roundabouts http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=234 Entrées d’index fr 0 Retrouver sa propre radicalité : démobilisation, remobilisation et cohabitation jaunes http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=510 Cet article repose sur une enquête ethnographique au sein d’un petit collectif de gilets jaunes qui résiste encore deux ans après son éclatement et malgré le déclin général du mouvement. Il présente dans un premier temps l’entrée sur le terrain et le dispositif d’enquête, en analysant la démobilisation comme un processus révélateur des recompositions militantes, qui ne sont pas moins fidèles aux gilets jaunes que ce qui a eu lieu pendant les mois de novembre et décembre 2018. Ce faisant, il expose aussi le rapport évolutif aux « intellectuels » et à les représentations qu’en ont les militants dans un contexte de déclin objectif de la mobilisation où ceux-ci peuvent être perçus comme des alliés pour le mouvement, en quête de dignification ou publicisation.L’article met ensuite en lumière les stratégies du collectif pour essayer de freiner le désengagement et rester visible, passant par l’organisation de barbecues ou de pique-niques, d’actions ou de meetings qui donneront une bonne image du mouvement. Dans sa quête de respectabilité, ce collectif de gilets jaunes reste particulièrement attaché au fait de diffuser cette « bonne image » (ne pas passer pour des « alcoolos » ou des « cas soc’ ») dans les médias locaux, mais aussi vis-à-vis de la petite bourgeoisie locale attachée à des valeurs écologistes. Enfin, cet article explore la manière dont le collectif se recompose au moment de l’enquête, autour d’individus issus du haut des milieux populaires qui se caractérisent par une socialisation militante plus intense (à gauche). Cette sociographie présente une problématique peu abordée par la sociologie des mouvements sociaux et négligée lors des premières enquêtes sur les gilets jaunes, en faisant apparaître le mouvement des gilets jaunes comme une instance de remobilisation pour des individus socialisés à l’engagement, mais qui, désenchantés, s’étaient écartés des mobilisations qui avaient eu lieu ces dernières années. Ce faisant, l’article explore aussi, au croisement du genre, de l’espace et du politique, les raisons qui pourraient expliquer cette désinhibition des dispositions politiques et la persistance dans un engagement qui semble libérer une parole radicale. En dernier lieu, parallèlement au démantèlement du rond-point et aux contrôles policiers, cette enquête montre comment se produisent des formes tendues de cohabitation, qui ont aussi des effets socialisateurs, se reflétant dans la mise en tension des habitus, des rapports à la politique ou à l’espace et aux modes d’action. Les gilets jaunes souvent plus précaires, autochtones ou situés politiquement à droite privilégient, malgré tout, la visibilité sur le rond-point, alors que les autres accordent plus d’importance à la manifestation, à la défense du RIC (référendum d’initiative citoyenne), aux conférences, aux assemblées générales ou au ralliement à d’autres mouvements sociaux. “Rediscovering One’s Own Radicality: Yellow Demobilisation, Remobilisation, and Cohabitation”This article is based on an ethnographic survey within a small collective of yellow vests who, despite the general decline of the movement, are still active two years after the movement was initiated. First, the paper introduces to the modalities of entry into the field and the research devices developed, by analysing demobilisation as a process of political recomposition that is as enlightening regarding the yellow vests as the events of November or December 2018. In doing so, it also exposes the evolving relationship to the “intellectuals” and their representations in a context of objective decline of the movement, since they can be perceived as strategic in the quest for dignity or publicisation.Then, the paper highlights the collective’s strategies to try to hold back disengagement and remain visible, through the organisation of barbecues, picnics, good-cause events and actions, and rallies meant to shed a good light on them for the public opinion. In this search for respectability, this collective of yellow vests remains very attached to conveying a good image of themselves (keeping at bay the image of their being “drunkards” or “losers”) through the local media, but also towards the local middle classes and their ecological values. The article explores the way the collective recomposes itself at the time of the survey, especially around individuals belonging to the upper working class endowed with a more intense militant socialisation (on the left). This sociography investigates an issue little addressed in the sociology of social movements and neglected in the first studies of yellow vests: it is as an instance of remobilisation for individuals socialised to activism but who have been sidelined and disillusioned by mobilisations in recent years. In doing so, the paper also explores, at the crossroads with gender, space or politics, the reasons that could account for the disinhibition of political dispositions and the persistent engagement that seems to give free rein to their radical discourses. Finally, alongside the dismantling of roundabouts occupations and police monitoring, this research highlights how tense forms of cohabitation arise, which are reflected in the building up of tensions around various habituses, relationships to politics or space and modes of action, but which enable processes of socialization too. Those yellow vests more precarious, autochthonous or right-wing-leaning seek to be, at all cost, visible on the roundabout, while those mentioned above favour demonstrations, defense of the RIC (Citizen’s Initiative Referendum), conferences, general assemblies or the rallying to other social movements. mar., 27 juil. 2021 12:29:14 +0200 ven., 27 août 2021 22:39:33 +0200 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=510 Un chaos organisé. La grappe de ronds-points comme structure politique souple http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=141 La révolte des gilets jaunes, qui se sont opposés frontalement au gouvernement français pendant plusieurs mois en 2018 et 2019, est trop souvent décrite comme une masse chaotique. Ce mouvement déroutant, politiquement inclassable, est défini à partir de ce qui lui fait défaut : ses manifestations sont sans cortèges, ses débats sans assemblées, ses revendications sans chefs ni porte-parole – et il manifeste ouvertement son hostilité aux syndicats, tout en systématisant le blocage des ronds-points des régions rurales. Les gilets jaunes seraient-ils condamnés à n’être que le négatif des mouvements sociaux habituels ? Ou bien faut-il au contraire remettre en question les visions stéréotypées des luttes sociales et analyser les particularités des gilets jaunes hors de l’ombre de leurs prédécesseurs ?Au cœur des définitions en creux des gilets jaunes, on retrouve l’idée récurrente d’un manque d’organisation, un terme si central dans l’analyse des mouvements sociaux qu’il est devenu le synonyme commode des mouvements eux-mêmes. Le cas des gilets jaunes renouvelle le débat en montrant que les révoltes et les insurrections, qu’on considère trop souvent comme inorganisées car « spontanées », ont leurs propres logiques, qui présentent de nombreux avantages, bien qu’elles soient dépourvues des cadres officiels des associations, des partis et des syndicats, et même souvent grâce à cette absence. À l’analyse, il s’avère que l’organisation des ronds-points, avec leurs cabanes, leurs règles de vie, leurs espaces de discussion et de préparation stratégique, est loin d’être chaotique. Elle est au contraire hautement sophistiquée, en particulier si l’on examine un aspect méconnu et pourtant essentiel : celui des relations entre les ronds-points. Par centaines, ils ont en effet tissé des liens durables sur l’ensemble du territoire français, et permis à un mouvement d’envergure nationale de faire trembler l’État. Le cas emblématique des gilets jaunes de l’est du Loiret éclaire cette particularité du mouvement, en montrant comment s’est forgée, au fil des semaines, une structure politique souple et complexe qu’on appellera ici une grappe giratoire, ou grappe de ronds-points : entre cinq lieux de mobilisation, dont trois ronds-points, se sont établies des interactions constantes, au gré des déplacements, des manifestations, des opérations de blocage de routes ou d’entreprises.Ce qui peut apparaître comme chaotique – l’absence d’assemblées générales systématiques en particulier – permet paradoxalement à la grappe giratoire d’élargir le domaine de la lutte. La grappe comme structure politique souple repose ainsi sur une série de fluidités organisationnelles – conflictuelle, idéologique, par coopération, par rivalité, par émulation – qui explique la force d’attraction des gilets jaunes. Les grappes giratoires maintiennent dans un même combat des idéologies, des modes de vie et des stratégies disparates, voire divergentes, pour préserver l’expression de classe du soulèvement. Elles offrent ainsi de nombreux avantages pour la formation d’un mouvement de masse, en donnant aux révoltés et aux insurgés une sagesse politique qui leur est souvent refusée. “Organized Chaos. Round-About Constellations as Flexible Political Structures”The Yellow Vest revolt against the French government, which took place over several months in 2018-2019, is frequently described in terms of a chaotic masse. This politically unclassifiable movement has left analysts unsettled, who have often defined it by its absences: absence of agreement with the authorities of demonstrations, absence of defined routes; absence of assemblies for holding debates; absence of leaders or spokespersons – and Yellow Vests openly display their hostility towards trade unions while systematizing round-about blockades in rural areas. Is the movement therefore doomed to be understood as the negative reflection of the social movements we have been used to? Should we not rather question our stereotypes of social struggles and analyze the specificities of the Yellow Vest movement free of the preconceptions entailed by the movement’s predecessors?At the heart of these negative definitions of the movement is the recurrent theme of the absence of organization, a term that is so central to social movement analysis that it has turned into the convenient synonym for movements themselves. The case of the Yellow Vests reopens the debate by showing that revolts and insurrections, too often understood as unorganized due to their “spontaneity”, have their own organizational logics which come with many advantages, in spite of, or rather thanks to, the absence of representatives and officials to be found in associations, trade unions, and political parties. Indeed, closer analysis reveals that Yellow Vest round-abouts, with their shacks, rules, forums for discussion and strategic preparation, are far from being chaotic. On the contrary, they function according to highly sophisticated organizational practices, particularly when it comes to a little-known but essential aspect of the movement: the networking among round-abouts. Indeed, hundreds of round-abouts established solid links across France, allowing for a nation-wide movement capable of making the French state tremble. The East-Loiret Yellow Vests is a case in point and sheds light on this aspect of the movement, showing how, over a number of weeks, a flexible and complex political structure, which I call a rotative constellation or round-about constellation, emerged, gathering together five sites of mobilization, including three round-abouts, which interacted constantly over the course of demonstrations, road-blocks, or operations to disrupt commerce and industry.That which may appear as chaotic – in particular the absence of general assemblies held on a regular basis – is paradoxically that which allows a rotative constellation to expand its combat zone. The constellation as a flexible political structure draws on a series of fluid organizational practices: fluid forms of conflict management, fluid relationship to different ideological positions, allowing for the establishment of relationships between different groups characterized by cooperation, rivalry and emulation. This fluidity helps explain the force of attraction exercised by the Yellow Vest movement: the rotative constellations hold distinct and sometimes opposing ideologies, lifestyles and strategies together in a common struggle, which allows the revolt to preserve its nature as an expression of a particular social class. Rotative constellations therefore offer a number of advantages for mass political movements, and identifying them finally does justice to the often unrecognized political wisdom of insurgents. lun., 23 nov. 2020 01:07:08 +0100 mer., 16 déc. 2020 15:12:20 +0100 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=141 La forme politique des ronds-points http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=228 Cet article étudie le mouvement des gilets jaunes à partir des lieux de la mobilisation. Il restitue les ressorts et les expressions de la forme politique des ronds-points occupés par les gilets jaunes. Comme le montre une enquête ethnographique menée dans un territoire du sud-ouest de la France, cette forme politique joue un rôle crucial dans la construction de ce mouvement social. À la fois espaces vierges de toute mobilisation sociale antérieure et lieux familiers aux classes populaires des zones rurales et périurbaines, les ronds-points sont propices à la mobilisation à distance des scènes conventionnelles des luttes et de l’espace officiel de la politique. La désirabilité sociale des ronds-points pour les participants tient au fait qu’ils deviennent d’emblée non seulement un lieu d’actions (blocages des routes ou des zones commerciales), mais aussi un lieu de discussion et de partage d’expériences : les situations vécues jusqu’alors sur un plan individuel apparaissent désormais comme une condition partagée. Ces rassemblements politisent, par l’expérience sensible, les conditions d’existence. En outre, les pratiques d’occupation nécessitent une pluralité de compétences (bricolage, cuisine, etc.) qui permet à différents profils de trouver aisément leur place sur les ronds-points, à la différence des mobilisations où l’agir militant est d’emblée cadré par des normes prescrites. Les ronds-points permettent ainsi une construction politique singulière. En effet, l’inexpérience militante des participants, de même que l’absence initiale d’organisation formelle pérenne précédant la mobilisation, sont compensées par les rassemblements sur les ronds-points : ces derniers jouent le rôle d’un dispositif organisationnel décentralisé. La coprésence dans un espace ouvert, dont la forme change du fait même de l’occupation, favorise d’abord des sociabilités entre des individus présentant une relative hétérogénéité sociale : ces sociabilités sont potentiellement intégratrices et socialisatrices. Ensuite, les lieux d’occupation tendent à se diversifier : chaque rond-point occupé se colore d’une ambiance spécifique, révélatrice de la pluralité des attentes des gilets jaunes à l’égard du mouvement, des contradictions qui le traversent, mais aussi de sa capacité à les surmonter. L’article montre en particulier une tension entre une logique de respectabilité sociale, qui tend à faire des ronds-points des lieux plus sélectifs socialement, où sont aussi rejetées certaines pratiques réputées déviantes, et une logique d’ouverture à tous les publics, y compris les plus précaires, mais qui expose les participants à une plus grande conflictualité interne. Lieux de sociabilité permettant différentes formes de solidarité, les ronds-points sont aussi des lieux où l’on habite parfois. Des cabanes ont souvent été construites sur les ronds-points, où peuvent s’élaborer des expérimentations utopiques. This article examines the places in which the Yellow Vests movement took place. It explores the mechanisms and expressions of the political form embodied by the roundabouts occupied by the Yellow Vests. The ethnographic survey conducted in the South-West of France evidences that this political form plays a crucial role in the construction of this social movement. At the same time spaces free of any prior social mobilization and places familiar to the working class in rural and peri-urban areas, the roundabouts were conducive to a mobilization at a distance from the conventional stages of social struggles and the official political space. The social appeal of roundabouts for the participants lies in the fact that they, from the outset, were turned not only into sites for action (blockades of roads or shopping malls), but also places for discussions and experience sharing: situations previously experienced on an individual level now appeared as a shared social condition. These gatherings politicize, through sensitive experience, the conditions of existence. In addition, occupation practices require a plurality of skills (DIY, cooking, etc.) that allow people with different social profiles to easily find their place on roundabouts, in contrast to mobilizations where militant action is from the outset framed by prescribed norms. Roundabouts thus allow for an original political construction. Indeed, the militant inexperience of the participants, as well as the initial lack of a formal and sustainable organization prior to the mobilization, are compensated by the gatherings on roundabouts: the latter play the role of a decentralized organizational mechanism. Co-presence in an open space, whose form changes due to its occupation, first of all promotes sociabilities between individuals characterized by relative social heterogeneity: these sociabilities are potentially integrating and socializing. Over time, the sites of occupation tend to diversify: each occupied roundabout is loaded with a specific atmosphere, exposing the plurality of the expectations of the Yellow Vests towards the movement, the contradictions that shape it, but also its capacity to overcome them. In particular, the article shows a tension between a logic of social respectability, which tends to make roundabouts more socially selective spaces, and where certain practices deemed deviant are rejected, and a logic of openness to all publics, including the most precarious, but which entails greater internal conflict. As sites of sociability allowing different forms of solidarity, roundabouts are also places that are sometimes inhabited. Shacks, or cabins have often been built on roundabouts, where utopian experiments can be launched. lun., 30 nov. 2020 00:48:46 +0100 dim., 13 déc. 2020 23:04:27 +0100 http://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=228