995) :

« Aiguiser, donc, la perception de celui qui joue et de celui qui écoute. Parvenir à fondre son et silence, créer une incertitude métaphysique ».

16De même dans la présentation de Lohengrin (Action invisible, 1984) :

« Les impressions du Double, les apparitions dans le miroir, la folie, Protée, chiffre de nos peurs. Ce réalisme inquiétant, toutefois, ne s’apprend pas en imitant la nature, comme on nous l’enseigne à l’école. Le monde n’existe pas. La connaissance que nous en avons résulte de la façon dont nous le voyons : c’est un langage qui s’apprend sous l’arbre mortel des rêves et qui s’approfondit par l’étude des perceptions subtiles qui le nourrissent ».

17Il s’agit, dans chacun de ces cas, de la perception des phénomènes acoustiques et sonores. Toutefois, il existe une différence. L’« incertitude métaphysique » consiste en une transformation des phénomènes à partir de laquelle, parce qu’ils ne peuvent plus être identifiés, il devient possible de les échanger entre eux : « Au-delà de certaines limites les opposés se renversent et c’est précisément cette dimension statique qui produit des tensions, c’est notre cœur qui produit le rythme ». Ce qui est en jeu c’est l’identité des phénomènes en tant que tels, et leurs rapports d’opposition habituels. La métamorphose ne peut s’accomplir qu’à certaines conditions, lesquelles sont comparées par Sciarrino, dans All’aure in una lontananza (pour flûte en sol, 1977) aux lois de la transmutation alchimique.

18Le « réalisme inquiétant », en revanche, est la représentation de la réalité, des énigmes et des angoisses du réel, laquelle représentation ne se fonde pas sur des principes descriptifs, mais sur des « perceptions subtiles », sur des relations analogiques profondes, à la frontière entre conscient et inconscient, rêve et veille, folie et normalité. Ce qui est en jeu c’est la nature des phénomènes, leur appartenance à un « dedans » et à un « dehors », à un « ici » et à un « au-delà » de la conscience humaine, ainsi que, bien entendu, les relations d’opposition entre ces différents stades.

19 Ce n’est pas un hasard si le principe du « réalisme inquiétant » est affirmé pour la première fois dans la présentation de Lohengrin, où la voix d’Elsa n’a de cesse de se dédoubler et de se multiplier, en donnant naissance à toutes les figures de l’altérité.

Renversement paradoxal et conciliation des opposés

20Dans les carte da suono de Sciarrino, riches en allusions à la civilisation grecque et classique, il est évident que la façon dont le compositeur exprime par des mots les oppositions contenues dans sa musique ne se rattache pas à la tradition aristotélicienne, mais plutôt à la tradition présocratique et, surtout à ce substrat primitif, magique et tragique, où les oppositions explosent dans toute leur violence, ou bien se fondent en des unités mythiques pré-catégorielles ou mystico a-catégorielles.

21L’opposition n’est pas médiatisée par un devenir, par une quelconque dialectique, mais par une métamorphose instantanée, qui crée un renversement paradoxal :

« Le plein se renverse dans le vide, et le silence nous assourdit » (Perseo e Andromeda, « Opéra en un acte », 1990).

« Chaque chose, la même chose, nous la percevons comme minuscule et gigantesque dans l’instant où elle se produit. Les objets néfastes ont fait leur apparition, les objets néfastes nous envahissent, ils sont devenus le monde. Il n’y a plus de différence, il n’y a plus de temps, il n’y a plus un dedans et un dehors : le dedans est le dehors ». (Morte di Borromini, pour orchestre et lecteur, 1988).

22Il n’est pas étonnant que ces citations soient extraites de la présentation de deux drames de Sciarrino (un opéra en un acte et un mélodrame). Le renversement paradoxal n’est pas une simple figure rhétorique, mais un procédé gnoséologique et dramaturgique qui nous dé-soriente pour nous réorienter, en nous imposant un brusque changement de perspective. C’est la radicalisation d’une tendance constante à la conciliation des opposés, comme source perpétuelle d’illumination poétique. Une fois les tensions antagonistes apaisées et les dynamiques de médiation désactivées, ce qui apparaît clairement, en sa désarmante évidence, c’est la complémentarité des couples, le lien d’identité qui les apparente et les fond. Exemplaire, à ce propos, est le paragraphe conclusif de la carta da suono conçue pour Esplorazione del bianco (pour flûte, clarinette basse, guitare et violon, 1986) :

« Innombrables, donc, sont les gradations du blanc, parce qu’infinies sont les qualités de l’ombre. C’est comme si elles avaient gardées en mémoire le souvenir d’un éclair originel. Il n’y a plus de différence entre la lumière et l’obscurité : en fait, tout flot de lumière projette un cône d’ombre. L’exploration du blanc représente ainsi l’émergence de la cécité, une subtile variété aveuglante ».

23Ces conciliations chromatiques ont pour origine des conciliations entre des opposés qui, en apparence, sont encore plus antagonistes. On lit à la fin de l’alinéa précédent :

« Les opposés se concilieront en lui, tout comme la vie et la mort se concilient dans la pensée. A mesure que le son affleure, le silence affleure à l’intérieur et en nous ».

24C’est uniquement en nous plaçant dans cette perspective conciliante entre les couples son/silence qu’il nous est possible de saisir le sens profond de ce qui, autrement, risque d’être compris comme une simple étiquette stylistique :

« Le silence est certainement quelque chose d’essentiel au son, comme le jour est essentiel à la nuit. Le son est dans le silence, voilà ce qu’est le son » (Il silenzio degli oracoli, pour quintette d’instruments à vent, 1989).

25Le son est dans le silence, mais « puisque le silence n’est pas un phénomène sonore, il n’existe qu’à l’intérieur de notre esprit » (Recitativo oscuro). Le rapport de complémentarité entre son et silence est un rapport d’autant plus crucial qu’il réintroduit en musique l’ancien principe selon lequel le silence est le fondement mystique abyssal de toute révélation possible et de tout langage :

« Je suis le silence/inaccessible […]
Je suis la voix
qui donne naissance à de nombreux sons
et le Logos
qui a de nombreuses images »7.

26Dans cette perspective, particulièrement emblématique est le fait qu’une des représentations dramatiques les plus intenses et impressionnantes de la complémentarité son/silence, Infinito nero (Extase d’un acte, 1998) a été inspirée par les délires mystiques de sainte Maria Maddalena de’ Pazzi.

Images mentales et cosmogonie sonore

27Les carte da suono sont aussi et surtout les notes de régie de ce que Mallarmé définissait comme une « mise en scène intérieure », un principe équivalent à ce que Sciarrino, dans une note de programme sur L’Immaginazione a se stessa (pour chœur et orchestre, 1996) définit, à son tour, comme une « image mentale ». L’analogie entre ces deux principes est d’autant plus évidente qu’il s’agit d’un morceau musical où le compositeur entend recréer, en termes sonores, la substance poétique d’un poème (Il ramarro, se scocca, d’Eugenio Montale), « en traduisant en sons les perceptions sonores implicites dans les vers et en les dramatisant ». Ainsi se réalise une sorte de double translittération métaphorique : de la marine ligure, qui déborde d’images sonores, au poème de Montale, et de celui-ci à la composition de Sciarrino.

28On pourrait penser que, en réalité, la référence au poème de Montale n’est qu’un prétexte pour disposer d’un certain nombre d’images sonores, qu’il s’agit de recréer musicalement, en les passant au crible de la métamorphose stylistique. Mais il n’en est rien. Car les coordonnées spatio-temporelles du poème (dépassement fulgurant, tel un flash d’une image à l’autre, un zoom du microcosme terrestre vers le macrocosme marin, etc.) sont intégrées de différentes manières dans la ré-création musicale sciarinienne : « L’esprit se fait espace à l’image et celle-ci est porteuse de sens », lit-on à la fin de la carte da suono sur le Quintettino n. 2 (pour instruments à vent, 1984).

29L’imagination, conçue comme « mise en scène intérieure », comme « écran des images », est le premier stade de ce qui, à travers trois passages successifs (diagramme, partition, exécution) parviendra à une manifestation sonore concrète. Si nous pouvons lire le diagramme et la partition, si nous pouvons écouter l’exécution musicale, nous ne pouvons qu’imaginer la représentation mentale. Mais l’insistance avec laquelle, dans sa carta da suono, Sciarrino nous invite à accomplir cet effort (« N’entendez-vous pas, vous aussi, ce qui est visible dans le son ? » – à la fin du Codex purpureus pour trio à cordes, 1983), nous permet de comprendre à quel point ce stade de la création est essentiel.

30Cette étape, en effet, est d’autant plus décisive qu’elle marque précisément le moment où sont fixées les coordonnées spatio-temporelles de la composition, la volumétrie sonore, l’éclairage des images projetées sur la scène intérieure. Ce que Sciarrino tient avant tout à communiquer, avec ses carte da suono, c’est précisément cette représentation mentale, grâce à des métaphores qui entendent cueillir « les images de l’imaginer », l’essence poétique, qui fait de toute œuvre « une cosmogonie, une hypothèse différente de l’univers » (Lettura da lontano, pour contrebasse et orchestre, 1989), un « cahier d’univers déchirés », en tant qu’il « représente ses propres processus, traces sur traces » (Lo spazio inverso, pour ensemble, 1985). Nous pouvons imaginer l’espace mental comme une toile blanche, imprégnée de silence, sur laquelle sont projetées les images mentales, qui la zèbrent de luminescences sonores et lumineuses. C’est ce qu’écrit Sciarrino dans sa présentation du Codex purpureus :

« J’aurai écrit plusieurs fois sur le sillage lumineux, sur l’émanation laissée par des sons à travers l’espace grouillant, que certains appellent silence. Parfois c’est une trace plus profonde, un sillon. Puis, les choses, les objets formulés demeurent indéfiniment disséminés en de très faibles luminescences, telles des traces de la mémoire ».

31Il suffit d’un effort d’imagination et la scène intérieure se transforme en une scène tout court, l’espace mental en un espace théâtral, en un jeu d’échos et de miroirs, entre dedans et dehors, extérieur et intérieur. Le travail de dénuement et de transformation des textes originaux en livret, qui précède (et qui accompagne) la composition des œuvres théâtrales sciarinienne, est guidé par les images d’une synthèse dramatique entre sons et paroles : une représentation mentale qui, une fois extrovertie, devient représentation théâtrale. Le théâtre musical de Sciarrino n’est pas la dramatisation d’une mise en scène, mais l’extériorisation d’une représentation mentale.

Miroir et absence

32Les échos et les miroirs ont en commun la faculté de réfléchir l’image sans la retenir : « L’écho de celui qui se sent miroir et absence, renvoie l’artiste moderne à son destin : Écho réfléchit et ne retient pas, comme l’œil qui ne peut se voir ». Cette citation, extraite de la carta da suono de Lohengrin, se réfère à Laforgue et à la modernité de son traitement des mythes dans les Moralités légendaires. Bien entendu, à travers Laforgue, Sciarrino parle encore et toujours de lui-même. Il convient de préciser qu’ici la notion de miroir renvoie à l’idée selon laquelle la création musicale est la formalisation d’événements, de phénomènes enregistrés et élaborés par la mémoire, que le compositeur définit, précisément, comme échos mentaux (chez Isidore de Séville le mot « écho » signifie également « icône », « image ») :

« Chaque événement laisse une traînée mentale qui crée une impression d’écoulement […]. Si la forme est conçue comme un pur parcours de mémoire, les processus formels représentent les processus même de la mémoire. La formation des échos mentaux, voilà ce que recueillent mes pages musicales » (Allegoria della notte, pour violon et orchestre, 1985).

33En tant qu’image sonore des échos mentaux, la musique de Sciarrino renvoie à l’absence et à l’ordre du présent ; elle est donc ambiguë et liminaire. « Avec moi, la musique habite une région liminaire. Comme dans les rêves, où une chose est et, dans le même temps, n’est pas encore, tout en étant aussi autre chose » (Hermes, pour flûte, 1984). L’artiste moderne, comme « miroir et absence », est une allusion à peine voilée au mythe de Narcisse, où l’ambiguïté de l’image (« corpus putat esse quod unda est »8) est à l’origine d’une série de dédoublements symboliques, qui bouleversent non seulement l’essence poétique de l’art, mais aussi l’identité de l’artiste. Pour donner voix aux sons qui l’entourent et qui l’habitent, l’artiste doit se soustraire à lui-même.

34A la fin d’un texte sur un morceau au titre particulièrement significatif, Autoritratto nella notte (pour orchestre, 1982), Sciarrino décrit les modalités de cette soustraction :

« Voici comment je me percevais à une certaine époque de ma vie : une image offusquée par une longue maladie, comme si j’étais encore dans un cône d’obscurité. J’écrivis une œuvre, l’énième, où ce fut précisément l’absence qui se manifesta comme vive, et puisque mon image m’avait été soustraite, l’espace qui lui était destiné resta vide. Une présence imparfaite du moi ».

35De l’« imparfaite présence du moi » à la contemplation de l’absence définitive de la mort, le pas est vite franchi : « C’est seulement de notre vivant […] que nous pouvons contempler la mort », remarque-t-il. Dans la présentation de Morte tamburo (pour flûte, 2000), ainsi que dans d’autres passages de ses carte da suono, Sciarrino revient sur le thème de la mort, comme pensée fondamentale, pour donner une signification à la vie et à la création artistique et musicale. Un thème éminemment leopardien. Ainsi, dans la présentation de Waiting for the Wind (pour voix et gamelan, 1998), le compositeur déclare :

« La musique à laquelle j’aspire est une musique extrême, une musique capable de remettre en cause les arguments que, dans la quiétude de notre existence, nous voudrions éluder, en particulier le rapport de l’individu à la mort. Cela ne peut que conférer au langage une plus grande portée suggestive, en tant qu’il touche à l’intime de chacun de nous ». 

36Comparons ce passage avec cette citation célèbre du Zibaldone de Leopardi :

« Les œuvres de génie ont cela de particulier que, même lorsqu’elles représentent de façon vivante la nullité des choses […], elles servent toujours de consolation, ravivent l’enthousiasme et, en ne traitant et en ne représentant rien d’autre que la mort, elles rendent à cette nullité, tout du moins, momentanément, la vie qu’elle avait perdue » (pensée enregistrée entre le 3 et le 4 octobre 1820].

37J’ai sciemment omis de citer les phrases où, chez Leopardi, la « nullité des choses » assume une connotation affective, sentimentale, en se transformant en un véritable « mal de vivre ». La poétique sciarinienne ne partage avec la poétique leopardienne que son aspect « énergétique » : la poièsis comme régénération vivifiante de la « nullité des choses » et de la mort. Chez Sciarrino, le « moi », « imparfaitement présent », disparaît ou devient opaque, afin que la vitre se transforme en une surface réfléchissante : en devenant, précisément, « miroir et absence ».

Souffle et vide

38Si, dans la vaste production de Sciarrino, il fallait choisir une œuvre qui exprime, d’une manière exemplaire, les fondements de sa poétique, je crois que Vanitas pourrait sans nul doute servir de manifeste poétique : Vanitas qui, comme le mot lui-même l’indique, gravite « autour du concept de vide et de sa représentation, et du concept de temps : il s’agit donc d’une réflexion sur l’éphémère, une célébration de l’absence ».

39En attribuant au mot Vanitas la signification de « vide » ( = vacuum), le compositeur amplifie considérablement la résonance du terme, qui ne suggère plus seulement les vanités baroques, évoquées par ailleurs dans certains textes poétiques, mais aussi et surtout l’archétype de toutes les vanités de la civilisation judéo-chrétienne : « Un immense vide, dit Quohelet, un immense vide, tout est vide ! ». « Vide » c’est par ce mot qu’est souvent traduit le mot hébreu hebel ; il s’agit-là d’un compromis raisonnable entre le trop grande abstraction du mot « rien », le trop moraliste « vanitas » de la Vulgate et les termes bien trop concrets de « fumée », « vent », « souffle », etc. Mais ce sont précisément ces dernières significations qui semblent les plus fidèles au terme hébreu, dont la sonorité évoque en elle-même le bruit d’un souffle, d’un soupir.

40Le mot « Vide » constitue donc une sorte de reflet symbolique du mot « souffle ». Lorsque, dans sa présentation de Vanitas, Sciarrino explique qu’il entend représenter le vide, en recourant non tant à la raréfaction de la musique qu’à un réfléchissement sonore, au moyen d’une « résonance de fond », afin d’exprimer « un vide qui résonne à l’infini », il se situe dans une position poétique analogue : le vide est l’écho (« ombra sonante ») des souffles, des respirations sonores. Et c’est précisément à travers le « vidage » retentissant de l’image sonore qu’il entend exprimer le sens de « nature morte », de vanitas.

41Le vide, qui dans la civilisation occidentale est un concept statique et négatif, se transforme en un concept dynamique et positif, en un « vidage » précisément, intégrant ainsi tous les sous-entendus liés à l’usure du temps, à la nature éphémère des objets (d’autant plus s’ils sont sonores) : en somme, au concept baroque de vanitas. De non-lieu, ou de lieu de l’absence absolue, le vide se transforme en un lieu de résonances poignantes et corrosives. « Un vide ourlé, tel un vêtement chinois », précise Sciarrino à la fin d’un paragraphe de sa carta da suono sur Vanitas (version de 1981). Il est probable que quelques grains de sagesse orientale soient tombés dans les interstices de ce vide retentissant.

Approche anthropologique et écoute écologique

42Après avoir sondé quelque peu les profondeurs des carte da suono et de la poétique sciarrinienne, nous pouvons revenir à la surface des titres de ses œuvres, afin de mesurer la portée de cette maxime, selon laquelle « la profondeur se cache en surface »9. Des images précieuses et énigmatiques dessinent le seuil poétique que nous sommes invités à dépasser pour accéder à la composition de Sciarrino, dont les titres représentent une sorte de topographie fantastique : maisons du vent, mirages, villes d’eau, horizons ouverts ou murés, recueil de nuages (Nuvolario), etc. Quiconque est un tant soit peu familier avec le catalogue de ses œuvres s’orientera en elles comme s’il était en train de consulter la carte du Pays des Merveilles.

43Au-delà des rapports métaphoriques qui se nouent à chaque fois avec ses images (mentales et sonores), l’intention implicite de Sciarrino est de connoter ses œuvres musicales de telle sorte qu’elles puissent être accueillies comme « monde », comme « univers ».

« Il ne s’agit pas de choisir des sons plus ou moins appropriés, d’embellir la maison, mais de construire des univers nouveaux avec des sons nouveaux »10.

« Cette fois, j’aimerais vous montrer de près la richesse de mon univers : n’ayant pas d’inquiétude, il n’est pas petit. Ni grand. Car “perspective” signifie mettre en rapport grand et petit » (Lettura da lontano, pour contrebasse et orchestre, 1990).

44Il s’agit-là d’une intention qui naît du désir de construire et d’offrir un monde poétique alternatif à celui qui est fondé sur la scission entre art et nature. L’art musical de Sciarrino est une réponse créatrice et poétique à une des interrogations les plus inquiétantes du monde moderne et contemporain : comment affirmer un concept naturaliste, visionnaire et progressiste de l’art (selon la formule nonienne bien connue : La lontananza nostalgica utopica futura), dans un monde désormais esclave d’une technologie toujours plus agressive ? Voilà quelle est sa réponse : humaniser la technologie, en la pliant à des fins authentiquement créatives, sans se laisser fasciner par l’automation et la passivité qui peut en résulter :

« En réalité, il n’y a rien que les instruments électroniques ne puissent faire désormais : toutefois, plus que s’adapter à de nouveaux instruments, il est nécessaire surtout de les imaginer et de programmer, c’est-à-dire de projeter. Seule une nouvelle pensée peut utiliser pleinement de nouveaux instruments. Une pensée esthétique, non un hybride scientifique, et d’autant moins commercial ».

45Ces propos sont extraits de la présentation de Perseo e Andromeda, opéra en un acte où l’électronique est « naturalisée » avec la transformation du son blanc sur une mer agitée et sous une voix qui hurle. Mais le même discours vaut également pour les instruments traditionnels : en fait, surtout pour les instruments traditionnels, qui doivent être revitalisés afin d’éviter la reproduction de langages stéréotypés :

« […] Prendre les instruments qui existent tels qu’ils sont, mais en les revivifiant et, par conséquent, inventer des sons, des techniques nouvelles que la tradition établie empêchait de choisir.

La réalité de l’artiste est ainsi représentée différemment, comme avec les yeux d’un enfant (ou les yeux d’un “sauvage”). Telle une capacité de pénétration, et, dans le même temps, un détachement qui lui rend étrangers les objets les plus familiers, déjà légués au rêve qui les transforme ».

46Dans Riflessioni sulla IIIe Sonata per pianoforte (1900), dont la citation ci-dessus est extraite, Sciarrino définit comme « approche anthropologique » cette attitude créatrice vis-à-vis des instruments et du langage musical, et comme « écoute écologique » (dans la présentation du Responsorio delle tenebre, pour chœur, 2001) son pendant vis-à-vis de la nature, et donc la faculté de transformation des sons naturels en un langage musical à travers une écoute « perspective » :

« En écoutant la réalité avec une oreille d’insecte et une oreille de géant, je tente de la restituer dans une musique de vent et de pierre. Ce sont là des expériences d’écoute qui, plus que toutes autres, pourraient être définies comme écologiques ».

47Naturalisation de la technique et humanisation de la nature sont des processus parallèles et convergents. Au milieu se trouve l’homme, le langage et la poésie.

Mémoire et défi

48Au début d’un écrit sur l’art pictural d’Alvaro Sarteanesi, peintre actif à Città di Castello, Sciarrino affirme à propos de l’approche humaine de la réalité en général et de l’art en particulier :

« Nous ne pourrons rien comprendre, et en particulier à l’art, sans la capacité d’approcher ce qui est lointain, et de nous détacher de nous-même : de lier les opposés, de voir transparaître l’ancien dans le moderne. Ainsi, le bourgeon sur un tronc considéré comme sec nous surprend ».

49« Voir transparaître l’ancien dans le moderne » constitue la transposition sur l’axe du temps et de l’histoire des principes perspectifs et des processus métamorphiques, qui ont été examinés jusqu’ici, surtout en un sens utopique et spatial. Quand le passé et le présent entrent dans le champ de la vision poétique, dans le jeu des réfléchissements et des résonances, les distances chronologiques s’annulent : l’avenir jaillit de cette abolition, de cette synergie. « Le passé réfléchi dans le présent engendre l’utopie créatrice », écrit Sciarrino, en commentant le célèbre titre nonien : La lontananza nostalgica utopica futura, avant de conclure sa « traduction schématique » de la métaphore esthétique par ces mots : « Le désir du connu se fait véhicule du possible à travers l’éloignement ».

50Cette dernière phrase exprime la dynamique de la nostalgie, dénuée toutefois de son aspect douloureux. Cela résulte du fait que la mémoire de l’artiste créatif est une mémoire « détachée », issue du dédoublement et du réfléchissement (« specchio e assenza »). Ce qui vaut pour la mémoire personnelle vaut aussi pour la mémoire du passé, qui n’est pas nostalgique ou régressive mais, au contraire, réflexive et propulsive : « reflet sur le présent » projeté dans l’avenir. La fonction spécifique de la mémoire créatrice doit faire émerger de l’oubli le passé oublié, régénéré par la vision présente, pour la confier à l’avenir :

« Il arrive souvent que les yeux d’aujourd’hui reconnaissent dans le passé uniquement les principes avec lesquels ils entretiennent le plus d’affinités et qu’ils ignorent totalement les autres aspects et disons aussi la signification d’ensemble. Ce qui, pour le poète, est mémoire, pour les mortels est oubli : les muses et les sirènes sont sœurs […] ».

51Faire jaillir l’avenir du passé, à travers le rapprochement de ce qui est lointain et par l’appropriation d’une altérité, constitue un processus que le compositeur compare, dans la présentation de All’aure in una lontanaza (pour flûte, 1977), à la transmutation alchimique ou, en d’autres termes, à une métamorphose qui est la « métaphore du chemin vers l’humaine sagesse ». A la lumière de cette mémoire perspective et métaphorique, on peut comprendre comment Sciarrino se démarque tant des positions avant-gardistes favorables à une tabula rasa du passé, visant à promouvoir une vision palingénésique du futur, que des positions rétrospectives du postmodernisme contemporain.

52Bien entendu, en englobant l’altérité et le passé dans une vision présente, la métamorphose annule les tensions dialectiques et les oppositions. Mais cela jusqu’à un certain point. Pour souligner l’importance du principe selon lequel la comparaison avec le passé doit être authentiquement ré-créative et re-génératrice, Sciarrino recourt à l’image agonistique du « défi » :

« J’ai obstinément tenté de me confronter avec les grands du passé. Mais c’est un défi de nature éthique, non esthétique. Comprenez-moi bien : quoique j’aie une certaine familiarité avec eux, en fait, ma musique en est très éloignée. Le défi qui nous est lancé par les classiques est le dépassement de nos propres limites. En fait, il s’agit de les dépasser largement ; c’est précisément quand nous avons donné le meilleur de nous-même, que nous avons encore à nous dépasser inexorablement »11.

Conscience musicologique et courage de l’imagination attentive

53Le principe de La lontananza nostalgica utopica futura est à la base de la poièsis sciarrinienne, dans toutes ses manifestations, tant spéculatives que créatives, tant sur le plan des compositions originales que sur celui des élaborations des œuvres du passé. Dans le cas des compositions originales, le lien avec le passé est de type archétypique (thème que Sciarrino a développé avec une profusion d’exemples musicaux, iconographiques et littéraires, dans Le Figure della musica di Beethoven a oggi12). Dans le cas du « patrimoine traditionnel » du passé, le lien est stylistique : une confrontation, un échange, une interférence entre divers styles (comme appropriation « désappropriante », comme « filtre de l’essentiel à travers une forte limitation de comportement ») du passé et style (personnel) du présent, pour créer « un troisième temps, la perspective imaginaire », comme le précise Sciarrino dans la présentation de Cadenzario (pour orchestre, 1991), anthologie de cadences mozartiennes interrompues par de brusques coupures :

« […] C’est une composition nouvelle, mais c’est aussi une réutilisation inhabituelle du patrimoine traditionnel. La forme adoptée revêt à la fois une fonction esthétique et une certaine intention didactique, où se mêlent temps musical et temps historicisé. Ainsi, nous percevons un troisième temps, autrement dit, la perspective imaginaire qui jaillit de l’interférence continue des deux premières perspectives ».

54Vers la fin de la carta da suono consacrée à Esercizi di tre stili (élaboration de musiques de Domenico Scarlatti pour quatuors à cordes), Sciarrino s’exclame : » Quels fruits produirait la conscience musicologique si elle avait le courage de s’ancrer dans l’imaginer ? ». Pour Sciarrino, l’imagination n’a pas uniquement une fonction artistique, comme si elle servait à secréter des « images mentales » et un « troisième temps », mais elle joue également un rôle heuristique et gnoséologique, tel un anneau qui relie la perception, l’abstraction et les visions, entre création et herméneutique, dans la lignée d’une tradition qui remonte pour le moins à la moitié du XVIIIe siècle (l’article Imagination de Voltaire pour l’Encyclopédie date de 1765), à l’époque où la signification du terme n’avait pas encore empiété sur les régions du rêve, du fantastique, de l’irrationnel et de l’inconscient. Car l’imagination sciarinienne est aussi et surtout attention, au sens où l’entend Cristina Campo dans un texte fulgurant sur l’attention poétique en littérature :

« La poésie est aussi attention, autrement dit, lecture des multiples plans de la réalité qui nous entoure et qui constituent les diverses figures de la vérité. Le poète, qui dissout et recompose ces figures, est lui aussi médiateur : entre l’homme et Dieu, entre un homme et un autre, entre l’homme et les règles secrètes de la nature »13.

55La conscience musicologique qui a le courage de s’ancrer dans l’imagination « attentive » produit ses fruits, non seulement dans le jardin de la composition musicale, mais aussi dans celui de l’analyse et de l’interprétation critique. Par exemple, dans les articles sur Mozart14, où Sciarrino démystifie le mythe de l’instantanéité de la créativité mozartienne, en montrant comment la perfection artistique, y compris dans le cas d’une des natures les plus géniales de tous les temps, est atteinte à travers une projectualité faite de calculs et de choix, et que le génie se conquiert « au prix de sacrifices difficilement compréhensibles aux yeux du commun des mortels ». En d’autres termes, malgré l’impression de spontanéité et d’immédiateté de la musique de Mozart, le principe du défi et du dépassement, d’un « effort constant, d’un dépassement incessant de ses propres limites, des limites d’un talent infini », s’applique également à l’un des plus grands génies de tous les temps.

56La totale indépendance de Sciarrino, aussi bien vis-à-vis du post-webernisme que des succédanés de ce que l’on a appelé le néoclassicisme stravinskien, lui permettent de s’attacher à certains aspects fondamentaux de la personnalité créative de Webern et de Stravinsky. Dans le cas de Webern15, son interprétation, polémique eu égard au structuralisme, qui a privilégié « l’acte préparatoire plutôt que la signification accomplie de l’acte compositionnel », restitue le langage webernien à sa réalité sonore et à ses « tensions relationnelles », qui « respectent toujours la fonction physiologique de la phrase bien que sous des perspectives différentes : tout cela jaillit de l’écoute et, de la clarté de l’énoncé, émerge la volonté de la série d’être reconnue dans chacune de ses manipulations ».

57Dans le cas de Stravinsky16 aussi, dont Sciarrino identifie d’emblée le trait saillant de sa musique (« En lui chaque son est geste »), le compositeur barre la route à toutes les équivoques qui ont pesé sur sa réception. Ainsi, par exemple, à propos de son supposé « transformisme », Sciarrino dira :

« Stravinsky est considéré unanimement comme le plus important des transformistes, alors que son style possède une homogénéité extraordinaire, malgré la multiplicité des apparences. S’il s’agit de Protée, il n’abuse par pour autant de ses pouvoirs, tout au plus s’amuse-t-il devant le rayon des cosmétiques, face à un miroir ».

58A l’interprétation ludique et séduisante du néoclassicisme, Sciarrino oppose une interprétation onirique et inquiétante, borgesienne :

« Personnellement, la période néoclassique de Stravinsky n’est pas, d’instinct, celle que je préfère ; du reste, contrairement à une opinion très répandue, cette musique ne fut pas écrite par plaisir. Elle a inventé et proposé aux consciences la terrible évocation des doubles. Elle a créé quelques-unes des plus merveilleuses ou monstrueuses choses que l’esprit humain puisse concevoir. Des fantômes remontent de cette mer fantastique, les aberrations générales d’un onirisme intransigeant, un défi aux limites du bon sens ».

59Dans sa réflexion critique aussi, Sciarrino est réfractaire aux influences de la mode, auxquelles s’oppose énergiquement sa conception poétique et éthique de la création musicale et artistique : tout comme la photographie argentique, qui nécessite le passage par l’étape du négatif, pour pouvoir être développée, le jugement critique doit d’abord se débarrasser des préjugés afin de pouvoir saisir la moindre étincelle de vérité cachée et enfouie sous la gangue des lieux communs. L’imagination attentive et le courage qu’elle nécessite constituent l’instrument heuristique et créatif qui permet le dépassement des apparences trompeuses.

L’éthique, le nostos et le démon méridien

60Une navigation nocturne guidée par l’observation de ces couples d’étoiles fixes, qui brillent dans la constellation poétique de Sciarrino ne peut que se conclure sur un nostos diurne, ou plutôt sur un nostos méridien et périlleux, selon la plus illustre des traditions :

« Habituellement, les apparitions affectionnent les ténèbres extrêmes. Plus féroce est le démon méridien. Sans la moindre mise en scène effrayante, il se manifeste en nous, en émergeant de la lumière. Personne ne l’a jamais vu, mais il nous aide à voir autrement. Son nom est Acedia. Plus familier que quiconque, il conduit insidieusement la raison à nous montrer que la réalité elle-même est un fantasme.

La contemplation prolongée l’attire, mais il peut tout aussi bien se laisser capturer en un clin d’œil. Il suffit d’un tapotement sur la table, il suffit de compter les carreaux du carrelage pour le chasser.

L’hallucination de la clarté était ennemie de l’ascète, durant cet infime instant de bouleversement du sens, auquel correspondait, sur le plan moral, l’indifférence ou l’ambiguïté. C’est cette ambiguïté même, pourtant, que nous exigeons de l’œuvre d’art, car c’est elle qui donne quelque profondeur à sa signification et à sa durée, c’est elle qui nous sauve des définitions univoques.

Quoi qu’il en soit, nous devrions être reconnaissants envers le démon, qui nous offre ce qu’il y a de plus magique dans la vision picturale, ses accents les plus surréels et étrangers. En apportant avec lui les mirages du désert, la pureté des horizons, en l’espace de milliers d’années, il a laissé son empreinte dans la poésie : Leopardi, Hölderlin ou Rilke ».

61C’est ainsi que débute le texte écrit par Sciarrino à l’occasion d’une autre exposition du peintre Alvaro Sarteanesi. Un texte qui se conclut, de façon significative, par la reprise finale du thème du voyage comme « symbole existentiel » et comme « métaphore du langage artistique » auquel fait déjà allusion l’haïku17 de Basho que le compositeur a placé en exergue.

62Le principe du « défi », au sens agonistique du terme, constitue l’une des nombreuses affirmations explicites de la conception éthique de l’art qui sous-tend la poièsis et la réflexion de Sciarrino sur la création artistique et musicale. Certains textes, conçus expressément dans une finalité didactique ou sociale (Origini delle idee sottili, Senza une nuova culture la societa muore, 1991, Lettere agli allievi, 1995-96), s’attardent plus particulièrement sur ses principes. Mais, la fréquence avec laquelle Sciarrino revient sur ces thèmes dans ses cartes da suono, nous indique l’importance que revêt à ses yeux l’éthique, conçue plus comme une dimension spécifique que comme une composante poétique parmi d’autres.

63Mais, pour comprendre cela, il faut revenir aux origines premières de la navigation nocturne, à ce fond de sagesse présocratique qui constitue, pour ainsi dire, la sève de la poièsis sciarinienne. Un fragment attribué à Héraclite dit : « Ethos anthropôn daimôn », ce qui peut se traduire littéralement par « l’éthos est pour les hommes le démon », en tenant compte, toutefois, (comme nous le rappelle Giorgio Agamben dans Le langage et la mort18) que le mot éthos ne signifie pas uniquement « caractère », « tempérament », mais a également le sens de « demeure habituelle », de même que le mot daimôn ne signifie pas uniquement « génie » ou « démon », mais ce qui « divise », « sépare » (comme du reste son équivalent « dia-bolus »).

64A la lumière de cette racine étymologique, le mot « éthique » assume une signification plus vaste, qui lui permet d’échapper au cadre moral dans lequel le confine l’utilisation habituelle. Selon cette acception topique, l’éthos constitue la demeure habituelle de l’art de Sciarrino, tout comme la recherche de l’autre de soi, de ce « daimôn », qui « loge » en l’artiste créateur est fondamentale pour réaliser une œuvre qui exprime le « courage de la créativité », la recherche de valeurs « absolues », en tant que « séparées » (ab-solus) de leur propre égoïsme.

65Sciarrino revient souvent sur cette exigence de conquérir une altérité avant tout vis-à-vis de soi-même : « Chercher à se dédoubler. Telle est la seule forme de contrôle. L’exercice qui consiste à se poser comme en dehors de soi face à sa propre œuvre » ; « mourir à soi-même », « rencontrer notre esprit en dehors de notre esprit », voici quelques-unes des expressions utilisées dans ce sens par Sciarrino. Cette rencontre avec l’autre de soi, qui est en chacun de nous, est d’autant plus importante que la recherche de l’altérité et de la créativité n’a pas uniquement une valeur esthétique, mais précisément éthique :

« Dans le champ spécifique de la culture prévalent l’intolérance et la peur du nouveau. Ce sont-là des attitudes qui correspondant point par point à l’intolérance et à la peur de l’autre […]. Pour redonner une signification à la culture, deux choses sont nécessaires : l’espace du nouveau et la volonté de se rencontre »19.

66Cette alliance de soi et de l’autre de soi, ce retour à la « demeure habituelle », après une navigation nocturne et solitaire, orientée vers la recherche de l’absolu est le sens du nostos sciarrinien qui, pour utiliser une expression chère à Novalis est aussi « désir d’être chez soi en chaque lieu ». Ce désir transparaît dans un texte autobiographique (Annali del mio tavolo, 1985) qui, de façon significative, commence par une métaphore maritime (« depuis des années, les compositions de Sciarrino naviguent vers le large, confrontées à cette alternance de succès et de difficultés, qui rend impassible devant son propre sort ») et se conclut par une énumération des différentes tables de travail qui se succèdent peu à peu, au cours du temps et des pérégrinations du compositeur, comme on peut le voir également dans les photographies de Sciarrino qui accompagnent son texte. Des photographies certainement prises par un démon méridien, qui dans un puissant contraste de lumière aveuglante et d’ombres profondes fait exploser les contours des objets et les limites de la réalité, en transformant la demeure actuelle de Città di Castello en un lieu magique et « absolu » : en la demeure habituelle de la créativité visionnaire.

img-1.jpg

Photographie (original en couleur) Salvatore Sciarrino

Fadensonnen
über der grauschwarzen Ödnis.
Ein baum-
hoher Gedanke
greift sich den Lichtton : es sind
noch Lieder zu singen jenseits
der Menschen.

Soleils-Filaments
au-dessus du désert gris-noir.
Une pensée haute comme
un arbre
accroche le son de lumière : il y a
encore des chants à chanter au-delà
des hommes.
Paul Celan
Atemwende
« Renverse du souffle »

67Choix de poèmes
Éditions Gallimard, 1998.

Notes   

1  Salvatore Sciarrino, Carte da suono scritti 1981-2001, CIDIM-Novecento, 2001, préface de Gianfranco Vinay. Toutes les citations non référencées sont issues de ce livre et sont traduites par Marilène Raiola (note de la rédaction).

2  Titre rêvé au cours d’une nuit, entre le 13 et le 14 novembre 1981, en référence à la crue matérialité des objets inanimés. [note de Sciarrino]

3  En français dans le texte (n.d.t.).

4  Philippe Jacottet, Paysages avec figures absentes, Paris, Gallimard, 1998, p. 17.

5  Cf. Salvatore Sciarrino, Carte da suono scritti, op. cit.

6  Selon l’expression de Pessoa.

7  Codex de Nag Hammadi-VI 14,10.

8  Ovide, Métamorphoses, liv. 417.

9  Maxime par ailleurs citée au début d’un des paragraphes de L’origine delle idée sottili, essai tiré d’un cours donné à Città di Castello en 1982.

10  Introduction aux œuvres pour flûte, 1980-1990.

11  Introduction aux œuvres pour flûte, 1980-1990.

12  Ricordi, Milan, 1998.

13  Cristina Campo,Gli Imperdonabili, Milan, Adelphi, 1987, p. 165-170.

14  Salvatore Sciarrino, « Mozart svelato ? Una possibile ricostruzione della sua prassi compositiva », in Rivista italiana di Musicologia vol. XXVII, 1992, p. 205-224 ; « K.491. L’imperfetta nascita della forma classica », in Studi musicali vol. XXXVI, n°1, 1997, pp. 263-269.

15  Salvatore Sciarrino, « Webern », in Programme de la Biennale de Venise, 1983, p. 94.

16  Salvatore Sciarrino, « Le cosmesi di Glauco », in Francesco Degrada, Anna Maria Morazzoni (éd.), Stravinskij oggi, actes du colloque international (Milan, 28-30 mai 1982), Unicopli, 1982, pp. 268-273.

17   « Sur cette route

18  Giorgio Agamben, op. cit.

19  in Senza una nuova cultura la società muore.

Citation   

Gianfranco Vinay, «L’invisible impossible : voyage à travers les images poétiques de Salvatore Sciarrino», Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Traces d’invisible, Numéros de la revue, mis à  jour le : 30/01/2012, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=107.

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Quelques mots à propos de :  Gianfranco Vinay

Déjà professeur d’histoire de la musique au conservatoire Giuseppe Verdi de Turin, Gianfranco Vinay est maintenant maître de conférence en musicologie à l’Université de Paris VIII. A partir de 1978, il a collaboré aux éditions de la Société Italienne de Musicologie et à l’Histoire de la Musique éditée par les soins de la susdite Société, publiant un livre sur la musique soviétique et américaine au cours du XXe siècle (Il Novecento nell’Europa Orientale e negli Stati Uniti, Turin, EDT, 1978, deuxième édit., 1991). En 1987, il a publié la monographie Stravinsky Neoclassico. L’Invenzione della memoria nel ‘900 musicale, Venise, Marsilio ; et en1992, il a édité deux études collectives sur Gershwin, Turin, EDT, et sur Stravinsky,Bologne, Il Mulino. Depuis 1994, Gianfranco Vinay vit et travaille à Paris où il a fait partie du conseil scientifique de l’unité mixte « Recherche musicale » du CNRS et a collaboré en tant qu’enseignant à la formation doctorale « Musique et Musicologie du XXe Siècle » Ircam/CNRS. En 2001, il a publié Charles Ives et l’utopie sonore américaine, Paris, Michel de Maule. Il a également préfacé l’édition italienne des écrits de Salvatore Sciarrino.
Marilène Raiola