Disparues


Numéro 4 - Technologies de l'information et modes de vie

Gilles Pronovost

Editorial -1994


Résumé
ImprimerImprimer

  Résumé

Ce numéro portant sur le thème des « modes de vie » avait, à l'origine, l'ambition d'aborder certaines réalités interreliées :

  • le rôle des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la transformation des structures et des modalités de fonctionnement des sociétés contemporaines,

  • l'insertion des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans le quotidien des acteurs sociaux : usages sociaux des technologies ; résistances, détournement de sens et réappropriation ; expression des identités individuelles et collectives,

  • la question des innovations techniques et des changements dans les cultures quotidiennes : dans le rapport à l'espace et au temps, au corps et à la vie ; dans les recompositions du loisir et du travail, de la vie privée et de la sociabilité.

A la lecture des quatre textes de la section thématique du numéro, on prendra conscience de la difficulté de traiter de tant de sujets, apparentés certes, mais dont chacun peut faire l'objet de développements particuliers.

En guise d'introduction, le texte de Victor Scardigli rappelle, à juste titre, que le modèle techniciste d'explication du changement social a fait résurgence, avec l'apparition des nouvelles technologies de l'information, et ne manque pas d'être repris régulièrement par les politiciens et les promoteurs des dernières technologies informatiques, sur la foi, ne l'oublions pas, du discours des ingénieurs eux-mêmes. Et quand les usagers tardent à adopter les nouveaux appareils sophistiqués qu'on leur propose, on parlera parfois de simple « décalage » dans le temps, d'une « évolution » qui suit son cours, mais plus lentement que prévu. On voit bien, ajoute Scardigli, que les explications techniciste et évolutionniste ne suffisent pas à comprendre le changement.

Aux logiques industrielles dominantes, il faut en ajouter une autre : celle des usagers. C'est ainsi que de nombreuses recherches ont été entreprises mettant l'accent sur les modalités d'appropriation, par les acteurs quotidiens, de ces nouvelles technologies de l'information. On a redécouvert le « sujet ». Or, propose Scardigli, on peut distinguer rapidement deux grands modèles explicatifs faisant appel à la participation active des usagers au développement des techniques : le modèle de la micro-appropriation sociale et celui de l'insertion culturelle. Plus fondamentalement, dira-t-il, il s'agit des transformations dans la lecture que l'on fait des sociétés en changement, de la capacité des chercheurs à rendre compte de la complexité des phénomènes de changement, de la nécessité d'introduire l'acteur individuel dans l'étude des phénomènes de portée technique et macrosociologique.

Le texte de Mallein et Toussaint s'inscrit précisément dans ce type de démarche où l'on tente d'intégrer, dans une même perspective de recherche, ce que l'on pourrait appeler la rationalité technologique et la rationalité des usages. La technologie ne fait pas simplement que se déployer dans le temps et l'espace. Elle ne peut se diffuser qu'en interaction avec les pratiques préexistantes et les représentations des acteurs. Les auteurs en viennent même à souligner que l'offre peut se trouver du côté de la demande et vice versa ! A partir de leurs nombreux terrains, ils ont progressivement élaboré une problématique d'ensemble où se côtoient et interagissent deux grandes figures de la rationalité, renvoyant par exemple parfois à la substitution de pratiques anciennes ou d'objets techniques vétustes, à des usages nouveaux, parfois à un phénomène d'hybridation, de greffe d'usages anciens et nouveaux ; ou encore à ce qu'ils appellent une identité passive ou active.

Lise Santerre, pour sa part, traite de l'intégration de la micro-informatique dans la vie quotidienne. Son enquête a pu montrer que l'utilisation du micro-ordinateur à domicile permet de satisfaire à la fois des aspirations à l'autonomie des acteurs, tout particulièrement dans la gestion des temps sociaux, et des exigences de productivité du travail. Le meilleur des deux mondes ? Pas tout à fait, puisque le travail à domicile doit respecter de nombreuses contraintes de production et qu'il empiète régulièrement sur la vie familiale et le temps libre. Par ailleurs, les usagers y trouvent leur compte, dans la mesure où ils peuvent satisfaire certaines aspirations à la flexibilité du travail et à la maîtrise de leur temps.

C'est un peu du même problème dont il s'agit quand on étudie le phénomène récent de la téléphonie cellulaire, le mobile. Christine Sammer et Yolande Combès montrent bien comment deux grandes logiques sont à l'œuvre, ce qu'elles appellent un « rapport dialectique entre structurant et structuré ». Il est évident que la technologie du mobile permet à la communication de s'affranchir de l'espace et du temps, qu'elle introduit une flexibilité accrue, des possibilités additionnelles de planification du travail, qu'elle maintient en tout temps le lien de l'acteur individuel à son entreprise, fût-il avocat, routier ou commerçant. Ce faisant, un peu comme le démontre Lise Santerre, le mobile, à l'instar du micro-ordinateur à domicile, marque l'envahissement de la sphère du travail dans la vie privée. En contrepartie, les usagers reprennent le discours de l'autonomie professionnelle et de la flexibilité. Ils insistent également sur la maîtrise accrue de leur métier : d'une seule pression du doigt, ils peuvent échapper à l'emprise du travail, couper toute « communication » avec l'entreprise, se réfugier dans l'espace de la vie privée et du temps libre.

La section thématique de ce numéro s'achève sur un texte de Gilles Pronovost, appelant d'abord à un « continuum d'usages sociaux » et dégageant, par la suite, deux grands axes théoriques et empiriques d'étude des usages sociaux des médias : l'axe dit du temps et l'axe des activités. Dans le premier cas, l'analyse est attentive aux modalités d'insertion temporelle des nouvelles technologies de l'information dans la vie des acteurs, au parcours intergénérationnel avec lequel cette insertion doit composer et, plus globalement, aux grands rapports au temps qu'elle permet de dégager. Dans le second cas, il s'agit des rapports à l'objet technique lui-même et de son insertion dans l'ensemble des activités culturelles d'un acteur.

En note de recherche, on trouvera un texte de Jean-Paul Lafrance relatif à la télévision interactive. Le survol qu'il propose des différents projets en cours au Canada et aux Etats-Unis offrira au lecteur un panorama des types de services susceptibles de caractériser la vie « quotidienne » dans les sociétés de l'information de demain, ainsi qu'une présentation des alliances stratégiques entre opérateurs de réseaux, câblodistributeurs et fournisseurs de services qui sont d'ores et déjà en train de se nouer autour des projets d'autoroutes électroniques.

Ce numéro a été préparé sous la responsabilité de Gilles Pronovost et de Victor Scardigli.

Proposer ce document