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Décoloniser l’œil de Dieu - méthodologies féministes pour la construction de cartes sur la violence de genre en Amérique LatineDecolonizing God’s eye view – feminist methodologies for mappings on gender violence in Latin America

Larissa Pelúcio et Fernanda Pasian
mars 2023

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.1944

Résumés   

Résumé

Cet article présente à quatre cartes latino-américaines qui se décrivent comme des plans de la "violence de genre" ou "violence contre les femmes", dont les principaux créateurs et veilleurs sont des activistes féministes et/ou des collectifs ou organisations de femmes. Pour construire ces cartes, les cartographes s’approprient des outils numériques conçus par les grandes entreprises du Nord global, comme Google Maps, grâce auxquels ils réalisent une contre-cartographie, c’est-à-dire qu’ils mettent en évidence les noms, les enregistrements, les données et les chiffres de la violence de genre qui souvent n’apparaissent pas ou sont effacés dans les documents officiels. À partir d’une méthodologie féministe, décoloniale et "désobéissante", elles créent des statistiques qui servent à la fois de matériel pour les dénonciations des violations des droits des femmes cis et transgenres, et de document académique et analytique. Par-dessus tout, les militants créent des mémoires pour ces crimes qui, jusqu’à récemment, n’avaient même pas la possibilité d’être nommés.

Abstract

This paper presents four Latin American maps describing themselves as a plan regarding “gender violence” or “violence against women”, and the main creators and maintainers are feminist activists and/or collectives, or women’s organizations. To elaborate these maps, cartographers appropriate the use of digital tools designed by large companies from the Global North, such as Google Maps, and from which create counter-mapping, meaning that they highlight names, records, datas and gender violence numbers that often do not appear or are deleted in official documents. From a feminist, decolonial and “disobedient” methodology, they create statistics that serve both as material for denouncing violations of rights against cis and transgender women, as well as academic and analytical material. Mainly, the activists create memories of those crimes that until recently could not even be named. 

Index   

Index de mots-clés : cartes de la violence de genre, méthodologies féministes, cartographie décoloniale, Amérique Latine, Google Maps..
Index by keyword : gender violence maps, feminist methodologies, decolonial cartography, Latin America, Google Maps. .

Texte intégral   

Nous sommes là - les cartographies des résistances

1Où sommes-nous ? C’est la première question que nous aimerions poser pour commencer ce texte. Car c’est aussi la première question à laquelle nous avons appris à répondre avec les féminismes du Sud global. C’est-à-dire, nommer notre place dans le monde pour continuer à nous engager dans l’espace ou, comme les féministes des communautés territoriales disent, continuer à incarner le territoire (Cruz Hernández, apud Hernandez ; Lozano ; Jurado, 2020, p. 8).

2Nous parlons à partir d’un territoire structurellement violent qui a été inauguré par la botte du colonisateur. Une terre à « civiliser » par la force de la croix chrétienne, les armes à feu et le viol des corps des femmes autochtones. La violence a été notre sage-femme. Aujourd’hui encore, nous sommes marqués par cette genèse. Les cartes que nous présentons au fil de cet article, documentent les cartographies de la violence faite aux femmes et les efforts pour nous protéger les unes et les autres dans les villes d’Amérique Latine.

3L’accès élargi aux technologies et aux plateformes numériques a donné naissance à de nouvelles façons d’organiser, de présenter et de partager l’information. Ces dernières années, nous avons observé en Amérique Latine un nombre important de productions sous forme de cartes dans lesquelles se détachent les thèmes suivants : les demandes socio-environnementales, les informations culturelles (des agents, des expressions et des équipements), les questions liées aux activités de travail et, enfin, le suivi et le signalement de la violence.

4L’objet de cette recherche s’attache aux cartes dont les thèmes sont la « violence de genre » ou la « violence faite aux femmes ». Nous avons constaté que les principaux responsables de la création et du maintien de ces initiatives sont des militants, des collectifs ou des organisations de femmes, qui ont élu ce support comme moyen de communication. Face à ce constat, nous nous sommes interrogés : « Quelles sont les méthodologies utilisées pour la création de ces cartes ? ». L’objectif général était de comprendre les méthodes, les techniques et les études qui constituent les bases de données et les informations présentées sur les plateformes. Pour cela, nous avons sélectionné les expériences suivantes, toutes disponibles en ligne : Carte des Commissariats pour les Femmes (Delegacia das Mulheres) ; Je te nomme - La carte des féminicides au Mexique (Yo te nombro - El mapa de los feminicidios en México) ; Carte des féminicides Uruguay (Mapa de los Feminicidios Uruguay) et Violence contre les lesbiennes en Argentine (Violencia hacia lesbianas).

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[Fig. 1] Carte des Commissariats pour les Femmes (Instituto Az Mina) ; Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique (María Salguero) ; Carte des féminicides Uruguay (Helena Suárez Val), Violence contre les lesbiennes en Argentine (Paula Espino). Capture d’écran : Larissa Pelúcio ; Fernanda Pasian, 2022.

5Pour comprendre les méthodes, techniques et études impliquées dans ces productions, nous avons utilisé quatre critères pour sélectionner les expériences : traiter de la violence, être produites par des femmes ou des organisations dans lesquelles elles travaillent, être disponibles en ligne et avoir l’Amérique Latine comme zone de couverture. Pour les trouver, nous avons utilisé les méthodes suivantes : recherche active dans les moteurs de recherche, création d’alertes d’actualités sur les termes "cartes de la violence de genre" et "carte des féminicides", accès au Directorio Datos contra el feminicidio - América Latina y el Caribe (2021) et suivi de la production de contenus sur les médias sociaux des groupes d’étude et des collectifs qui abordent les questions liées aux territoires, espaces et villes latino-américains dans une perspective de genre ou dans le cadre d’une clé féministe1.

6Sur le plan des pratiques d’investigation, nous nous sommes consacrées à la navigation sur les cartes afin d’expérimenter leurs outils et prendre connaissance de ce que sont ses façons de procéder. Nous avons également effectué des visites hebdomadaires des cartes afin de suivre les éventuels changements opérés, en plus de suivre les profils dans les réseaux sociaux en ligne. Pour compléter cette immersion dans la recherche, nous avons aussi suivi des conférences données par les cartographes des cartes sélectionnées, ainsi que réalisé une collecte d’articles scientifiques et de publications de presse sur ces cartes. Nous avons identifié les similitudes et les différences, les possibilités et les limites, traduites en 12 catégories analytiques : thème principal, thèmes secondaires, zone de couverture (ville, état, pays), concept de genre, types de violence, objectif de la carte, public cible, méthodologie (techniques, méthodes et sources de données), sources de financement, formes de participation et plateforme pour la création de la carte.

7Ces caractéristiques répondent à notre intention et nous partons de la perspective que "la cartographie consiste à suivre des processus" (Barros ; Kastrup, 2020, p. 73) et qu’ "elle n’offre pas de règles définies à l’avance, un scénario défini ou fixe une méthode de travail établie" (Rosário ; Coca, 2018, p. 37).

Le terme cartographie, dans la traduction latine, signifie une lettre écrite (charta, qui signifie lettre ; grafh, qui signifie écrire). Le travail d’enregistrement des topologies du sol du cartographe/géographe est similaire au processus cartographique du cartographe/chercheur : tous deux passent par l’observation détaillée de l’environnement/territoire qu’ils veulent investiguer, explorent des chemins qui se multiplient à la recherche des spécificités, des différences, constatent les formes qui se répètent et celles qui sont différentes et, finalement, font la description minutieuse du lieu, qui vit en transformation (Coca ; Rosário, 2018, p 38)2.

8Ce texte est organisé en quatre sections. Nous commençons par une brève discussion sur l’aliénation des femmes dans le métier de la cartographie et les effets du regard masculin sur le territoire et la façon dont les femmes l’occupent. Ensuite, nous présentons les cartes qui ont été choisies pour intégrer le corpus analytique de cet article. La violence est le fil rouge qui nous guidera dans les labyrinthes des rues d’Amérique Latine où les catégories d’analyse déjà présentées ci-dessus seront déclenchées pour analyser comment les cartographes s’approprient les outils numériques produits dans le Nord à des fins commerciales et de surveillance, pour les transformer en dénonciation, en mémoire et en résistance.

9Dans la première partie, nous évoquons brièvement la manière dont la cartographie est constituée en tant que métier masculin qui associe territoire et pouvoir. Nous discutons dans la même section de la manière dont les femmes féministes ont occupé ces territoires (toujours très surveillés) des sciences afin de tracer d’autres géographies.

10Ensuite, nous abordons la violence basée sur les féminicides et leur mise sous silence. Les cartes seront présentées dans cette section, la plus longue du texte. Cela nous amènera à l’appropriation désobéissante des technologies numériques du Nord global par les activistes et les chercheurs latino-américains.

11Enfin, nous jouons notre « dernière carte », en montrant comment les stratégies subversives d’appropriation désobéissante des outils Google ont été fondamentales pour montrer, littéralement, où nous, Latino-Américains, sommes. Dans la confrontation contre le sexisme, l’homophobie, le racisme, la territorialisation de la violence est une forme de construction collective d’un savoir qui peut tous nous aider à construire une résistance et à promouvoir des transformations vers des sociétés plus symétriques par rapport au genre, plus justes économiquement et plus respectueuses de la diversité sexuelle.

Jouer cartes sur table

12La cartographie a une dimension communicative qui est, avant tout, politique. Historiquement, les cartes ont été des outils militaires, de conquête, tactiques et stratégiques pour envahir et (jusqu’à aujourd’hui) exploiter des corps et des territoires (Goldman, 2020).

13En tant que domaine scientifique, on peut affirmer que les femmes ont toujours été présentes dans la cartographie. Cependant, il y avait différentes façons de les rendre non viables, comme dans tant d’autres domaines de la connaissance. À savoir : Marie Tharp, cartographe océanographique, a été la première géologue à cartographier le fond des océans ; elle a entendu dire que sa théorie était une "conversation de filles" et Sarah Sophia Cornell, a publié ses cartes en signant de ses initiales, une habitude très courante chez les femmes de l’époque (Albuquerque, 2017). Ces dernières années, on a assisté à une augmentation de l’utilisation des cartes pour les demandes sociales des femmes, notamment celles développées sur des plateformes numériques de géoréférencement.

14Les enjeux de genre affectent les pratiques cartographiques : les hommes - marchands, voyageurs et missionnaires - ont nommé, divisé, conquis et pris des territoires en fonction de leurs intérêts, tandis que la production cartographique des femmes était réduite ou discréditée et rendue invisible. Dans une interview accordée au magazine de perspective féministe Pikara (2020), Céline Jacquin, codirectrice du collectif GeoChicas3, souligne que "si tout cela est fait par des hommes, alors il y a un manque de représentation des besoins différents et variés des femmes, fournissant une perspective intersectionnelle"4. La réponse à la violence fait partie de ces demandes, apparaissant sur les cartes de différentes manières, comme dans le marquage des féminicides, dans le géoréférencement des services de protection des femmes, dans la signalisation des espaces de peur ou de risque, et dans les actions de défense et de violation des corps-territoires.

15Goldman (2020, s/p) constate "que les femmes cartographes ont tendance à ajouter des services qui sont souvent négligés par les hommes, tels que les hôpitaux, les services de garde, les toilettes, les refuges contre la violence domestique et les cliniques de santé pour les femmes 5". Cette façon de cartographier des villes, des rues et des services s’agit d’un choix politique, autant qu’épistémologique.

16Selon l’historienne féministe Margareth Rago (1998, p. 3),

Le féminisme n’a pas seulement produit une critique brutale du mode dominant de production de la connaissance scientifique, mais propose également un mode alternatif de fonctionnement et d’articulation dans cette sphère. En outre, si nous considérons que les femmes apportent une expérience historique et culturelle différente de celle des hommes, du moins jusqu’à aujourd’hui, une expérience que beaucoup ont classée comme celle des marges, de la construction à petite échelle, de la gestion du détail, qui s’exprime dans la recherche d’un nouveau langage, ou dans la production d’un contre-discours, il est indéniable qu’une profonde mutation s’est également produite dans la production de la connaissance scientifique6.

17L’épistémologie féministe dans le Sud Global a été consacrée à la construction d’un processus que le collectif Miradas Críticas del Territorio desde el Feminismo appelle contre-cartographie (Hernández ; Lozano ; Jurado, 2020). Cette forme de registre transgressif a pour vocation de rendre visibles et "cartographiables" des corps, des territoires et des services que l’État à tendance à ignorer.

18Les études de la géographe Manuela Silveira (2021) indiquent qu’il existe deux types de cartographies plus courantes en Amérique Latine avec un prisme du genre : celles liées au corps-territoire et au féminicide. Dans le premier cas, la violence peut également être présente, comme dans les conflits environnementaux ou les différends territoriaux.

19Ces dernières années, la violence faite aux femmes latino-américaines a été nommée, définie géographiquement, comptabilisée, surveillée et exposée par des activistes, des étudiants, des chercheurs, des féministes et des organisations de femmes ou des organisations dédiées aux agendas de genre. Les événements sont transformés en données qui, insérées dans les territoires, tissent une image en mouvement qui est, en même temps, un outil de dénonciation, d’enregistrement et de résistance.

20Dans la section suivante, nous présenterons plus en détail les cartes sélectionnées pour l’analyse pour ensuite présenter et discuter de la manière dont les collectifs de femmes et féministes se sont appropriés les outils numériques développés dans les grandes entreprises technologiques du Nord Global pour les mettre au service de la protection des femmes (cisgenres et/ou transgenres).

La violence sur la table

21Les objectifs des cartes qui traitent de la violence sont, dans la plupart des cas, similaires : il s’agit de dénoncer, de surveiller et de donner une visibilité à la problématique, qui est marquée dans les territoires. En les réalisant, les militantes et les collectifs de femmes facilitent l’accès à des données importantes, remettent en question les informations mises à disposition par les organismes officiels, comme les données sur les féminicides ou la présence de structures publiques d’aide aux victimes ; et créent un référentiel accessible. Manuela Silveira (2019, p. 6) souligne l’ambivalence présente dans les cartographies féministes, dans lesquelles les cartes sont "(...) critiquées pour leur association sans équivoque avec le maintien des relations de pouvoir coloniales et patriarcales, mais en même temps appropriées pour les processus de résistance féministe et de visibilité et dénonciation de différents types de violence patriarcale"7.

22Dans le cas des cartes de féminicides, l’une des raisons invoquées par leurs dessinatrices pour utiliser la presse comme source est que, selon la manière dont la législation du pays comprend le concept (féminicide), de nombreuses morts violentes de femmes ne sont pas classées de cette manière. Un autre aspect qui influence la catégorisation est la manière dont l’événement a été officiellement enregistré. Ce que l’on observe, c’est que les informations demandées et remplies sur les formulaires de police ne suivent pas toujours une norme permettant de classer les motivations de l’acte violent dans la catégorie de la violence de genre.

23Avant de suivre les lignes numériques tracées sur les cartes, nous invitons ceux qui nous lisent à faire une pause conceptuelle sur le terme féminicide.

Le concept de fémicide [et non de féminicide]8 a été utilisé pour la première fois par Diana Russel en 1976 devant le Tribunal international sur les crimes contre les femmes, qui s’est tenu à Bruxelles, pour caractériser le meurtre de femmes pour le fait qu’elles sont des femmes, le définissant comme une forme de terrorisme sexuel ou de génocide des femmes. Ce concept décrit le meurtre de femmes par des hommes motivés par la haine, le mépris, le plaisir ou le sentiment de propriété. Russell l’ancre dans la perspective de l’inégalité de pouvoir entre les hommes et les femmes, qui donne aux premiers le sentiment (entitlement), la croyance qu’ils sont assurés du droit de domination dans les relations avec les femmes, tant dans le domaine de l’intimité que dans la vie sociale publique - ce qui, à son tour, autorise le recours à la violence, y compris la violence mortelle, pour imposer leur volonté aux femmes. Ainsi, le féminicide fait partie des mécanismes de perpétuation de la domination masculine, étant profondément ancrés dans la société et dans la culture. Les expressions de cet enracinement sont l’identification des hommes aux motivations des tueurs, la manière sélective dont la presse couvre les crimes et la manière dont les systèmes de justice et de sécurité traitent les affaires. Le fait que les femmes nient souvent l’existence du problème est attribué à la répression ou au déni produit par l’expérience traumatique du terrorisme sexiste lui-même, en plus de la socialisation de genre, dans laquelle l’idéologie de genre (idéologie considérée ici dans son aspect négatif) est utilisée pour naturaliser les différences entre les sexes et imposer ces modèles et rôles comme s’ils étaient naturels ou constitutifs de la nature humaine (Meneguel ; Portela, 2017, p. 3079)9.

24Nous considérons donc le féminicide comme un acte de violence qui dépasse l’individu ou la pathologisation des comportements violents. Dans les cas examinés ici, il existe une correspondance entre les sociétés structurellement violentes, racistes et sexistes et les meurtres de femmes perpétrés par des hommes.

25Les auteurs classent les féminicides en différentes catégories : (1) ceux commis par des hommes intimes ou très proches de la victime, crimes motivés par des perceptions culturelles de la manière dont un homme hétérosexuel doit traiter une femme (en tant que propriété, en tant que dépendante, en tant que soumise). Lorsqu’ils se sentent contestés ou impuissants face aux décisions et aux comportements des femmes, ils déclenchent le langage de la violence extrême et les tuent ; (2) les assassinats commis par des hommes visant à punir l’homme avec lequel la femme assassinée a des relations amoureuses et/ou familiales. Ce type se produit généralement associé à des contextes d’illégalité, ainsi que (3) les féminicides motivés par le trafic de drogue et le trafic sexuel, dans lesquels l’élimination physique de la femme est banalisée, puisque son objectivation est présumée en raison de son implication dans des activités sexuelles et de son éloignement de l’idéal de « pureté » féminine. Finalement, ces sont les féminicides par « connexion », c’est-à-dire ceux liés à la misogynie et au sexisme structurel, qui se traduisent par

l’agression sexuelle, qui se produit dans toutes les classes sociales, dans la sphère publique et privée. La violence sexuelle représente une situation dans laquelle les femmes sont en position de simples objets jetables, ce qui rend cet acte extrêmement dangereux en raison du besoin de l’agresseur d’éliminer les témoins et les traces, en tuant la victime après une violation sexuelle. (Meneguel ; Portela, 2017, p. 3081)10.

26En Amérique Latine, nous voyons tous ces types qui, comme toute typologie, représentent des manières schématiques d’organiser des faits complexes. Dans le cas de la carte brésilienne qui sera présentée ici, les organisateurs proposent l’emplacement des Commissariats pour les Femmes (CF)11, qui ont pour but de faire face à toute agression contre le genre féminin (y compris les femmes transgenres et transsexuelles), que ce soit dans la sphère domestique ou publique. Cependant, les CF traitent principalement des cas de violence domestique.

27La carte mexicaine traite des féminicides par « connexion », mais signale aussi ceux qui sont le fruit d’une société sexiste, structurellement violente, où la présence de l’État est rare et ses agents peu fiables. La carte des féminicides en Uruguay cherche à nommer et à préserver la mémoire des victimes de féminicides, tant ceux qui se produisent dans l’environnement privé que ceux qui ont lieu dans la rue. Enfin, la carte argentine est dédiée à l’enregistrement des attaques haineuses contre les lesbiennes, les bisexuels et les personnes perçues comme lesbiennes. Nous présentons maintenant les cartes que nous allons parcourir dans cet article.

Carte des Commissariats pour les Femmes (Delegacia das Mulheres)

28AzMina12 est une institution brésilienne à but non lucratif dont l’objectif est de combattre les différents types de violence qui touchent les femmes brésiliennes, en tenant compte de la diversité des races, des classes et des orientations sexuelles. Le principal produit est le magazine AzMina, une publication féministe, disponible en ligne gratuitement. Outre le journalisme, il existe d’autres fronts tels que les événements, les campagnes de sensibilisation, les consultations et la carte des commissariats pour femmes, qui rassemble des informations sur les commissariats spécialisés dans l’assistance aux femmes ou les centres d’assistance dans les commissariats communs.

29Lancée en 2020, la carte collaborative indique la localisation, la ville, l’état, l’adresse, le numéro de téléphone et les heures d’ouverture des services. Elle a été construite à l’aide de Google Maps, qui comprend des informations recueillies en vérifiant les données des organismes publics de l’État, tels que les secrétariats de sécurité de l’État, la police civile ou le secrétariat des femmes. La méthodologie a consisté à contacter par téléphone les organismes publics responsables des commissariats pour femmes. À ce stade, les journalistes se sont identifiés par profession et ont demandé une liste des commissariats et des postes de police spécialisés dans le service aux femmes, avec le lieu et les heures de service. Par la suite, ils ont pris contact avec les espaces informés, en s’identifiant comme utilisateurs du service et en demandant si : a) le commissariat était spécialisé dans les femmes ; b) si l’adresse, les horaires et le téléphone étaient corrects ; c) s’il fonctionnait pendant la pandémie. Tous les contacts ont fait l’objet d’au moins trois tentatives de réponse et une recherche en ligne a été effectuée pour vérifier s’il existait d’autres numéros de téléphone.

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[Fig. 2] Carte des Commissariats pour les Femmes – Instituto Az Mina. Capture d’écran : Larissa Pelúcio ; Fernanda Pasian, 2022.

30La page de présentation des données est un sous-domaine des actions d’AzMina et s’adresse au public cible. Il est possible de naviguer sur la carte en cliquant sur les icônes ou d’utiliser le filtre, qui comporte trois catégories : recherche par ville, état ou nom du poste de police ; heures d’ouverture et jours de fonctionnement. La page fournit des explications objectives sur le fonctionnement du poste de police, explique ce qu’est la violence à l’égard des femmes et qui peut demander de l’aide, ce que le poste de police doit faire pour les victimes, comment utiliser la carte, et met à disposition la méthodologie de l’enquête, une affiche sur le projet à imprimer et fournit la liste des postes de police cartographiés à télécharger.

"Je te nomme" - La carte des féminicides au Mexique ("Yo te nombro" - El mapa de los feminicidios en México)

31Les cartographies de la violence en Amérique Latine sont construites en agrégeant différentes méthodes, ressources et techniques de collecte de données. Le féminicide est un thème récurrent et central : « Yo te nombro - El mapa de los feminicidios en México », cartographie, par le biais de publications dans la presse, les féminicides qui se produisent dans le pays. C’est l’une des initiatives ayant la plus grande longévité : elle a été créée en 2016 par la chercheuse et féministe María Salguero et est toujours active. La carte affiche des épingles avec des résumés des cas d’assassinats de femmes commis et rapportés dans les principaux médias mexicains. Il apporte des informations avec les détails de l’affaire, les coordonnées du lieu où elle s’est produite, la tranche d’âge de la victime, la situation des assassins et un résumé de l’événement.

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[Fig. 3] Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique Mexique – María Salguero. Capture d’écran par : Larissa Pelúcio ; Fernanda Pasian, 2022.

32Salguero utilise les recommandations du "Modelo de protocolo latinoamericano de investigación de las muertes violentas de mujeres por razones de género (femicidio/feminicidio)"13 pour cartographier les données. La cartographe souligne que :

le féminicide est un phénomène observé dans les pays en situation de conflit armé, comme c’est le cas au Mexique. Les membres du crime organisé tuent également leurs partenaires féminines et ces crimes sont caractérisés par le sceau du crime organisé. Il y a aussi des cas où ils les séduisent, les utilisent et les assassinent. C’est pourquoi il est important de tous les documenter." (Salguero Bañuelos, 2009, p. 69)14.

33L’enquête met en évidence les problèmes liés à la classification des crimes, qui peuvent influencer les statistiques. Dans une interview accordée à Efeminista (Agência EFE, 2020), Salguero explique que « Parfois, les femmes sont tuées pour extorsion, pour avoir facturé un point de prostitution, ou parfois elles sont tuées pour avoir été partenaires de leur mère, de leur fille, car nous avons des exécutions de filles de deux, trois ans à côté de leurs parents »15.

34La Carte mexicaine est placée dans Google Maps et a été insérée dans une plateforme de blogs gratuite. Les initiatives indépendantes, sans ressources financières, sont limitées aux possibilités des outils trouvés pour organiser les données, contrairement aux initiatives des organisations sociales ou des entreprises, qui agrègent un volume important d’informations provenant des bases de données de l’État et proposent d’innombrables filtres. De petites croix sont utilisées comme icônes, symbolisant la mort des femmes, et chaque couche, qui représente une année, a une couleur. Il est possible de superposer toutes les données ou de sélectionner des années spécifiques, par exemple 2019 et 2020. L’épingle est insérée à l’endroit où l’incident s’est produit et le nom de la victime est donné comme titre. La description comprend des informations sur l’affaire et un lien vers un communiqué de presse.

Carte des féminicides Uruguay (Mapa de los Feminicidios Uruguay)

35La carte « Feminicios Uruguay », développée et alimentée par la militante et communicatrice sociale Helena Suárez Val, est le résultat de mobilisations contre le féminicide, comme la 1ère Rencontre des féministes d’Uruguay, qui a eu lieu en 2014. Le site web du projet - qui a également été créé sur une plateforme Google gratuite - informe que les enregistrements de morts violentes de femmes pour des raisons de genre sont collectés à partir d’informations publiées dans les médias et dont la caractérisation de féminicide est considérée comme basée sur les propositions des auteurs Rita Segato et Marcela Lagarde16 et les directives du "Modèle de protocole latino-américain pour l’enquête sur les morts violentes de femmes pour des raisons de genre (fémicide/féminicide)".

36Sur cette carte, l’icône de localisation Google est placée sur le lieu où le crime a été commis. Le nom de la victime peut être lu lorsque vous passez le curseur sur le pin. Il est également possible de lire le nom de la personne qui a tué la victime, l’âge de la victime, la date du crime et la manière dont elle a été tuée. L’outil permet d’accéder aux liens où des actualités concernant l’événement ont été publiées17. Dans la carte Suaréz Val, les données montrent des meurtres de femmes commis par des proches dans des contextes de violence domestique, de misogynie, de crimes à motivation sexuelle et de meurtres de femmes transgenres, de travailleuses du sexe et de suicides dans un contexte de violence sexiste.

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[Fig. 4] Carte des féminicides Uruguay – Helena Suárez Val). Capture d’écran par : Larissa Pelúcio ; Fernanda Pasian, 2022.

37Dans l’article « Affect Amplifiers : Feminist Activists and Digital Cartographies of Feminicide » (2021), Suárez Val fait une auto-ethnographie de ses propres pratiques cartographiques et discute avec les propositions d’autres activistes, en posant les cartographies du féminicide comme une réponse politique :

Les cartographies numériques, en tant qu’amplificateurs d’affects féministes, attirent notre attention sur les féminicides dans le but de faire passer l’atmosphère de l’indifférence et du déni à la prise de conscience, à l’inquiétude et à l’action. Les militantes féministes développent des processus minutieux pour établir, ajuster et affiner ces critères par le biais de lectures féministes, de conversations avec d’autres militantes féministes, et/ou en consultant les cadres juridiques au niveau national ou régional. (Suárez Val, 2021, 8.25)18

38La carte en question est aussi une carte de la mémoire de ces crimes, tout en fonctionnant comme un espace de dénonciation et d’archivage des féminicides, offrant des données numériques et sociologiques aux décideurs publics et aux professionnels des médias, aux chercheurs et aux activistes.

39Bien que la carte présente des données de 2014 à 2022, Suárez fournit une base de données avec des cas de féminicides en Uruguay depuis 2001. Les informations sont organisées dans le tableur Google Drive. Le premier onglet se réfère aux cas, organisés par catégories telles que le nom, l’âge, la date du féminicide, le lieu où il s’est produit, l’endroit où le corps a été retrouvé, des informations sur l’auteur du féminicide (comme la relation avec la victime, l’âge et la profession), s’il y a eu des accusations antérieures, etc. Il y a un autre onglet avec un graphique qui montre les cas par année et par département. Sur le site web, on trouve également une carte des projets consacrés à l’enregistrement des féminicides dans différents pays et régions. Ces informations ont également été organisées dans le tableur Google Drive. Les catégories comprennent le pays d’action, le nom du projet, le lien vers l’accès, les médias sociaux, l’auteur, quel type d’auteur (presse, collectifs, organisation, médias alternatifs, réseau, etc.), la source des données, la catégorie utilisée (fémicide, féminicide, mobilisations, violence sexiste, etc.), la zone de couverture (région, pays, ville) et la période.

40Comme nous l’avons mentionné dans le sujet « Nous sommes là - la cartographie des résistances », Suárez Val fait partie du projet « Datos contra el feminicidio », qui, entre autres actions, développe des outils pour soutenir les activistes et automatiser le processus de collecte de données sur les féminicides auprès des publications médiatiques. Le « Data Marker Against Feminicide » est une extension développée pour être installée dans Google Chrome qui facilite la collecte d’informations dans l’actualité. Il est possible de sélectionner quatre champs : noms, lieux, dates/villes et de personnaliser la recherche avec des mots-clés, selon l’intention de la collection. Une autre ressource disponible est d’insérer un lien vers la base de données (un tableau de calcul Google Drive, qui s’ouvre automatiquement sur l’écran des actualités, ce qui facilite le classement des informations).

Violence contre les lesbiennes en Argentine (Violencia hacia lesbianas)

41La carte « Violencia hacia lesbianas » a été créée par Paula Espino en 2018, en Argentine. Le plan recense les attaques haineuses contre les lesbiennes, les bisexuels et les autres personnes qui, parce qu’elles sont lues comme des lesbiennes, sont devenues la cible de telles attaques. L’objectif de la production est toutefois plus large et vise à rendre compte, outre les crimes de haine, des cas de violence institutionnelle, de violence symbolique, de discrimination sur le lieu de travail, ainsi que de violence gynécologique. Dans une interview accordée à La Tinta, Espinho (2019, s/p) a expliqué que la motivation de la carte provient du besoin de donner une visibilité aux occurrences et « pour ajouter une sorte de statistique qui reflète la fréquence ou le nombre de ces violences »19.

42La carte est alimentée par les rapports envoyés par les victimes, qui sont communiqués via le profil de la carte sur Instagram ou Twitter. Google Maps permet de personnaliser les icônes : il existe de nombreuses options réparties en catégories (formes, sports et loisirs, lieux, transports, crise, météo et animaux) et 30 options de couleur. Dans « Violencia hacia lesbianas », selon Espinho (2018, s/p), « los iconos describen el tipo y grado de agresión » (les icônes décrivent le type et le degré d’agression).

43Les informations dans le plan sont divisées en deux couches : institutionnelle et privée. Les titres varient entre les noms des victimes ou présentent une description de la situation, par exemple : « adolescents en train de s’embrasser », « manque d’action de la police ». Les icônes fournies et nommées par Google Maps acquièrent d’autres significations sur la carte : l’icône de construction représente la violence qui s’est produite dans des espaces institutionnels, tels que les lieux de travail ou les écoles ; l’icône de guillemets apparaît avec les rapports de situations envoyés par les victimes ou identifiés dans les portails d’information ; l’icône de policier représente la violence d’approche institutionnelle, telle que les détentions arbitraires après des manifestations et les demandes d’interruption des manifestations d’affection dans les espaces publics ; l’icône d’explosion représente les cas de violence physique et l’icône de mort représente les cas de meurtre.

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[Fig. 5] Violence contre les lesbiennes en Argentine - Paula Espino. Capture d’écran : Larissa Pelúcio ; Fernanda Pasian, 2022.

44La description informe de la date de l’événement, d’un bref résumé et du lien vers l’actualité, dans les cas où il y a eu des répercussions dans les médias. Dans tous ces contextes de mobilisation, les cartes sont des outils fondamentaux pour la systématisation des données, des plaintes et des résistances. Elles ne sont pas statiques, au contraire, elles sont vivantes et nécessitent des méthodologies dynamiques qui prennent forme et se transforment au fur et à mesure que les cartes sont alimentées20.

45Les plateformes les plus utilisées par les mappeurs sont Google Maps et OpenStreetMap, mais il existe aussi des projets de cartes interactives développées sur mesure. Cette découverte nous a inspirées. Nous avons ensuite eu recours aux réflexions de la cartographe Helena Suaréz Val, sur l’appropriation désobéissante des activistes féministes et la possibilité de changer les structures de l’internet, puis nous avons décidé de nous adresser aux initiatives qui utilisent Google Maps, parmi lesquelles nous avons sélectionné les quatre initiatives mentionnées ci-dessus. La plateforme Google est largement utilisée et sa popularité est due aux fonctionnalités hypermédiatiques, à l’interactivité et pour avoir été l’une des premières bases cartographiques disposant d’une version application pour smartphones (Laranjeira, 2019, p. 27).

Titre

Thème principal

Thèmes secondaires

Zone de couverture

Carte des Commissariats pour les Femmes

violence

protection des femmes

Brésil

Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique

violence

féminicides

Mexique

Carte des féminicides Uruguay

violence

féminicides

Uruguay

Violence contre les lesbiennes en Argentine

violence

violence institutionnelle et privée

Argentine

-

Titre

Types de violence

Objectif de la carte

Carte des Commissariats pour les Femmes

Non applicable

Faciliter l'accès à l'information afin que les femmes puissent trouver des postes de police spécialisés près de leur domicile ou de leur ville.

Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique

Morts violentes de femmes liées au genre

Agir sur l'absence de chiffres officiels et de sources d'information pour la presse. Fournir des données ouvertes pour les statistiques, mais sans perdre les aspects sensibles.

Carte des féminicides Uruguay

Les meurtres de femmes commis par des proches dans des contextes de violence domestique, de misogynie, de motivation sexuelle et les meurtres de femmes transgenres, de travailleuses du sexe et les suicides dans un contexte de violence sexiste.

Être un registre non officiel et un outil de dénonciation et de visibilité des cas.

Violence contre les lesbiennes en Argentine

Crimes de haine, des cas de violence institutionnelle, de violence symbolique, de discrimination sur le lieu de travail, ainsi que de violence gynécologique.

Donner de la visibilité aux cas et générer des statistiques sur la violence.

-

Titre

Public cible

Méthodologie

Source des données

Carte des Commissariats pour les Femmes

Femmes victimes de violence

Conférence sur les données publiques

Données des secrétariats d'État

Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité, par le biais d'enquêtes et d'analyses

Médias / Presse

Carte des féminicides Uruguay

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité, par le biais d'enquêtes et d'analyses

Médias / Presse

Violence contre les lesbiennes en Argentine

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité et demande de témoignages

Médias / Presse Collaborateurs

-

Titre

Public cible

Méthodologie

Carte des Commissariats pour les Femmes

Femmes victimes de violence

Conférence sur les données publiques

Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité, par le biais d'une enquête et d'une analyse des documents.

Carte des féminicides Uruguay

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité, par le biais d'une enquête et d'une analyse des documents.

Violence contre les lesbiennes en Argentine

Professionnels des médias, universitaires et activistes

Analyse de l'actualité et demande de témoignages.

-

Titre

Source des données

Sources de financement

Formes de participation

Plateforme

Carte des Commissariats pour les Femmes

Données des secrétariats d'État.

Financement collaboratif

Non disponible

Google Maps

Je te désigne - La carte des féminicides au Mexique

Médias / Presse

Pas de financement

Envoi d'informations

Google Maps

Carte des féminicides Uruguay

Médias / Presse

Pas de financement

Envoi d'informations

Google Maps

Violence contre les lesbiennes en Argentine

Médias / Presse Collaborateurs

Pas de financement

Envoi d'informations

Google Maps

46Dans la section suivante, nous discutons de l’appropriation désobéissante de ces outils numériques par les collectifs de femmes latino-américains, qui les utilisent comme une sorte de « cartes dans leur manche », puisque ces outils leur permettent de dénoncer, protéger, aider et montrer la violence qui, souvent, n’apparaît pas dans les statistiques officielles.

Les cartes dans la manche

47En 2015, Helena Suárez Val a commencé à utiliser divers outils de la plateforme Google pour mettre littéralement sur la carte des femmes anonymes ayant subi des morts violentes en Uruguay. La chercheuse utilise différents médias hégémoniques tels que les chaînes de télévision ouvertes et les informations publiées dans les journaux imprimés à grand tirage pour alimenter la carte, qu’elle diffuse par le biais d’autres plateformes dont le propriétaire est le célèbre Mark Zuckerberg. Sans le savoir, Zuckerberg devient une sorte de partenaire involontaire d’un projet féministe développé dans le Sud du monde par une femme qui crée un mémorial pour les victimes de féminicides.

48Suárez Val qualifie ces formes d’activisme féministe de « désobéissantes », car elles transforment les technologies de surveillance conçues dans le Nord Global, par des hommes (pour la plupart), en outils de dénonciation de la violence de genre.

Les médias numériques et non numériques que les activistes féministes s’approprient de manière désobéissante acquièrent une vitalité autopropulsive, "faisant continuellement des choses" (Bennet, 2009, p. 112, c’est l’auteur qui souligne) lorsqu’ils se déplacent à travers les réseaux et les formats humains et informatiques, étant réutilisés, re-signifiés et re-partagés (Suárez Val, 2021, p. 118)21.

49Dans cet article, nous considérons Google Maps comme l’un de ces médias que les femmes cartographes se sont appropriées. En utilisant les outils d’un système global dont les objectifs sont commerciaux, ils mettent littéralement « en carte » les chiffres qui sont absents des registres officiels, c’est-à-dire ceux que l’État et/ou les institutions publiques nationales et internationales produisent.

50Google Maps est devenu une sorte d’"œil de Dieu". C’est ainsi que l’artiste allemand Hito Steyerl (2013) nomme métaphoriquement les nouvelles technologies de géolocalisation. Elles ont transformé notre sens de l’orientation spatiale et temporelle, car nous disposons désormais de vues aériennes des lieux, grâce à ces technologies de surveillance que sont les satellites, les drones et Google Maps.

51Par le biais d’une nouvelle technologie de géolocalisation, il y a la possibilité de nous élever, ainsi que nos yeux. La surveillance spatiale est, donc, de « tout le monde pour tout le monde ». C’est-à-dire que toute personne ayant accès à l’internet et une certaine connaissance du fonctionnement de ses outils, pourra visiter une rue de Paris ; sa propre maison au Brésil ou le lieu où une femme a été assassinée en Uruguay. C’est nous, les utilisateurs et utilisatrices de ces systèmes, qui les alimentons lorsque nous laissons la localisation activée sur nos téléphones portables ou en répondant à Waze en confirmant qu’il y a « un véhicule arrêté sur l’accotement de la route ». Au moment même où nous utilisons ces informations, nous communiquons aux grandes entreprises internationales nos données personnelles, nous révélons nos goûts et nos désirs et nous laissons des traces numériques qui peuvent être suivies au nom d’intérêts commerciaux.

52Paradoxalement et stratégiquement, ce sont des dispositifs de surveillance de la société de contrôle (Deleuze, 1992) que les cartographes, qui dessinent les cartes présentées ci-dessus, prennent subversivement à revers. Dans cet article, nous traitons Google Maps comme un dispositif de surveillance. Fernanda Bruno définit la surveillance comme « l’activité d’observation systématique et ciblée vers les individus, des populations ou d’informations qui leur sont liées, en vue d’en extraire des connaissances et d’intervenir sur eux, afin de gouverner leur conduite ou leur subjectivité » (2009, s/p).

53Comme tous les dispositifs, rappelons la définition classique proposée par Michel Foucault22, le dispositif de surveillance fonctionne en réseau, à travers lequel différents discours s’articulent, parfois de manière accidentelle, mais jamais dénuées de sens, parce que la puissance du dispositif est sa capacité à donner un semblant de cohérence aux éléments dispersés qui la constituent.

54Lorsque nous tournons l’"œil de Dieu" vers ce que les hommes prétendent ne pas voir, qu’arrive-t-il au dispositif de surveillance ?

Jouons notre dernière carte - une sorte de conclusion

55Pour le sociologue portugais Boaventura de Sousa Santos, depuis la fin du siècle dernier, « les représentations sociales de l’espace ont acquis une importance analytique et une centralité croissante » (1998, p. 140). Nous suivons, ici, ces routes théoriquement tracées par lui. Dans cet article, nous considérons les cartes numériques sur la violence de genre comme des formes subversives d’occupation du cyberespace et des rues de la ville. Les femmes qui s’y consacrent créent, à l’aide d’icônes de localisation Google Maps, une géographie entière de la violence, reterritorialisant numériquement les corps exterminés. Ce mouvement transforme les corps violés en corps qui ne peuvent être facilement effacés. Les cartographes remplissent le (cyber)espace des écrans avec des points qui aident les femmes (cis ou transgenres) à identifier où elles peuvent demander de l’aide ou comment elles peuvent aider d’autres femmes.

56Ce sont ces représentations sociales marquées dans l’espace qui nous intéressent. Nous sommes surtout intéressés par l’inscription dans le texte (comme si nous dessinions des cartes), certaines cartes racontent des histoires de violence de manière subversive.

57Placer des êtres humains sur les cartes et humaniser les structures architecturales à partir des cartes est l’une des appropriations que les cartographes du Sud ont faites pour changer la lentille de surveillance. En plaçant le corps des femmes sur les cartes - instrument traditionnel d’une géographie patriarcale de contrôle sur le corps et les espaces des femmes - les cartographies féministes confrontent la compréhension hégémonique de la géographie et mettent en lumière l’existence (et la violence subie par) des sujets qui avaient jusqu’alors été cachés dans la géographie, y compris dans les processus de plus en plus répandus de cartographie contre-hégémonique (comme la cartographie communautaire et participative). « Les cartes apparaissent ici comme des outils ambivalents, critiqués pour leur association sans équivoque avec le maintien des relations de pouvoir coloniales et patriarcales, mais en même temps appropriés pour les processus de résistance féministe, de visibilisation et de dénonciation de différents types de violence patriarcale » (Silveira, 2019, p. 6).

58Les chercheuses Helena Suárez Val, Sonia Madrigal, Ivonne Ramírez, María Salguero Bañuelos, évaluent le travail des cartographes latino-américains comme un projet collectif qui va au-delà de la dénonciation. Elles proposent que ces projets ouvrent « un espace de débat analytique, pour socialiser les effets produits par l’immersion dans des questions de violence misogyne extrême » (Ramírez, Bañuelo, 2019, p. 70). Elles réfléchissent également au fait que ces actions "peuvent sembler être un activisme numérique immatériel, mais en réalité, il s’agit d’une autre stratégie de poner el cuerpo. Dans l’expérience incarnée de la surveillance et de la cartographie, notre corporalité est altérée parce qu’elle est composée de forces ou de potentiels pour souffrir ou être affecté (éprouver des sentiments, des sensations et des pensées, affects passifs) et de potentiels pour agir ou affecter (imaginer, transformer, actualiser, affects actifs). Nous savons que nous avons un engagement éthico-politique et une énorme responsabilité dans chaque décision prise dans le cadre de notre travail de cartographie. Je crois que le petit acte de nommer, tout ce qu’implique le souvenir de la vie des femmes sur cette carte, est un geste de mémoire qui intensifie la colère et l’énergie politique parmi nous face à l’horreur de la violence qui nous hante. L’alliance que nous avons formée en est un exemple." (Suárez Val, Madrigal, Ramírez, Bañuelo, 2019, p. 70)23.

59Si Google sait comment nous nous déplaçons et où nous allons, il peut également marquer les expériences qui traversent nos corps pour créer une archive de la mémoire et des histoires qui vont au-delà des statistiques, en politisant ces expériences.

60Les cartographies de la violence dessinent des territoires de peur, mais aussi de résistance. En confrontant les données officielles, elles montrent les lacunes des registres des bulletins et de la formation de ceux qui reçoivent les plaintes ; la lenteur de certains organismes publics à systématiser les données et les difficultés d’accès à celles-ci, montrant comment la sous-déclaration ou l’absence d’informations (comme, par exemple, les transféminicides et les statistiques sur la violence dans les campagnes), affecte le développement des politiques publiques : comment et où elles sont mises en œuvre. Voilà ce qu’ont fait les cartographes citées ici. À partir de l’utilisation désobéissante, elles décolonisent subversivement l’"œil de Dieu".

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Notes   

1 Le référentiel est une initiative du projet "Data Against Feminicide" de Catherine D’Ignazio, Silvana Fumegae et Helena Suárez Val, qui soutient les activités pratiques liées aux données sur le féminicide et développe des outils pour soutenir ces actions. Il est disponible à l’adresse suivante : https://datoscontrafeminicidio.net/

2 Traduction libre de : « O termo cartografia na tradução do latim quer dizer carta escrita (charta, que significa carta ; grafh, que significa escrever). O trabalho do registro das topologias do solo do cartógrafo/geógrafo é parecido com o processo cartográfico do cartógrafo/pesquisador : ambos passam pela observação detalhada do ambiente/território que querem investigar, exploram caminhos que se multiplicam em busca das especificidades, das diferenças, averiguam as formas que se repetem e as que destoam e, por fim, fazem a descrição cuidadosa do lugar, que vive em transformação » (Coca e Rosário, 2018, p 38).

3 Geochicas est un collectif de cartographes féministes qui cherche à inclure davantage de femmes latino-américaines et hispanophones dans la construction de cartes par le biais de projets collaboratifs développés avec OpenStreetMap.

4 Traduction libre de : « si todo eso está hecho por hombres entonces falta ahí la representación de las necesidades diferentes y variadas de las mujeres, aportando una perspectiva interseccional ».

5 Traduction libre de : « Se constató que las mujeres mapeadoras tienden a añadir servicios que a menudo son pasados por alto por los hombres, como hospitales, servicios de guardería, baños, refugios contra la violencia doméstica y clínicas de salud para mujeres ».

6 Traduction libre de : « O feminismo não apenas tem produzido uma crítica contundente ao modo dominante de produção do conhecimento científico, como também propõe um modo alternativo de operação e articulação nesta esfera. Além disso, se consideramos que as mulheres trazem uma experiência histórica e cultural diferenciada da masculina, ao menos até o presente, uma experiência que várias já classificaram como das margens, da construção miúda, da gestão do detalhe, que se expressa na busca de uma nova linguagem, ou na produção de um contradiscurso, é inegável que uma profunda mutação vem-se processando também na produção do conhecimento científico ». (Rago, 1998, p. 3)

7 Traduction libre de : « (...) criticados por sua associação inequívoca à manutenção de relações coloniais e patriarcais de poder, mas ao mesmo tempo apropriados para processos de resistência feminista e visibilização e denúncia de diferentes tipos de violência patriarcal ».

8 Dans certains pays d’Amérique latine, le terme "fémicide" a été adopté dans la loi (Honduras, Chili et Guatemala), tandis que dans d’autres, le terme "féminicide" a été choisi (Brésil, Mexique, Nicaragua et République dominicaine). Pour une discussion approfondie, voir (Meneguel et Portela, 2017).

9 Traduction libre de : « O conceito de femicídio foi utilizado pela primeira vez por Diana Russel em 1976, perante o Tribunal Internacional Sobre Crimes Contra as Mulheres, realizado em Bruxelas, para caracterizar o assassinato de mulheres pelo fato de serem mulheres, definindo-o como uma forma de terrorismo sexual ou genocídio de mulheres. O conceito descreve o assassinato de mulheres por homens motivados pelo ódio, desprezo, prazer ou sentimento de propriedade. Russel ancora-se na perspectiva da desigualdade de poder entre homens e mulheres, que confere aos primeiros o senso de entitlement – a crença de que lhes é assegurado o direito de dominação nas relações com as mulheres tanto no âmbito da intimidade quanto na vida pública social – que, por sua vez autoriza o uso da violência, inclusive a letal, para fazer valer sua vontade sobre elas. O femicídio, assim, é parte dos mecanismos de perpetuação da dominação masculina, estando profundamente enraizado na sociedade e na cultura. São expressões deste enraizamento a identificação dos homens com as motivações dos assassinos, a forma seletiva com que a imprensa cobre os crimes e com que os sistemas de justiça e segurança lidam com os casos. O fato das mulheres, muitas vezes, negarem a existência do problema é atribuído à repressão ou negação produzida pela experiência traumática do próprio terrorismo sexista, além da socialização de gênero, em que a ideologia de gênero (ideologia considerada aqui no seu aspecto negativo) é utilizada para naturalizar as diferenças entre os sexos e impor estes padrões e papeis como se fossem naturais ou constituintes da natureza humana ».

10 Traduction libre de : « Outra situação que pode levar ao feminicídio é a agressão sexual, que ocorre em todas as classes sociais, no âmbito público e no privado. A violência sexual representa situação em que as mulheres estão na posição de meros objetos descartáveis, tornando esse ato extremamente perigoso pela necessidade do agressor de eliminar testemunhas e vestígios, matando a vítima após uma violação sexual ».

11 Selon Wânia Pasinato et Cecília MacDowell Santos (2008, p. 7), « le contexte politique de la création des premiers postes de police pour femmes au Brésil va du milieu des années 1970 au milieu des années 1980. Au cours de cette période, deux facteurs ont contribué à l’émergence de ces commissariats à partir de 1985. Le premier fait référence à l’expansion des mouvements féministes et des mouvements de femmes avec l’émergence de ce que l’on appelle la "deuxième vague" de ces mouvements au début des années 1970. Le deuxième facteur se réfère au processus, qui s’est produit dans la première moitié des années 80, de transition politique du gouvernement militaire au gouvernement civil et de redémocratisation de l’État, donnant lieu à la création de nouvelles institutions et de nouvelles lois qui pourraient correspondre à un État de droit démocratique et à la reconnaissance des droits de pleine citoyenneté pour tous les Brésiliens ».

12 AzMina est un jeu de mots entre quelque chose qui va de A à Z, qui, en portugais brésilien, signifie couvrir toute une extension discursive, et le nom "mina", un corrompu du mot "menina", qui signifie « fille ». « Mina » est aussi une façon de désigner les femmes en argot, un peu comme « meuf ». En français, le nom serait AzMeuf.

13 « Modèle de protocole latino-américain pour l’enquête sur les meurtres de femmes liés au genre (fémicide/féminicide) ».

14 Version originale: « feminicide is a phenomenon seen in countries in armed conflict situations, as is the case in Mexico. Members of organized crime also kill their female partners and these crimes are characterized by the seal of organized crime. There are also cases where they seduce, use, and murder them. That is why it is important to document all of them » (Salguero Bañuelos, 2009, p. 69)

15 « a veces las mujeres son asesinadas por temas de extorsión, de cobro de piso, o a veces son asesinadas por ser la pareja de la mamá, de la hija, porque tenemos ejecuciones de niñas de dos, tres años a lado de sus padres ».

16 Suárez fait référence aux ouvrages « Antropología, feminismo y política : Violencia feminicida y derechos humanos de las mujeres », Retos Teóricos y Nuevas Prácticas, éditée par Margaret Bullen y Carmen Diez Mintegui, España : Ankulegi, 2008, de Marcela Largarde y de los Ríos ; et « Qué es un feminicidio : notas para un debate emergente », Série Antropologia 401. Brasília : Departamento de Antropologia, Universidade de Brasília, 2008, de Rita Laura Segato.

17 Google Maps permet d’inclure dix couches, dans lesquelles les épingles peuvent être regroupées. Dans "Feminicios Uruguay", les couches sont organisées par année, en considérant les données de 2014 à 2022. L’icône de chaque information est l’élément de localisation, qui apparaît en rouge. Lorsqu’il est en orange, cela signifie que l’affaire n’a pas encore été conclue.

18 Traduction libre de: "Digital cartographies, as feminist affect amplifiers, call our attention to feminicide in an attempt to shift the atmosphere from indifference and denial, to awareness, concern, and action. Feminist activists develop careful processes to establish, adjust, and refine such criteria through feminist readings, conversations with other feminist activists, and/or by consulting legal frameworks at national or regional level" (Suárez Val, 2021, 8.25).

19 « sumar algún tipo de estadística que refleje cada cuánto o con qué frecuencia suceden estas violencias ».

20 Il existe des cartes qui utilisent les chiffres dits « officiels » des organismes gouvernementaux, combinés (ou non) avec ceux des organisations de la société civile et du soi-disant troisième secteur ; tandis que d’autres suivent les publications dans les médias, en utilisant des outils d’alerte et/ou la collaboration de personnes qui connaissent le projet et aident à alimenter les données de manière interactive.

21 Traduction libre de: « digital and non-digital media disobediently appropriated by feminist activists, acquire a self-propelling vitality, "continually doing things” (Bennet, 2009, p. 112; emphasis in the original) as they move through human and computer networks and formats, being re-used, re-signified and re-shared » (Suárez Val, 2021, p. 118).

22 « Un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit » (Foucault, 1994 [1977], p. 299).

23 Traduction libre de: « In this sense, beyond each projects contribution to the visualization of victims of feminicide, meeting with other mappers has opened a space for analytical debate, to socialize politicizing the affects produced by immersing ourselves in issues of extreme misogynistic violence. It may seem like immaterial digital activism, but in reality, this is another strategy of poner el cuerpo2. In the embodied experience of monitoring-mapping, our corporeality is altered because it is composed of forces or potentials for suffering or being affected (experiencing feelings, sensations and thoughts, passive affects) and potentials to act or affect (imagining, transforming, updating, active affects). We know that we do have an ethical-political commitment and an enormous responsibility with each decision made in our mapping work. I believe that the small act of naming, everything implicated in the remembrance of womens lives on this map, is a gesture of memory that intensifies the rage and political energy between us28 facing the horror of the violence that haunts us. An example of this is the alliance that we have formed. » (Suárez Val, Madrigal, Ramírez, Bañuelo, 2019, p. 70).

Citation   

Larissa Pelúcio et Fernanda Pasian, «Décoloniser l’œil de Dieu - méthodologies féministes pour la construction de cartes sur la violence de genre en Amérique Latine», Cultures-Kairós [En ligne], mis à  jour le : 12/04/2023, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=1944.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Larissa Pelúcio

Larissa Pelúcio est professeure en Anthropologie et directrice de recherche (livre docente - HDR) au Département de Sciences Humaines et au Programme de Post-Graduation en Communication (Faculté d’Architecture, Arts, Communication et Design) de l’Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho-UNESP. Ses recherches portent sur le genre, la sexualité, les études féministes, les médias contemporains et la théorie queer.

Quelques mots à propos de :  Fernanda Pasian

Fernanda Pasian est masterante au Programme de Post-graduation en Communication (Faculté d’Architecture, Arts, Communication et Design) de l’Universidade Estadual Paulista Júlio de Mesquita Filho-UNESP, où elle développe une recherche sur "Les cartes des meufs : formation de réseaux en cartes collectives en Amérique Latine", et participe du groupe de recherches Transgressões - Gênero, Sexualidades, Corpos e Mídias contemporâneas. Ses intérêts de recherche portent sur communication et ville, dans la perspective du genre.