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Éloge des marges : re(ading)tours sur des pratiques minoritaires dans le milieu académiquePraise of the margins : re(ading)turns on minority practices in the academic milieu

Rachele Borghi
décembre 2018

DOI : https://dx.doi.org/10.56698/cultureskairos.1774

Index   

Texte intégral   

#A-parté

1Dans son célèbre texte de 1989, bell hooks abordait d’une façon inusuelle la question de la marginalité. A travers sa lecture de la marge comme espace de résistance et lieu radical de possibilité, elle nous offrait une vision empowering de la marginalité, vu comme espace de création et non de soumission. Ce renversement du point de vue permettait de penser la marge comme un espace à habiter, dans lequel trouver sa place, où rester et non comme un espace de transit pour atteindre le centre. Il s’agit d’un changement épistémologique fort parce que cette idée transforme les marges en espaces de création, de partage, d’élaboration de stratégies collectives, de contre-espaces (Foucault, 1984) d’élaboration de façons différentes de vivre le monde. La marge comme espace contre-hégémonique est le lieu de la mise en commun des expériences, des conditions, des parcours de vie. La marginalité devient alors non seulement un lieu privilégié de création mais aussi un lieu qui offre un point de vue sur le monde capable de rendre visible l’invisible, de dénaturaliser les processus intériorisés, un lieu où voir les mécanismes qui rendent fonctionnel le système dominant. Un lieu de contre-attaque pour contre-attaquer : la marge devient l’espace privilégié d’élaboration de micro-politiques à diffusion virale.

Voix off. (musique play), bell hooks (1989, p. 148-149) : « These margins have benn both sites of repression and sites of resistance (…). I am located in the margin. I make a definite distinction between that marginality which is imposed by oppressive structures and that marginality one chooses as site of resistance – as location of radical openness and possibility. This site of resistance is continually formed in that segregated culture of opposition that is our critical response to domination. (…) We are trasformed, individually, collectively, as we make radical creative space which affirms and sustains our subjectivity, which gives us a new location from which to articulate our sense of the world » (musique stop).

2Est-il possible d’imaginer un centre différent à partir de ses marges ? Est-il sensé de parler des marges du centre ? Et dans ce cas, est-il possible de les occuper ? Est-ce que les marges du centre peuvent être considérées comme des espaces de production de radicalité pour la construction de nouveaux mondes ?

#Cadre

3Je voudrais partager des pratiques que j’ai expérimentées à partir de la marge d’un espace-centre, c’est-à-dire d’un espace qui est central à l’intérieur du système dominant et qui est impliqué directement dans la reproduction des mécanismes de pouvoir et des rapports de domination : l’université.

4L’espace académique français résiste au développement et à l’engagement épistémologique critique. Il maintient l’épistémologie positiviste comme norme scientifique, soutenant souvent de multiples formes de violence épistémique qui empêchent le développement de la créativité épistémologique dédiée à la transformation sociale plutôt qu’à l’objectivation sociale (Borghi, Bourcier et Prieur, 2016, p. 165). 

5L’université est donc un haut lieu de l’exercice du pouvoir institutionnel, qui se transforme souvent en une citadelle. L’université est une citadelle dans le sens figuré parce qu’elle est souvent fermée à la société. Les discours sur l’ouverture de l’espace universitaire, sur la création de passerelles, entre formation universitaire et société, se traduisent dans une approche de plus en plus néolibérale (voir Bourcier 2017).

Voix off. (Musique play), Lawrence Busch (2014, p. 9) : « on accorde de plus en plus d’importance à la compétition concurrentielle entre les institutions, les scientifiques, les universitaires et les étudiants. En parallèle de cette concurrence accrue, les audits ont acquis un rôle prépondérant. De nombreuses questions sont posées à propos de leurs performances, notamment : le classement de l’université́ s’est-il amélioré́ ? Le nombre de diplômés a-t-il augmenté ? Les étudiants ont-ils progressé rapidement dans le programme ? Les enseignants ont-ils publié plus d’articles dans des revues de renom ? En outre, que doit-on faire, compte tenu des résultats de l’audit ? Doit-on récompenser ceux qui progressent ? Doit-on réorganiser les autres ou les soumettre à d’autres audits ? ».

Willem Halffman et Hans Radder (2015, p. 165-166) : « the university has been occupied – not by students demanding a say (as in the 1960s), but this time by the many-headed Wolf of management. The Wolf has colonised academia with a mercenary army of professional administrators, armed with spreadsheets, output indicators and audit procedures, loudly accompanied by the Efficiency and Excellence March. Management has proclaimed academics the enemy within : academics cannot be trusted, and so have to be tested and monitored, under the permanent threat of reorganisation, termination and dismissal » (musique stop).

6L’université est aussi une prison dans laquelle on peut s’auto-enfermer. Quand on fait partie de l’institution, on intègre souvent l’idée que dans son espace il y a des questions/sujets/actions/pratiques qu’on peut réaliser et d’autres qui n’ont pas leur place, qui sont out of place (Cresswel, 1996) tout comme la personne qui les propose. L’ordre et la reproduction des normes sont garantis par l’observance des praxis qui se réalisent seulement quand on intègre les interdits tacites.

7Est-ce qu’il y a la possibilité de transgresser ces praxis ? Quand on fait partie de l’institution, quand notre corps fait le corps enseignant institutionnel, quelle est la marge de manœuvre pour ne pas reproduire l’ordre imposé par l’institution ?

8Si on arrive à pénétrer « la maison du maître », en se glissant dans une faille, en se faufilant dans un interstice, et à s’y installer

Voix off. Diana Torres Pornoterrorista (2011, p. 197) « y me instalo justo ahi donde quiero estar/ donde luzco come un molesto insecto mutante al que no podréis matar ».

9on peut avoir accès à un point de vue, une position privilégiée pour regarder et pour trouver les stratégies de contamination du lieu, de diffusion du virus. A partir de là, il est donc possible d’apprendre à détourner, contourner, dépasser les normes et les règles de l’institution. Conditions nécessaires : a. renoncer au consensus, à la légitimité, à l’acceptation ; b. résister dans l’occupation des interstices ; c. renverser la valeur négative de rester à la marge pour vivre la liberté et la créativité d’habiter la marge.

10Dans ce cadre, créer et expérimenter des formes de résistance aux normes imposées par les sujets dominants dans un cadre institutionnel est donc possible.

#Solo

11Je suis une féministe transféministe, femme cisgenre, pas française mais européenne, européenne mais du sud de l’Europe, blanche italienne donc plutôt white trash, non hétérosexuelle, lesbienne queer, et en CDI, avec un passé de précarité universitaire de 13 ans, géographe, langue parentale italienne. Je travaille comme maître.sse de conférences à l’université, donc mon engagement féministe pour la création d’un autre monde anti-autoritaire, anti-capitaliste, anti-raciste, anti-sexiste, anti-classiste, anti-agiste se concentre principalement dans le milieu académique. Il s’agit de mon espace de référence, mon espace quotidien, donc, pour moi, l’espace privilégié pour la mise en place de micropolitiques.

#Pour en finir avec l’effort auto-imposé de se légitimer : en grève du discours dominant

12Le système de pensée taxonomique dans lequel la raison cartographique occidentale nous a piégés, nous impose de classifier les lieux et les attitudes/comportements/actions/mots. Comme dans un jeu de cartes, il faut savoir combiner espaces et actions : chaque chose à sa place. Dans le cas contraire, des sanctions sont appliquées. Souvent la sanction est morale et engendre un mécanisme d’exclusion du lieu (Puwar, 2004). Faire des actions et/ou utiliser des mots qui sont considérés par le discours dominant « déplacés », « inappropriés » signifie être étiqueté.e comme une personne out of place. Ce dispositif d’exclusion est puissant parce qu’il ne nécessite pas d’être agi de façon continue, au contraire il se base sur l’intériorisation du sentiment de se considérer comme une personne out of place. Les sujets marginaux intègrent souvent la perspective dominante, un regard sur soi qui favorise l’intériorisation de ne pas se « sentir légitime ». Dans les milieux universitaires conservateurs, trouver sa place quand on ne partage pas les mêmes valeurs, la même vision du monde, les mêmes paradigmes scientifiques, quand on est étrangère, appartenant à une minorité (sexuelle ou autre) se transforme souvent en une bataille. D’abord avec soi-même. Injonction à se positionner continuellement, se sentir obligé.e de justifier en permanence ses choix épistémologiques, ses paradigmes de référence, ses méthodes et ses pratiques. Dans le cas contraire, la mise en discussion de sa crédibilité, de sa légitimité à occuper une place dans la production et transmission des savoirs institutionnels est toujours mis en discussion et renforcée par la rhétorique de l’égalité et de la liberté de recherche et de pensée.

13La création d’un dispositif d’autocontrôle et d’autocensure est très fragilisant. Il est aussi très fatigant. À la fatigue d’accomplir son propre travail, il s’ajoute le travail supplémentaire pour construire un cadre de pensée théorique tellement fort et inattaquable, chose qui n’est pas demandé à un.e scientifique qui fait référence au paradigme dominant. Un travail supplémentaire de justification de ses références bibliographiques et épistémès vis à vis de son entourage. Un travail supplémentaire pour montrer que « oui, c’est bien de la géographie » et « non, n’est pas une idéologie à laquelle je fais référence mais une épistémologie » et « oui, c’est bien une école de pensé et un positionnement ». Un effort supplémentaire est nécessaire aussi pour répondre aux résistances que certains choix méthodologiques et bibliographiques minoritaires provoquent chez les personnes étudiantes.

14Dans un cours d’épistémologie de la géographie, par exemple, parler d’un concept central de la géographie, la frontière, en faisant référence à « Borderlands/La Frontera » de Gloria Anzaldua n’est pas évident. Il ne s’agit pas d’une référence courante et légitimée de la géographie en France. Il est donc compréhensible qui puisse susciter de la méfiance quand la lecture d’un texte pareil est proposée par un.e enseignant.e minoritaire. Faire partie d’une minorité pour son approche, son positionnement, son parcours de vie, sa nationalité, proposer des références quasi-inconnu dans la discipline, surtout quand ce sont des textes qui font référence, par exemple, à l’épistémologie féministe expose à une vulnérabilité qui passe par la délégitimation de son propre cours, de son approche et de sa personne.

15Ce que tu sens qui est de fond mis en discussion, c’est la légitimité de ta place au sein de l’institution. Il va de soi, la mise en acte d’une sorte d’auto-injonction à se légitimer en permanence : ses choix, ses cadres théoriques, soi-même comme sujet légitime de production/transmission du savoir.

Flashback. Amphi Molho, Clignancourt, Paris IV, cours magistral d’épistémologie de la géographie, 2015. Présentation du cours, de la bibliographie et des penseur.e.s qui seront abordé.e.s dans le cours. Une étudiante demande de prendre la parole : « Madame, pourquoi on lit beaucoup de textes de femmes, noires et lesbiennes ? ».

16La question sous-entend l’illégitimité d’un tel savoir dans un contexte scientifique académique. Hésitation et méfiance sont liées à l’intériorisation du paradigme positiviste - encore très répandu dans certains milieux de la géographie française – qui renforce chez les personnes étudiantes l’idée que la neutralité existe, aussi bien que l’objectivité, la distance de son terrain et objet de recherche. Parler de strong objectivity (Harding, 2005) ou de savoirs situés (Haraway , 1988) n’est pas encore évident.

Retour au flashback. J’ai alors répondu que je faisais ces choix car, dans mon cours, je développais une approche radicale, c’est-à-dire qui va aux racines ; or, certaines racines de la géographie post-moderne se trouvent chez les noires, lesbiennes, chicanes et afro-américaines. Donc j’essayais de leur montrer comment tout un tas de concepts et surtout de références avaient été tout simplement oubliés ou – encore pire – invisibilisées par la production du savoir légitimé et institutionnel, c’est à dire, dans ce cas particulier, de ceux qui sont considérés les grands penseurs de la géographie postmoderne, et qui sont anglo-américains blancs et hommes. C’est justement ce que les géographes latino-américain.e.s ont montré en parlant du tournant décolonial dans la géographie.

Voix off. (musique play) Leonardo Name et Oswaldo Francisco Freitez Carrillo (2017) :  « el saber que es llamado “científico” – incluso el geográfico, incluso el cartográfico – no está libre de ser una construcción elaborada bajo los deseos de distinción y las voluntades de dominación de grupos dominantes. En ese sentido, la teorización de la cartografía crítica ha ignorado un importante aporte teórico : el llamado “giro decolonial” (Lander, Comp. 2000 ; Mignolo y Escobar, Comps. 2010) que pretende auxiliar en la tarea de desmontar la subjetividad del ser y del conocimiento construidos a partir del dominio colonial. Un sinnúmero de escritos decoloniales han planteado una perspectiva epistemológica propia que coincide con los deseos de autonomía y emancipación de los pueblos y grupos subalternos de América Latina y Caribe.

La decolonialidad exige accionar “conocimientos situados” (Cf. Haraway, [1991] 1995 : 313- 346) contra las geohistóricas “colonialidad del poder” (Quijano 1992, 2002, [2000] 2005) y “colonialidad del género” (Lugones, 2008 y [2010] 2014) : prácticas y discursos opresores y violentos, inherentes a la modernidad europea, cuyo presupuesto se ubica en una clasificación social que mezcla los territorios con una idea de “raza”, a su vez codificada como diferencia “étnica”, “antropológica”, “cultural” o “nacional” ; en intersección con una organización diferencial en términos de clase, género y sexualidad ; y que aún persiste tanto jerarquizando las prácticas de los procesos políticos y económicos en variadas escalas como las subjetividades e intersubjetividades entre personas y grupos. En otras palabras, la colonialidad produce una ontología acerca del mundo bajo una racionalidad moderno- colonial que, aunque en verdad sea situada – porque es eurocéntrica, androcéntrica y racista –, se presenta como universal : la visión hegemónica del mundo es una visión particular – caucásica, burguesa e indisociable del patriarcado –, pero se confunde con una idea de normalidad » (musique stop).

17Donner « la bonne réponse » aux questions des personnes étudiantes signifie avoir déjà réfléchi à la possibilité d’être contesté.e.s, signifie faire un effort de performance dans la réponse, ne pas se laisser intimider par la question, et surtout être sûr.e de soi et d’être bien « à sa place ». Chose qui est bien loin d’être évidente. Il faut du temps et beaucoup d’énergies. Est-il possible de rompre se cercle vicieux de fragilisation ? Et si on changeait de perspective et de regard ? Qu’est-ce que ça changerait ?

18Prendre conscience du mécanisme dans lequel on est investi.e, se rendre compte que ce que on vit personnellement a un sens politique facilite l’inversion de marche : passer de la fragilité à l’empouvoirement.

19Traduction de cette réflexion en action : en grève du discours dominant.

Voix off. (Musique play)Les grévistes transféministes du CIRQUE (L’Aquila, Italie, 31 mars – 2 avril 2017) : « Nous sommes en grève contre la violence épistémique, contre le travail non rémunéré et non reconnu que l’on nous soutire, contre le travail de justification et le travail pédagogique à destination des classes dominantes ; contre la précarisation, l’exploitation et l’oppression dont souffrent les travailleureuses universitaires, contre le racisme, l’islamophobie et le pinkwashing à l’université. Nous sommes en grève contre ces dynamiques car elles ont toutes des conséquences matérielles sur nos vies en tant que personnes queer, trans, racisé·e·s et précaires bien au-delà de l’université.

Grâce à la solidarité et à la créativité qui nous ont permis de transformer en partie notre frustration, notre colère et notre douleur en outils de résistance, la brûlure cautérise. Nous cicatrisons, mais pourquoi celleux qui nous ont blessé·e·s ne comprennent-illes pas la nécessité de se remettre en cause ou d’assumer leurs actes ? Nous ne nous tairons pas. La pensée et les théories queer et trans au sein et en dehors de l’université sont ancrées dans nos expériences et doivent s’élaborer pour soutenir nos vies et de nos luttes ».

20Entrer en grève : en finir avec l’effort de légitimation, en finir avec l’injonction à mobiliser les références scientifiques dominantes, en finir de demander sa place.

Voix off. (cri) la liberté ne se demande pas, elle s’arrache. L’espace ne se demande pas, il s’arrache !

21Entrer en grève signifie aussi en finir avec les normes scientifiques académiques imposées dans l’enseignement, dans la méthodologie de la recherche, dans les supports de diffusion du savoir scientifique. Entrer en grève signifie en finir avec l’élitisme du savoir, qui se traduise dans des expressions et formes qui rendent le savoir inaccessible et frustrante pour qui n’a pas tous les outils de décodage d’un texte scientifique, qu’il soit oral ou écrit. Traduction en action : expérimenter des nouvelles formes de production/transmission du savoir en donnant toute sa place à la créativité et au plaisir.

22Voix off. Maria Montessori : « Per insegnare bisogna emozionare. Molti pero’ pensano ancora che se ti diverti non impari ».

#Décoloniser les supports de diffusions de la connaissance scientifique

23L’approche décoloniale des savoirs nous a permis de comprendre que sortir du colonialisme nécessitait non seulement un effort de déconstruction et d’écoute des autres voix, comme les postcolonial studies nous avaient montré, mais signifiait pour les scientifiques académiques occidentaux de faire le grand effort de renoncer au privilège de produire le discours dominant. Considérer que les voix subalternes n’ont pas juste à « être écoutées » mais qu’elles doivent occuper la même place que les voix dominantes, signifie savoir renoncer à sa place privilégiée. Il signifie s’engager à exploser la tour d’ivoire qui a protégé le/la scientifique occidental.e jusqu’à présent.

24#Je-me-questionne : comment se soustraire aux modalités dominantes de diffusion et transmission du savoir qui participent à la reproduction des rapports de domination ?

#Chapitre 1. Le corp(us) du terrain/dans le terrain

25Dans mes études, je me suis d’abord interrogée sur comment le corps pouvait rentrer en relation avec l’espace. Ensuite je me suis concentrée sur l’idée du corps comme un espace en lui-même et donc comment les dynamiques de contrôle social se concrétisent dans le corps. Le corps, je l’ai analysé comme un lieu où la performance prend vie ; j’ai donc étudié le rôle de la performance dans la rupture des normes qui règlent l’espace public et comment le corps pouvait devenir un outil de transgression des normes sociales.

26Je me suis intéressée au postporn en tant que mouvement militant de dissidence sexuelle qui mobilise le corps dans l’espace public.

27Le postporn m’apparaît comme une concrétisation très matérielle, très corporelle, de la théorie queer, et un exemple de rupture des normes à travers les corps. Je me suis donc intéressée aux performances postporn réalisées dans l’espace public et leur rapport aux lieux. Mon terrain en immersion prévoyait ma participation à des ateliers. Dans le milieu postporn transféministe les ateliers sont des moments privilégiés de circulation et de partage du savoir ainsi que de création de savoirs partagés. J’ai fait des ateliers de bondage, d’éjaculation féminine, de lecture, d’écriture, de production de jouets sexuels, de BDSM. Tout ça était nouveau pour moi, surtout l’engagement explicite et la mobilisation forte de mon corps. Il a été nécessaire de m’interroger sur la place de mon corps de chercheur.e dans un contexte anarchiste post-punk dont je ne faisais pas partie au début ; et bien évidement sur la légitimité de ma présence et de mes méthodes. Expliciter mon positionnement auprès des personnes organisatrices et des participantes aux ateliers n’était pas suffisant. Le fait de prendre des notes en permanence et, quand c’était possible, des photos marquait mon corps dans le terrain. Avec un certain recul, je crois que les outils de terrain (carnet de notes, appareil photo, camera) m’ont servi à me « cacher » vis à vis de moi-même, à ne pas trop m’exposer dans ce contexte qui ne m’était pas du tout familier, dans lequel je ne me sentais pas à l’aise. C’était une façon de trouver ma place. Et cela passait forcément par la réélaboration de l’expérience de me sentir out of place à cause de mon corps et de mon rôle social. Malgré ça, il n’était pas question d’abandonner le terrain, de me sentir dépassée par lui ; il était au contraire l’occasion d’apprendre à me sentir à l’aise dans le malaise.

28Autre envers du décor : la méthode ethnographique m’a aussi permis de faire des expériences sans être obligée de m’interroger sur mes désirs.

Flashback. Premier atelier pratique de squirting animé par Diana Torres, Slavina et Rosario Gallardo, Milan, centre social La fornace, mars 2015. Diana Torres explique que l’éjaculation féminine n’est pas exceptionnelle mais cela concerne toute les personnes qui possèdent une glande de Skene, renommée par les activistes Anarchagland. Il faut d’abord en connaître l’existence pour ensuite pouvoir la solliciter et provoquer l’éjaculation. À l’exposé oral, qui était accompagné par des images et des indications détaillées pour d’abord trouver et ensuite solliciter la glande, fait suite la proposition de passer à la pratique. Diana a laissé la salle en disant qu’elle nous aurait attendu « en haut » les personne ayant envie d’explorer collectivement l’intérieur de son vagin et d’aller chercher l’expérience de l’éjaculation. Nous étions une vingtaine à nous lever de nos chaises et à monter l’escalier qui nous aurait conduites vers une terre inconnue : celle de notre corps. « Le squirting est une pratique de libération du corps de l’oppression patriarcale et de l’effacement du plaisir. Il suffit de solliciter l’Anarchaglande. C’est la première fois que nous conduisons un atelier pratique donc on ne sait pas bien ce qu’on va faire mais si vous êtes arrivée jusque-là, il serait peut-être bien de commencer par enlever vos culottes. Voilà des gants et du lubrifiant. Vous pouvez essayer toute seule ou en binôme. On pourra aussi faire une démonstration collective. Est-ce qu’il y a une personne volontaire ? ».

29La méthode d’immersion, de participation observante me légitimait à me présenter comme volontaire sans interroger mes motivations et surtout en dépassant le frein de la pudeur.

30Mon terrain a donc permis à mon corps de faire des expériences sans me poser la question de la place de mon désir dans l’expérience, du courage, de l’influence de la gêne et de la pudeur. Ce n’est pas évident d’éjaculer devant tout le monde, surtout quand deux heures avant tu ignorais l’existence d’une glande dont la seule vocation est l’éjaculation.

31Ce genre d’expériences de terrain interroge le corps de la personne chercheuse et cela représente un dispositif de réflexion et de retour sur la subjectivité assez important dans la recherche. Mais, en même temps, ces aspects peuvent aussi délégitimer la démarche et la recherche en soi. Qu’est-ce que comporte l’explicitation de ce genre de terrain devant à sa propre communauté disciplinaire ? Il est bien connu que la discipline discipline les sujets et détermine les règles qu’il faut respecter pour acquérir le privilège d’en faire partie.

Voix off 1. « Pour devenir "enseignant-chercheur" c’est-à-dire pour enseigner dans les établissements de l’enseignement supérieur (universités, grandes écoles) et mener des recherches dans des laboratoires de recherche publique, il est nécessaire d’être inscrit sur une liste de qualification qui constitue une phase préalable au recrutement.

La qualification est délivrée par le conseil national des universités (C.N.U.).

Les dispositions réglementaires qui fixent le cadre général de la qualification et du recrutement sont définies par le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences.

L’arrêté du 05 juillet 2017 relatif à la procédure d’inscription sur les listes de qualification aux fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités précise les conditions à remplir par le candidat à une inscription sur la liste de qualification » (Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation).

Voix off 2. « Recommandations pour la qualification aux fonctions de maître de conférences.

23e section CNU : Géographie physique, humaine, économique et régionale.

(…) 4/ Pour des candidatures « périphériques » à la discipline

Elles sont assez nombreuses et variées (aménageurs, sociologues, économistes, architectes, géologues, autres spécialistes de géosciences, biologistes, historiens…). La section 23 du CNU ne s’interdit en rien de qualifier ce type de profil, si le lien avec la discipline géographique est clairement établi.

La section 23 examinera donc les critères suivants :

- la présence de géographes dans le jury de thèse, dont au moins un comme rapporteur,

- la présence d’un géographe comme co-directeur de la thèse,

- la présence de références bibliographiques de géographie réellement mobilisées (et non simplement citées en bibliographie) dans la thèse,

- des publications dans des ouvrages ou revues de géographie,

- des enseignements de géographie devant un public de géographes,

- un courrier expliquant les raisons de la demande de qualification en section 23 est vivement recommandé. L’absence de cette lettre explicitant la démarche pénalise lourdement le candidat.

- des signes tangibles de rapprochement avec des géographes, la seule appartenance à un programme de recherche commun ne pouvant suffire.

La dynamique du parcours (tendance au rapprochement ou à l’éloignement vis-à-vis de la discipline) sera particulièrement étudiée, tout comme la capacité estimée à enseigner en géographie. La section 23 attire l’attention des candidats sur le fait d’avoir à justifier plus particulièrement leur demande, à la fois par une lettre expliquant les raisons de leur demande de qualification en section 23 et par le choix de publications illustrant l’aspect géographique de leur travail.

Les sections du C.N.U. décident souverainement des critères d’examen des candidatures » (Conseil National des Universités).

32Ma discipline de référence n’est pas l’art, ni les performances studies, je ne suis ni sociologue, ni anthropologue. Je suis géographe. En géographie, le corps est un sujet de recherche depuis les années 1990. Sa légitimité n’est plus mise en discussion en France, grâce à des travaux de plus en plus nombreux, dont Francine Barthe (2003) fut pionnière. En revanche ton corps est censé rester en dehors de l’affaire. Tu peux travailler sur le corps mais pas avec ton corps : ton corps est supposé rester hors de la recherche. Si les émotions ont commencé à être nommées et problématisées, tes émotions restent encore taboues. Même sorte pour la sexualité. Restituer ce genre d’aspect dans un travail scientifique, assumer la méthode auto-ethnographique, la restituer jusqu’au but, c’est à dire, en intégrant à l’écrit et dans les images ton corps, tes sentiments, tes émotions, ta sexualité, ton positionnement est encore quelque chose qui nécessite de rassembler tout le courage que l’on a à disposition. Cela signifie aussi faire un choix qui prenne en compte la prise de « risques ». Si cela est difficile quand on est dans une position privilégié (c’est-à-dire en poste), il devient un véritable acte de courage bien rare quand il s’agit de l’écriture, par exemple, d’une thèse de doctorat. Rare mais pas absente...

Voix off. (musique play) Cha Prieur (2015, p. 9-10) : « Le verbe découvrir contient plusieurs significations. La découverte est d’abord une expérimentation, une recherche de choses nouvelles. Parfois la découverte est aussi une aventure : entre perte, difficultés, efforts et victoires. Lorsque le verbe est précédé du pronom réfléchi, il prend d’autres sens. Se découvrir, c’est d’abord enlever des couches de vêtements en allant parfois jusqu’à la mise à nu qui expose le corps et le rend vulnérable au regard des autres. Se découvrir, c’est donc aussi montrer sa vulnérabilité. Mais c’est en même temps se rendre visible dans l’espace alors qu’on ne l’était pas avant. C’est quelque part pratiquer le coming out, assumer sa différence, sa déviance à la norme, sa vulnérabilité pour mieux pouvoir se recouvrir d’une fierté reconstruite et réappropriée. C’est aussi d’une certaine manière se découvrir soi. À l’image des couches de vêtements qu’on peut empiler ou retirer à l’envi, se découvrir revient à étudier le palimpseste des identifications qui nous constituent. Au moment de la rédaction de ma thèse, je dois me rendre à l’évidence que c’est bien, au moins inconsciemment, cette volonté de me découvrir qui m’a mené.e à ma recherche.

A mesure que j’expérimentais et analysais les lieux et milieux queers, je découvrais comment les lieux mais aussi les milieux et les théories queers résonnaient à travers moi. Dans un mouvement contraire, plus ces théories résonnaient en moi, plus je revêtais des habits queers (au sens propre comme au figuré), plus mon corps apparaissait dans l’espace public et dans l’espace académique. À la fin de ma thèse, j’ai décidé de me mettre à nu dans l’espace académique en assumant à la fois mon positionnement de chercheur.e queer c’est-à-dire de changer mon prénom dans mes dernières publications, en acceptant d’apparaitre en public ouvertement comme une personne queer et en affirmant mon engagement féministe dans ma recherche et dans le cadre de mes enseignements. Pour ces raisons, j’ai décidé́ de restituer mon cheminement dans un récit auto-ethnographique en reconstituant mon parcours et en mettant en avant les ruptures et changements de cap de ma recherche » (musique stop).

(p. 24) « C’est ainsi que je souhaite terminer ce parcours autoethnographique qui englobe aussi les questionnements face à la rédaction : est-il vraiment possible de me livrer autant dans cette thèse ? Pourquoi suis-je en train de le faire ? Comment assumer une écriture qui me dévoile si personnellement ? La seule réponse que j’ai trouvée est la suivante : je ne pouvais ni ne voulais faire autrement. Mon positionnement aussi bien politique qu’académique se justifie et relève de mon propre choix. Je l’assume et le revendique comme une manière de faire de la recherche autrement en n’oubliant jamais les liens qui existent entre le chercheur.e, le militant.e et la personne que je suis ».

33Le courage de la vérité (Foucault, 2009) est le résultat d’un processus. Le courage de dire le terrain s’acquiert sur le terrain. Le vécu du terrain devient une partie intégrée de ta vie et pas une parenthèse, un lieu de transformation qui marque parfois un ’avant’ et un ’après’. Pour cette raison, dire la vérité c’est la seule chose possible. Et cette exigence arrive quand le terrain n’est pas seulement un lieu de transformation mais aussi d’empouvoirement qui a des moments et des espaces privilégiés, comme c’est le cas des ateliers. L’atelier est un espace de création de relations, un espace bienveillant (Prieur, 2015) qui peut transformer le corps individuel en corps collectif.

Voix off. (vidéo), Slavina (2016, p.) « Les ateliers sont, pour ce qui me concerne, l’expérience la plus radicale, la plus profonde et la plus politique que j’ai appris à mettre en œuvre, à nommer et à valoriser, à travers la pratique postpornographique ».

34La circulation de l’énergie et du courage ne s’arrête pas à l’intérieur de l’espace de l’atelier mais se renverse au dehors et continue ensuite pour se déployer dans le contexte de la personne qui y a participé. Ce processus rend alors possible de « dire la vérité » et d’avoir le « courage » de restituer le travail scientifique autrement, avec et sur des supports « autres ».

Flashback (musique play), Casa Internazionale delle donne, soirée de clôture du cycle de séminaires Queer it yourself, Rome, 18 mai 2012. Guest : Slavina avec le reading King kong ladies. Queer it yourself était une tentative de vulgariser des théories queer. Slavina était et est considérée comme l’une des principales activistes post porno, écrivaine, performeuse, éducatrice. A l’époque ma recherche sur le post porno était en cours. Slavina était ma principale enquêtée avec Diana Pornoterrorista. Je devais introduire son intervention et sa présence dans le séminaire. Mais cela ne me satisfait pas. L’intervention de Slavina aurait été suivie par une performance, un reading pour la précision, dans la cour de la Casa. J’avais envie de partager un moment fort avec elle. Je venais de lire un texte qui m’avait beaucoup marqué. J’avais envie de le performer. Je demande : « Slavina, est-ce que je peux faire le reading avec toi ? ». Elle me répond : « Bien évidement ». Pour moi il n’y avait rien d’évident à penser de restituer un texte sur une scène et pas sur une page. J’étais très excitée. Je prépare mon texte, je m’entraine dans la lecture, j’attends le moment du briefing. Le moment de monter sur scène est encore loin. « Comment on s’habille ? » ; « On verra, on a du temps, ce n’est pas important maintenant » elle répond. Le moment du briefing n’arrive jamais. Le moment de la scène arrive trop vite. Nous sommes toutes les deux debout derrière la scène. Encore quelques minutes et la performance commencera. Elle me regarde, un sourire rassurant lui remplit le visage : « Écoute, ça te dit si on monte nue ? ». Je la regarde. Une expression perplexe apparaît sur mon visage juste pour une seconde. Cela n’ait pas dû lui échapper lorsque elle continue : « N’aie pas peur du froid, on garde la veste ouverte». Je monte sur scène avec elle. Je commence à lire mon texte. Je découvre que la nudité publique peut être empowering. Je découvre que mon corps est fort. Je sens le corps du/dans le terrain. Je comprends qu’il est possible de queeriser la recherche, de la libérer de l’injonction du papier imprimé, de lui donner (son) corps (musique stop).

#Chapitre 2. Incorporer le savoir

35Toutes les personnes ne sont pas égales devant l’institution universitaire, le sujet de leur recherche non plus.

36La réception dans le milieu académique des dirty topics n’est pas égale partout. Ce qui dans certains contextes est considéré comme « non scientifique », non légitime au niveau de la discipline, potentiellement « salissant » la réputation de la personne chercheuse, est, dans d’autres contextes, perçu comme original, avant-gardiste, ayant toute sa place dans une certaine discipline et dans le milieu scientifique en général.

37Quand les premiers résultats de ma recherche sur le postporn ont été diffusés, j’ai commencé à être sollicitée pour intervenir dans quelques colloques et séminaires. Mais le rapport avec mes enquêtées et leur réticence devant une personne productrice d’un savoir institutionnel et donc potentiellement violent, phagocytant et qui parle à la place en tant qu’expert m’avait mis devant le coté obscure du travail de recherche et devant les contradictions de la restitution. Comment diffuser les résultats sans reproduire les rapports de domination que le système académique incarne ? Comment ne pas construire sa carrière sur le corps des enquêté.e.s ?

Voix off. (Musique play). Brunella Casalini (2016) : « Il potere si manifesta non solo nella costruzione della conoscenza, ma anche, per altra via, mediante la definizione di ciò che non è conoscenza, nel tracciare i confini tra ciò che è degno di essere conosciuto e ciò che non è tale perché non esistente o non percepito » p. 130.

La riflessione filosofica intorno all’ingiustizia epistemica non ha a che fare tanto con la distribuzione di beni quali l’istruzione e la conoscenza, quanto più specificamente con « il danno che può essere fatto a una persona nelle sue vesti di soggetto conoscente»,23 soggetto in grado di produrre, trasmettere e comunicare conoscenza, ma anche in grado di dare senso alla propria esperienza. Due forme di ingiustizia specificamente epistemiche sono individuate da Amanda Fricker : l’ingiustizia testimoniale e l’ingiu- stizia ermeneutica.

Fricker illustra l’ingiustizia testimoniale, che attribuisce principalmente a un deficit di credibilità derivante da un pregiudizio negativo sull’identità di una persona (p. 135).

Se nell’ingiustizia testimoniale la vittima ha le “parole per dirlo”, per denunciare la propria situazione di oppressione, e soffre di un deficit di cre- dibilità dovuto a un pregiudizio sulla sua identità, nel caso dell’ingiustizia ermeneutica il problema è costituito dall’assenza di risorse cognitive che consentano di riconoscere come una vera e propria ingiustizia la situazione nella quale ci si trova. Con le parole di Amanda Fricker, « si è in presenza di un’ingiustizia ermeneutica [...] quando un vuoto nelle risorse interpre- tative collettive mette una persona in una iniqua situazione di svantaggio quando si tratta di dare senso alla propria esperienza sociale». (p. 136).

sfruttamento, marginalizzazione, violenza, imperialismo culturale e mancanza di potere.31 Grazie a queste forme di oppressione il gruppo dominante riesce a esercitare un controllo egemonico sia sulle opportunità di accesso alle risorse materiali socialmente prodotte sia su quelle che consentono di par- tecipare in modo significativo alla vita sociale come soggetti in grado di produrre conoscenza.

Si consideri, per esempio, l’imperialismo culturale. Due diversi fenomeni possono essere rubricati al suo interno : da una parte, l’imposizione di modelli culturali egemoni, che inevitabilmente produce la privazione di risorse ermeneutiche utili a descrivere e dare senso all’esperienza delle mi- noranze ; dall’altro, la stigmatizzazione che spesso assume la forma di una svalutazione delle capacità cognitive dei soggetti minoritarie.33 Entrambi i meccanismi sono attivati dal gruppo dominante al fine di rafforzare, razio- nalizzare e legittimare la propria posizione di vantaggio, giustificando lo svantaggio dei gruppi minoritari sulla base di presunte caratteristiche na- turali e ascrittive. Quest’operazione di razionalizzazione produce una sorta di insensibilità o cecità verso le ingiustizie che toccano i gruppi svantaggiati, da parte del gruppo dominante che, in virtù del privilegio dell’ignoranza epistemica così acquisito, risulta incapace di una conoscenza completa sia della realtà sociale nella quale vive, sia di se stesso e quindi risulta tutt’al- tro che propenso ad aprirsi mentalmente all’altro e a sperimentare dubbi e perplessità sulle conoscenze che considera acquisite e che dà per scontate. I privilegiati tendono così a sviluppare quel vizio epistemico che Medina definisce « meta-insensitivity», « un torpore cognitivo e affettivo che può essere descritto come un’insensibilità alla propria insensibilità». (musique stop) (p. 136-137).

38#Je-me-questionne : comment produire un discours sur les sujets étudiés sans invisibiliser et délégitimer les discours produit de l’intérieur ? Comment contraster la production d’un canon mis en place par l’« experte » ?

39#Je-me-questionne : comment réintégrer le corps de la personne chercheuse dans la restitution des résultats ? Une intervention dans un colloque est de fait une performance. Et alors pourquoi dans un milieu scientifique le corps de la recherche, c’est à dire le corps (du/de la) chercheur.e est censé rester en dehors de la salle ?

40#Je-me-questionne : comment dépasser les dichotomies que le travail scientifique porte avec soi (culture scientifique/culture populaire, théorie/pratique, travail académique/travail militante, etc.) ?

Flashback. Université de Bordeaux, Queer day, 8 février 2013, intervention sur le postporn dans la table ronde « Porno-graphies », avec Karine Espineira e Arnaud Alessandrin. Je lance mon diaporama, je présente mon propos, je commence à développer mes arguments, j’enlève mon pull, je reste en t-shirt.

Je continue mon exposé. Je continue à me déshabiller. Personne ne bouge. Personne ne parle. Tout le monde prend des notes.

Je finis mon exposé. Je finis nue. Le débat commence, je ne me rhabille pas, personne parle. Les questions commencent à arriver, aucune sur ma nudité. Je parlais du corps comme outil de résistance, je parlais de corps nu, mon corps était nu, mon corps parlait.

41Quand on donne une conférence, il y a des normes qui régissent l’intervention. L’intervenant.e est censé.e faire certains gestes et utiliser un certain langage. Mais les conférences performatives ont aussi leurs normes. Toute action peut donc s’insérer dans un cadre selon l’étiquette qu’on lui colle dessus. Dans le milieu scientifique des arts, il n’est pas étonnant de voir mobiliser le corps de l’intervenant.e et la nudité aussi n’apparaît pas forcément déplacée. Cela est vrai aussi pendant une conférence performative. Pas forcément pendant un débat. Ce contexte n’échappe pas non plus à l’idée qu’il y a un lieu et un temps pour tout. Briser les normes et dépasser les dichotomies signifie prendre le risque d’être « hors-temps » et « dé-placé », sans des normes qui permettent de décoder ton propos et tes gestes, de les justifier et, par conséquence, de les légitimer. Dès lors qu’on brise le temps et l’espace, ça pose problème parce que ce n’est pas évident de faire un débat avec une personne qui n’a pas dit « Stop, ma performance est terminée, maintenant je m’habille et on fait le débat ». Si tu restes déshabillée, comment tu gères le débat et le fait que les gens vont t’interroger sur ce que tu as fait ou sur le contenu de ton diaporama parce que c’est la modalité codée de se mettre en relation avec une intervenante scientifique (et pas artistique) ? Quand tu n’es pas artiste, quand ton intervention n’est pas une conférence performative, quand tu n’es pas une personne chercheuse en art, quand tu fais ton intervention scientifique sur ta recherche dans un séminaire en qualité de géographe, la légitimité de produire quelque chose qui dépasse la praxis du genre et utilise d’autres codes et dispositifs, c’est à ce moment précis qu’un court-circuit se produit.

#Chapitre 3. Quand la marge occupe/rejoint le centre

Flashback. Paris, 13 mai 2013, 20h30 : « Allô, bonjour, je vous appelle pour vous informer que vous êtes classée première au concours pour le poste de maitre de conférence en Géographie et aménagement auquel vous avez participé ».

42Mon intervention à Bordeaux avait été filmée et mise sur internet avec mon accord en février 2013 mais c’est seulement quand j’ai été recrutée à la Sorbonne que la lapidation médiatique sur internet et le cyber harcèlement a commencé. La vidéo a été relayée dans beaucoup de sites de droite, catholiques, conservateurs qui annoncent la conquête de l’espace universitaire par l’approche et les personnes queer.

Voix off. (Trigger warnings : propos grosfobique, transfobique, sexistes, taréfobique, langage violent). « On ne se lasse pas de suivre la progression de la propagande LGBT / Queer dans ce pays et de constater sa pénétration dans le monde dit intellectuel et universitaire » ; « Pour percevoir la portée de cet acte, il faut imaginer qu’une sénatrice prenne la parole en plein sénat, et que d’un coup la dame se mette à poil tout en continuant de parler. Ce lieu de pouvoir qu’est science-po donne à cet acte une dimension qui selon moi s’apparente à un coup de poing dans la tronche du réac... Au reste du monde il indique que la France applique bien ses leçons du gender. "Regardez Mr Gender, on est des gens sérieux en France, on va finir par bousiller l’insouciance des gamins" Pire, la France se veut à la pointe de ce combat dégueux » ; « Dans dix ans, à ce rythme-là, l’Europe est une terre à partouzes sur laquelle les plus jeunes seront désormais conviés, car libres et détachés de tout déterminisme. Finie la morale-à-papa, voici venue la liberté républicaine, démocratique et progressiste » ; « Ce qui est sûr, c’est que de telles exhibitions amèneront effectivement au moins à un questionnement des étudiants sur la valeur de l’inclination personnelle et sur l’esthétique dans les rapports sexuels… (…) Certes, tout le monde ne peut pas postuler au Crazy Horse, ou être sosie de Sophia Loren, mais il y a vraiment des cas où le fait de masquer son anatomie procède seulement de la charité la plus élémentaire… « Cachez ce sein que je ne saurai voir » n’est plus là de l’hypocrisie, mais simplement la manifestation d’une exigence esthétique ! » ; « Pour imposer ses délires, le pouvoir dispose d’une armée d’universitaires dégénérés. L’exemple le plus frappant est Rachele Borghi, géographe, maître de conférences à Paris 4 (anciennement à Rennes). Attention, scènes de nudité crasseuse, il est recommandé à ceux qui veulent écouter et tenter de comprendre les absurdités qu’elle débite, de basculer sur un autre onglet pendant l’écoute. » ; « Ces tarés de l’académie, sans doute pilotés par le ministère, n’ont rien trouvé de plus tendance pour défendre la théorie du genre que d’inviter une lesbienne LGBT à donner une conférence sur le genre et le porno dans le cadre d’une université bordelaise, et de lui permettre de se foutre à poil devant les étudiants pour mieux illustrer son propos ! Une vidéo hallucinante qui a donc bien plus sa place sur un site de cul qu’ailleurs. Et quand tu veux pour tourner une vidéo bien trash, Rachele, vu que tu adores le porno et que tu en fais si bien la promo ! » ; « On donne les clés aux futurs gens de pouvoir afin qu’ils puissent diffuser ce beau gender project dans les têtes des Français. C’est ainsi que dans 10 ans ces tarés seront des gens normaux » ; « Bon sang de bois, pourquoi faut-il systématiquement que ce soient les plus laides qui se dessapent ? C’est une horreur ! Elles ne pourraient pas ressembler à, je ne sais pas moi, Miranda Kerr, toutes ces femen et autres queer machin ? Comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de laideur dans le monde et qu’il fallait en rajouter ! » ; « Cette démonstration, nous permet de constater que nos soupçons sont fondés en ce qui concerne les politiques menées par les "progressistes" pour conditionner les jeunes consciences, à travers les passerelles de l’éducation et de la culture. Hélas, la preuve nous est apportée, que plus c’est gros et dégouttant, mieux cela passera pour obtenir l’accoutumance, la normalisation de toutes pratiques et comportements. Les plus dégradants, les plus salasses, devenant les références du "mieux" » ; « tout ça, ça risque tout de même de leur revenir en pleine tronche un jour où l’autre, les gamins en auront marre des vieilles truies qui, mal baisées, n’ont que ce genre d’exhibitions pour se faire plaisir ! ».

43En même temps dans le milieu académique commence à prendre place l’image d’une personne

Voix off : « bizarre », « originale », « lesbienne », « à côté de la plaque », « amorale », « elle n’a pas sa place ici », « le problème n’est pas que vous êtes lesbienne mais que vous êtes visible », « quand on tape votre nom sur internet on trouve des images xx » (« je travaille sur la pornographie, c’est normal que parfois des images de nu sortent. Est-ce que je dois changer de sujet ? ») « bien sûr que non, la France donne la liberté de recherche », « nous voulons seulement protéger nos étudiantes et nous protéger des plaintes», « je reçois des dizaines de message contre votre recrutement », « problématique pour l’image de l’institution ».

44Si mon glissement vers le centre, a été reçu comme une colonisation de l’institution, un signe de décadence, un problème, en revanche dans le milieu du postporn, par mes enqueté.e.s que j’ai impliquée tout au long du processus de restitution, ça a été considéré comme « la fin du processus d’insertion du virus ».

#Chapitre 4. Espaces interstitiels

45La performance peut ne pas se limiter à être un objet d’étude ; elle peut contribuer à questionner le caractère normatif et hétéro-normatif de l’institution universitaire et de la discipline, géographique en particulier. A partir du 2011, j’en ai fait l’objet central de mes recherches sur le rapport entre espace/corps/normes ; j’ai choisi de me lancer sur les études des pratiques de pornoactivisme. Slavina parle de pornactivisme en relation à un ensemble d’actions performatives qui utilisent le corps nu comme support de l’action et qui rendent les sexualités dissidentes visibles, déclarées et revendiquées. Les corps des pornactivist.es sont des corps politiques sexués, désirants, qui introduisent la composante de la sexualité dans le militantisme. Une fois qu’on a fait la révolution dans la chambre à coucher, il est temps de mettre la chambre à coucher au cœur de la révolution. La sexualité n’est presque jamais explicitée dans le militantisme, c’est pour cela que le pornactivisme l’explicite et l’utilise.

46Est-il possible que le pornoactivisme pénètre aussi dans l’espace universitaire comme pratique et comme méthode pour le travail scientifique ?

47En 2008 Sam/Marie-Hélène Bourcier organisait le séminaire « Fuck my brain » à l’EHESS, en utilisant dans le titre un langage performatif qui n’avait apparemment pas de place dans un cours universitaire. Lorsque le séminaire ne se limite pas à traiter l’approche queer, l’intersectionnalité et les sexualités mais qu’il porte la sexualité dans le titre (et donc directement dans l’espace académique) peut-on parler de pornoactivisme ?

48Le développement d’un pornoacadémisme peut - peut-être - sortir de l’impensée... Le pornoacadémisme porte les corps, les corps indignes, les corps qui n’ont pas leur place à l’intérieur de l’institution. A travers le pornoacadémisme il est donc possible de porter la dimension de la sexualité, toujours dans une perspective intersectionnelle, dans la production du savoir légitime, et de garder son corps, le corps de la recherche/du-de la chercheur.e, pendant tout le processus de production du savoir. Dans cette perspective Zarra Bonheur est née.

Voix off. Il était une fois une chercheuse universitaire-polytopique-queer-féministe-militante-dissidente sexuelle. Un jour elle réalise que sa créativité ne doit pas forcément rester reléguée à des articles scientifiques. Elle décide de libérer les sujets, les réflexions, les théories et les pratiques de recherche du papier imprimé comme la seule expression acceptée et légitime de communication scientifique et elle transforme ses recherches sur le genre, les sexualités, le corps et la dissidence en performances collectives. Zarra Bonheur naît, performeuse-chercheuse-polytopique-pornoactiviste-queer-féministe-militante-dissidente sexuelle, résultat de la contamination Do It Yourself et de l’amour diffusé de ses amies.

49Zarra Bonheur traduit les recherches scientifiques en performances. Le but est de briser les limites entre les contextes (scientifique/militante), les productions (high culture/pop culture), les lieux (université/salle de théâtre, squat, association), les expressions (conférence/performance) et de produire des espaces de subversion/transgression des normes. Zarra Bonheur travaille dans les interstices pour créer des spaces in between. C’est le cas de « Porno trash », une performance créée à partir de mes recherches sur le rapport entre corps et espace et sur la représentation/perception de la nudité dans l’espace public. Chaque performance se transforme selon les lieux et les personnes impliquées, qui changent tout le temps.

#Chapitre 5. Zarra Bonheur : du corps individuel au corp(us) collectif

50Zarra Bonheur ne représente pas une personne, un alter ego ; il s’agit aujourd’hui d’un projet collectif de dissidence, de résistance, d’expérimentation et de pornoactivisme académique. Zarra Bonheur est une expérimentation d’alliances entre enqueteur.e (moi) et enqueté.e (Slavina), c’est un

Voix off. « Projet collectif transnational à géométrie variable, qui développe des recherches sur les genres, l’espace public et les sexualités dissidentes. (...) le projet allie art et activisme. Invitant au partage, le projet connecte ses actions dans des contextes locaux, et en créant des collaborations stables et fugitives. Zarra aime particulièrement le format de l’atelier, comme un art participatif. Partager la scène est puissant : Zarra Bonheur a de multiples voix, de multiples corps. Nous sommes tou.te.s Zarra Bonheur ».

51Zarra Bonheur est une plateforme d’échanges et de contaminations, de création avec différents supports, de la conférence à la performance, en passant par l’atelier et surtout dans différents contextes. Zarra Bonheur est un « exercice de contamination » des lieux et des personnes, de transmission des compétences, d’auto-formation, un espace horizontal qui cherche de

Voix off. Primo Moroni : « Socializzare saperi senza fondare poteri ».

52Zarra Bonheur réalise des performances dans des milieux militantes, associatifs, institutionnels. C’est une expérimentation de traductions : 1. traduction de la recherche scientifique élitiste pour la rendre accessible à un public pas forcément savant et libérer les textes de leurs prisons ; 2. traduction du savoir et des pratiques militantes et d’éducation populaire dans l’enseignement institutionnel.

53Même si l’éducation populaire, l’éducation minoritaire et les pratiques d’enseignement féministes ont une tradition solide et bien répandue, il n’est pas évident de légitimer l’insertion de ces approches et pratiques pédagogiques dans la formation universitaire (voir institutionnelle).

54Les expérimentations que nous avons réalisées à l’université ont été toujours très bien accueilli par les étudiant.e.s mais il a été nécessaire un travail fatiguant de « camouflage » pour trouver les « mots » pour permettre aux activités de « passer ».

Flashback. « En 2015, dans le cadre d’un événement institutionnel universitaire centré sur les femmes et le genre, j’ai proposé d’organiser un atelier. Il s’agissait d’un travail participatif sur l’analyse et l’intériorisation des stéréotypes de genre. Le titre contenait le mot « féminisme ». Le service en charge de l’organisation m’a immédiatement invité à effacer le mot « féminisme » avec l’argument « c’est un mot excluant et cela peut décourager les étudiantes ». Aucune collègue membre du comité scientifique n’a répondu à mes signes qui demandaient leur soutien. L’argument, exposé plus tard à ma demande de clarification sur leur silence, était « on n’avait pas l’intention d’organiser un événement militant ».

55#Je-me-questionne : est-il possible d’intégrer des contenus, des modalités (l’atelier par exemple) et des approches sans que l’enseignement soit délégitimé ?

56La bonne réponse dépend parfois de la manière dont on pose la question. Peut-être que la bonne question serait plutôt la suivante : est-il vraiment possible d’abandonner définitivement le besoin de légitimité, d’être accepté.e, d’être considérée à la hauteur du rôle qui nous a été confié quand on sort des sentiers battus ?

57Quand on s’éloigne des discours dominants, vaincre les résistances devient encore plus difficile. Les résistances et le manque de confiance n’est pas seulement dans la tête des autres mais souvent aussi dans la nôtre. Et alors peut être que changer de point de vue ne suffit plus. Il faut changer la direction du regard.

Voix off. bell hooks : « Etre dans la marge, c’est faire partie d’un tout, mais en dehors de l’élément principal (1984, 2017, p. 59) ».

« As Pratibha Parma notes, ’The appropriation and use of space are political acts.’

To speak about that location from which work emerges, I choose familiar politicized language, old codes, words like ’struggle, marginality, resistance.’ I choose these words knowing that they are no longer popular or ’cool’ - hold onto them and the political legacies they evoke and affirm, even as I work to change what they say, to give them renewed and different meaning.

I am located in the margin. I make a definite distinction between that marginality which is imposed by oppressive structures and that marginality one chooses as site of resistance - as location of radical openness and possibility. This site of resistance is continually formed in that segregated culture of opposition that is our critical response to domination. We come to this space through suffering and pain, through struggle. We know struggle to be that which pleasures, delights, and fulfills desire. We are transformed, individually, collectively, as we make radical creative space which affirms and sustains our subjectivity, which gives us a new location from which to articulate our sense of the world » (1989, p. 151).

58Il est donc prioritaire de faire circuler les exemples, les savoirs, les pratiques, les énergies, d’intensifier les relations et les affects et de créer les alliances qui nous aident à trouver le courage pour parrhesier

Voix off. Michel Foucault « Parrhêsia, étymologiquement, c’est le fait de tout dire (franchise, ouverture de parole, ouverture d’esprit, ouverture de langage, liberté de parole). Les Latins traduisent en général parrhêsia par libertas. C’est l’ouverture qui fait qu’on dit, qu’on dit ce qu’on a à dire, qu’on dit ce qu’on a envie de dire, qu’on dit ce qu’on pense pouvoir dire, parce que c’est nécessaire, parce que c’est utile, parce que c’est vrai » p. 348.

59Diriger le regard vers la marge plutôt que vers le centre nous permet de voir pas seulement les marges mais surtout de voir qu’elles sont habitées, que chaque espace-centre a des marges qui sont occupées, des espaces libérées qui peuvent devenir le terrain où édifier l’utopie...

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Citation   

Rachele Borghi, «Éloge des marges : re(ading)tours sur des pratiques minoritaires dans le milieu académique», Cultures-Kairós [En ligne], paru dans Les numéros, mis à  jour le : 11/12/2018, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/cultureskairos/index.php?id=1774.

Auteur   

Quelques mots à propos de :  Rachele Borghi

Rachele Borghi est maître de conférences en géographie à Sorbonne Université et activiste queer. MCF Sorbonne Université, UFR Géographie et Aménagement, UMR ENEC. Marges du centre, transmission des savoirs, performances, praxis féministes, enseignement. Elle travaille actuellement sur les transgressions performatives dans l'espace public comme réaction aux normes imposées et sur le corps comme lieu, laboratoire et outil de résistance. Ses recherches se concentrent sur la visibilisation des normes dans les espaces publics et les espaces institutionnels (notamment l'université), sur les pratiques pour les briser et sur les espaces de contamination entre milieux académiques, artistiques et militants. Les contact avec des groupes et collectifs queer ont questionné de près sa pratique de terrain, son positionnement et ont soulevé l'urgence de trouver et d'expérimenter des approches pour ne pas reproduire le binôme théorie-production théorique/pratique-production militante. Avec Silvia Corti aka Slavina elle a fondé le collectif Zarra Bonheur, projet qui vise à convertir les recherches scientifiques en performances, à promouvoir un apprentissage créatif à travers la circulation horizontale des savoirs et à contaminer les lieux à travers la transformation du corpus théorique en corps. Collectif www.zarrabonheur.org .