Disparues


Numéro 1

Gaëtan Tremblay et François Pichault

Editorial -1988


Résumé
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  Résumé

Technologies de l'Information et Société (T.I.S.) est une nouvelle revue scientifique en langue française dont l'objet central est l'analyse des interrelations entre le développement des nouvelles technologies de l'information (télématique, bureautique, robotique, R.N.I.S., etc.) et les modes d'organisation sociale. La diffusion accélérée de ces technologies dans les différents domaines de la vie sociale se présente dès à présent comme un des défis majeurs de la fin de siècle. Si les évolutions techniques se sont multipliées au cours des dernières années et constituent aujourd'hui un acquis incontestable, la réflexion sur leurs implications sociales, économiques, culturelles ou politiques est encore très souvent restée en retrait. Il apparaît donc impératif de promouvoir et de diffuser le plus largement possible la recherche dans ces domaines.

Trois qualificatifs permettent de décliner l'identité de la nouvelle revue : carrefour, à vocation scientifique, en langue française.

Une revue carrefour

Les promoteurs de la revue Technologies de l’Information et Société entendent faire de celle-ci un lieu de rencontres, d'échanges et de débats entre chercheurs de différentes disciplines. La revue s'ouvre donc largement aux sociologues, anthropologues, politologues, économistes, juristes, historiens, philosophes et aux chercheurs investis dans le domaine des communications, des sciences de l'éducation, des sciences administratives, de l'informatique de gestion, etc. Cette approche multidisciplinaire apparaît non seulement enrichissante pour chacun mais s'impose comme la meilleure façon de comprendre et d'expliquer la complexité des phénomènes sociaux associés au développement technologique. Les champs couverts par la revue sont, par nature, très diversifiés : protection de la vie privée, formation, emploi et vie au travail, vie quotidienne, langue et culture, aspects institutionnels, pour n'en citer que quelques-uns.

Une revue scientifique

Les contributions accueillies par la revue sont de nature scientifique : les réflexions programmatiques ou promotionnelles en sont par conséquent exclues, de même que les analyses purement descriptives, où aucun modèle théorique n'est proposé. De plus, ne sont publiés que des textes inédits, faisant état de résultats de recherche théorique ou empirique. Technologies de l'information et Société s'est dotée en conséquence d'un mode de fonctionnement propre à assurer la poursuite de tels objectifs : l'évaluation à l'aveugle par des arbitres externes, la décision finale revenant au comité de rédaction.

Une revue en langue française

Technologies de l'information et Société se veut enfin un instrument de diffusion scientifique en langue française. Elle veut contribuer à la promotion du français comme langue de communication scientifique dans un domaine, celui de la recherche sur les interrelations entre technologies de l'information et vie sociale, où les instruments de diffusion sont malheureusement trop peu nombreux. La communauté scientifique qu'elle vise en premier lieu est donc celle de la francophonie dans son ensemble.

Le premier numéro

Ce premier numéro illustre bien ce que la revue entend devenir. Bien sûr, la vitesse de croisière n'est pas encore atteinte, mais le vent souffle dans la bonne direction. La multidisciplinarité y est déjà bien marquée : M. Alsène est ingénieur et sociologue de formation, M. Iwens économiste, M. Kaufmann philosophe, M. Lemasson psychosociologue, M. Kling ingénieur, Mme lacono et M. Wilson communicologues. Les articles y traitent tous des rapports entre le développement et l'implantation des technologies de l'information et différents aspects de la vie sociale, économique et culturelle. Mais les approches et les découpages de l'objet sont diversifiés. M. Wilson concentre son attention sur le discours qui entoure le développement de cette nouvelle discipline qu'est la prospective, dont la composante technologique constitue une pierre d'assise. Le verbe des « nouvelles technologies » est en effet toujours conjugué au futur, le futur de la nécessité ou de l'inévitabilité. M. Wilson retrace les origines de ce discours : il les retrouve dans la recherche militaire de la fin de la dernière guerre mondiale ; et peu de temps après dans les stratégies et prévisions industrielles ; et finalement dans le discours sociologique, dont les travaux de Daniel Bell constituent en quelque sorte un archétype. Le discours contemporain sur la société de l'information s'inspire largement de cette école prospectiviste. Le texte de M. Alsène représente un effort de clarification conceptuelle. Comme il arrive souvent dans un nouveau champ de connaissance, les termes utilisés par les auteurs revêtent des sens variés, d'autant plus quand l'objet d'étude entraîne un abondant discours social à connotation politique ou promotionnelle. Leur valeur sémantique n'est pas circonscrite ni stabilisée. La rigueur conceptuelle est pourtant nécessaire à toute démarche scientifique. Après avoir étalé ce fouillis sémantique, M. Alsène s'applique à préciser d'une manière opératoire le concept de changement technologique dans ses applications à l'entreprise. L'article de M. Kling et de Mme Iacono, lui, porte sur un changement technologique qui affecte de plus en plus toutes les activités de service : la bureautique, le processus d'informatisation du travail de bureau. À travers une critique des recherches effectuées jusqu'à présent sur le sujet, il établit progressivement les paramètres d'une approche qui respecte la variété et la complexité des situations d'informatisation. Il invite tout d'abord à dissiper la confusion qui entoure l'utilisation du terme « bureau » en distinguant rigoureusement les lieux de travail des formes d'organisation de ce travail. Ces dernières déterminent tout autant les conséquences du processus d'informatisation que les caractéristiques de la technologie utilisée, de sorte qu'il ne saurait y avoir qu'un seul type de « bureau de l'avenir ». L'argument nodal de M. Kling et de Mme Iacono, c'est que le processus d'informatisation constitue un processus complexe dont les résultats dépendent tout à la fois de la stratégie d'implantation, de l'équipement et des logiciels choisis, de la structure organisationnelle, de la division du travail et des modes de fonctionnement du groupe. M. Kaufmann, pour sa part, s'attaque aux critères d'évaluation des risques qu'impliquent le développement et l'adoption de toute innovation technologique. Après avoir discuté d'une manière critique deux des principes qui sous-tendent habituellement les méthodes d'appréciation des risques technologiques - la supposition de linéarité et la supposition de commensurabilité - il propose de fonder une nouvelle éthique à partir de la combinaison de quatre critères. L'article de M. Lemasson analyse certaines conséquences liées à l'usage généralisé des cartes de paiement. Il montre comment il est facile de constituer des banques de renseignements sur les comportements des consommateurs à partir d'une simple compilation des informations contenues dans chaque transaction dont le paiement est effectué par cartes de crédit. Les grandes organisations ne se gênent pas pour constituer et échanger de telles banques de données. M. Lemasson tente en quelque sorte d'évaluer les risques liés à l'utilisation d'un nouvel outil technique d'information. Le danger est grand, croit-il, d'une « privatisation » de la vie privée, c'est-à-dire d'une manipulation commerciale de renseignements sur les comportements individuels. Finalement, M. Iwens discute les implications du développement éventuel des réseaux numériques à intégration de services (RNIS). Malgré les avantages techniques indéniables des RNIS, il s'interroge sur les besoins réels, tant du côté des entreprises que du grand public, pour ce genre de technologie. Les seuls acteurs dont les intérêts pour le développement des RNIS semblent évidents sont les constructeurs d'équipement de télécommunications, dont le rôle pourrait devenir prédominant aux dépens des exploitants de réseaux. M. Iwens met en question également la sagesse d'une décision qui fonderait le développement futur des infrastructures de télécommunications sur un seul modèle, celui des réseaux numériques intégrés à large bande. Les coûts impliqués, les besoins exprimés et les usages prévisibles incitent selon lui à des solutions plus diversifiées. Diversité et cohérence Les six articles de ce numéro font donc preuve d'une belle diversité. Les usages de la technologie en entreprise (Alsène, Kling et Iacono) comme dans la vie courante (Lemasson, Iwens) sont abordés. Le développement de différents types de technologie est analysé : la bureautique (Kling et Iacono), la micro-électronique (Alsène), les cartes de paiement (Lemasson), l'intégration des télécommunications, de l'informatique et de l'audiovisuel (Iwens), la technologie en général (Kaufmann, Wilson. Des perspectives disciplinaires différentes y sont développées, comme nous l'avons souligné précédemment. Plusieurs niveaux d'analyse sont abordés : les définitions conceptuelles et les catégorisations de base (Alsène, Kling et Iacono), les discours (Wilson), les intérêts et les stratégies des acteurs (Iwens, Kling et Iacono, Wilson), les dimensions éthiques (Kaufmann), les impacts (Kaufmann, Kling et Iacono, lwens, Lemasson). Mais le lecteur constatera que sur plusieurs questions, les auteurs s'interpellent, implicitement bien sûr. La préoccupation de clarification conceptuelle, devant le fouillis sémantique actuel, se retrouve chez plusieurs d'entre eux. La méfiance à l'égard des modèles explicatifs simplistes, malheureusement trop courants dans les études sur les impacts du développement technologique, fait également consensus. Au delà de leurs différences, les six contributions de ce numéro partagent une perspective commune sur l'analyse des rapports entre la technologie, la société et la culture : le rejet du déterminisme technologique. Chaque contribution le souligne par rapport à son objet spécifique. L'impact du développement des technologies de l'information ne tient pas qu'aux caractéristiques du matériel et du logiciel utilisés. Les stratégies des différents types d'acteurs, la confrontation de leurs intérêts, la division du travail, la nécessité de développement du capital, le processus d'implantation des nouveaux équipements, les valeurs et les normes qui sous-tendent les perceptions et les jugements, voilà autant de facteurs - et la liste n'est pas complète - évoqués par nos auteurs et qui doivent être pris en compte dans l'analyse des phénomènes liés au développement technologique. Le défi posé par la prolifération des technologies de l'information n'en est pas un que d'adaptation mais de choix. Cette perspective conduit à un questionnement critique des principaux clichés véhiculés par le discours dominant sur le développement technologique, ceux qui sont liés à la notion de « société de l'information ». Nous aurons certainement l'occasion d'y revenir dans nos prochains numéros.

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