Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société.

Filigrane se consacre à la musique considérée comme un champ de forces où s’élabore le sens, une activité métaphorique où l’homme emploie ses facultés à construire tant le monde que lui-même. Les sciences humaines y croisent donc naturellement la singularité de l’art. Filigrane souhaite aborder sans esquive les thèmes difficiles et épineux (politiques, sociaux, spirituels et intellectuels...) que rencontre la musique et, de ce fait, associe à ses réflexions des chercheurs de toutes disciplines aussi bien que des artistes.

Éditorial : Musique et design sonore dans les productions audiovisuelles contemporaines 

Index   

1À la mémoire de Danijela Kulezic-Wilson

2Depuis l’adoption généralisée des technologies numériques, on est frappés de remarquer que les frontières sonores entre la parole, les bruitages et l’accompagnement musical se font de plus en plus poreuses, sous l’influence conjuguée de plusieurs facteurs que la cinémusicologue Danijela Kulezic-Wilson résumait ainsi : « un désir croissant de subvertir les fonctions traditionnelles de l’accompagnement musical, l’impact des technologies numériques, le passage au premier plan de la sensualité audiovisuelle, et l’assimilation de pratiques musicales diverses allant de l’avant-garde au hip hop et aux musiques dansantes électroniques »1.

3Issue partiellement d’un colloque international et interdisciplinaire organisé à l’Université d’Évry en décembre 2019, la conception d’un numéro thématique de revue scientifique consacré à ces questions s’est imposée comme fondamentale pour tenter de sérier les problématiques et les enjeux qui découlent de ce décloisonnement sonore, et d’appréhender les relations renouvelées entre dialogue, bruits et musiques, ainsi que le rôle du silence. Les rapports renouvelés entre musique et effets sonores à l’ère numérique restent en effet encore un point aveugle de la recherche cinémusicologique en langue française2, bien qu’il faille bien sûr saluer les jalons posés par Michel Chion et Laurent Jullier dans leurs ouvrages généralistes sur le son, poursuivis et développés notamment par les chercheurs du groupe ELMEC (Étude des langages musico-sonores à l’écran) en France, et ceux du laboratoire montréalais « La création sonore » au Québec. Par ailleurs, dans le numéro collectif de la Revue musicale OICRM paru en novembre 20183, si l’angle d’approche tentait de définir l’esthétique Remote Control, l’articulation entre bruitages, effets sonores, dialogue et musique a été un point nodal des différentes contributions.

4Ce numéro thématique – le premier à aborder spécifiquement le sujet dans la cinémusicologie française – est ainsi l’occasion d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice, sans parti pris quant aux genres ni aux artistes abordés (cinéma d’auteur, indépendant, mainstream), comme en témoignent la diversité et la richesse des articles rassemblés, tant à ce qui a trait aux médiums étudiés eux-mêmes (cinéma de fiction et d’animation, jeux vidéo, séries télévisées, bandes-annonces) et aux sphères géographiques auxquelles ils appartiennent (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, France, Danemark, Japon), qu’à l’angle théorique, historique, analytique et/ou esthétique déployé par les auteurs dans des approches aussi bien monographiques que panoramiques. Nous avons également souhaité donner à ce numéro une assise transdisciplinaire et internationale en accueillant aussi bien des musicologues et des chercheurs en études cinématographiques que des compositrices et compositeurs ainsi que des praticiens de l’audiovisuel – dont plusieurs, issus de différents pays, sont venus enrichir le numéro et entrer en résonance avec les articles issus du colloque évryen initial.

5Enfin, à travers le faisceau déployé par les différentes contributions, il s’agit aussi de mettre en avant de nouvelles propositions méthodologiques pour aborder la porosité accrue entre musique et sound design dans le cinéma contemporain, afin de ne plus séparer, dans l’analyse, la musique d’un côté et les bruitages de l’autre, mais bien de les envisager de manière interdépendante en prenant en considération l’entremêlement de plus en plus poussé entre le silence, la parole, les bruits, les effets sonores et la musique comme un tout intégré.

6Nous souhaitons, par ce numéro, rendre hommage à la chercheuse Danijela Kulezic-Wilson, disparue le 15 avril 2021. Pionnière dans l’analyse décloisonnée des interactions entre musique, voix, sound design et image et de la musicalité du cinéma contemporain, Kulezic-Wilson a publié – outre de nombreux articles très stimulants attestant d’une finesse d’analyse remarquable et d’une érudition impressionnante – deux monographies devenues des contributions majeures et incontournables de la cinémusicologie, The Musicality of Narrative Film (2015) et Sound Design is the New Score: Theory, Aesthetics, and Erotics of the Integrated Soundtrack (2020), et codirigé avec Liz Greene un ouvrage collectif de référence, The Palgrave Handbook of Sound Design and Music in Screen Media (2016)4. Pleinement inscrit dans le sillage inspirant de ses travaux et de son approche novatrice, ce numéro thématique lui est dédié.

Notes   

Citation   

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Grégoire Tosser